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21 juin 2017 3 21 /06 /juin /2017 18:10
Comment la fiscalité a pu freiner l’emploi non qualifié

Les marchés du travail ont pu avoir tendance à se polariser au sein des pays développés au cours des dernières décennies. David Autor et David Dorn (2013) se sont notamment penchés sur la polarisation de la structure de l’emploi aux Etats-Unis depuis les années quatre-vingt : les parts des emplois peu rémunérés et très rémunérés (qui sont respectivement très intensifs en tâches manuelles et en tâches abstraites) ont eu tendance à augmenter, si bien que la part des emplois moyennement rémunérés (qui sont très intensifs en tâches routinières) a eu tendance à décliner. Ce phénomène découlerait directement du progrès technique et notamment des avancées en matières de technologies d’information et de communication : les tâches les plus routinières sont celles qui peuvent être le plus facilement réalisées par des machines, donc les travailleurs réalisant des tâches routinières sont ceux qui ont le plus de chances de perdre leur emploi du fait de l’automatisation. Le progrès technique impulse alors une réallocation de la main-d’œuvre : les travailleurs qui perdent leur emploi du fait de l’automatisation des tâches routinières pourraient en retrouver un parmi les emplois qui sont très intensifs en tâches manuelles ou bien en tâches abstraites. David Autor, David Dorn et Gordon Hanson (2013) estiment que la polarisation de l’emploi n’avait pas d’impact significatif sur l’emploi et notamment l’emploi non qualifié au niveau agrégé ; ce serait plutôt le commerce extérieur qui contribuerait surtout à expliquer la chute d’emplois que les Etats-Unis ont pu connaître au cours des années deux mille.

Sylvain Catherine, Augustin Landier et David Thesmar (2015) ont également mis en évidence une polarisation de l’emploi en France. James Harrigan, Ariell Reshef et Farid Toubal (2016) ont relié ce phénomène au progrès technique et à la mondialisation. De leur côté, Julien Albertini, Jean-Olivier Hairault, François Langot et Theptida Sopraseuth (2015) ont cherché à observer comment les institutions du marché du travail ont pu affecter l’impact du progrès technique sur la polarisation de l’emploi français entre 1980 et 2008 ; ils estiment que les Etats-Unis ont su tirer des gains d’emplois du progrès technique, tandis que ce dernier a plutôt eu tendance à détruire les emplois en France en raison de la hausse régulière du salaire minimum. 

Sébastien Bock (2017) a relié le déclin de l’emploi non qualifié qu’a pu connaître la France ces dernières décennies au phénomène de polarisation de l’emploi. Selon lui, si l’emploi non qualifié a décliné, ce n’est pas parce que la mécanique polarisation de l’emploi s’est poursuivie à son rythme, mais parce qu’elle s’est trouvée enrayée. En l’occurrence, jusqu’en 1993, les pertes en termes d’emplois non qualifiés ont pu être alimentées par un niveau élevé et croissant d’imposition du travail ; par la suite, cette tendance a été contenue par des mesures de réduction du coût du travail ciblées sur les travailleurs à faible salaire. Selon les estimations de Bock, les pertes d’emplois non qualifiés auraient été deux fois plus importantes si ces mesures d’allègement du coût du travail n’avaient pas été prises. En effet, la polarisation de l’emploi réalloue les opportunités d’emploi non qualifié des emplois routiniers vers les emplois manuels et le travail non marchand. L’imposition du travail interagit avec ce processus de réallocation en modifiant les incitations à travailler dans les emplois manuels relativement au travail non marchand. Cela s’explique par le fait que les travailleurs manuels produisent des services qui sont de proches substituts aux biens non marchands, ce qui rend les incitations à travailler dans ces emplois particulièrement sensibles à l’imposition du travail.

L’étude de Bock s’inscrit dans cette vaste littérature qui a cherché à relier les différences en termes d’offre de travail que l’on peut observer d’un pays à l’autre aux différences en matière de fiscalité. Par exemple, Edward Prescott (2004) a constaté que la plus forte imposition dans les pays européens qu’aux Etats-Unis contribuait à expliquer pourquoi le temps de travail est beaucoup plus faible dans les premiers que dans les seconds. De son côté, Richard Rogerson (2008) a suggéré que la croissance relativement faible du secteur tertiaire que l’on a observée dans les pays d’Europe continentale par rapport aux Etats-Unis s’explique par le fait que les premiers imposent plus lourdement le travail que ces derniers, mais aussi par le fait que les services sont facilement substituables avec les biens produits dans l’économie domestique. Thomas Piketty (1998) et Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil (2004) ont cherché à identifier quels étaient les secteurs sous-développés en France. Ils estiment que si la France avait eu le même taux d’emploi dans le commerce et dans l’hôtellerie-restauration qu’aux Etats-Unis, il y aurait eu en France 2,8 millions de travailleurs supplémentaires en emploi en 1996 et 3,4 millions en 2001, ce qui correspond au nombre de chômeurs. Selon Piketty ce déficit d’emplois que connaît la France dans les secteurs du commerce et de l’hôtellerie-restauration s’expliquerait par le niveau relativement élevé du coût du travail peu qualifié.

 

Références

 

ALBERTINI, Julien, Jean-Olivier HAIRAULT, François LANGOT & Theptida SOPRASEUTH (2015), « Aggregate employment, job polarization and inequalities: A transatlantic perspective », document de travail.

AUTOR, David, H. & David DORN (2013), « The growth of low-skill service jobs and the polarization of the US labor market », in American Economic Review, vol. 103, n° 5.

AUTOR, David H., David DORN & Gordon H. HANSON (2013), « Untangling trade and technology: Evidence from local labor markets », NBER, working paper, n° 18938.

BOCK, Sébastien (2017), « Job polarization and unskilled employment losses in France », PSE, working paper, n° 2017-14.

CAHUC, Pierre, & Michèle DEBONNEUIL (2004), Productivité et emploi dans le tertiaire, rapport du CAE, n° 49.

CATHERINE, Sylvain, Augustin LANDIER & David THESMAR (2015), « Marché du travail : la grande fracture », Institut Montaigne.

HARRIGAN, James, Ariell RESHEF & Farid TOUBAL (2016), « The march of the techies: Technology, trade, and job polarization in France, 1994-2007 », NBER, working paper, n° 22110.

PIKETTY, Thomas (1998), « L'emploi dans les services en France et aux Etats-Unis : une analyse structurelle sur longue période », in Economie et Statistique, vol. 318, n° 1.

PRESCOTT, Edward C. (2004), « Why do Americans work so much more than Europeans? », in Quarterly Review.

ROGERSON, Richard (2006), « Understanding differences in hours worked », in Review of Economic Dynamics, vol. 9, n° 3.

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22 janvier 2017 7 22 /01 /janvier /2017 19:01
Le progrès technique explique-t-il les reprises sans emplois ?

Suite aux diverses récessions qui touché l’économie américaine au cours des décennies qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale, le PIB et l’emploi avaient tendance à fortement rebondir. Par contre, depuis le début des années quatre-vingt-dix, les reprises qui ont suivi les différentes récessions américaines ont été marquées par une faible création d’emploi : la croissance de l’emploi durant les deux années qui ont suivi le creux d’une récession s’élevait à un peu plus de 5 % avant 1990, mais elle a été inférieure à 1 % depuis. (1)

Une interprétation qui est régulièrement avancée et qui a notamment été développée par Nir Jaimovich et Henry Siu (2014) pour expliquer ces reprises sans emplois donne un rôle crucial au progrès technique : les emplois moyennement qualifiés, qui impliquent souvent des tâches routinières, c’est-à-dire des tâches qui peuvent être facilement réalisées par des machines, seraient ceux les plus exposés à la destruction lors des récessions, mais leur création serait particulièrement lente durant les expansions, notamment parce que les entreprises en profiteraient pour les automatiser ; autrement dit, les destructions d’emplois moyennement qualifiées qui surviendraient durant les récessions seraient permanentes. Par conséquent, les travailleurs moyennement qualifiés qui perdraient leur emploi durant une récession auraient des difficultés à se reclasser par la suite. Au niveau agrégé, l'ensemble des emplois tendrait à se polariser, les parts des emplois très qualifiés et peu qualifiés ayant tendance à augmenter.

Or, le remplacement des travailleurs moyennement qualifiés par des machines et la polarisation des emplois ne sont pas des phénomènes spécifiques aux Etats-Unis ; ils ont également touché le reste des pays développés. Par conséquent, si les reprises sans emplois aux Etats-Unis s’expliquent par la technologie, les autres pays développés devraient également tendre à connaître des reprises sans emplois.

Georg Graetz et Guy Michaels (2017) ont testé cette hypothèse en utilisant les données relatives aux reprises consécutives à 71 récessions dans 17 pays entre 1970 et 2011. Ils constatent que même si le PIB a effectivement connu une plus faible reprise après les récentes récessions dans les autres pays développés, cela n’a pas été le cas de l’emploi. Autrement dit, les reprises n’ont pas été faiblement créatrices d’emplois. Graetz et Michaels constatent en outre que les secteurs qui ont utilisé le plus de tâches routinières et ceux qui sont les plus exposés à la robotisation n’ont pas non plus connu ces dernières décennies une plus faible reprise de l’emploi suite aux récessions. Au final, les emplois moyennement qualifiés n’ont pas été marqués par une reprise plus lente après les récentes récessions, même dans les entreprises intensives en tâches routinières. L’ensemble de ces constats amène les deux auteurs à conclure que la technologie n’a pas provoqué de reprises sans emplois dans les pays développés autres que les Etats-Unis.

Reste alors à expliquer pourquoi les Etats-Unis se singularisent par des reprises sans emplois depuis quelques décennies. Graetz et Michaels estiment qu’il existe deux grandes classes d’explications, mais ils ne cherchent pas à trancher entre les deux. La première explication pourrait être que l’adoption des (nouvelles) technologies ne s’opère pas de la même façon, pas à la même vitesse, aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. Une seconde classe d’explications, très hétérogène, met l’accent sur la spécificité des politiques ou des institutions des Etats-Unis par rapport aux autres pays développés. Par exemple, Kurt Mitman et Stanislav Rabinovich (2014) ont affirmé que l’extension de l’indemnisation des chômeurs lors des récessions ralentit la croissance de l’emploi durant les reprises en conduisant les travailleurs à relever leurs salaires de réservation. De son côté, David Berger (2015) estime plutôt que si la substitution des travailleurs lors des récessions et reprises a été plus intense ces dernières décennies, c’est en raison du recul des syndicats.

 

(1) Tout le monde ne partage toutefois pas ce diagnostic. Pour Laurence Ball, Daniel Leigh et Prakash Loungani (2013) par exemple, les variations de l’emploi sont restées cohérentes avec les variations même du PIB, aussi bien aux Etats-Unis que dans les autres pays développés : la « loi d’Okun » est toujours valide. Autrement dit, si les récessions qui ont touché l’économie américaine ces dernières décennies ont eu tendance à être suivies par une reprise sans emploi, c’est précisément parce que la croissance de la production a été trop faible lors de la reprise pour inciter les entreprises à embaucher. C'est alors la faiblesse de la croissance économique lors des reprises qu'il faudrait expliquer.

 

Références

BALL, Laurence, Daniel LEIGH & Prakash LOUNGANI (2013), « Okun’s law: Fit at fifty », NBER, working paper, n° 18668.

BERGER, David (2016), « Countercyclical restructuring and jobless recoveries », document de travail.

GRAETZ, Georg, & Guy MICHAELS (2017), « Is modern technology responsible for jobless recoveries? », CEP, discussion paper, n° 1461, janvier 2017. 

JAIMOVICH, Nir, & Henry SIU (2012), « The trend is the cycle: Job polarization and jobless recoveries », NBER, working paper, n° 18334.

MITMAN, Kurt, & Stanislav RABINOVICH (2014), « Unemployment benefit extensions caused jobless recoveries? », PIER, working paper, vol. 14-013.

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18 décembre 2016 7 18 /12 /décembre /2016 23:39
Quel est l’impact de l’immigration sur l’emploi et les salaires ?

Dans un contexte de lente progression des salaires (notamment aux Etats-Unis) et de chômage élevé (en particulier en France), les populations des pays développés ont pu montrer ces dernières décennies une certaine hostilité vis-à-vis de l’immigration : celle-ci est régulièrement accusée de détruire l’emploi des autochtones ou de pousser leurs salaires à la baisse. La récente vague de réfugiés provoquée par le conflit syrien a accentué ces inquiétudes en Europe. Pourtant, tant les analyses théoriques que les études empiriques sont loin de leur donner raison.

Certes, la théorie néoclassique la plus standard suggère que l’immigration, en accroissant l’offre de travail, est susceptible de réduire les salaires, notamment parce qu’elle accroît la concurrence entre les travailleurs. Si les salaires ne sont pas pleinement flexibles, tout du moins à la baisse, l'ajustement risque de ne pas se faire (seulement) par les prix, mais (aussi) par les quantités : l’accroissement de l’offre de travail est susceptible d’entraîner une hausse du chômage. Ce raisonnement reste toutefois simpliste.

Tout d’abord, les travailleurs immigrés ne sont pas totalement « substituables » avec les travailleurs natifs, si bien que l’une des deux catégories risque d’être plus exposée au chômage que l’autre. Ensuite, dans la mesure où les immigrés n’ont souvent pas le même niveau de qualification que les travailleurs natifs, l’afflux de travailleurs immigrés est susceptible d’avoir de profonds effets redistributifs parmi la population autochtone. En effet, il est susceptible de détériorer les perspectives d’emploi des travailleurs natifs qui présentent des qualifications similaires, avec lesquels ils sont « substituables », et d’améliorer les perspectives d’emploi des travailleurs qui présentent des qualifications différentes, avec lesquels ils sont « complémentaires ». En effet, ces derniers voient leur efficacité augmenter, si bien qu’ils sont davantage demandés (leurs chances de se retrouver au chômage diminuent) et leurs salaires sont poussés à la hausse. Ainsi, l’afflux d’immigrés (peu qualifiés) dans les pays développés est susceptible d’y accroître le chômage des travailleurs peu qualifiés ou de réduire leurs salaires, tout en poussant les salaires des travailleurs qualifiés à la hausse.

L’immigration peut compenser l’un des effets pervers du progrès technique. Les machines sont souvent substituées aux travailleurs les moins qualifiés (ce qui a pu pousser leurs salaires à la baisse) et se révèlent complémentaires avec les travailleurs de qualifications intermédiaires (qui ont alors pu voir leurs salaires être poussés à la hausse). Or, en étudiant les données américaines, Ethan Lewis (2011) a constaté que dans les zones où l’immigration a été la plus forte, les usines ont moins investi dans l’automatisation, ce qui a compensé l’impact de l’immigration sur l’emploi et les salaires des moins qualifiés. En effet, l’immigration pousse le coût relatif du travail (non qualifié) à la baisse, donc le coût relatif du capital à la hausse.

L’immigration peut aussi compenser l’un des effets pervers de la mondialisation. En l’occurrence, l’accroissement de l’offre domestique de travail non qualifié est susceptible de réduire les incitations des entreprises domestiques à délocaliser leurs activités vers les pays à faible coût du travail. Donc elle réduit les chances que les travailleurs (non qualifiés) natifs perdent leur emploi en raison des délocalisations.

Surtout, l’afflux d’immigrés va contribuer à accroître la consommation, si bien qu’il va stimuler les débouchés des entreprises domestiques ; ces dernières vont répondre au surcroît de demande en augmentant leurs capacités de production, c’est-à-dire en embauchant et en investissant davantage. La hausse de l’investissement va elle-même contribuer à accroître les débouchés des entreprises produisant des biens d’investissement, ce qui va également les inciter à embaucher. La hausse de la demande de travail va en outre tendre à pousser les salaires à la hausse. C’est l’ensemble des catégories de travailleurs, autochtones et immigrés, qualifiés et non qualifiés, qui sont alors susceptibles de bénéficier de ces effets. A nouveau, les éventuels effets négatifs que l’immigration est susceptible d’exercer directement sur l’emploi et les salaires des autochtones non qualifiés s’en trouveront compensés par ce biais-là.

Quelques études ont cherché à s’appuyer sur des expériences naturelles qu’ont pu constituer les vagues de réfugiés passées. Jennifer Hunt (1992) a par exemple étudié le rapatriement des centaines de milliers de pieds-noirs en France en 1962, suite à l’indépendance de l’Algérie. Elle a constaté que l’impact de ce rapatriement s’est résorbé en quelques années. David Card (1990) a quant à lui étudié l’« exode de Mariel » de 1980, un épisode au cours duquel plusieurs dizaines de milliers de Cubains migrèrent à Miami. Cette vague de réfugiés a immédiatement augmenté la part des travailleurs non qualifiés parmi les actifs de Miami. Pourtant, Card ne parvient pas à mettre en évidence un impact durable qui soit significatif sur les salaires ou l’emploi des natifs les moins qualifiés de la ville ; le chômage à Miami a par exemple brutalement augmenté, mais il s’est ensuite résorbé en quelques mois. Enfin, Rachel Friedberg (2001) a étudié la vague d’immigration qu’a connue Israël au début des années quatre-vingt-dix suite à l’éclatement du bloc soviétique ; elle ne décèle pas non plus un impact négatif de l’immigration sur les revenus des autochtones. Même si au cours de ces trois épisodes la population active a pu localement s’accroître jusqu'à 10 %, ces diverses analyses suggèrent de faibles effets de l’immigration sur les salaires et sur l’emploi des autochtones. Leurs résultats ont toutefois pu être contestés par d’autres études. Borjas a par exemple remis en cause les conclusions de Card en notant que les natifs ont pu réagir à l’afflux d’immigrés cubains en quittant Miami et en recherchant un emploi ailleurs.

En résumant les études disponibles à l’époque, Rachel Friedberg et Jennifer Hunt (1995) concluaient que l’impact de l’immigration sur les salaires et le chômage des autochtones était faible : une hausse de 10 % du nombre d’immigrés ne réduit les salaires des autochtones que d’environ 1 %. Deux décennies après, il est difficile d’affirmer que la littérature soit parvenue à un quelconque consensus. D’un côté, plusieurs études (notamment celles publiée par Card) suggèrent que l’immigration a un impact peu significatif, voire positif, sur les travailleurs natifs. De l’autre, plusieurs études, en particulier celles de Borjas, estiment que l’immigration peut avoir de profonds coûts sur les autochtones. En étudiant les pays l’OCDE au cours de la période 1990-2000, Frédéric Docquier, Çaglar Ozden et Giovanni Peri (2014) estiment que l’immigration a eu un impact légèrement positif ou aucun impact sur les salaires moyens des autochtones dans chaque pays étudié. Ces effets, allant de 0 % à 4 %, sont généralement positivement corrélés avec le taux d’immigration du pays, c’est-à-dire la taille du flux d’immigrés relativement à la population. En outre, toujours parmi les pays de l’OCDE, l’immigration a eu les effets bénéfiques les plus amples sur les salaires des travailleurs les moins diplômés. En fait, plusieurs études ne suggèrent pas une concurrence entre autochtones et immigrés, mais plutôt entre immigrés eux-mêmes. Gianmarco Ottaviano et Giovanni Peri (2012), parmi d'autres, notent que ce sont ceux qui sont issus des plus récentes vagues d’immigration qui sont les plus affectés par les nouvelles vagues d’immigration ou, tout du moins, qui en tirent le moins de bénéfices.

Plusieurs études se sont focalisées sur l’impact de l’immigration sur le marché du travail français. Par exemple, Javier Ortega et Gregory Verdugo (2011) ont étudié l’impact de l’immigration sur les salaires et l’emploi des autochtones en France entre 1962 et 1999. Une première estimation leur suggère qu’une hausse de l’immigration de 10 % se traduit par une hausse des salaires des autochtones de 3 % ; une seconde estimation, plus fine, leur suggère des gains plus faibles, mais toujours positifs. De son côté, Anthony Edo (2013) constate que l’immigration n’affecte pas les salaires des autochtones, mais qu’elle entraîne tout de même des effets négatifs sur l’emploi. Ce résultat suggère qu’avec la rigidité relativement plus forte des salaires en France que dans les autres pays développés, l’ajustement du marché du travail face à l’immigration se fait davantage via l’emploi. Edo constate que les immigrés sont moins réticents à connaître de plus mauvaises conditions de travail que les autochtones de même productivité, ce qui accroît leurs chances d’être embauchés relativement à ces derniers. Enfin, il note que les autochtones qui sont embauchés sur des contrats temporaires, qui sont marqués par une moindre rigidité salariale que les contrats à durée indéterminée, sont susceptibles de subir des baisses de salaires en conséquence de l’immigration.

 

Références

BORJAS, George (2003), « The labor demand curve is downward sloping: Reexamining the impact of immigration on the labor market », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 4.

CARD, David (1990), « The impact of the Mariel boatlift on the Miami labor market », in Industrial and Labor Relations Review, vol. 43, n° 2.

DOCQUIER, Frédéric , Çaglar OZDEN & Giovanni PERI (2014), « The labour market effects of immigration and emigration in OECD countries », in The Economic Journal, vol. 124, n° 579.

EDO, Anthony (2013), « The impact of immigration on native wages and employment », Centre d'économie de la sorbonne, working paper, n° 2013.64.

FRIEDBERG, Rachel M. (2001), « The impact of mass migration on the Israeli labor market », in Quarterly Journal of Economics, vol. 111.

FRIEDBERG, Rachel M., & Jennifer HUNT (1995), « The impact of immigrants on host countries wages, employment and growth », in Journal of Economic Perspectives, vol. 9.

HUNT, Jennifer (1992), « The impact of the 1962 repatriates from Algeria on the French labor market », in Industrial and Labor Relations Review, vol. 45.

LEWIS, Ethan (2011), « Immigration, skill mix, and capital skill complementarity », in Quarterly Journal of Economics, vol. 126.

ORTEGA, Javier, & Gregory VERDUGO (2011), « Immigration and the occupational choice of natives: A factor proportions approach », Banque de France, document de travail, n° 335.

OTTAVIANO, Gianmarco, & Giovanni PERI (2012), « Rethinking the effects of immigration on wages », in Journal of the European Economic Association, vol. 10, n° 1.

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