Depuis le début de la crise de la dette souveraine, la dette publique grecque a connu plusieurs restructurations [De Grauwe, 2015]. Il y a eu une restructuration explicite en 2012 qui obligea les créanciers privés à accepter de profonds allègements. La dette publique s’en est trouvée réduite d’un montant équivalent à 30 % du PIB grec. Il y a eu ensuite une série de restructurations implicites impliquant un allongement des maturités et une baisse du fardeau d’intérêt effectif sur la dette publique grecque. La maturité moyenne de la dette publique dette est désormais d’environ 16 ans, soit une maturité considérablement plus longue que celle des obligations publiques des autres Etats-membres de la zone euro. En contrepartie des aides qui lui ont été accordées, la Grèce a dû adopter des réformes structurelles et des mesures d’austérité, de manière à accroître la compétitivité de son économie et à générer de larges excédents primaires. Avec ces diverses restructurations, la dette publique grecque se maintient depuis 2013 autour de 175 % du PIB.
A la fin de l’été 2014, le FMI considérait qu’un nouvel allègement de la dette publique grecque n’était pas nécessaire, à condition que le gouvernement mette en place les réformes attendues et que celles mises en œuvre génèrent de la croissance comme attendu. La situation a toutefois largement changé depuis, notamment avec l’accession au pouvoir de Syriza : l’effondrement des excédents primaires et la faiblesse de la croissance ont ramené la dette grecque sur une trajectoire explosive. Le nouveau rapport publié le 2 juillet, à quelques jours du référendum grec, offre un verdict moins optimiste : pour s’assurer que la dette grecque soit soutenable, le FMI préconise d’allonger les maturités des prêts existants et d’accorder de nouveaux prêts au gouvernement grec. Selon l’interprétation du FMI, ce ne sont pas les réformes qui n’ont pas porté ses fruits, mais les différents gouvernements grecs successifs n’ont pas suffisamment réformé. Pour preuve, l’activité cessait de se contracter lorsque Syriza est arrivé au pouvoir. Désormais, même si la Grèce adoptait toutes les mesures exigées par la Troïka, les prévisions du FMI suggère que la dette publique grecque s’élèverait tout de même à 118 % en 2030, soit un niveau bien supérieur aux 110 % que le FMI considère comme soutenable dans le cas de la Grèce. Même dans l’hypothèse que la croissance grecque se maintienne au rythme soutenu de 4 % par an au cours des cinq prochaines années, les niveaux de dette publique n’atteindraient que 124 % en 2022. Or, le FMI prévoit que la croissance sera nulle en 2015, puis ne s’élèvera qu’à 2 % en 2016 et 3 % en 2017. Ainsi, tout nouveau choc pourrait facilement pousser le ratio dette publique sur PIB au-delà des 200 %.
Selon une autre interprétation, ce sont précisément les mesures demandées par la Troïka en échange de l’aide qui ont détérioré l’activité économique et rendu encore plus insoutenable la trajectoire de la dette publique. Depuis 2009, la Grèce a connu une hausse de ses excédents primaires discrétionnaires équivalente à 18 % de son PIB [De Grauwe, 2015]. Depuis le début de la crise, le PIB par tête a diminué de 25 % en Grèce, alors qu’il diminuait de 13 % en Italie, de 9 % en Espagne et de 6 % au Portugal [Bini Smaghi, 2015]. L’adoption de plans d’austérité et de réformes structurelles, dans un contexte de faible demandent globale, conduisent à une nouvelle contraction de la demande et finalement à une nouvelle hausse du ratio dette publique sur PIB. Ainsi, pour Mody (2015), la situation grecque correspond précisément à celle de déflation par la dette (debt-deflation) décrite par Irving Fisher. En effet, le niveau général des prix décline depuis deux ans en Grèce. Dans la mesure où les charges de la dette ne changent pas lorsque les entreprises baissent les prix de vente ou les salaires, les entreprises et les ménages ont de plus en plus de mal à rembourser leur dette. Comme l’investissement et la consommation freinent, l’Etat récupère moins de recettes fiscales, ce qui complique son propre désendettement. Si l’Etat adopte en outre des mesures d’austérité, les prix et l’activité chutent encore plus rapidement. Au final, « plus les débiteurs paient, plus ils doivent. » Mody déplore que les rapports successifs du FMI persistent à sous-évaluer l’impact de la consolidation budgétaire sur l’activité, mais aussi à ignorer les interactions pernicieuses entre la déflation, la dette et l’austérité.
Paul de Grauwe (2015) pense que le gouvernement grec est probablement solvable, mais illiquide. En effet, les restructurations implicites ont permis de réduire le fardeau d’intérêt sur la dette publique grecque de moitié depuis 2011 pour atteindre 4 % du PIB en 2014. Durant cette période, le ratio dette publique sur PIB a fortement augmenté en Grèce, ce qui signifie que le fardeau d’intérêt effectif (en % de la dette publique) a décliné encore bien plus rapidement. Les paiements d’intérêt représentaient 2,2 % de la dette publique grecque, contre 6 % en 2011. Le fardeau de dette effectif du gouvernement grec est inférieur à celui supporté non seulement par les autres pays « périphériques » de la zone euro, mais aussi par certains pays comme la Belgique et la France. Par conséquent, la dette publique grecque est probablement soutenable, à condition que la croissance économique reparte. La Grèce a certes le plus faible fardeau d’intérêt effectif au sein de la zone euro, mais aussi la plus faible croissance nominale. Si la Grèce peut retrouver une croissance nominale d’au moins 2 %, elle pourra stabiliser son fardeau de dette effectif.
De Grauwe en tire deux implications. D’une part, les créanciers doivent cesser de vouloir imposer l’austérité à la Grèce : la consolidation budgétaire rend la dette publique insoutenable en détériorant la croissance économique. Comme le rappelle Ashoka Mody, pour sortir mettre un terme au processus de déflation par la dette et faciliter le désendettement tant du secteur privé que du secteur public, les autorités publiques doivent « reflater » l’économie, ce qui passe par l’abandon des politiques restrictives.
D’autre part, De Grauwe juge que la BCE doit cesser de considérer le gouvernement grec comme insolvable. L’institution de Francfort suit en effet le principe de Bagehot, selon lequel elle ne doit prêter qu’aux institutions solvables, mais illiquides. Jusqu’à présent, elle a considéré l’Etat grec comme insolvable, si bien qu’elle est réticente à utiliser les obligations publiques grecques dans ses programmes OMT et d’assouplissement quantitatif. C’est notamment parce que la BCE considère le gouvernement grec comme insolvable qu’elle refuse de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort auprès des banques commerciales grecques. Dans la mesure où le gouvernement grec est juste illiquide, les banques commerciales grecques devraient pouvoir utiliser les titres publics domestiques comme collatéraux pour obtenir davantage de liquidité auprès de la banque centrale. En refusant cela, la BCE alimente une crise bancaire en Grèce et sape par là elle-même le principal déterminant de la soutenabilité de la dette grecque : la croissance économique.
Références
BINI SMAGHI, Lorenzo (2015), « Is Greece’s debt really so unsustainable? », in Financial Times, 12 janvier.
DE GRAUWE, Paul (2015), « Greece is solvent but illiquid: Policy implications », in voxEU.org (blog), 3 juillet.
FATÁS, Antonio (2015), « Did the IMF provide support to Syriza? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 3 juillet 2015. Traduction française, « L’analyse du FMI appuie-t-elle les propos de Syriza ? », in Annotations.
MODY, Ashoka (2015), « In bad faith », in Bruegel (vox), 4 juillet.
SCHUMACHER, Julian, & Beatrice WEDER DI MAURO (2015), « Debt sustainability puzzles: Implications for Greece », in voxEU.org, 12 juillet.