Lors de la Grande Récession, la production s’est fortement contractée dans les pays avancés, mais le commerce international a chuté encore plus lourdement : entre la fin de l’année 2008 et le début de l’année 2009, les échanges internationaux ont diminué de 15 % en rythme annuel [Lewis et Schryder, 2015]. Il s’agit du plus fort effondrement des échanges internationaux que l’on ait pu observer au cours de l’histoire. Il se singularise également par sa synchronisation : la chute des exportations fut observée dans l’ensemble des pays avancés et dans (quasiment) l’ensemble des secteurs. Par la suite, les échanges internationaux ont rapidement rebondi, mais ils semblent toutefois croître plus lentement qu’avant la crise. En effet, ils croissaient au rythme moyen de 3 % entre 2012 et 2013, contre 7,1 % par an entre 1987 et 2007 [Constantinescu et alii, 2015].
La littérature économique a depuis longtemps constaté que les échanges internationaux sont plus volatils que la croissance du PIB, mais l’ampleur du « Grande Effondrement » des échanges internationaux observée lors de la Grande Récession reste toutefois énigmatique, au point d’amener certains à suggérer que le lien entre production et échanges ait pu changer avec la Grande Récession. Les diverses études qui se sont penchés sur cet événement pour en mettre à jour les causes sous-jacentes soulignent le rôle des changements dans la demande finale, des ajustements de stock et des conditions de financement. Certains ont suggéré qu’un possible retour au protectionnisme ait également contribué à amplifier la contraction des échanges, mais ce rôle semble avoir été limité. La littérature existante s’est surtout focalisée sur les flux bruts des échanges. Or, les composants d’un produit peuvent traverser plusieurs fois les frontières avant qu’un client achète le bien final, si bien que le montant brut des échanges peut différer substantiellement du montant des échanges en valeur ajoutée. D’autre part, ces diverses études ont eu tendance à supposer que la spécialisation verticale resta de même ampleur durant la crise. Or un déclin de la décomposition des processus productifs pourrait toutefois non seulement contribuer à expliquer le grand effondrement des échanges internationaux lors de la Grande Récession, mais aussi la baisse des élasticités du commerce mondiale, comment l’ont notamment souligné Cristina Constantinescu et ses coauteurs (2015).
Arne Nagengast et Robert Stehrer (2015) se sont penchés à leur tour sur l’épisode de la Grande Récession dans une récente étude publiée par la BCE. D’une part, ils se focalisent sur les échanges en valeur ajoutée, ce qui leur permet de déterminer précisément dans quel pays les différentes parties d’un bien final sont effectivement produites. D’autre part, ils utilisent une analyse de décomposition sectorielle, ce qui leur permet de quantifier non seulement la contribution des changements tant du niveau de la demande finale que de sa structure, mais également celle des changements dans l’organisation de la décomposition internationale des processus productifs.
Nagengast et Stehrer tirent trois grands enseignements de leur analyse. Premièrement, les changements dans la décomposition internationale des processus productifs expliquent presque la moitié de l’effondrement des échanges. Le niveau de dépenses finales a presque complètement retrouvé son niveau initial au cours de l’année qui suivit la crise, mais le degré de décomposition internationale des processus productifs n’avait toujours pas retrouvé son niveau d’avant-crise en 2011. Les variations des prix, les ajustements de stocks, les effets de composition intersectorielle et l’essor du protectionnisme ne sont pas susceptibles d’expliquer l’essentiel du déclin de la décomposition internationale des processus productifs. Deuxièmement, la chute du niveau global de demande explique environ un quart du déclin des exportations en valeur ajoutée, tandis que les changements dans la composition de la demande finale expliquent un tiers de celui-ci. C’est la demande de biens et services des pays présentant un degré élevé de liens transfrontaliers qui a décliné le plus fortement. Troisièmement, la dichotomie observée entre biens manufacturés et services dans les exportations brutes n’apparaît pas dans les données du commerce en valeur ajoutée. En effet, lorsque Nagengast et Stehrer observent les exportations brutes, les exportations de biens durables semblent avoir été particulièrement affectées par la crise, tandis que les échanges de services semblent s’être montrés résilients. Or, lorsqu’ils observent le commerce en valeur ajoutée, tous les secteurs apparaissent avoir été fortement frappés par la crise financière. Par conséquent, les secteurs de services qui sont offreurs d’intrants aux exportateurs directs sont susceptibles d’être bien plus vulnérables aux chocs externes que ce qui est généralement admis.
Références