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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 21:30

Eloi LAURENT

La Découverte, 2012

Science économique, sociologie et science politique placent la confiance au fondement de l’économie, de la société et de la démocratie. Elles l’abordent pourtant généralement sous l’angle de ses crises. La Grande Récession illustre l’omniprésence de ce terme nébuleux. L’ouvrage stimulant d’Eloi Laurent vise ainsi à préciser cette notion essentielle et à décrypter ses effets économiques, sociaux et politiques.

La confiance constitue avant tout une espérance de fiabilité dans les conduites humaines. Accorder sa confiance est un choix éminemment personnel. Qu’elle soit médiatisée ou non par une institution, elle n’est possible qu’entre deux être humains. Elle se distingue donc de la foi et de la croyance. Elle n’est pas non plus synonyme de certitude puisqu’elle suppose un contexte de risque : il est possible que la confiance accordée soit trahie. L’individu qui accorde sa confiance se place donc en position de vulnérabilité. Enfin, si la confiance est une composante du capital social, les deux notions ne se confondent pas : un réseau social peut fort bien être dense, mais se voir aussi paralysé par l’absence de confiance.

Le chapitre 2 de l’ouvrage porte sur les théories de la confiance. La relation de confiance précède et détermine la possibilité de l’échange. L’économie de marché suppose une confiance réciproque, quasiment insaisissable, qui ne devient visible que lors des crises économiques. Keynes fait de la confiance l'élément clé du système économique en la faisant étroitement intervenir dans la détermination de l’investissement. La théorie de l’intérêt « incorporé » ou « enchâssé » développée par le sociologue Hardin constitue une approche étroitement économique de la confiance. Selon lui, « je te fais confiance parce que je crois qu’il est dans ton intérêt sur une question donnée de prendre en compte mes intérêts dans ton action ». La question de la confiance aboutit alors sur celle de la fiabilité. La confiance procède entièrement du jeu des intérêts individuels. La confiance à la Hardin est rationnelle, puisqu’elle dépend d’un calcul et du savoir que l’individu croit détenir sur la fiabilité d’autrui ; elle est en outre relationnelle puisqu’elle suppose un autre individu en qui placer ou non sa confiance. La confiance ne peut toutefois être saisie à l’aune de la seule théorie du choix rationnel, puisqu’elle présente une dimension sociale. Le comportement individuel peut être motivé par des considérations morales ou culturelles qui vont au-delà du simple calcul économique et de l’intérêt privé. Le calcul interpersonnel de confiance est encastré dans des relations sociales qui l’influencent puissamment. La relation de confiance interpersonnelle influe sur la société et possède ainsi une valeur sociale.

Le chapitre 3 identifie les formes que peut prendre la confiance. Les notions de « confiance en l’avenir » et de « confiance en soi » sont trompeuses : la première dissout la confiance dans une abstraction détachée de l’expérience sociale, tandis que la seconde ramène la confiance à une expérience purement individuelle alors même qu’elle n’est par nature possible que dans une interaction entre individus. La « confiance généralisée », qui est celle habituellement employée dans les travaux académiques, est une « vraie-fausse » confiance dans la mesure où elle est impersonnelle. Le premier type de « vraie confiance » est la confiance dans les institutions, essentielle dans nos démocraties. Elle suppose de placer sa confiance en des principes abstraits, puisqu’elle ne peut se fonder sur la connaissance personnelle des agents et représentants des institutions. Le second type de confiance est la confiance interindividuelle.

Les études empiriques sont multipliées pour démontrer l’importance de la confiance au sein des processus économiques et sociaux. Il existe deux manières de mesurer la confiance, en l’occurrence les expériences et les enquêtes. Robert Axelrod mit par exemple en œuvre à l’université du Michigan un jeu de confiance sous la forme d’un « grand tournoi » qui n’était autre qu’un jeu répété du dilemme du prisonnier. Chaque joueur a deux options : coopérer ou se défiler. Une règle efficace de décision dans un tel jeu de confiance évite les conflits non nécessaires tant que les partenaires les évitent également, répond aux défections non provoquées, pardonne après et adopte un comportement suffisamment clair pour que les partenaires adaptent les leurs. Des jeux de confiance plus sophistiqués sont à l’œuvre sur internet, déployant des mécanismes de réputation dans un environnement profondément soumis au risque et à l’incertitude. L’élaboration d’un système fiable d’informations y est essentielle car les jeux de confiance n’y sont que rarement répétés. Ostrom déduit de ces diverses expériences que les caractéristiques typiques d’un comportement de coopération ne se développent qu’à travers le processus de socialisation : « on ne naît pas confiant ou coopératif, on le devient ». Pour leur part, les enquêtes (de sentiment) de confiance sont essentiellement des sondages d’opinion inclus dans les « enquêtes de valeurs » menées à l’échelle nationale ou internationale. Elles cherchent à évaluer la confiance « généralisée » à travers la « question de Rosenberg », dont la forme retenue par la World Values Survey s’énonce ainsi : « d’une manière générale, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou qu’il faut être très prudent dans ses rapports avec autrui ? » Les termes utilisés sont malheureusement vagues et la question manque de cohérence interne. Les enquêtes suggèrent toutefois que la confiance dans les institutions s’avère hétérogène. Les citoyens témoignent d’une plus grande confiance à l’égard des Parlements nationaux qu’à l’égard les gouvernements. Le système judiciaire est l’institution jugée la plus digne de confiance. Certains pays connaissent un déclin de la confiance à l’égard de certaines institutions.

Alors que les premiers chapitres s’intéressaient à la confiance comme variable expliquée, le chapitre 5 relève les gains économiques associés à l’établissement de la confiance. Les institutions et la gouvernance ont un rôle fondamental dans la poursuite du développement économique et de la complexification sociétale. Si la confiance interpersonnelle apparaît nécessaire au développement économique, celui-ci tend à se poursuivre en donnant une place croissante à la confiance institutionnelle au détriment de la confiance interindividuelle. La perception des qualités d’un mandataire (celles de la compétence, de la bienveillance et de l’intégrité) par le mandat est essentielle au sein d’une organisation pour faire émerger et stabiliser la confiance. Si celle-ci parvient à s’établir, le mandant poursuit son implication dans la transaction et s’expose davantage au risque d’être trahi. Fiabilité et confiance se renforcent alors mutuellement. L’entreprise sécurise des relations ne faisant plus l’objet d’un calcul de confiance, mais d’une habitude de confiance. Parce qu’ils disposent d’une confiance sociale plus élevée, les pays où prédomine la coopération horizontale, celle qui s’exerce à travers les réseaux, notamment associatifs, affichent de meilleures performances macroéconomiques que les pays caractérisés par des structures verticales de type religieux ou autoritaire. La confiance sociale est en outre associée positivement au taux de croissance économique et au niveau de revenu par habitant. La monnaie est de la « confiance cristallisée ». Une crise monétaire est une crise de la légitimité sociale, corrodant la confiance institutionnelle et risque de se muer en crise de la confiance interpersonnelle. La confiance joue également un rôle déterminant dans la conduite de la politique économique. L’envahissement de l’espace public par la statistique économique accentue la défiance envers la manipulation des indicateurs économiques par les autorités publiques, or la confiance envers ces indicateurs est essentielle pour assurer la légitimité de l’impôt.

Le chapitre 6 présente les rapports qu’entretiennent confiance et démocratie. Les travaux que réalisa Putnam il y a une vingtaine d’années ont initialisé l’analyse contemporaine des bienfaits civiques et politiques de la confiance. Les normes et réseaux d’engagement civique sont à ses yeux essentiels à la qualité de la vie publique et à la performance des institutions sociales. Putnam affirme en outre qu’un déclin du capital social est à l’œuvre aux Etats-Unis et entraîne une chute de la participation démocratique nuisible à la qualité de la vie publique. La confiance apparaît chez Locke comme le lien fondamental unissant gouvernants et gouvernés. Paradoxalement, la défiance à l’égard du pouvoir politique incite les démocraties à instaurer des arrangements institutionnels réduisant la capacité des gouvernants à trahir la confiance des citoyens. Elle s’avère donc bénéfique puisqu’elle conduit à une amélioration des institutions et devient même chez Rosanvallon le vecteur d’une régénérescence de la démocratie à travers la participation active des citoyens.

Eloi Laurent envisage dans le chapitre 7 les moyens politiques de former la confiance. Les institutions faisant système, toute tentative d’instituer la confiance interpersonnelle dans un système social qui en est dépourvu est condamné à l’échec. Le capital social et la confiance sont les fruits des politiques sociales à visée universelle favorisant l’égalité entre citoyens. L’amélioration de l’éduction, le renforcement des institutions formelles et la réduction des inégalités de revenu sont les principaux vecteurs d’accroissement de la confiance généralisée. Eloi Laurent souligne toutefois qu'une politique visant à accroître la confiance peut dissimuler d’autres agendas qui sont sans rapport avec cette dernière. Laurent dissèque deux exemples d’instrumentalisation idéologique de la confiance. Robert Putnam a cherché à démontrer, en multipliant les confusions et sans apporter de preuves robustes, que le déclin du capital social aux Etats-Unis s’expliquait par la diversité raciale ; la confiance serait corrodée par la diversité. De leur côté, Algan et Cahuc (2007) postulent un lien contestable entre rigidités structurelles et rigidités culturelles : la mise en place salutaire de réformes structurelles de flexibilisation du marché du travail et de libéralisation de l’économie française serait entravée par diverses rigidités culturelles, qu’il faudrait ainsi éradiquer pour stimuler la croissance au bénéfice de la population. Eloi Laurent rappellera en outre en conclusion de l’ouvrage que « ce n’est pas, en France, la défiance qui explique les difficultés sociales, mais le contraire ». Après avoir ainsi mis en garde contre les abus du terme de confiance, l’auteur dresse l’état des confiances en France. « Les Français font fortement confiance aux gens qu’ils connaissent et plutôt confiance à ceux qu’ils rencontrent pour la première fois, mais ils se montrent obstinément prudents à l’égard des autres en général. » Plus la confiance limitée aux relations familiales et communautaires serait forte, plus la confiance à l’égard des étrangers serait faible. Si la France connaît une crise de confiance, celle-ci concerne avant tout certaines institutions, en particulier les institutions politiques. La confiance que leur accordent les Français est effectivement faible et déclinante.

 

voir la liste complète des notes de lecture 

Martin Anota

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commentaires

Z
<br /> Une réflexion sur la notion de confiance en économie:<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> http://zoubakine.over-blog.com/article-schizophrenie-neoliberale-et-la-notion-de-confiance-1-104932935.html<br />
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