Beaucoup ont affirmé que le vieillissement démographique tend à freiner la croissance économique. Ces craintes se sont faites encore plus insistantes ces dernières années, dans le contexte de stagnation de l’activité qui suivit la crise financière mondiale. Par exemple, Robert Gordon (2014) considère le vieillissement démographique comme le premier « vent contraire » (headwind) auquel la croissance des pays développés se trouvera confrontée ces prochaines décennies, au motif qu’il déprimerait le taux d’activité et la productivité des travailleurs. Tout comme Alvin Hansen (1938), Larry Summers (2014) donne un rôle crucial à la dynamique démographique pour affirmer que les pays développés font face à une stagnation séculaire ; en l’occurrence, le vieillissement de la population contribuerait à accroître l’épargne agrégée tout en réduisant l’investissement, ce qui freinerait la croissance économique en déprimant la demande globale.
Daron Acemoglu et Pascual Restrepo (2017b) estiment qu’une telle relation négative n’apparaît pas au niveau empirique. Pour aboutir à ce constat, ils s’appuient sur les données relatives à la période s’écoulant entre 1990 et 2015 et définissent le vieillissement démographique comme la hausse du ratio rapportant la population âgée de plus de 50 ans sur celle âgée de 20 à 49 ans. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, l’instant où l’on considère que le vieillissement a commencé à faire effet dans les pays développés, il n’y a pas de corrélation négative entre le vieillissement et le PIB par tête. Selon certaines spécifications, les données suggèrent même une corrélation positive : les pays qui ont connu un vieillissement rapide de leur population auraient également connu une croissance économique plus rapide au cours des dernières décennies.
GRAPHIQUE Corrélation entre le vieillissement et la croissance du PIB par tête (en dollars constants)
source : Acemoglu et Restrepo (2017b)
Acemoglu et Restrepo suggèrent que ce constat contre-intuitif trouve une explication au niveau du progrès technique. En effet, ils notent que la période qui s’ouvre avec les années quatre-vingt-dix coïncide avec l’arrivée d’une gamme de nouvelles technologies se substituant à la main-d’œuvre. Les pays qui subissent un vieillissement rapide de leur population adopteraient plus rapidement l’une des principales technologies d’automation, en l’occurrence les robots industriels. En effet, les données relatives à 49 pays suggèrent une forte corrélation entre le vieillissement démographique et le nombre de robots par million d’heures travaillées sur la période qui s’écoule entre le début des années quatre-vingt-dix et 2015 [Acemoglu et Restrepo, 2017a].
Pour expliquer ces divers constats, les deux économistes s’appuient sur l’une de leurs précédentes analyses [Acemoglu et Restrepo, 2016]. Celle-ci suggérait qu’un manque d’offre de travail pouvait stimuler la création et l’adoption de technologies substituables avec la main-d’œuvre. En l’occurrence, lorsque le capital est suffisamment abondant, une pénurie de travailleurs jeunes ou d’âge intermédiaire peut tellement stimuler l’adoption de nouvelles technologies que les effets de cette pénurie de main-d’œuvre s’en trouvent neutralisés, voire inversés. Ainsi, Acemoglu et Restrepo en concluent que le vieillissement de la main-d’œuvre a beau déprimer l’offre de travail, il ne réduit pas forcément le PIB par tête et peut même stimuler la croissance économique.
Références
ACEMOGLU, Daron & Pascual RESTREPO (2017a), « Demographics and robots: Theory and evidence », document de travail.
HANSEN, Alvin (1938), « Economic progress and the declining population growth », in American Economic Review, vol. 29, n° 1.
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