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17 juin 2021 4 17 /06 /juin /2021 22:26
La courbe de Phillips et la polarisation de l’emploi

Ces dernières décennies, la relation (négative) entre l’inflation des prix et le chômage a eu tendance à s’affaiblir : on évoque un aplatissement de la courbe de Phillips [FMI, 2013]. Dans le cas des pays européens, des analyses comme celles de Clémence Berson et alii (2018), de Laura Moretti et alii (2019) ou encore de Laurence Ball et Sandeep Mazumder (2020) suggèrent que la courbe de Phillips s’est aplatie à partir de la crise financière mondiale, mais que la relation structurelle entre les prix et le chômage demeure. Toutes les études portant sur le cas européen ne vont pas dans ce sens. Par exemple, Matteo Ciccarelli et Chiara Osbat (2017) estiment que la déconnexion entre prix et chômage a débuté après 2012. De leur côté, Domenico Giannone et alii (2014) estiment que la courbe de Phillips est en fait devenue plus pentue au cours de la Grande Récession. 

Pour expliquer l’aplatissement de la courbe de Phillips, certains, comme Olivier Blanchard (2016) mettent particulièrement l’accent sur les anticipations d’inflation. En l’occurrence, celles-ci se seraient stabilisées à un faible niveau, non seulement en raison de la plus grande crédibilité acquise par les banques centrales, mais aussi parce que la faiblesse de l’inflation a un aspect auto-réalisateur : lorsque les prix apparaissent stables, les entreprises et les ménages portent moins attention à l’inflation et tendent moins à réviser leurs anticipations d’inflation lorsque l’inflation varie. D’autres mettent davantage en avant des phénomènes structurels comme la mondialisation, le vieillissement démographique, le progrès technique et les transformations du marché du travail.

L’un des bouleversements qui ont marqué les pays développés ces dernières décennies est celui de la polarisation de l’emploi : la part des emplois associés à des tâches routinières a eu tendance à diminuer [Autor et alii, 2006 ; Goos et alii, 2009]. Ces emplois se situant essentiellement au milieu de la distribution des salaires et des qualifications, la part des emplois moyennement qualifiés a eu tendance à diminuer, tandis que les parts respectives des emplois peu qualifiés et des emplois très qualifiés ont eu tendance à augmenter. La littérature relie avant tout ce phénomène au progrès technique : les avancées technologiques, en l’occurrence celles en matière de technologies d’automatisation, permettent au capital de réaliser efficacement un éventail toujours plus large de tâches pour lesquelles les travailleurs disposaient jusqu’alors d'un avantage comparatif [Acemoglu et Restrepo, 2018a ; Acemoglu et Restrepo, 2018b ; Acemoglu et alii, 2020]. Le commerce international a pu également contribuer, dans une moindre mesure, à la polarisation de l’emploi : ce sont les tâches les plus routinières que les entreprises ont été les plus enclines à sous-traiter ou délocaliser [Autor et alii, 2015].  

Pour Daniele Siena et Riccardo Zago (2021), ces deux phénomènes, l’aplatissement de la courbe de Phillips et la polarisation de l’emploi, sont liés. En effet, ils notent que, dans le cas de la zone euro, les pays abondants en emplois associés aux tâches routinières présentent une courbe de Phillips plus pentue ; réciproquement, les pays abondants aux emplois associés aux tâches non routinières présentent une courbe de Phillips aplatie. Ensuite, ils observent qu’à chaque fois que la composition de l’emploi se modifie au détriment des emplois associés à aux tâches routinières la courbe de Phillips tend à s’aplatir. C’est notamment le cas lors des récessions, des événements au cours desquels la polarisation s’accélère temporairement comme le notaient Paul Gaggl et Sylvia Kaufmann (2019) et Nir Jaimovich et Henry Siu (2020) dans le cas américain, les emplois associés aux tâches routinières ayant alors tendance à être définitivement détruits. En définitive, Siena et Zago estiment que les modifications de la structure professionnelle observées durant la Grande Récession, puis la crise de l'euro expliquent un quart de l'aplatissement de la courbe de Phillips dans la zone euro.

Les deux économistes se penchent ensuite sur les raisons pour lesquelles la polarisation de l’emploi est susceptible d’aplatir la courbe de Phillips. Ils partent de l’idée qu’un marché du travail est d’autant moins fluide, c’est-à-dire présente des taux d’embauches et de ruptures de contrat de travail d’autant plus faibles, qu’il présente une part importante d’emplois associés aux tâches routinières. A partir d’un modèle inspiré de celui d’Olivier Blanchard et Jordi Galí (2010), Siena et Zago suggèrent alors que c’est la plus grande fluidité du marché du travail impliquée par la réallocation de l’emploi qui tend à aplatir la courbe de Phillips. 

 

Références

ACEMOGLU, Daron, Claire LELARGE & Pascual RESTREPO (2020), « Competing with robots: Firm-level Evidence from France », in AEA Papers and Proceedings, vol. 110.

ACEMOGLU, Daron, & Pascual RESTREPO (2018a), « The race between man and machine: Implications of technology for growth, factor shares and employment », in American Economic Review, vol. 108, n° 6.

ACEMOGLU, Daron, & Pascual RESTREPO (2018b), « Articial intelligence, automation and work », NBER, working paper, n° 24196.

AUTOR, David H., David DORN & Gordon H. HANSON (2015), « Untangling trade and technology: Evidence from local labor markets », in Economic Journal, vol. 125, n° 584.

AUTOR, David H., Lawrence F. KATZ & Melissa S. Kearney (2006), « The polarization of the U.S. labor market », in American Economic Review, vol. 96, n° 2.

BALL, Laurence M. & Sandeep MAZUMDER (2020), « A Phillips curve for the euro area », BCE, working paper, n° 2354.

BERSON, Clémence, Louis DE CHARSONVILLE, Pavel DIEV, Violaine FAUBERT, Laurent FERRARA, Sophie GUILLOUX-NEFUSSI, Yannick KALANTZIS, Antoine LALLIARD, Julien MATHERON & Matteo MOGLIANI (2018), « La courbe de Phillips existe-t-elle encore ? », in Banque de France, Rue de la Banque, n° 56.

BLANCHARD, Olivier (2016), « The US Phillips curve: Back to the 60s? », PIIE, policy brief, n° 16-1.

BLANCHARD, Olivier, & Jordi GALÍ (2010), « Labor markets and monetary policy: A new Keynesian model with unemployment », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 2, n° 2.

CICCARELLI, Matteo, & Chiara OSBAT (2017), « Low Inflation in the euro area: causes and consequences », BCE, occasional paper, n° 181.

FMI (2013), « The dog that didn’t bark: Has inflation been muzzled or was it just sleeping », World Economic Outlook, chapitre 3, avril. Traduction française, « Telle l’histoire du chien qui n’a pas aboyé : l’inflation a-t-elle été muselée, ou s’est-elle simplement assoupie? », Perspectives de l’économie mondiale, chapitre 3.

GAGGL, Paul, & Sylvia KAUFMANN (2019), « The cyclical component of labor market polarization and jobless recoveries in the US », in Journal of Monetary Economics, vol. 116.

GIANNONE, Domenico, Michele LENZA, Daphne MOMFERATOU & Luca ONORANTE (2014), « Short-term inflation projections: A Bayesian vector autoregressive approach », in International journal of forecasting, vol. 30, n° 3.

GOOS, Maarten, Alan MANNING & Anna SALOMONS (2009), « Job polarization in Europe », in The American Economic Review, vol. 99, n° 2.

JAIMOVICH, Nir, & Henry E. SIU (2020), « Job polarization and jobless recoveries », in Review of Economics and Statistics, vol. 102, n° 1.

MORETTI, Laura, Luca ONORANTE & Shayan ZAKIPOUR-SABER (2019), « Phillips curves in the euro area », BCE, working paper, n° 2295.

SIENA, Daniele, & Riccardo ZAGO (2021), « Job polarization and the flattening of the price Phillips curve », Banque de France, working paper, n° 819.

VERDUGO, Gregory (2017), Les Nouvelles Inégalités du travail, Presses de Sciences Po.

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11 avril 2021 7 11 /04 /avril /2021 16:06
Comment l’immigration affecte-t-elle les salaires ? Gare au biais de sélection !

Les économistes ont tendance à partir d’un cadre néoclassique pour étudier les effets de l’immigration sur le marché du travail. Les immigrés étant très souvent en âge de travailler, l’immigration se traduit immédiatement par une hausse de l’offre de travail. Or, dans la modélisation néoclassique, la hausse de l’offre sur un marché entraîne une baisse du prix d’équilibre et, le temps que le prix s’ajuste pour rejoindre son nouvel équilibre, une offre excédentaire. Autrement dit, sur le marché du travail, on s’attend à une baisse des salaires pour les autochtones et, le temps de l’ajustement, à une hausse de leur chômage.

Une telle modélisation est bien sûr simplificatrice. Elle risque tout d’abord de nous amener à négliger les effets de bouclage : si un territoire connaît une vague d’immigration, celle-ci va certes directement accroître l’offre de travail, mais elle va aussi, plus indirectement, accroître la demande de travail, dans la mesure où les immigrés sont aussi des consommateurs. La demande de travail augmentant, l’effet négatif de l’immigration sur les salaires des autochtones s’en trouve atténué. Ensuite, il ne faut pas oublier que les travailleurs, ne serait-ce que parmi les autochtones, ne forment pas un ensemble homogène : ils diffèrent notamment en termes de compétences. Par exemple, les immigrés n’ont pas nécessairement les mêmes qualifications que les autochtones. Si les immigrés sont essentiellement peu qualifiés, ce sont surtout les natifs peu qualifiés qu’ils risquent de « concurrencer ». Plus largement, les immigrés entrent en concurrence avec les natifs qui leur sont comparables.

Toute une littérature en économie du travail a cherché à déterminer empiriquement l’impact exact de l’immigration sur l’emploi et les salaires des autochtones. Elle n'est pas parvenue à un consensus, tant la mesure de cet impact pose de redoutables défis méthodologiques. En l'occurrence, ces trois dernières décennies ont été marquées par de très vifs débats, opposant notamment David Card et George Borjas, initialement autour de l’exode de Mariel. Selon Card (1990), qui s’appuie sur la méthode dite « des doubles différences » (ou « des différences de différences »), l’arrivée des réfugiés cubains (les « Marielitos ») à Miami n’a guère affecté la situation des autochtones : en l’occurrence, la situation des autochtones habitant Miami ne semble guère s’être dégradée lorsqu’on la compare avec celle des autochtones habitant d’autres villes américaines économiquement similaires à Miami.

Pour Borjas (2003), l’immigration a au contraire un impact significatif sur les salaires des autochtones (1), mais l’approche des doubles différences peut difficilement le saisir dans la mesure où les autochtones peuvent réagir à l’arrivée des immigrés en se déplaçant vers d'autres marchés du travail où ces derniers ne sont pas arrivés, diffusant le choc d’offre initial aux autres marchés du travail. Par exemple, les autochtones peuvent déménager ou rechercher un emploi dans les villes qui ont accueilli moins d’immigrés [Borjas, 2006] ; ils peuvent se tourner vers la formation pour acquérir de nouvelles compétences et ainsi pour ne plus être directement concurrencés par les immigrés [Hunt, 2017] ; ils peuvent changer de profession [Card, 2001] ; ils peuvent tout simplement quitter la vie active [Dustmann et alii, 2017], etc. En définitive, la variation des salaires directement provoquée par le choc d’offre dans une zone d’emploi risque d’être en partie dissimulée par la transmission de ce choc aux zones d’emplois qu’il n’a pas initialement touchés. Selon Borjas (2017), c’est précisément pour cette raison que Card n’a pas correctement identifié l’impact des réfugiés cubains sur la situation des natifs à Miami. 

En fait, la variation des salaires provoquée par l’immigration ne dépend pas seulement de l’ampleur de la réaction des natifs, mais également de sa composition : rien ne certifie que ce sont n’importe quels natifs qui changent de marché de travail en réaction à l’arrivée d’immigrés. Il peut y avoir un effet de composition et celui-ci va lui-même affecter le salaire moyen des autochtones, conduisant l'économiste qui ne le prendrait pas en compte à sous-évaluer ou surévaluer l'impact de l'immigration sur le salaire moyen. 

GRAPHIQUE 1  Part des immigrés dans la population active française (en %)

Comment l’immigration affecte-t-elle les salaires ? Gare au biais de sélection !

source : Borjas et Edo (2021)

George Borjas et Anthony Edo (2021) viennent d’illustrer l’importance de ce biais de sélection en se focalisant sur le marché du travail français et plus exactement en distinguant la situation des femmes de celle des hommes. En effet, la France a connu une importante féminisation de sa main-d’œuvre immigrée au cours des dernières décennies. La part des immigrés parmi les hommes actifs a certes diminué, mais la part des immigrées parmi les femmes actives a augmenté, passant de 5,7 % à 9,2 % entre 1968 et 2007 (cf. graphique 1). En conséquence, la part des femmes parmi les travailleurs nés à l’étranger est passée de 18,7 % à 22,8 % entre 1962 et 1975, pour ensuite doubler et atteindre 42,4 % en 1999 (cf. graphique 2). Cela ne s’explique pas seulement par les comportements de regroupement familial. « Les femmes qui arrivent en France sont de plus en plus souvent des célibataires ou des "pionnières" qui devancent leur conjoint » [Beauchemin et alii, 2013].

GRAPHIQUE 2  Part des femmes parmi les travailleurs immigrés (en %)

Comment l’immigration affecte-t-elle les salaires ? Gare au biais de sélection !

source : Borjas et Edo (2021)

L’accroissement de la part des femmes parmi les immigrés peut ne pas affecter de la même façon les autochtones selon leur sexe, dans la mesure où les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes emplois et où la l’offre de travail des femmes tend à être plus élastique que celle des hommes à la marge extensive : relativement aux hommes, les femmes ont davantage tendance à réduire leur offre de travail en quittant tout simplement le marché du travail plutôt qu’en réduisant leur temps de travail. Par conséquent, le choc d’offre peut avoir eu un impact significatif sur le taux d’activité des femmes autochtones, ce qui biaise la mesure de l’impact de l’immigration sur les salaires.

Les corrélations brutes suggèrent que l’immigration a réduit le salaire des natifs, mais non des natives, tandis qu’il a réduit le taux d’emploi des natives, mais non celui des natifs. Or, Borjas et Edo montrent au terme de leur analyse que cette élasticité apparemment nulle des salaires des femmes est un artefact produit par le biais de sélection. En effet, les natives qui quittèrent le marché du travail après le choc d’offre étaient des femmes relativement peu rémunérées. Leur sortie de la vie active s’est mécaniquement traduite par une hausse du salaire moyen simplement par effet de composition : le salaire moyen des femmes autochtones a eu tendance par ce biais-là à augmenter du seul fait que la part des femmes peu rémunérées s’est réduite. Une fois cet effet de composition pris en compte, il apparaît que l’immigration a bien eu un effet négatif sur les salaires des natives : le salaire moyen des natives ne semble guère avoir varié face au choc d’offre précisément par ce que l’effet négatif de ce dernier a été compensé par l’effet de composition. Une fois ajusté pour prendre en compte l’effet de sélection, l’élasticité des salaires des natives se révèle négative et de la même ampleur que pour les natifs, c’est-à-dire compris entre - 1 et - 0,8.

 

(1) Borjas juge que l'immigration détériore la situation des natifs sur le marché du travail, mais il voit d'un plus mauvais œil l'arrivée des robots [Borjas et Freeman, 2019]. 

 

Références 

BEAUCHEMIN, Cris, Catherine BORREL & Corinne REGNARD (2013), « Les immigrés en France : en majorité des femmes », in INED, Population et Sociétés, n° 502, juillet-août 2013.

BORJAS, George J. (2003), « The labor demand curve is downward sloping: Reexamining the impact of immigration on the labor market », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 4.

BORJAS, George J. (2006), « Native internal migration and the labor market impact of immigration », in Journal of Human Resources, vol. 41, n° 2.

BORJAS, George J. (2017), « The wage impact of the Marielitos: A reappraisal », in Industrial and Labor Relations Review, vol. 70.

BORJAS, George J., & Anthony EDO (2021), « Gender, selection into employment, and the wage impact of immigration », IZA, discussion paper, n° 14261.

BORJAS, George J., & Richard B. FREEMAN (2019), « From immigrants to robots: The changing locus of substitutes for workers », NBER, working paper, n° 25438.

CARD, David (1990), « The impact of the Mariel boatlift on the Miami labor market », in Industrial and Labor Relations Review, vol. 43, n° 2.

DUSTMANN, Christian, Uta SCHÖNBERG & Jan STUHLER (2017), « Labor supply shocks, native wages, and the adjustment of local employment », in Quarterly Journal of Economics, vol. 132, n° 1.

HUNT, Jennifer (2017), « The impact of immigration on the educational attainment of natives », in Journal of Human Resources, vol. 52, n° 4.

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16 février 2021 2 16 /02 /février /2021 16:03
Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

Il y a bientôt un an, la contraction de l’activité économique associée à la pandémie a mis un terme à la plus longue expansion de l’économie américaine qui ait enregistrée. Cette expansion s’était amorcée il y a un peu plus d’une décennie suite à la crise financière et à la Grande Récession que celle-ci avait provoquée. Jay Shambaugh et Michael Strain (2021) viennent de dresser le bilan de cette reprise en se focalisant spécifiquement sur le marché du travail.

GRAPHIQUE 1  Evolution de l’emploi au cours du cycle d’affaires aux Etats-Unis (en indices, base 100 le premier mois de la récession)

Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

source : Shambaugh et Strain (2021)

L’éclatement d’une bulle immobilière, l’effondrement boursier et les difficultés du secteur bancaire avaient fait basculer fin 2007 l’économie américaine dans la plus grave récession qu’elle ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Sur une base annuelle, l’économie américaine s’était alors davantage contractée que lors de la Grande Dépression. 8,7 millions d’emplois furent détruits au cours des deux années qui suivirent le début de la récession (cf. graphique 1), le taux de chômage augmenta de 5,3 points de pourcentage, amenant jusqu’à un actif sur dix à se retrouver au chômage, et le taux d’activité baissa fortement (cf. graphique 2).

GRAPHIQUE 2  Taux d’activité des 25-54 ans aux Etats-Unis (en %)

Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

source : Shambaugh et Strain (2021)

La Grande Récession prit officiellement fin durant l’été 2009. La reprise qui s’ensuivit fut marquée par une faible croissance de la productivité et une croissance de la production plus lente que ce que beaucoup avaient anticipé. Elle mit plusieurs années à éliminer le chômage conjoncturel tant elle fut lente et que la récession avait été sévère (cf. graphique 3). Shambaugh et Strain rappellent que plusieurs facteurs ont contribué a freiné la reprise. Tout d’abord, le chômage conjoncturel provoqué par la précédente récession, celle de 2001, n’avait peut-être pas été totalement résorbé lorsque l’économie américaine bascula dans la Grande Récession. Ensuite, la récession, synchrone à une crise financière, a été précédée d’une forte hausse de l’endettement des ménages et d’une accumulation d’amples déséquilibres sur les marchés financiers et les marchés immobiliers. Il fallut du temps pour que ces déséquilibres se résorbent et notamment pour que les ménages se désendettent. Enfin, les politiques conjoncturelles n’ont pas été assez expansionnistes. D’un côté, la politique monétaire a rapidement été contrainte par la borne inférieure zéro (zero lower bound). De l’autre, la politique budgétaire a certes été expansionniste lors de la Grande Récession, mais elle est rapidement devenue restrictive une fois la reprise amorcée [Fatás et Mihov, 2013].

GRAPHIQUE 3  Ecart entre le taux de chômage et le taux de chômage naturel (en points de %)

Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

source : Shambaugh et Strain (2021), d’après les estimations du CBO

Mais parce qu’elle a été régulière et longue, l’expansion qui suivit la Grande Récession inclut la plus longue période de créations d’emplois qui ait été enregistrée. Celle-ci s’est étalée sur 113 mois consécutifs, allant d’octobre 2010 au mois de mars 2020, lorsque la pandémie de Covid-19 provoqua une nouvelle contraction de l’activité économique. 

Shambaugh et Strain distinguent plusieurs phases au cours de cette reprise et notent que les différentes catégories de travailleurs n’ont pas été affectées de la même façon au cours de chacune d’entre elles. Au début de l’expansion, les taux de chômage restaient très élevés, les taux d’activité continuaient de baisser et la croissance des salaires était très lente. Beaucoup craignaient une « reprise sans emploi » (jobless recovery) et redoutaient que le chômage provoqué par la Grande Récession se soit transformé en chômage structurel, mais la faiblesse de la croissance des salaires et de l’inflation suggérait, comme d’autres éléments, qu’une part substantielle du chômage restait de nature conjoncturelle [Lazear et Spletzer, 2012]. A partir de 2014, les salaires commencèrent à croître plus vite à la médiane (cf. graphique 4). A partir de 2015, le taux d’activité des 25-54 ans commença à son tout à s’accroître. Au cours des cinq dernières années de l’expansion, la croissance des salaires s’est accélérée en bas de la répartition des salaires et est apparue plus rapide qu’en haut de la répartition. Les taux d’emploi des travailleurs les moins diplômés grimpèrent bien au-delà de leur niveau d’avant-crise que ne le firent ceux des travailleurs diplômés du supérieur.

GRAPHIQUE 4  Croissance des salaires horaires réels à divers centiles aux Etats-Unis (en %)

Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

source : Shambaugh et Strain (2021)

Finalement, l’emploi et le taux d'activité des 25-54 ans finirent par dépasser leur niveau d’avant-crise et le taux de chômage par se retrouver en-deçà du sien. L’ensemble du cycle d’affaires, comprenant la récession et la subséquente reprise, qui s’amorça en décembre 2007 a constitué l’une des meilleures périodes pour la croissance des salaires réels depuis plusieurs décennies. L’essentiel de cette croissance s’est réalisée pendant les toutes dernières années et c’est au cours de celles-ci qu’elle s’est généralisée à l’ensemble de la distribution des salaires.

Shambaugh et Strain concluent leur analyse en avançant plusieurs raisons qui les amènent à se montrer optimistes pour la reprise de l’économie américaine consécutive à l’actuelle récession. Tout d’abord, la contraction de l’activité économique associée à l’épidémie de Covid-19 a eu lieu en l’absence de déséquilibres préexistants et elle n’a, pour l’heure, pas été associée à une réelle crise financière. De plus, l’économie américaine s’est retrouvée en récession en ayant résorbé le chômage provoqué par la précédente récession, ce qui n’était peut-être pas tout à fait le cas lorsqu’elle avait basculé dans la Grande Récession. 

Enfin, Shambaugh et Strain appellent à ne pas hésiter à utiliser des politiques budgétaire et monétaire agressives lors des récessions. Tout au long de la reprise qui suivit la Grande Récession, beaucoup s’étaient inquiétés à l’idée que des effets d’hystérèse aient rendu permanente une partie de la hausse du chômage provoquée par la crise financière et que la reprise ne soit rapidement contrainte par l’offre, remettant en cause la stabilité des prix ; le fait que le taux de chômage ait finit par descendre en-deçà de son niveau d’avant-crise et que le taux d’activité ait presque rejoint le sien, sans générer une significative inflation, vient suggérer que de tels effets d’hystérèse ne se sont guère manifestés. D’autre part, ce n’est que lorsque le taux de chômage s’est rapproché de son niveau d’avant-crise que la croissance des salaires s’est accélérée et qu’elle s’est transmise au bas de la répartition des salaires. Un marché du travail sous tensions s’est révélé être favorable aux salaires et à l’égalité salariale sans nuire à l’emploi.

 

Références

FATAS, Antonio, & Ilian MIHOV (2013), « Recoveries », document présenté lors de la 57ième conférence « Fulfilling the full employment mandate », Réserve fédérale de Boston, 13 avril.

LAZEAR, Edward P., & James R. SPLETZER (2012), « The United States labor market: Status quo or a new normal? », NBER working paper, n° 18386.

SHAMBAUGH, Jay C., & Michael R. STRAIN (2021), « The recovery from the Great Recession: A long, evolving expansion », IZA, discussion paper, n° 14017.

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