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17 décembre 2013 2 17 /12 /décembre /2013 23:28

La Grande Récession a amené les gouvernements à fortement creuser leurs déficits budgétaires. La dette publique a alors atteint des niveaux sans précédents, ce qui a soulevé de nombreuses inquiétudes quant à la soutenabilité des finances publiques. Ces dernières années, plusieurs travaux empiriques, en particulier ceux réalisés conjointement par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, ont pu suggérer qu’il existait un seuil dans le ratio de dette publique sur PIB à partir duquel l’endettement public se révélait nuisible à la croissance économique. En l’occurrence, la croissance économique semble fortement ralentir lorsque la dette publique représente plus de 90 % du PIB. Ces résultats ont pu justifier, d’un point de vue scientifique, que les pays avancés adoptent très rapidement des politiques d’austérité budgétaire pour ramener leur ratio d’endettement sur des trajectoires plus soutenables, au risque de saper la reprise de l’activité.

Ce basculement généralisé dans l’austérité s'est révélé à plus d'un titre prématuré. D’une part, plusieurs erreurs ont été depuis lors repérées dans la méthodologie de Reinhart et Rogoff, ce qui conduit à remettre en cause leurs conclusions. D’autre part, comme Reinhart et Rogoff le reconnaissent eux-mêmes, le sens de causalité dans la relation entre l’endettement public et la croissance économique qu’ils ont décelé (ou tout du moins cru déceler) n’est pas clairement établi, car la causalité peut s’opérer dans les deux sens : si l’on observe une faible croissance économique lors des périodes où la dette publique est élevée, ce n’est peut-être pas (seulement) parce la seconde pèse sur la première, mais c’est peut-être (aussi) parce que les finances publiques tendent mécaniquement à se détériorer lorsque l’activité est atone. La croissance économique constitue le principal déterminant de la soutenabilité de l’endettement public. Si la reprise se confirme, elle facilite naturellement la consolidation des finances publiques, car l’économie génère alors davantage de recettes fiscales. A l’inverse, les plans d’austérité peuvent conduire à une hausse du ratio dette publique sur PIB dans les pays qui les ont adoptés en dégradant les perspectives de croissance, en particulier s’ils sont menés à l'instant même où l'économie est en récession. 

GRAPHIQUE Les non-linéarités dans la relation entre le PIB et la dette publique

Eberhardt-Presbitero--non-linearites-relation-dette-publi.png

source : Eberhardt et Presbitero (2013)

Reinhart et Rogoff n'ont peut-être pas été les seuls à commettre quelques erreurs dans la méthodologie lorsqu'il s'agit d'observer les liens entre l'endettement et la croissance économique. Markus Eberhardt et Andrea Presbitero (2013) se sont récemment penchés sur la relation de long terme entre la dette publique et la croissance à partir d’un échantillon de 105 pays en développement, émergents et avancés au cours de la période s’étalant de 1972 à 2009. Ils ont cherché la présence de non-linéarités non seulement entre les pays, mais aussi dans chaque pays. Leur analyse suggère qu’il y a effectivement une relation non linéaire entre la dette et la croissance de long terme entre les économies, mais leurs données ne soutiennent pas l’idée qu’il existe des seuils de dette communs à l’ensemble des pays au cours du temps (cf. graphique ci-dessus). Quelle que soit la forme que prend la relation entre la croissance et la dette publique, elle diffère donc d’une économie à l’autre. Par conséquent, les enseignements que l'on pourrait tirer d'une analyse du lien entre la dette publique et la croissance dans un pays donné peuvent ne pas se révéler pertinents en ce qui concerne les autres pays. Eberhardt et Presbitero concluent de leur propre analyse que le seuil habituellement avancé de 90 % par les précédentes études semble résulter d’une erreur de spécification qui a finalement amené leurs auteurs à une mauvaise interprétation des résultats. 

 

Références

EBERHARDT, Markus, & Andrea F. PRESBITERO (2013), « This time they are different: Heterogeneity and Nonlinearity in the Relationship between debt and growth », IMF working paper, novembre.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2010), « Growth in a time of debt », in American Economic Review: Papers and Proceedings, vol. 100, n° 2.

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