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25 août 2016 4 25 /08 /août /2016 22:39

Toute transaction marchande, toute coopération, requièrent un minimum de confiance vis-à-vis d’autrui, en particulier en situation d’asymétrie d’information. Un surcroît de confiance n’incite pas seulement les agents à multiplier les relations marchandes, il contribue également à réduire les coûts de transaction. Au niveau agrégé, il est ainsi susceptible de stimuler la croissance économique en favorisant plusieurs de ses déterminants, comme les échanges, le crédit, l’investissement, l’entrepreneuriat, l’innovation, etc. [Algan et Cahuc, 2013]. En identifiant les déterminants du développement économique à long terme, les économistes ont ainsi pu noter l'importance de la culture et de la religion, dans la mesure où les valeurs qu'elles véhiculent sont plus ou moins propices à la croissance. La qualité des institutions se révèle elle-même essentielle aux performances macroéconomiques de par leurs effets sur la confiance. Or plusieurs études, notamment celles réalisées par Robert Putnam, suggèrent que la confiance et plus largement le capital social ont décliné dans plusieurs pays développés. Aux Etats-Unis, la part des sondés estimant qu’ils peuvent faire confiance à la plupart des personnes est passée d’environ 50 % à 33 % entre le début des années soixante-dix et 2010. Beaucoup ont alors conclu le manque de confiance, voire la défiance, ont pu freiner la croissance.

D’un autre côté, ces dernières décennies ont également été marquées par un creusement des inégalités de revenu et de richesses, tout du moins dans les pays développés. Or, de plus en plus d’analyses, notamment celles du FMI ou de l’OCDE, concluent que l’effet net des inégalités sur la croissance se révèle négatif. Certains ont alors naturellement relié le creusement des inégalités et le déclin de la confiance au ralentissement de la croissance, mais aussi suggéré qu’ils pouvaient être directement liés l’un à l’autre.

En cherchant à préciser quels facteurs sont susceptibles d’influencer la croissance via leurs effets sur la confiance, plusieurs études ont en effet souligné le rôle joué par les inégalités de revenu et de richesse. Par exemple, Stephen Knack et Philip Keefer (1997) constatent que la confiance et les normes civiques sont plus fortes dans les pays présentant de plus hauts revenus et une plus grande égalité de revenus. Plusieurs raisons, sur le plan théorique, amènent effectivement à penser que l’essor des inégalités alimente la défiance [Barone et Mocetti, 2016]. Par exemple, les inégalités économiques génèrent ou renforcent la distance sociale entre les individus : plus les inégalités économiques sont fortes, plus les barrières sociales entre les différents groupes sont importantes et moins leurs membres se sentent à l’aise à l’idée de tisser des liens entre eux. En outre, les inégalités peuvent alimenter le sentiment d’injustice et la croyance que les autres disposent d’avantages immérités. Enfin, des communautés inégalitaires peuvent ne pas parvenir à s’accorder sur la manière par laquelle financer et partager les biens publics. 

Certains ont alors cherché à déterminer explicitement si le déclin du capital social et l’essor des inégalités sont effectivement liés l’un à l’autre. Par exemple, en utilisant des données relatives à la Suède sur la période comprise entre 1994 et 1998, Magnus Gustavsson et Henrik Jordahl (2008) ont constaté que les inégalités entre les ménages réduisent la confiance, en particulier lorsqu’elles se concentrent dans la moitié inférieure de la répartition des revenus. En outre, ils constatent que l’effet est plus important dans le cas des inégalités du revenu disponible que dans le cas des inégalités du revenu primaire et pour les personnes qui présentent la plus forte aversion face aux écarts de revenu. De leur côté, en étudiant les résultats de l’enquête internationale World Values Survey, Guglielmo Barone et Sauro Mocetti (2016) confirment que les inégalités réduisent la confiance, mais l’effet n’est statistiquement significatif que parmi les pays développés : dans ces derniers, une hausse de 1 point de pourcentage de l’indice de Gini se traduit en moyenne par une baisse de 2 points de pourcentage de la part des individus qui déclarent que l’on peut faire confiance à la plupart des gens. A l’inverse de Gustavsson et Jordahl, ils constatent que la relation négative entre les inégalités et la confiance s’explique par le sommet de la répartition des revenus. Enfin, leurs résultats suggèrent que l’impact des inégalités sur la confiance est plus faible lorsque la mobilité intergénérationnelle est plus forte.

Dans une récente contribution pour le FMI, Eric Gould et Alexander Hijzen (2016) ont étudié l’impact des inégalités sur le niveau de confiance que chaque individu tend à accorder à autrui et sur divers autres indicateurs habituellement utilisés pour mesurer le capital social. Pour cela, ils ont utilisé les données de l’American National Election Survey (ANES) relatives à la période 1980-2010 pour les Etats-Unis et les données issues de l’European Social Survey (ESS) relatives à la période 2002-2012 pour les pays européens. Les résultats que Gould et Hijzen obtiennent confirment que les inégalités de revenu réduisent le niveau de confiance que chaque individu place en autrui dans les pays développés. Dans le cas des Etats-Unis, il semble que ce soit principalement l’accroissement des inégalités en bas de la répartition des revenus qui pèse sur la confiance et cette dynamique affecte essentiellement les moins éduqués et ceux qui appartiennent au tiers le plus pauvre de la répartition des revenus. Les niveaux de confiance des Européens sont également affectés par l’accroissement des inégalités, mais, à l’inverse des Etats-Unis, l’impact des inégalités sur la confiance en Europe est davantage généralisé. L’accroissement des inégalités au sommet et à la base de la répartition des revenus pèse sur la confiance et cet effet négatif s’observe indépendamment du niveau de diplôme des individus. Certaines preuves empiriques suggèrent que les inégalités sur l’ensemble du spectre amènent les Européens à désirer un surcroît d’action publique pour réduire les inégalités de revenu, alors qu’il y a peu de preuves empiriques allant dans ce sens dans le cas des Américains. Dans la mesure où de nombreuses études ont relié la confiance à la croissance économique, ces divers résultats suggèrent un canal indirect, mais important, via lequel les inégalités de revenu freinent la création de richesses.

 

Références

ALGAN, Yann, & Pierre CAHUC (2013), « Trust, growth, and well-being: New evidence and policy implications », in Philippe Aghion & Steven Durlauf (dir.), Handbook of Economic Growth.

BARONE, Guglielmo, & Sauro MOCETTI (2016), « Inequality and trust: New evidence from panel data », in Economic Inquiry, vol. 54, n° 2, avril.

GOULD, Eric D., & Alexander HIJZEN (2016), « Growing apart, losing trust? The impact of inequality on social capital », FMI, working paper, n° 16/176, août.

GUSTAVSSON, Magnus, & Henrik JORDAHL (2008), « Inequality and trust in Sweden: Some inequalities are more harmful than others », in Journal of Public Economics, vol. 92, n° 1-2, février.

KNACK, Stephen, & Philip KEEFER (1997), « Does social capital have an economic payoff? A cross-country investigation », in Quarterly Journal of Economics, vol. 112, n° 4, novembre.

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