Plusieurs marchés financiers, notamment les marchés d’actifs sans risque comme celui des bons du Trésor américain, ont connu une forte volatilité ces dernières semaines. L’indice VIX, qui mesure la volatilité des marchés boursiers et qui est considéré par là comme « l’indice de la peur », retrouve un niveau qu’il n’avait pas atteint depuis 2012, lorsque la crise de la zone euro était encore dans une phase active (cf. graphique ci-dessous). Les actions sont à la baisse, en particulier en dehors des Etats-Unis, les obligations sont à la hausse et les matières premières sont à la baisse. Sur les marchés boursiers, les actions cycliques ont connu de mauvaises performances, tandis que les actions défensives se sont plutôt bien comportées. Les primes de risque de crédit se sont élevées, notamment les primes de risque souverain en zone euro. Les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans ont diminué, tandis que le dollar s’est apprécié. Bref, les marchés ont agi comme si l’économie mondiale basculait en récession.
GRAPHIQUE Indices de volatilité Chicago Board of Options Exchange (en points de pourcentage)
source : The Economist (2014)
Pour Gavyn Davies (2014), trois facteurs ont probablement été à l’œuvre : en premier lieu, un renversement des positions spéculatives, mais celui-ci n’explique pas les tendances de fond et il n’est que temporaire. Davies doute que le ralentissement de la croissance ou tout du moins une révision à la baisse des anticipations de croissance ait été à l’origine de la forte volatilité. Certes les perspectives de croissance de grands pays-membres de la zone euro, en particulier de l’Allemagne, mais aussi de la France et de l’Italie, ont été revues à la baisse, mais les prévisions de croissance ont été revues à la hausse pour les Etats-Unis et la Chine, si bien que les secondes ont en quelque sorte compensé les premières. Ainsi, les conjecturistes n’ont toujours pas changé leurs prévisions de croissance mondiale, si bien que pour Davies, il semble que les marchés boursiers se soient montrés déconnectés des dynamiques de l’économie réelle ces dernières semaines. Par contre, comme le risque d’une récession en zone euro a été revu à la hausse, peut-être que les marchés ont alors revu à la hausse le risque que le reste du monde bascule aussi en récession par effet de contagion.
Le comportement du dollar s’explique facilement. La valeur d’une devise sur les marchés des changes est souvent liée aux perspectives de croissance du pays émetteur. La croissance des Etats-Unis est plus forte qu’anticipée, dans un contexte où la croissance des grands pays de la zone euro est revue à la baisse. En outre, la poursuite de la reprise aux Etats-Unis rend plus probable un resserrement de la politique monétaire de la Fed, ce qui rend plus rentable de placer ses capitaux aux Etats-Unis. En outre, si les marchés ont revu à la baisse leurs anticipations de croissance pour l’économie mondiale, le dollar a naturellement joué son rôle de valeur de refuge. Son appréciation reflète la plus forte demande d’actifs sûrs durant une période de forte incertitude.
Si, pour Davies, la volatilité des prix d’actifs ne peut s’expliquer par une révision de croissance mondiale, elle a par contre sûrement trouvé son origine dans une révision des anticipations d’inflation. L’évolution des marchés obligataires suggère qu’ils ont revu leurs anticipations d’inflation à la baisse, en particulier pour la zone euro. Les marchés de swaps d’inflation ont commencé à mettre en doute la capacité ou la volonté de la BCE à maintenir un taux d’inflation inférieure, mais proche de, 2 %, mais aussi à jouer son rôle de prêteur en dernier ressort souverain, comme le suggère la détérioration des marchés de la dette souveraine. Un désancrage des anticipations d’inflation rend plus probable un basculement de l’ensemble de la zone euro dans la déflation et l’apparition de dynamiques de déflation par la dette qui ne pourront qu’alourdir l’endettement aussi bien des agents privés que des Etats.
Davies avance une autre raison pour expliquer la chute des anticipations d’inflation, en l’occurrence la chute de 25 % du prix du pétrole depuis juin. Mais selon lui, celle-ci s’explique non pas du côté de la demande (par exemple avec le ralentissement de la croissance des pays émergents), mais bien du côté de l’offre, si bien que les pays importateurs bénéficient d’un choc d’offre positif, ce qui n’est pas forcément favorable à l’activité dans un contexte de très faible inflation. Si, comme en 2009, les prix du pétrole diminuent sans pour autant que les anticipations d’inflation soient révisées à la baisse, le « contre-choc » pétrolier sera bénéfique à la reprise. Si par contre les anticipations d’inflation ne restent pas stables, ce qui apparaît de plus en plus probable en zone euro, le scénario d’une déflation s’en trouve accru.
Robert Shiller (2014) rappelle que si le comportement des marchés boursiers à long terme est plutôt prévisible, leurs fluctuations à court terme le sont plus difficilement. Celles-ci sont provoquées par des histoires populaires (popular narratives) qui agissent comme de véritables virus, se répandant par contagion. Elles ne sont pas forcément vraies, mais elles ont des répercussions bien réelles, au point qu’elles peuvent se révéler être des prophéties autoréalisatrices. Ces histoires amènent les investisseurs à agir de manière à pousser davantage les cours dans la même direction, ce qui les incite à répéter un tel comportement. En l’occurrence, depuis le pic de septembre, les expressions de « ralentissement mondial », de « déflation » et de « stagnation séculaire » sont revenues très fréquemment, même si rien n’assure que ces trois phénomènes sont à l’œuvre. Or, la baisse des prix d’actifs accroît précisément le risque d’une déflation et d’une nouvelle récession, ce qui matérialiserait les craintes mêmes des marchés.
Pour Gavyn Davies, le récent pic de volatilité pourrait suggérer que les marchés remettent que question l’efficacité des mesures non conventionnelles que les banques centrales ont mises en oeuvre ces dernières années pour sortir les économies de la Grande Récession et stimuler la reprise. Or, l’assouplissement quantitatif et surtout le forward guidance influencent les prix d’actifs et plus largement l’économie précisément car les marchés croient qu’ils les influencent : leur efficacité repose avant tout sur leur effet d’annonce. Toutefois, face à la chute des cours boursiers, les banques centrales ont suggéré qu'elle poursuivraient éventuellement leurs mesures non conventionnelles et les cours boursiers ont bondi suite à ces annonces, ce qui suggère que les marchés considèrent comme efficaces. Pour Ambrose Evans-Pritchard (2014), la baisse des prix d’actifs et la hausse de la volatilité trouvent précisément leur origine dans le retrait des mesures exceptionnelles de relance monétaire. La réduction des achats d’actifs s’est révélée être un véritable choc pour l’ensemble du système financier. Les banques centrales ont en effet réduit leur relance monétaire de 125 milliards de dollars chaque mois depuis la fin de l’année dernière, soit l’équivalent de 1500 milliards de dollars sur l’année. Or la déstabilisation des marchés pourrait amener les banques centrales à retarder le resserrement de leur politique monétaire.
Références
DAVIES, Gavyn (2014), « What is global market turbulence telling us? », in Financial Times, 19 octobre.
EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2014), « One simple reason why global stock markets are reeling », in The Telegraph, 17 octobre.
SHILLER Robert (2014), « When a stock market theory is contagious », in New York Times, 18 octobre.