Bien que la crise de 2007 ait commencé dans un nombre restreint de pays développés, la récession qui s’ensuivit se diffusa rapidement à l’ensemble de l’économie mondiale en empruntant les canaux de la finance et du commerce. Aucun découplage miraculeux n’a immunisé le reste du monde contre les turbulences touchant l'économie américaine, ni même le monde émergent du ralentissement économique dans les pays avancés. Le choc qui se produisit dans le système bancaire américain perturba de nombreux secteurs financiers autour du monde. L'instabilité financière s’est peu à peu transmise à l’économie réelle en entrainant une profonde contraction de l’activité économique, du commerce international et des flux internationaux des capitaux. Si l’économie mondiale semble avoir amorcé une reprise en 2009, tirée en particulier par les émergents, la croissance demeure toutefois particulièrement lente et faiblement créatrice d’emplois.
L’impact de la Grande Récession sur l’activité économique a cependant fortement varié d’un pays à l’autre. Cela peut s’expliquer par des expositions et vulnérabilités différentes aux chocs et par l’hétérogénéité des cadres macroéconomiques et institutionnels, notamment des politiques économiques mises en place en réponse à la crise. L’espace lui-même a contribué à façonner la diffusion de la crise. On peut donc s’attendre à une hétérogénéité des réactions des entreprises aussi bien d’un pays à l’autre qu’à l’intérieur de chaque économie.
Leandro Medina (2012) a étudié la performance des entreprises pendant et après la crise mondiale en examinant 6581 entreprises manufacturières dans 48 pays développés et émergents pour tenter d’identifier les facteurs qui ont contribué à les rendre vulnérables à la crise ou bien à renforcer leur résistance aux chocs. L’économiste du FMI évalue l’impact d'une multitude de variables observées avant la crise mondiale sur la performance des entreprises en 2010, notamment leur taille, leur niveau d’endettement, leur actif immobilisé et leur niveau de dette de court terme, ainsi que les caractéristiques propres à leur secteur et à leur pays. Medina juge en outre intéressant de comparer la performance des entreprises des pays émergents avec celles réalisées par les firmes dans les pays avancés. En effet, la crise éclata dans les économies avancées. De plus, la reprise mondiale a été bien plus rapide dans les économies émergentes, en particulier en Asie et en Amérique latine, et le secteur bancaire de plusieurs économies émergentes s’est montré particulièrement résistant.
Sur le plan théorique, une hausse du levier est susceptible d’accroître le risque opérationnel pour l’entreprise et de se traduire ainsi par un renchérissement du coût du financement externe. Celui-ci va entraîner à son tour une réduction de l’investissement, des flux de liquidité et de la production, ce qui peut déclencher un ralentissement de l’activité. Ben Bernanke, Mark Gertler et Simon Gilchrist (1996) avaient notamment suggéré, au travers leur concept d’accélérateur financier, qu’un levier d’endettement élevé démultiplie les répercussions d’un ralentissement en amplifiant le choc initial lors de sa propagation. D’un autre côté, le levier ne va accroître la probabilité de faillite que s’il n’est pas compensé par des anticipations optimistes de croissance ou par de plus favorables conditions d’endettement. Dans une économie donnée, la vulnérabilité des entreprises aux chocs économiques et par là la sévérité d’une récession dépendraient en définitive du levier d’endettement des entreprises, des conditions macroéconomiques et politiques, ainsi que des perspectives futures de croissance. Par conséquent, il apparaît donc utile pour Medina d’évaluer l’éventuelle présence d’effets de seuil concernant le levier d’endettement pour déterminer si ses répercussions sur la performance des entreprises diffèrent selon qu’il s’établit à un niveau bas ou élevé.
L’analyse empirique met tout d’abord en évidence l'impact négatif du levier d’endettement dont firent usage les entreprises en 2007 sur leurs performances en 2010. Une hausse de 10 points de pourcentage du levier se traduit par une diminution des ventes trois ans plus tard représentant en moyenne 0,7 point de pourcentage. L’effet négatif du levier est non linéaire, puisqu’il se révèle particulièrement puissant dans les entreprises qui faisaient l’usage d’un important levier avant l’éclatement de la crise. En outre, le levier d’endettement a des répercussions particulièrement lourdes sur la performance des entreprises présentes dans les pays émergents.
Ensuite, l’analyse de Medina révèle que le ratio d’immobilisation d'avant-crise, qui rapporte le montant des actifs immobiliers sur le total des actifs, exerce un effet positif sur la croissance des entreprises en 2010. Une hausse de 10 points de pourcentage du ratio d’immobilisation de l’entreprise se traduit en moyenne par une accélération de la croissance des ventes de 0,8 point de pourcentage. Les études antérieures mettaient déjà en avant une plus grande sensibilité aux récessions des secteurs qui dépendent le moins des actifs immobilisés. L’analyse de Medina révèle en outre que l’immobilisation des actifs exerce surtout un effet positif sur la performance des entreprises des pays émergents.
De plus, le ratio d’endettement à court terme, rapportant ce dernier sur la dette totale, exerce un effet négatif sur la performance des entreprises en 2010. Une hausse de 10 points de pourcentage du ratio se traduit en moyenne par un ralentissement de 0,3 point de pourcentage de la croissance des ventes. En théorie, les entreprises des pays émergents ont un moindre accès aux marchés financiers et dépendent par conséquent plus fortement du financement de court terme. Pourtant, l’analyse empirique révèle que la dette de court terme s'avère bien plus dommageable pour les entreprises dans les pays avancés que dans les émergents.
L’auteur se penche ensuite sur l’impact de la taille des entreprises sur leur résilience face à la crise. Les données ne font apparaît aucun effet statistiquement significatif sur la performance des entreprises dans les économies émergentes ; en revanche, il y a un effet particulièrement négatif de ce facteur sur la performance des entreprises dans les pays avancés. La littérature théorique suggère l’existence de deux effets contraires. D’un côté, les plus grandes entreprises devraient avoir un meilleur accès au crédit, donc la taille devrait influencer positivement sur la performance. D’un autre côté, la productivité est susceptible de diminuer au fur et à mesure que la taille de l’entreprise s’élargit. L’auteur conclut que le second effet tend à l’emporter sur le premier dans les pays avancés.
Le cadre macroéconomique importe aussi fortement pour la croissance de l’entreprise. Medina met en l’occurrence l’accent sur l’importance des variations du taux du change. En théorie, les répercussions de ces dernières sur les entreprises dépendront de la structure en devises de leur endettement. D’un côté, si les entreprises sont endettées en devise étrangère alors que leurs actifs sont libellés en monnaie domestique, une dépréciation du taux de change gonfle la valeur de leur endettement et réduit leur valeur nette, ce qui accroît les coûts de financement auxquelles elles font face et peut entraîner une contraction de leurs niveaux d’investissement et de production. D’un autre côté, une dépréciation peut améliorer la compétitivité des entreprises qui produisent les biens dans l’économie domestique et les vendent à l’étranger. Le second effet semble l’avoir remporté sur le premier lors de la crise mondiale, puisque l’analyse empirique montre que, dans les pays ayant connu une dépréciation de leur taux de change, les entreprises ont connu une plus rapide reprise dans les secteurs qui dépendent particulièrement du commerce extérieur.
Références Martin ANOTA
BERNANKE, Ben, Mark GERTLER & Simon GILCHRIST (1996), « The financial accelerator and the flight to quality », in The Review of Economics and Statistics, vol. 78, n° 1, février.