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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 20:29

Avec la Grande Récession, le taux de chômage a connu une forte hausse aux Etats-Unis (comme dans d’autres pays avancés), s’élevant au niveau maximal de 10 % en 2009. Avec la reprise qui a suivi, le taux de chômage a régulièrement diminué et retrouve aujourd’hui ses niveaux d’avant-crise en atteignant 5,5 % au mois de mars. C’est précisément lorsque le taux de chômage rejoint l’intervalle des 5,25-5,75 % que la Réserve fédéral considère traditionnellement l’économie américaine comme au plein emploi. Pourtant, la banque centrale a régulièrement suggéré que la main-d’œuvre restait sous-utilisée : beaucoup d’Américains aimeraient travailler (notamment à plein temps), mais ne le peuvent toujours pas. Malgré la baisse du taux de chômage, Janet Yellen et d'autres économistes ont ainsi parlé d’une « atonie du marché du travail » (labor market slack).

En outre, beaucoup s’inquiètent de la forte chute du taux d’activité aux Etats-Unis suite à la Grande Récession. Lorsque l’activité économique est atone et donc les perspectives de trouver un emploi faibles, certains chômeurs cessent de rechercher un emploi et certains inactifs peuvent retarder leur entrée dans la population active, par découragement. Ces sorties de la vie active permettent de freiner une hausse du chômage lors des récessions (et réciproquement, les entrées dans la vie active lors des phases d’expansion contribuent à freiner la baisse du chômage). Or le fait que le taux d’activité soit faible et n’ait toujours pas connu de reprise malgré la baisse du taux de chômage pourrait suggérer que beaucoup d’inactifs restent en dehors de la population active, alors même qu’ils désirent travailler. D’autre part, un faible taux d’activité réfrène le potentiel de croissance de l’économie américaine à moyen terme.

GRAPHIQUE  Taux d'activité au Etats-Unis (en %)

Un plein emploi en trompe-l’œil aux Etats-Unis

En prenant une perspective de long terme, Ravi Balakrishnan, Mai Dao, Juan Solé et Jeremy Zook rappellent que le baisse du taux d’activité a débuté bien avant la crise financière (cf. graphique). Alors qu’il était inférieur à 60 % durant les années soixante, le taux d’activité avait fortement augmenté au cours des décennies suivantes, grâce à l’entrée de la génération du baby boom sur le marché du travail et notamment des femmes, pour atteindre 66 % en 1990. Durant les années quatre-vingt-dix, il est resté globalement stable, notamment parce que les taux d’activité ont cessé d’augmenter pour les nouvelles cohortes de femmes. Après avoir atteint un maximum de 67,3 % au troisième trimestre de l’année 2000, il a régulièrement diminué depuis la récession de 2001. Entre 2007 et 2013, il a diminué de 3 points de pourcentage pour s’élever aujourd’hui à 62,8 %, un niveau qu’il n’avait pas atteint depuis 1978. Ainsi, la moitié des gains obtenus en termes de taux d’activité entre 1960 et 2000 ont été effacés en l’espace de trois ans : c’est l’équivalent de 7,5 millions de travailleurs qui ont été perdus pour la main-d’œuvre américaine.

Balakrishnan et ses coauteurs ont cherché à déterminer à quelle ampleur le déclin du taux d’activité est réversible. Puisque les taux d’activités sont plus faibles pour les travailleurs âgés que pour les travailleurs plus jeunes, les modèles démographiques suggèrent que la moitié de la chute du taux d’activité agrégé s’explique par le vieillissement de la population. 33 à 43 % du déclin s’expliquent par la conjoncture : tant que les perspectives d’être embauché sont faibles, beaucoup sont incités à rester en dehors du marché du travail. Le reste du déclin du taux d’activité s’explique par des facteurs structurels autres que démographiques comme le meilleur accès à l’université et la baisse du nombre d’étudiants qui travaillent. De prime abord, on pourrait penser que la chute sera irréversible si elle résulte principalement de facteurs structurels ou bien réversible si elle résulte essentiellement de facteurs conjoncturels, or ce n’est pas nécessairement le cas. En effet, certains facteurs structurels sont réversibles ; c’est par exemple le cas de l’accès à l’université. Inversement, les facteurs conjoncturels peuvent devenir irréversibles via les effets d’hystérèse ; c’est le cas par exemple si les chômeurs âgés se découragent dans leur poursuite d’emplois et précipitent leur retraite. Au final, Balakrishnan et ses coauteurs estiment qu’entre un quart et un tiers du déclin du taux d’activité observé depuis la Grande Récession est réversible. Avec la poursuite de la reprise, Balakrishnan et ses coauteurs estiment que 2 millions de travailleurs supplémentaires vont rapidement rejoindre la population active, mais le taux d’activité va toutefois continuer à diminuer en raison du vieillissement démographique.

L’observation des seuls taux de chômage et d’activité ne suffit pas pour évaluer l’atonie du marché du travail. Il y a d’une part le sous-emploi (désignant les personnes qui travaillent à temps partiel, mais qui désireraient travailler à plein temps) et le chômage caché (désignant les personnes qui ne recherchent pas activement un emploi, mais qui le feraient si les opportunités d’embauche étaient plus importantes). Pour David Blanchflower et Andrew Levin (2015), les Etats-Unis accusent un déficit de 3,3 millions d’emplois à plein temps, notamment pour absorber le sous-emploi et le chômage déguisé. Les incertitudes entourant cette estimation amènent les deux auteurs à affirmer que le déficit d’emplois pourrait être deux fois plus important. Selon l’analyse du Congressional Budget Office (CBO), la main-d’œuvre potentielle s’accroît actuellement au rythme de 50.000 à 60.000 individus par mois en raison des facteurs démographiques. Si le nombre d’emplois en-dehors du secteur primaire continue de s’accroître au même rythme que ces derniers trimestres, soit d’environ 260.000 emplois par mois, alors le déficit d’emplois pourrait être éliminé d’ici la fin de l’année 2016. Par contre, si la reprise de l’activité ralentit et si la croissance des emplois retrouve son faible rythme des années 2010 et 2011 (au cours desquelles elle s’élevait à 100.000 emplois par mois), alors le déficit d’emplois ne diminuerait que faiblement au cours des prochaines années.

Si le taux de chômage était proche de son niveau « naturel », la hausse des salaires devrait commencer à s’accélérer, dans la mesure où les entreprises ont plus de mal à embaucher et où le rapport de force se tourne en faveur des travailleurs. Or Blanchflower et Levin constatent que l’atonie du marché du travail exerce une forte pression à la baisse sur les salaires nominaux. Les rémunérations horaires des salariés des secteurs privés non agricoles augmentent beaucoup moins rapidement suite à la Grande Récession ; depuis 2010, la croissance des salaires nominaux est restée à environ 2 %. La croissance des salaires nominaux des salariés d’exécution semble avoir ralenti ces derniers trimestres. En effet, leur variation sur 12 mois était de 1,75 % en mars 2015, soit un demi-point de pourcentage inférieur au rythme qu’il atteignait lors de l’été dernier.

Ces diverses études suggèrent que l’atonie du marché du travail américain demeure et risque de persister à moyen terme. Il est donc toujours nécessaire que les autorités publiques mettent en œuvre des politiques expansionnistes pour soutenir la demande globale et stimuler par là la création d’emplois. Cet assouplissement des politiques monétaires est d’autant plus pressant que la hausse du taux de chômage et la baisse du taux d’activité observés depuis la Grande Récession risquent en partie d’être permanents en raison des effets d’hystérèse, ce qui nuira finalement à la croissance potentielle américaine. En ce qui concerne plus précisément la politique monétaire, le ralentissement de la croissance des salaires pourrait avoir contribué à pousser le taux d’inflation à la baisse aux Etats-Unis et à l’éloigner de la cible de 2 % d’inflation poursuivie par la Fed. L’absence d’inflation salariale suggère qu’il n’y aura pas de pressions inflationnistes à court terme, ce qui rend moins pressante la remontée des taux directeurs par la Fed et permet à cette dernière de maintenir sa politique monétaire accommodante.

 

Références

BALAKRISHNAN, Ravi, Mai DAO, Juan SOLÉ & Jeremy ZOOK (2015), « Recent U.S. labor force dynamics: Reversible or not? », FMI, working paper, avril, n° 15-76.

BLANCHFLOWER, David G., & Andrew T. LEVIN (2015), « Labor market slack and monetary policy », NBER, working paper, n° 21094, avril, n° 21094.

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21 mars 2015 6 21 /03 /mars /2015 10:12

Entre 1983 et 2008, les importations américaines de biens manufacturés ont doublé, tandis que l’emploi des firmes multinationales américaines tripla dans les pays à faible revenu. Une part essentielle de ces dynamiques concerne la Chine. Suite à l’accession de cette dernière à l’OMC en 2001, les exportations chinoises vers les Etats-Unis ont connu un boom. Entre 1983 et 2008, 8 % de l’ensemble des importations américaines sur cette période ont été réalisées en provenance de la Chine. Or, le secteur manufacturé américain abritait 16 millions d’emplois en 2008, contre 22 millions en 1983. Ce sont 2 millions d’emplois additionnels qui ont été supprimé depuis la Grande Récession de 2008. Beaucoup ont ainsi suggéré que la mondialisation et plus particulièrement l’essor de la Chine sur les marchés internationaux ont accentué la désindustrialisation aux Etats-Unis et provoqué une délocalisation des « bons emplois » de l’industrie américaine vers les pays émergents.

Beaucoup des précédentes études qui ont analysé l’impact du commerce international sur le marché du travail américain se sont focalisées sur le commerce des marchandises. Pourtant, la fragmentation de la production et les délocalisations sont susceptibles d’affecter un bien plus large ensemble de travailleurs. La fragmentation aux multinationales de séparer les différentes étapes de la production d’un bien donné en tâches à forte compétence et en tâches à faibles compétences, puis de faire réaliser plusieurs de ces tâches (même les tâches à haute valeur ajoutée) dans les pays où le travail est moins cher. Alors que les importations touchent souvent des secteurs à faible valeur ajoutée (par exemple la production de jouets), l’emploi étranger des multinationales américaines est surtout créé dans les secteurs à forte valeur ajoutée (automobile, électronique, etc.). Ces derniers secteurs ont eu historiquement des taux élevés de syndicalisations et des salaires élevés. Les délocalisations sont donc potentiellement plus dangereuses pour les travailleurs américains car elles réduisent leur pouvoir de négociation. Puisque la menace de délocaliser une usine dans les pays émergents est crédible, la mondialisation peut exercer une pression à la baisse sur les salaires américains et même affecter les travailleurs dont l’emploi n’est pas délocalisé à l’étranger. En outre, les salaires peuvent être tellement réduits par rapport aux normes historiques que beaucoup des travailleurs les plus âgés peuvent être incités à quitter la population active.

Avraham Ebenstein, Ann Harrison, Margaret McMillan et Shannon Phillips (2014) ont constaté de significatives réductions salariales pour les travailleurs américains exposés à la mondialisation, en particulier les travailleurs réalisant des tâches de routine qui peuvent être a priori facilement réalisées à l’étranger. En raison de l’insuffisance de données, ils ne s’étaient toutefois contentés d’étudier que la seule période s’écoulant ente 1983 et 2002.

Dans leur nouvelle analyse, Ebenstein, Harrison et McMillan (2015) parviennent à étendre leurs données jusqu’à l’année 2008, ce qui leur permet de prendre en compte une période marquée par l’accroissement de la pénétration à l’import, l’essor de la Chine et le développement rapide des délocalisations. Ils constatent de significatifs effets de la mondialisation sur le marché du travail américain. En effet, la délocalisation vers les pays à faible salaire et les importations associées à des déclins salariaux pour les travailleurs domestiques. Une hausse de 10 % de l’exposition d’une profession à la concurrence à l’import est associée à une baisse de 2,7 % des salaires réels pour les travailleurs réalisant des tâches de routine. Ebenstein et alii décèlent également un fort impact sur les salaires des délocalisations vers les pays émergents. En effet, une hausse de 10 % de l’exposition spécifique d’une profession à l’emploi étranger dans les pays à faible salaire est associée à une baisse de 0,27 % des salaires des travailleurs réalisant des tâches de routine pour l’ensemble de leur échantillon et presque une baisse de 1 % pour la seule période s’écoulant entre 2000 et 2008. Les salaires des travailleurs peu qualifiés et des travailleurs âgés sont en l’occurrence disproportionnellement affectés par les délocalisations.

Ils suggèrent que la mondialisation a entraîné une réallocation des travailleurs hors des emplois manufacturiers à haut salaire vers d’autres secteurs et d’autres professions. Les reclassements ont peu d’impacts sur les salaires lorsqu’ils sont confinés au secteur manufacturier. Par contre, ils sont associés à de fortes réductions salariales lorsqu’ils conduisent les travailleurs à quitter le secteur manufacturier pour les services.

Les auteurs analysent alors plus finement l'impact de la concurrence chinoise. Les importations en provenance de Chine et les délocalisations à destination de la Chine sont associées à de plus faibles salaires américains. Une hausse de 10 points de pourcentage de la part de marché des entreprises chinoises est associée à une baisse des salaires de 5,6 %. 

Au sortir de la Grande Récession, les Etats-Unis présentèrent des taux de chômage élevés et des taux d’activité historiquement faibles ; certains ont relié cette performance du marché du travail américain au vieillissement démographique, mais le rôle que le commerce international a pu joué dans cette dynamique reste imprécis. Ebenstein et ses coauteurs se penchent alors sur les liens entre commerce international, délocalisations et taux d’activité. Ils constatent une corrélation négative entre l’exposition aux délocalisations vers la Chine et le taux d’activité, mais une relation positive entre les taux d’activité et la concurrence chinoise à l’import. Les facteurs associés à l’informatisation et à l’accroissement de l’intensité capitalistique semblent associés bien plus significativement au déclin de l’emploi. Ils constatent de faibles impacts de la mondialisation sur la population active, mais un large impact sur cette dernière de l’informatisation et du prix des biens d’investissement. La chute des prix des biens d’investissement est associée à un plus grand usage du capital ; le plus grand usage des ordinateurs et du capital est associé à un plus faible emploi, à un chômage plus élevé et à de plus faibles taux d’activité.

 

Références

AUTOR, David H. David DORN & Gordon H. HANSON (2013), « The China syndrome: Local labor market effects of Import Competition in the United States », in American Economic Review, 103(6): 2121-68.

EBENSTEIN, Avraham, Ann HARRISON, Margaret MCMILLAN & Shannon PHILLIPS (2014), « Estimating the impact of trade and offshoring on American workers using the current population surveys », in Review of Economics and Statistics, voL. 96, n° 4, octobre.

EBENSTEIN, Avraham, Ann HARRISON & Margaret MCMILLAN (2015), « Why are American workers getting poorer? China, trade and offshoring », NBER, document de travail, n° 21027, mars.

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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 23:55

Plusieurs pays avancés semblent connaître une détérioration de la répartition du revenu du travail. Aux Etats-Unis, les salaires réels des 1 % des salariés les mieux pays ont augmenté de 191 % entre 1980 et 2011, tandis que les salaires médians ont chuté de 5 % The Economist, 2015]. Il pourrait en l’occurrence s’agir d’une « polarisation » entre les hauts salaires et les bas salaires. Une partie de la littérature s’est alors focalisée sur la prime de qualification (skill premium), c’est-à-dire l’écart de salaire entre les travailleurs les plus qualifiés et les travailleurs les moins qualifiés. En l’occurrence, cette prime de qualification aurait eu tendance à s’accroître au cours du temps, contribuant ainsi à alimenter les inégalités salariales [Acemoglu, 2002 ; Acemoglu et Autor, 2011]. Certains suggèrent que la main-d’œuvre qualifiée ferait l’objet d’une demande de plus en plus forte, alors que le « stock » de main-d’œuvre qualifiée n’augmenterait pas, ou en tout cas pas aussi vite. Le progrès technique pourrait jouer un rôle fondamental dans cette dynamique, car les machines exigent des compétences pour être créées ou utilisées, mais elles se substituent aux travailleurs lorsque ces derniers réalisent des tâches de routine. Les emplois aux tâches routiniers ne sont pas forcément sans qualifications ; en l’occurrence, les emplois moyennement qualifiés exigent souvent de leurs possesseurs qu’ils réalisent des tâches routinières.

La littérature économique a depuis longtemps reconnu que les économies d’échelle permettaient aux salariés des plus grandes entreprises d’être plus productifs que les plus petites entreprises, si bien que les premières auraient tendance à verser de plus hauts salaires que les secondes [The Economist, 2015]. La croissance des entreprises ne conduit alors pas nécessairement à une hausse des inégalités salariales. Les bénéfices pourraient toutefois ne pas être équitablement répartis en sein des grandes entreprises.

Holger Mueller, Paige Ouimet et Elena Simintzi (2015) ont observé comment la prime de qualification variait d’une entreprise à l’autre et au cours du temps à partir d’un échantillon d’entreprises du Royaume-Uni. Ils ont réparti les travailleurs en neuf groupes en fonction de leur qualification. Ils constatent que les écarts de salaires entre les emplois très qualifiés et les emplois moyennement ou peu qualifiés s’accroissent avec la taille de l’entreprise. Par contre, soit les écarts de salaires entre les emplois moyennement qualifiés et les emplois peu qualifiés ne varient pas en fonction de la taille des entreprises, soit ils ont tendance à diminuer avec celle-ci. Ils constatent les mêmes dynamiques au cours du temps, ce qui suggère que l’accroissement des inégalités salariales puisse être relié à la croissance des entreprises. Les tendances observées sont similaires aux dynamiques des inégalités de revenu observées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne depuis les années quatre-vingt-dix.

Une explication pourrait être qu’il existe des mécanismes compensateurs exerçant une pression à la baisse sur les salaires des emplois moyennement et peu qualifiés dans les plus grandes entreprises. Mueller et ses coauteurs se focalisent sur deux de ces types de mécanismes. Le premier pourrait être que les salaires associés aux tâches de routine soient relativement plus faibles dans les plus grandes entreprises car ces dernières auraient plus souvent recours à l’automation. Les auteurs constatent effectivement que les salaires associés aux emplois de routine déclinent vis-à-vis des salaires d’emplois non routiniers au fur et à mesure que la taille de l’entreprise augmente, en particulier dans les emplois moyennement qualifiés. Un second mécanisme pourrait être que les plus grandes entreprises versent de plus faibles salaires aux dirigeants débutants en échange à de meilleures opportunités de carrière. Ils constatent effectivement que les salaries des dirigeants dans les emplois peu et moyennement qualifiés sont relativement plus faibles dans les plus grandes entreprises, alors que les salaires des dirigeants dans les emplois hautement qualifiés sont relativement plus élevés dans les plus grandes entreprises.

A partir d’un échantillon de 15 pays avancés comprenant les Etats-Unis et le Royaume-Uni, Mueller et alii se demandent si les inégalités salariales sont liées à la croissance des entreprises au niveau de chaque pays en se focalisant sur la période s’écoulant entre 1981 et 2010. Puisqu’il pourrait être trompeur de réfléchir à partir des entreprises de taille médiane, ils se focalisent sur les 50 ou 100 plus grandes entreprises au sein de chaque pays étudié. Ils constatent alors une forte relation positive entre la croissance de la taille des entreprises et la hausse des inégalités salariales dans pratiquement l’ensemble des pays de l’échantillon. L’effet est particulièrement visible aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Or, entre 1986 et 2010, le nombre de travailleurs employés par les 100 plus grandes entreprises du pays a augmenté de 53 % aux Etats-Unis et de 43,5 % au Royaume-Uni [The Economist, 2015]. A un autre extrême, la taille des entreprises n’a pas beaucoup varié dans certains pays comme la Suède, voire elle a même diminué dans certains, comme au Danemark, or les inégalités se sont accrues moins rapidement dans ces pays. Une partie de ce qui est perçu comme une tendance mondiale à un accroissement des inégalités salariales pourrait résulter (du moins en partie) du fait que les plus grandes entreprises emploient une plus large part de travailleurs.

Ainsi, Mueller et ses coauteurs en concluent que la croissance des entreprises, en particulier des plus grandes, contribuerait de deux manières aux inégalités de salaires. D’une part, elle catalyse des facteurs explicatifs qui ne sont pas immédiatement associés à la croissance des entreprises. Par exemple, l’automatisation des tâches de routine pourrait aux inégalités, mais elle ne résulte pas forcément de la croissance des entreprises. Cependant les plus grandes entreprises sont précisément les entreprises les plus susceptibles d’automatiser les tâches de routine, si bien que leur croissance stimule le progrès technique biaisé en défaveur du travail. D’autre part, la croissance des entreprises peut contribuer à accroître les inégalités de salaires via des canaux étroitement associés à la taille de l’entreprise. Par exemple, si les plus grandes entreprises présentent de plus larges écarts entre les salaires au sommet et les salaires au premier échelon, alors la croissance des ces entreprises contribue directement à l’accroissement des inégalités salariales.

 

Références

ACEMOGLU, Daron (2002), « Technical change, inequality, and the labor market », in Journal of Economic Literature, vol. 40.

ACEMOGLU, Daron, & David AUTOR (2011), « Skills, tasks and technologies: Implications for employment and earnings », in Handbook of Labor Economics, vol. 4.

The Economist (2015), « The bigger, the less fair », 13 mars.

MUELLER, Holger M., Paige P. OUIMET & Elena SIMINTZI (2015a), « Wage Inequality and firm growth », NBER, document de travail, n° 20876, janvier.

MUELLER, Holger M., Paige P. OUIMET & Elena SIMINTZI (2015b), « Wage inequality and firm growth », in VoxEU.org, 12 mars.

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