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16 novembre 2022 3 16 /11 /novembre /2022 18:33
Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

Le niveau de dette publique a fortement augmenté dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, puis de nouveau suite à la pandémie de Covid-19 (cf. graphique 1). L’une des questions qui se pose est de savoir comment réduire cette dette ; la crainte est que celle-ci s’avère insoutenable ou que les Etats perdent la confiance des marchés financiers et ne parviennent plus à emprunter sur ces derniers, sauf à des taux d’intérêt prohibitifs, ce qui, dans l’un et l’autre cas, pourrait imposer une brutale contraction des dépenses publiques et des turbulences dans l’ensemble du système financier. Suite à la crise financière mondiale, le scénario d’un retour à une forte croissance était jugé peu probable. Plusieurs Etats avaient adopté des mesures d’austérité pour assainir rapidement leurs finances publiques, alors même que la reprise s’était à peine amorcée. Dans le cas de la zone euro, l’adoption de telles mesures a non seulement provoqué une nouvelle récession, mais elle s’est en outre révélée contre-productive, les ratios dette publique sur PIB ayant augmenté dans plusieurs pays-membres [House et alii, 2019].

GRAPHIQUE 1  Dette publique dans les pays développés et émergents (en % du PIB)

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Gaspar et Gopinath (2020)

La croissance économique et l’austérité budgétaire ne sont pas les seuls leviers par lesquels les Etats peuvent réduire le poids de leur dette. Au cours de l’histoire, ils ont également recouru aux effacements ou restructurations de la dette et à la répression financière, c’est-à-dire aux mesures poussant les résidents à détenir des titres publics domestiques [Reinhart et Rogoff, 2014 ; Reinhart et Sbrancia, 2015]. L’inflation a également joué un rôle ; l’exemple classique est celui de l’hyperinflation de la République de Weimar au début des années 1920. Certains, comme Daniel Gros (2022), voient ainsi au moins un bienfait à la hausse actuelle de l’inflation. 

En effet, l’inflation peut contribuer à réduire l’endettement public via plusieurs canaux [Akitoby et alii, 2014]. Par exemple, elle tend à accroître les recettes fiscales, si bien qu’elle a tendance à améliorer le solde primaire, en particulier si les dépenses publiques, notamment les minima sociaux et les rémunérations des fonctionnaires, ne sont pas indexées à l’inflation. En outre, l’inflation érode la valeur réelle de la dette. Si le niveau des prix augmente de 15 % ceteris paribus, la valeur réelle d’une dette publique équivalente à 120 % du PIB baisserait de 18 points de PIB, ce qui compenserait quasiment la hausse de 20 points provoquée par la pandémie [Gros, 2022]. Cet effet dépend toutefois de sa composition en termes de maturité et de devises : il est d’autant plus important qu’une part importante de la dette a une longue maturité et est libellée en monnaie domestique. En effet, si l’inflation augmente, les taux d’intérêt tendent également à augmenter, ce qui augmentera le coût de refinancement de la dette arrivant à échéance. D’autre part, si le pays connaît une plus forte inflation que ses partenaires à l’échange, sa monnaie tendra à se déprécier, ce qui accroîtra le poids de sa dette libellée en devises étrangères.

Si les déterminants des baisses des ratios dette publique observées par le passé ont fait l’objet d’une multitude de travaux au cours de la période récente, ce n’est pas vraiment le cas de l’inflation. Celle-ci ayant été particulièrement faible ces dernières décennies, les économistes ont pu finir par croire qu’il était improbable qu’elle revienne à un niveau élevé, donc qu’elle ne pouvait guère constituer un levier par lequel les Etats pouvaient espérer réduire le fardeau de leur dette. Carmen Reinhart et Belen Sbrancia (2015) ont estimé que la combinaison de l’inflation et de la répression financière a joué un rôle majeur dans la réduction de l’endettement public des pays développés entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1970. Sofia Bernardini et alii (2021) estiment que l’inflation n’avait joué un rôle crucial que dans les années qui ont immédiatement suivi ce conflit. 

Dans une nouvelle étude, Rui Esteves et Barry Eichengreen (2022) ont cherché à déterminer plus clairement le rôle de l’inflation lors des consolidations de la dette publique, c’est-à-dire lors des fortes baisses du ratio dette publique sur PIB. Après avoir collecté une base de données relative à 183 pays pour une période s’étendant sur plus de deux siècles, ils ont identifié 378 épisodes de consolidations de la dette publique.

GRAPHIQUE 2  Fréquence des consolidations de la dette, des défauts et des allègements de dette (en %)

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

Ils notent que les consolidations de la dette publique ont eu tendance à se produire lors de périodes où les prix augmentaient, mais en l’occurrence graduellement. En définitive, ils ne décèlent qu’une faible corrélation entre le niveau d’inflation et la fréquence des consolidations de la dette publique. En effet, les consolidations de la dette publique ont été moins fréquentes au cours des périodes d’inflation relativement élevée, comme les guerres mondiales et les années 1970 (cf. graphique 2). Elles ont été les plus fréquentes au tournant du vingtième siècle et au cours de la Grande Modération, c’est-à-dire entre le milieu des années 1980 et la crise financière mondiale de 2008, or ces épisodes se sont caractérisés par une inflation relativement faible et stable.

GRAPHIQUE 3  La consolidation de la dette publique étasunienne entre 1947 et 1956 

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

Poursuivant leur analyse, Esteves et Eichengreen ont développé un cadre pour déterminer les contributions respectives de l’effort budgétaire, de la croissance économique, des taux d’intérêt et de l’inflation des consolidations de la dette publique. Ils l’ont appliqué à travers plusieurs études de cas. 

Par exemple, ils ont mis en regard les consolidations de la dette publique observées aux Etats-Unis et en France au tournant des années 1950. Entre 1947 et 1956, le ratio dette publique sur PIB des Etats-Unis a diminué de 66 points de pourcentage. Certains, comme Reinhart et Sbrancia (2015), estiment que cette réduction de la dette observée s’expliquerait avant tout par une combinaison de répression financière et d’inflation, mais ils n’ont pas distingué le rôle respectif de chacune des deux. Esteves et Eichengreen concluent de leur côté que les excédents budgétaires primaires expliqueraient deux cinquièmes de cette consolidation de la dette américaine et la croissance économique deux autres cinquièmes ; les taux d’intérêts réels en expliqueraient moins d’un quart (cf. graphique 3).

GRAPHIQUE 4  La consolidation de la dette publique française entre 1947 et 1956 

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

La France a également connu une forte réduction de son ratio dette publique sur PIB entre 1947 et 1956 : celui-ci a baissé de 33 points de pourcentage. Contrairement aux Etats-Unis, elle avait pourtant tendance à connaître des déficits budgétaires, notamment en raison des besoins pour la reconstruction et pour la guerre d’Indochine, si bien que le solde primaire a contribué à alourdir le poids de la dette publique (cf. graphique 4). Mais la France connaissait alors une plus forte croissance que les Etats-Unis, notamment sous l’effet de la reconstruction d’après-guerre : d’après les estimations d’Esteves et Eichengreen, la croissance expliquerait les deux tiers de la réduction de sa dette publique française. L’inflation a également joué un rôle dans celle-ci. En 1947 et en 1948, l’inflation française a été supérieure à 50 %, si bien qu’elle a particulièrement contribué à réduire le ratio dette publique sur PIB, ce dernier passant de 64 à 48 % ; puis l’inflation ralentit fortement, si bien que le ratio dette publique sur PIB continua de diminuer, mais plus lentement, en atteignant 33 % en 1953.

En définitive, Esteves et Eichengreen concluent que c’est dans les décennies qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale que l’inflation a le plus contribué à réduire la dette publique. Mais dans les périodes au cours desquelles l’inflation a été plus forte et persistante, les paiements d’intérêts ont souvent fortement augmenté, si bien qu’ils ont eu tendance à plus que compenser la contribution positive de l’inflation à la réduction de la dette publique. Les facteurs financiers, notamment la maturité de la dette, la réglementation financière et les anticipations d'inflations, se sont ainsi révélés essentiels en conditionnant le rôle de l'inflation.

 

Références

AIZENMAN, Joshua, & Nancy MARION (2011), « Using inflation to erode the U.S. public debt », in Journal of Macroeconomics, vol. 33, n° 4.

AKITOBY, Bernardin, Takuji KOMATSUZAKI & Ariel BINDER (2014), « Inflation and public debt reversals in the G7 countries », FMI, working paper, n° 14/96.

BERNARDINI, Sofia, Carlo COTTARELLI, Giampaolo GALLI & Carlo VALDES (2021), « Reducing public debt: The experience of advanced economies over the last 70 years », in Journal of Insurance and Financial Management, vol. 4, n° 5.

ESTEVES, Rui, & Barry EICHENGREEN (2022a), « Up and away? Inflation and debt consolidation in historical perspective », CEPR, discussion paper, n° 17559.

ESTEVES, Rui, & Barry EICHENGREEN (2022b), « Up and away? Inflation and debt consolidation in historical perspective », voxEU.org, 15 novembre.

GASPAR, Vitor, & Gita GOPINATH (2020), « Fiscal policies for a transformed world », blog du FMI, 10 juillet.

GROS, Daniel (2022), « The stabilizing effect of inflation », in Project Syndicate, 6 octobre.

HOUSE, Christopher L., Christian PROEBSTING & Linda L. TESAR (2019), « Austerity in the aftermath of the Great Recession », in Journal of Monetary Economics.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2014), « Financial and sovereign debt crises: Some lessons learned and those forgotten », S. Claessens, M. A. Kose, L. Laeven & F. Valencia (dir.), Financial Crises: Causes, Consequences, and Policy Responses.

REINHART, Carmen M., & M. Belen SBRANCIA (2015), « The liquidation of government debt », in Economic Policy, vol. 30, n° 82.

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2 janvier 2022 7 02 /01 /janvier /2022 09:00
Un niveau élevé de dette publique nuit-il vraiment à la croissance ?

Avec la contraction de l’activité économique provoquée par la pandémie et les mesures sanitaires, d’une part, et l’adoption d’amples mesures de soutien budgétaire, d’autre part, les dettes publiques se sont retrouvées à des niveaux exceptionnellement élevés (cf. graphique 1) [Kose et alii, 2022]. Il y a un peu plus d’une décennie, la crise financière mondiale avait déjà entraîné une forte hausse des ratios dette publique sur PIB dans les pays développés. Les gouvernements avaient alors rapidement stoppé leur relance budgétaire et adopté des plans d’austérité pour assainir leurs finances. Aujourd’hui, beaucoup expriment de nouveau leurs inquiétudes quant à la soutenabilité des dettes publiques. Une fois la pandémie derrière nous, il ne serait guère étonnant que les gouvernements entreprennent une nouvelle consolidation budgétaire.

GRAPHIQUE 1  Dette publique nette dans une sélection de pays (en % du PIB)

Un niveau élevé de dette publique nuit-il vraiment à la croissance ?

source : FMI

Mais si le niveau élevé de la dette publique inquiète, ce n’est pas seulement en alimentant les peurs d’un défaut de paiement de l’Etat ; c’est notamment parce qu’il est soupçonné de nuire à l’activité économique. C’est cette crainte qu’avait confortée le travail séminal de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2010) : en observant une vingtaine de pays développés, ils avaient conclu que des dettes publiques supérieures à 90 % du PIB étaient associées à une moindre croissance économique. Plusieurs travaux ont depuis affirmé qu’il existait effectivement un lien négatif entre les ratios de dette publique et le PIB (Woo et Kumar, 2015; Chudik et alii, 2017), du moins lorsque le niveau de dette publique dépassait un seuil autour de 90 % du PIB (Cecchetti et alii, 2011 ; Checherita-Westphal et Rother, 2012 ; Baum et alii, 2013).

On peut imaginer plusieurs canaux via lesquels un niveau élevé de dette publique pourrait déprimer l’activité économique. Tout d’abord, l’endettement public pourrait entraîner un effet d’éviction (crowding-out). En effet, comme les titres privés sont perçus comme sûrs, les épargnants et les institutions financières risquent de se détourner des titres émis par les entreprises privées lorsque l’Etat emprunte. Pouvant plus difficilement financer leurs investissements, les firmes réduiraient ceux-ci [Huang et alii, 2018]. Ensuite, les ménages pourraient adopter des comportements ricardiens : si le niveau de dette publique est élevé, ils peuvent redouter que le gouvernement finisse par augmenter significativement les impôts pour rembourser sa dette, si bien qu’ils pourraient chercher à davantage épargner dans la période courante. En outre, le fait même que les marchés financiers et les sociétés financières soient moins convaincus de la soutenabilité de la dette publique pourrait conduire à un durcissement des conditions de financement pour l’ensemble des agents.

En raison de ces divers effets pervers, une relance budgétaire pourrait perdre en efficacité du fait même qu’elle alourdit la dette publique [Huidrom et alii, 2016]. Réciproquement, dans la mesure où elle réduit (a priori) l’endettement public, l’austérité budgétaire pourrait en définitive avoir des effets bénéfiques sur l’activité économique, comme l’a suggéré à plusieurs reprises Alberto Alesina dans ses travaux. L’étude de Reinhart et Rogoff a pu ainsi être mobilisée au sortir de la crise financière mondiale pour plaider en faveur de la consolidation budgétaire [Konzelmann, 2014].

Mais il ne faut pas non plus négliger les effets bénéfiques que peut avoir un accroissement de la dette publique [Fatás et alii, 2019]. Celui-ci peut directement financer un investissement productif, notamment des dépenses d’infrastructures, ce qui stimule le potentiel de croissance à long terme ; il peut rendre la croissance plus soutenable, par exemple en permettant de financer la transition vers une économie à bas carbone ; il peut financer l’adoption de plans de relance et permettre ainsi au gouvernement de stabiliser l’activité économique, etc. Il est en l’occurrence peu probable que l’endettement public entraîne un effet d’éviction lors d’une récession, dans la mesure où l’ensemble du secteur privé cherche alors à épargner et où les entreprises sont en conséquence peu incitées à investir. En fait, en adoptant un plan de relance lors d’une récession et en finançant celui-ci par endettement, un gouvernement ne soutient pas seulement directement l'activité en stimulant la demande globale ; il la soutient également en fournissant au secteur privé les actifs sûrs dont il a alors éperdument besoin.

Plusieurs analyses ont estimé que l’effet causal allant d’un accroissement de la dette publique à la croissance économique était au mieux fragile (Panizza et Presbitero, 2014 ; Ash et alii, 2020). Si des ratios dette publique sur PIB élevés sont effectivement corrélés à une plus faible croissance, cela ne veut pas forcément dire qu’une hausse de la dette publique pèse sur l’activité économique : corrélation ne signifie pas causalité. Et s’il y a un lien de causalité, celui-ci peut aller en sens inverse : une faible croissance tend mécaniquement à détériorer les finances publiques, notamment en érodant les recettes fiscales.

Une corrélation peut aussi s’expliquer par la présence de facteurs confondants : en l’occurrence ici, des facteurs sont susceptibles d’affecter simultanément l’endettement public et la croissance économique. Par exemple, des niveaux élevés de dette publique peuvent amener les gouvernements à adopter des plans d’austérité, par exemple parce qu’ils craignent que leur dette soit insoutenable ou parce qu’ils ne parviennent plus à emprunter sur les marchés obligataires, si ce n’est à des taux d’intérêt prohibitifs. Or non seulement l’austérité budgétaire nuit à l’activité économique à court terme, mais elle peut détériorer le potentiel de croissance à long terme [Fatás et Summers, 2017]. Du fait de ses effets négatifs sur l’activité économique, elle peut même se révéler en définitive contre-productive en conduisant à une nouvelle hausse du ratio dette publique sur PIB, comme cela semble avoir été le cas dans certains pays de la zone euro cette dernière décennie [House et alii, 2017]. De même, de mauvaises institutions politiques peuvent à la fois détériorer les finances publiques et la croissance économique. Dans tous les cas, l’existence de facteurs confondants crée un problème d’endogénéité qui complique la tâche des économètres cherchant à déterminer l’impact de la dette publique sur la croissance.  

En outre, plusieurs travaux empiriques concluent qu’il n’y a guère de seuil uniforme pour l’ensemble des pays à partir duquel une hausse du ratio dette publique sur PIB est associée à une moindre croissance (Pescatori et alii, 2014 ; Eberhardt et Presbitero, 2015 ; Egert, 2015a ; Egert, 2015b ; Chudik et alii, 2017 ; Eberhardt, 2019 ; Ash et alii, 2020).

Passant en revue la littérature développée autour du lien entre endettement public et croissance économique, Philipp Heimberger (2021) a réalisé une méta-analyse à partir de 826 estimations tirées de 48 études. La moyenne non pondérée des résultats recensés suggère qu’une hausse de 10 points de pourcentage du ratio dette publique sur PIB est associée à une baisse de 0,14 point de pourcentage de la croissance annuelle (cf. graphique 2). L’intervalle de confiance à 95 % va de 0,10 à 0,18 point de pourcentage.

GRAPHIQUE 2  Coefficients standardisés des estimations dette publique-croissance économique

Un niveau élevé de dette publique nuit-il vraiment à la croissance ?

source : Heimberger (2021)

La répartition des estimations est toutefois très allongée : la littérature a abouti à des estimations très hétérogènes. La répartition des estimations est également très asymétrique. En creusant davantage, Heimberger conclut que les publications tendent à surreprésenter les estimations suggérant un impact linéaire négatif de l’accroissement du ratio d’endettement public sur la croissance. Une fois ce biais de publication corrigé, il conclut que l’hypothèse d’un effet moyen nul de la dette publique sur la croissance ne peut être rejetée. En outre, il note que la prise en compte de l’endogénéité entre dette publique et croissance rend les estimations moins tournées vers le négatif. 

GRAPHIQUE 3  Estimations de seuils du ratio dette publique sur PIB au-delà duquel la croissance est réduite

Un niveau élevé de dette publique nuit-il vraiment à la croissance ?

source : Heimberger (2021)

Heimberger considère ensuite l’éventualité d’une non-linéarité dans la relation entre ratio d’endettement public et croissance économique. Au terme de sa méta-analyse, il conclut qu’il n’y a pas d’éléments empiriques robustes suggérant l’existence d’un seuil universel à partir duquel la hausse du ratio dette publique sur PIB est associée à une chute de la croissance. Les estimations de seuils sont en effet très hétérogènes : elles vont de 8,4 % à 147,5 % du PIB (cf. graphique 3). Celles suggérant un seuil autour de 90 % sont notamment sensibles à des données ou choix méthodologiques particuliers. En définitive, il y a peut-être des non-linéarités dans la relation entre dette publique et croissance, mais celles-ci sont propres aux pays et elles sont bien plus complexes que ce que beaucoup ont pu suggérer.

 

Références

ASH, Michael, Deepankar BASU & Arindrajit DUBE (2020), « Public debt and growth: An assessment of key findings on causality and thresholds », University of Massachusetts Amherst, working paper, n° 433.

BAUM, Anja, Cristina CHECHERITA-WESTPHAL & Philipp ROTHER (2013), « Debt and growth: New evidence for the euro area », in Journal of International Money and Finance, vol. 32.

CECCHETTI, Stephen G., Madhusudan MOHANTY & Fabrizio ZAMPOLLI (2011), « The real effects of debt », BRI, working paper, n° 352.

CHECHERITA-WESTPHAL, Cristina, & Philipp ROTHER (2012), « The impact of high government debt on economic growth and its channels: an empirical investigation for the euro area », in European Economic Review, vol. 56, n° 7.

CHUDIK, Alexander, Kamiar MOHADDES, M. Hashem PESARAN & Mehdi RAISSI (2017), « Is there a debt-threshold effect on output growth? », in Review of Economics and Statistics, vol. 99, n° 1.

EBERHARDT, Markus, & Andrea F. PRESBITERO (2015), « Public debt and growth: Heterogeneity and non-linearity », in Journal of International Economics, vol. 97, n° 1.

EBERHARDT, Markus (2019), « Nonlinearities in the relationship between debt and growth: (No) evidence from over two centuries », in Macroeconomics Dynamics, vol. 23, n° 4.

EGERT, Balázs (2015a), « Public debt, economic growth and nonlinear effects: Myth or reality? », in Journal of Macroeconomics, vol. 43.

EGERT, Balázs (2015b), « The 90% public debt threshold: the rise and fall of a stylized fact », in Applied Economics, vol. 47.

FATÁS, Antonio, Atish R. GHOSH, Ugo PANIZZA & Andrea F. PRESBITERO (2019), « The motives to borrow », FMI, working paper, n° 19/101.

FATÁS, Antonio, & Lawrence H. SUMMERS (2017), « The permanent effects of fiscal consolidations », in Journal of International Economics.

HEIMBERGER, Philipp (2021), « Do higher public debt levels reduce economic growth? », Hans-Böckler-Stiftung, FMM, working paper, n° 74. 

HOUSE, Christopher L., Christian PROEBSTING & Linda L. TESAR (2017), « Austerity in the aftermath of the Great Recession », NBER, working paper, n° 23147.

HUANG, Yi, Ugo PANIZZA & Richard VARGHESE (2018), « Does public debt crowd out corporate investment? International evidence », CEPR, discussion paper, n° 12931.

HUIDROM, Raju, M. Ayhan KOSE, Jamus J. LIM & Franziska L. OHNSORGE (2016), « Do fiscal multipliers depend on fiscal positions? », CAMA, working paper, n° 35/2016, juin.

KONZELMANN, Suzanne (2014), « The political economics of austerity », in Cambridge Journal of Economics, vol. 38, n° 4.

KOSE, M. Ayhan, Franziska OHNSORGE, Carmen REINHART & Kenneth ROGOFF (2022), « The aftermath of debt surges », in Annual Review of Economics.

PANIZZA, Ugo, & Andrea F PRESBITERO (2014), « Public debt and economic growth: Is there a causal effect? », in Journal of Macroeconomics, 41.

PESCATORI, Andrea, Damiano SANDRI & John SIMON (2014), « Debt and growth: Is there a magic threshold? », FMI, working paper, n° 14/34.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2010), « Growth in a time of debt », in American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 100, n° 2.

WOO, Jaejoon, & Manmohan S. KUMAR (2015), « Public debt and growth », in Economica, vol. 82.

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19 février 2021 5 19 /02 /février /2021 14:48
La taille du multiplicateur dépend-elle du différentiel taux d’intérêt-croissance ?

Dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008 et, plus récemment, de la pandémie, les dettes publiques ont fortement augmenté dans les pays développés, au point de retrouver des niveaux qui n’avaient guère été observés depuis la Seconde Guerre mondiale. Une telle situation suscite des inquiétudes quant à la soutenabilité de la dette publique. En pleine récession, elle peut ainsi réduire les incitations des gouvernements à adopter des mesures de relance budgétaire, voire les pousser à embrasser l’austérité budgétaire pour tenter d’assainir leurs finances publiques, un comportement qui pourrait se révéler particulièrement contre-productif à court comme à long terme [House et alii, 2019 ; Fatás et Summers, 2016] (1).

Pour juger de la soutenabilité de la dette publique, les économistes se penchent souvent sur l’écart entre le taux d’intérêt sur la dette publique (r) et le taux de croissance du PIB (g). Si, comme ils le supposent traditionnellement, le taux d’intérêt que le gouvernement verse à ses emprunteurs est supérieur au taux de croissance de l’économie, le risque est que la dette publique augmente mécaniquement selon un effet boule de neige et finisse par acculer les Etats au défaut de paiement. Pour stabiliser sa dette et a fortiori pour la réduire, l’Etat doit alors générer un excédent budgétaire primaire d’autant plus élevé que le différentiel entre taux d’intérêt et taux de croissance (rg) est élevé.

GRAPHIQUE  Dette publique et r – g

La taille du multiplicateur dépend-elle du différentiel taux d’intérêt-croissance ?

source : Di Serio et alii (2021)

Or, depuis la crise financière mondiale, les taux d’intérêt sont restés historiquement faibles et les différentiels taux d’intérêt-croissance sont devenus négatifs dans plusieurs pays (cf. graphique). Olivier Blanchard (2019) a noté, dans le cas des Etats-Unis, que le différentiel taux d’intérêt-croissance a souvent été négatif par le passé, en l’occurrence que les taux d’intérêt sûrs ont souvent été inférieurs au taux de croissance de l’économie. Philip Barrett (2018) a montré que les différentiels taux d’intérêt-croissance pouvaient être durablement négatifs à long terme dans les autres pays développés.

De telles analyses offrent un certain optimisme quant à la soutenabilité des dettes publiques : non seulement les gouvernements n’ont pas nécessairement à accroître les impôts pour réduire leur dette publique et ils peuvent se contenter de la reconduire, mais ils pourraient même générer un léger déficit budgétaire tout en voyant le ratio de leur dette publique décliner. Dans un contexte de récession comme celle provoquée par la pandémie, elles amènent les gouvernements à envisager plus sereinement l’adoption d’un plan de relance pour stimuler l’activité économique. Certains, comme Paul Krugman (2020), ont même plaidé en faveur d’une relance budgétaire permanente, c’est-à-dire d’un maintien d’une politique budgétaire accommodante en dehors des récessions.

Dans le sillage de l'analyse de Blanchard, plusieurs travaux se sont davantage focalisés sur le lien entre, d’une part, le différentiel taux d’intérêt-croissance et, d’autre part, la soutenabilité de la dette publique. S’ils ne balayent pas l’optimisme quant à la soutenabilité des dettes publiques, ils le tempèrent fortement. Kenneth Rogoff (2020), inquiet par le niveau exceptionnellement élevé atteint par les dettes publiques, souligne que rien ne garantit que le différentiel reste négatif. En utilisant un large échantillon de pays émergents et développés, Weicheng Lian, Andrea Presbitero et Ursula Wiriadinata (2020) constatent que les pays ayant initialement un niveau élevé de dette publique connaissent des épisodes de différentiels négatifs plus courts, des différentiels en moyenne plus élevés et de plus fortes hausses des taux d’intérêt lors des effondrements de l’activité, surtout lorsque leur dette est libellée en devises étrangères. De leur côté, Paolo Mauro et Jing Zhou (2020), en étudiant un échantillon de 55 pays sur une période s’étendant sur plus de deux siècles, constatent que les différentiels taux d’intérêt-croissance ont été fréquemment négatifs par le passé. Mais ils notent également que les différentiels ne se creusent pas forcément à la veille des défauts souverains : les coûts d’emprunt des gouvernements peuvent soudainement et fortement augmenter immédiatement avant qu’ils ne fassent défaut sur leur dette. Autrement dit, un rg négatif est loin de constituer une condition suffisante pour assurer la soutenabilité de la dette publique.

Les gouvernements pourraient toutefois n’avoir guère intérêt à chercher à tirer profit d’un différentiel taux d’intérêt-croissance négatif en adoptant une relance budgétaire si cette dernière promettait d’être inefficace. Plusieurs études ont déjà souligné que la taille du multiplicateur budgétaire dépendait de la position dans le cycle d’affaires, en l’occurrence qu’il était plus élevé lors des récessions que lors des expansions [Auerbach et Gorodnichenko, 2012 ; Blanchard et Leigh, 2013 ; Riera-Crichton et alii, 2015 ; Jordà et Taylor, 2016], qu’il dépendait de l’orientation de la politique monétaire et notamment qu’il était plus élevé lorsque les taux d’intérêt sont contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound) [Belinga et Lonkeng Ngouana, 2015] ou encore qu’il pouvait être plus faible lorsque la dette publique est initialement élevée [Ilzetzki et alii, 2013 ; Huidrom et alii, 2020]. Mais aucune étude n’avait jusqu’à présent tenté de déceler une éventuelle influence du différentiel r - g sur la taille du multiplicateur budgétaire.

Dans un nouveau document de travail publié par le FMI, Mario Di Serio, Matteo Fragetta et Giovanni Melina (2021) ont cherché à déterminer dans quelle mesure la taille du multiplicateur dépend du différentiel taux d’intérêt-croissance. Pour cela, ils ont étudié un échantillon de dix pays appartenant à la zone euro depuis sa création, en l’occurrence l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal. 

Di Serio et ses coauteurs constatent que la taille du multiplicateur des dépenses publiques dépend du signe du différentiel. En effet, à moyen terme, les multiplicateurs cumulatifs médians sont compris entre 1,22 et 1,77 lorsque g est négatif et entre 0,51 et 1,26 lorsque r-g est positif. Plus généralement, il apparaît que la taille du multiplicateur est inversement corrélée avec le différentiel taux d’intérêt-croissance. Ils notent que leurs résultats ne dépendent ni de la position dans le cycle d’affaires, ni de l’orientation de la politique monétaire, ni du volume de la dette publique.

Une telle étude n'indique en rien combien de temps les différentiels taux d'intérêt-croissance resteront négatifs, ni dans quelle mesure les trajectoires de dette publique s'avèrent soutenables, mais elle rend encore plus tentante l'idée de profiter des actuels différentiels négatifs pour stimuler l'activité économique dans le contexte de la pandémie et, notamment à travers cette relance, pour procéder aux investissements nécessaires dans la politique climatique.

 

(1) Lors des récessions, il n’y a d’ailleurs peut-être pas de dilemme entre stimulation de la croissance économique et stabilisation de la dette publique : Alan Auerbach et Yuriy Gorodnichenko (2017) ont observé que les plans de relance adoptés lors des récessions n’entraînent pas de hausse durable du ratio dette publique sur PIB.

 

Références

AUERBACH, Alan J., & Yuriy GORODNICHENKO (2012), « Measuring the output responses to fiscal policy », in American Economic Journal – Economic Policy, vol. 4.

AUERBACH, Alan J., & Yuriy GORODNICHENKO (2017), « Fiscal stimulus and fiscal sustainability », document de travail présenté à la conférence de Jackson Hole, août.

BARRETT, Philip (2018), « Interest-growth differentials and debt limits in advanced economies », FMI, working paper, n° 18/82.

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