Entre 1983 et 2008, les importations américaines de biens manufacturés ont doublé, tandis que l’emploi des firmes multinationales américaines tripla dans les pays à faible revenu. Une part essentielle de ces dynamiques concerne la Chine. Suite à l’accession de cette dernière à l’OMC en 2001, les exportations chinoises vers les Etats-Unis ont connu un boom. Entre 1983 et 2008, 8 % de l’ensemble des importations américaines sur cette période ont été réalisées en provenance de la Chine. Or, le secteur manufacturé américain abritait 16 millions d’emplois en 2008, contre 22 millions en 1983. Ce sont 2 millions d’emplois additionnels qui ont été supprimé depuis la Grande Récession de 2008. Beaucoup ont ainsi suggéré que la mondialisation et plus particulièrement l’essor de la Chine sur les marchés internationaux ont accentué la désindustrialisation aux Etats-Unis et provoqué une délocalisation des « bons emplois » de l’industrie américaine vers les pays émergents.
Beaucoup des précédentes études qui ont analysé l’impact du commerce international sur le marché du travail américain se sont focalisées sur le commerce des marchandises. Pourtant, la fragmentation de la production et les délocalisations sont susceptibles d’affecter un bien plus large ensemble de travailleurs. La fragmentation aux multinationales de séparer les différentes étapes de la production d’un bien donné en tâches à forte compétence et en tâches à faibles compétences, puis de faire réaliser plusieurs de ces tâches (même les tâches à haute valeur ajoutée) dans les pays où le travail est moins cher. Alors que les importations touchent souvent des secteurs à faible valeur ajoutée (par exemple la production de jouets), l’emploi étranger des multinationales américaines est surtout créé dans les secteurs à forte valeur ajoutée (automobile, électronique, etc.). Ces derniers secteurs ont eu historiquement des taux élevés de syndicalisations et des salaires élevés. Les délocalisations sont donc potentiellement plus dangereuses pour les travailleurs américains car elles réduisent leur pouvoir de négociation. Puisque la menace de délocaliser une usine dans les pays émergents est crédible, la mondialisation peut exercer une pression à la baisse sur les salaires américains et même affecter les travailleurs dont l’emploi n’est pas délocalisé à l’étranger. En outre, les salaires peuvent être tellement réduits par rapport aux normes historiques que beaucoup des travailleurs les plus âgés peuvent être incités à quitter la population active.
Avraham Ebenstein, Ann Harrison, Margaret McMillan et Shannon Phillips (2014) ont constaté de significatives réductions salariales pour les travailleurs américains exposés à la mondialisation, en particulier les travailleurs réalisant des tâches de routine qui peuvent être a priori facilement réalisées à l’étranger. En raison de l’insuffisance de données, ils ne s’étaient toutefois contentés d’étudier que la seule période s’écoulant ente 1983 et 2002.
Dans leur nouvelle analyse, Ebenstein, Harrison et McMillan (2015) parviennent à étendre leurs données jusqu’à l’année 2008, ce qui leur permet de prendre en compte une période marquée par l’accroissement de la pénétration à l’import, l’essor de la Chine et le développement rapide des délocalisations. Ils constatent de significatifs effets de la mondialisation sur le marché du travail américain. En effet, la délocalisation vers les pays à faible salaire et les importations associées à des déclins salariaux pour les travailleurs domestiques. Une hausse de 10 % de l’exposition d’une profession à la concurrence à l’import est associée à une baisse de 2,7 % des salaires réels pour les travailleurs réalisant des tâches de routine. Ebenstein et alii décèlent également un fort impact sur les salaires des délocalisations vers les pays émergents. En effet, une hausse de 10 % de l’exposition spécifique d’une profession à l’emploi étranger dans les pays à faible salaire est associée à une baisse de 0,27 % des salaires des travailleurs réalisant des tâches de routine pour l’ensemble de leur échantillon et presque une baisse de 1 % pour la seule période s’écoulant entre 2000 et 2008. Les salaires des travailleurs peu qualifiés et des travailleurs âgés sont en l’occurrence disproportionnellement affectés par les délocalisations.
Ils suggèrent que la mondialisation a entraîné une réallocation des travailleurs hors des emplois manufacturiers à haut salaire vers d’autres secteurs et d’autres professions. Les reclassements ont peu d’impacts sur les salaires lorsqu’ils sont confinés au secteur manufacturier. Par contre, ils sont associés à de fortes réductions salariales lorsqu’ils conduisent les travailleurs à quitter le secteur manufacturier pour les services.
Les auteurs analysent alors plus finement l'impact de la concurrence chinoise. Les importations en provenance de Chine et les délocalisations à destination de la Chine sont associées à de plus faibles salaires américains. Une hausse de 10 points de pourcentage de la part de marché des entreprises chinoises est associée à une baisse des salaires de 5,6 %.
Au sortir de la Grande Récession, les Etats-Unis présentèrent des taux de chômage élevés et des taux d’activité historiquement faibles ; certains ont relié cette performance du marché du travail américain au vieillissement démographique, mais le rôle que le commerce international a pu joué dans cette dynamique reste imprécis. Ebenstein et ses coauteurs se penchent alors sur les liens entre commerce international, délocalisations et taux d’activité. Ils constatent une corrélation négative entre l’exposition aux délocalisations vers la Chine et le taux d’activité, mais une relation positive entre les taux d’activité et la concurrence chinoise à l’import. Les facteurs associés à l’informatisation et à l’accroissement de l’intensité capitalistique semblent associés bien plus significativement au déclin de l’emploi. Ils constatent de faibles impacts de la mondialisation sur la population active, mais un large impact sur cette dernière de l’informatisation et du prix des biens d’investissement. La chute des prix des biens d’investissement est associée à un plus grand usage du capital ; le plus grand usage des ordinateurs et du capital est associé à un plus faible emploi, à un chômage plus élevé et à de plus faibles taux d’activité.
Références
AUTOR, David H. David DORN & Gordon H. HANSON (2013), « The China syndrome: Local labor market effects of Import Competition in the United States », in American Economic Review, 103(6): 2121-68.
EBENSTEIN, Avraham, Ann HARRISON, Margaret MCMILLAN & Shannon PHILLIPS (2014), « Estimating the impact of trade and offshoring on American workers using the current population surveys », in Review of Economics and Statistics, voL. 96, n° 4, octobre.
EBENSTEIN, Avraham, Ann HARRISON & Margaret MCMILLAN (2015), « Why are American workers getting poorer? China, trade and offshoring », NBER, document de travail, n° 21027, mars.
commenter cet article …