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12 décembre 2014 5 12 /12 /décembre /2014 21:10

En Europe, le taux de chômage des jeunes a fortement augmenté depuis la Grande Récession. En 2007, il était de 15 % en zone euro ; il s’élevait à 23 % au milieu de l’année 2014 (cf. graphique 1). Il a augmenté plus rapidement que le taux de chômage des adultes, mais le nombre absolu de chômeurs adultes reste bien supérieur au nombre absolu de jeunes chômeurs (17 millions contre 3,5 millions en 2013). Le taux NEET (indiquant la part des jeunes travailleurs qui ne sont ni dans l’emploi, ni dans le système éducatif, ni en formation) a également augmenté en zone euro (cf. grpahique 2). Le chômage des jeunes touche avant tout ceux qui n’ont qu’un diplôme de l’enseignement primaire ; la majorité des jeunes embauchés sont diplômés dans l’enseignement secondaire de deuxième cycle ou post-secondaire non supérieur. Les jeunes ne sont pas seulement les plus exposés au chômage ; ils sont également fortement exposés aux emplois précaires. En effet, ils tendent à être embauchés plus fréquemment sur des contrats temporaires et à temps partiel que les adultes.

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source : Banerji et alii (2014)

Tous les pays européens ne présentaient toutefois pas le même niveau de chômage avant la crise ; et le chômage n’a pas évolué de la même manière d’un pays à l’autre. Si l’on regarde l’ensemble de l’Europe, quatre groupes de pays émergent (cf. graphique 3). A un extrême, le taux de chômage des jeunes est resté relativement faible et n’a que modestement augmenté dans ces pays comme l’Autriche et les Pays-Bas, voire a même diminué en Allemagne. Parmi les autres pays, certains (comme l’Irlande et Chypre) ont connu une forte hausse du taux de chômage des jeunes, alors que celui-ci était initialement faible ; d’autres (comme la Belgique, la France, la Finlande et la Suède) avaient un taux de chômage des jeunes élevé avant la crise, mais il n’a que faiblement augmenté suite à celle-ci ; d’autres encore (notamment la Grèce, l’Espagne et l’Italie) ont vu leur taux de chômage des jeunes fortement augmenter lors de la crise alors même qu’il était initialement important. Au final, les pays qui ont le plus été touchés par la crise ont connu les plus fortes hausses du taux de chômage des jeunes : celui-ci s’élevait en moyenne à 43 % en Espagne sur la période 2007-2013.

GRAPHIQUE 3  Variation du chômage des jeunes depuis 2007

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source : Banerji et alii (2014)

Angana Banerji, Rodolphe Blavy, Huidan Lin et Sergejs Saksonovs (2014) ont observé 22 pays avancés d’Europe (18 pays-membres de la zone euro, ainsi que le Danemark, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède) en utilisant les données annuelles de la période s’étalant entre 1980 et 2012. Ces quatre économistes du FMI ont tout d’abord voulu déterminer pourquoi le chômage des jeunes a varié lors de la crise. Ils constatent que l’activité économique a été le plus important déterminant des variations du chômage en Europe. En effet, les variations de la production expliquent en moyenne 50 % des variations des taux de chômage des jeunes et environ 60 % des variations des taux de chômage des adultes parmi tous les pays avancés d’Europe. Dans les pays vulnérables de la zone euro, les variations de la production expliquent environ 70 % de la hausse du taux de chômage des jeunes durant la crise. Ainsi, les pays qui ont connu les plus forts déclins de l’activité économique depuis la crise tendent à être ceux avec les plus fortes hausses des taux de chômage des jeunes. Si l’on exclut de l’analyse les pays les plus affectés par la crise (la Grèce, le Portugal, l’Espagne, la Lettonie et l’Irlande), la croissance de la production explique en moyenne 35 % des variations des taux de chômage des jeunes dans les pays avancés d’Europe et notamment 33 % de celles observées en France. Ces divers résultats confirment l’idée que la loi d’Okun soit restée valide lors de la Grande Récession et qu'elle est pertinente pour expliquer le comportement du chômage des jeunes : il existe une relation négative entre les variations des taux de chômage et la croissance de la production [Ball et alii, 2013]. En outre, lorsque Banerji et ses coauteurs observent plus finement les différentes composantes de la croissance (la consommation, l’investissement et les exportations), les plus forts hausses des taux de chômage sont associées à la faiblesse de la consommation.

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Les taux de chômage des jeunes sont en moyenne trois fois plus sensibles à la croissance de la production que les taux de chômage des adultes. Les jeunes en emploi sont concentrés dans les secteurs qui tendent à être les plus sensibles aux cycles d’affaires (manufacture, ventes de détail, hôtellerie, restauration) ; ces secteurs sont précisément ceux qui ont été les plus affectés par la crise. Les fluctuations de la production n’affectent toutefois pas les taux de chômage de la même manière d’un pays à l’autre. Leur impact est le plus important pour les économies vulnérables de la zone euro : une baisse d’un point de pourcentage de la croissance du PIB est associée à une hausse du taux de chômage des jeunes d’un point de pourcentage en Grèce et au Portugal et de 2 points de pourcentage en Espagne.

Banerji et alii ont ensuite cherché à expliquer le niveau du taux de chômage que les pays européens présentaient à la veille de la crise. Ils constatent que le chômage des jeunes tend à augmenter avec les coûts du travail, le coût d’opportunité du travail (notamment le niveau des prestations sociales, susceptibles d’enfermer les travailleurs dans une trappe à inactivité) et le degré de dualisme du marché du travail ; il tend par contre à diminuer avec le niveau de qualification et les dépenses par chômeur réalisées dans le cadre des politiques activités d’emploi, notamment la formation. Par contre, Banerji et ses coauteurs n’ont pas réussi à déceler une relation statistique significative entre le chômage et la négociation collective ou les réformes menées sur les marchés des biens et services. Au final, le cycle d’affaires et les facteurs spécifiques aux marchés du travail expliqueraient entre 90 et 96 % du niveau du taux de chômage dans chaque pays étudié.

 

Références

BALL, Laurence M., Daniel LEIGH & Prakash LOUNGANI (2013), « Okun’s law: Fit at fifty? », NBER, working paper, n° 18668.

BANERJI, Angana, Huidan LIN, & Sergejs SAKSONOVS (2014), « Youth unemployment in Europe: Okun’s law and beyond », FMI, working paper.

BANERJI, Angana, Rodolphe BLAVY, Huidan LIN & Sergejs SAKSONOVS (2014), « Youth unemployment in advanced economies in Europe: Searching for solutions », FMI, staff discussion note, n° 14/11, décembre.

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23 août 2014 6 23 /08 /août /2014 11:26

Du soulèvement des luddites contre les machines à tisser jusqu’à aujourd’hui, beaucoup ont craint que les machines remplacent les êtres humains pour réaliser les tâches de production. Chaque innovation accroît l’éventail de tâches que les machines sont capables de réaliser, rendant obsolètes tout un ensemble de compétences et les emplois qui leur étaient associés.

Lors de la conférence tenue cette année à Jackson Hole (portant précisément sur le thème le marché du travail), David Autor (2014) s’est à nouveau penché sur les bouleversements de l’emploi provoquées par le progrès technique. Il rappelle qu’au cours de l’histoire, les destructions d’emplois à court terme associées aux hausses de productivité furent finalement (plus que) compensées par d’amples créations d’emplois, non seulement dans les secteurs innovateurs, mais aussi et surtout dans les autres secteurs de l'économie. Pour Autor, il est plus facile de voir les emplois menacés par le progrès technique plutôt que les opportunités ouvertes par ce dernier : beaucoup ont surestimé le potentiel des nouvelles technologies à se substituer aux travailleurs et sous-estimé le potentiel des deux facteurs de production à se révéler complémentaires. Par exemple, au cours du vingtième siècle, la part de la main-d’œuvre employée dans le secteur agricole est passée de 41 à 2 %, notamment en raison des gains de productivité associés à la révolution agricole. Le ratio emploi sur population n'a cessé d'augmenter malgré la diffusion des innovations et l'entrée des femmes sur le marché du travail. Il était difficile pour les agriculteurs du début du vingtième-siècle d’imaginer que si peu de leurs descendants travailleraient dans le secteur agricole ; il leur était encore plus difficile d’imaginer qu’autant de personnes travailleraient aujourd’hui dans la finance, dans la santé, dans l’électronique, dans le divertissement, etc.

La révolution des technologies d’information et de communication ravive aujourd’hui les craintes pour l'emploi. Selon William Nordhaus (2007), le coût associé à la réalisation d’un ensemble de calculs a été divisé par 1700 milliards de fois depuis l’avènement de l’ère informatique. Cette baisse du coût apparaît aux entreprises comme une puissante incitation pour substituer le travail humain relativement cher par une puissance de calcul toujours moins chère. Beaucoup se demandent si le rythme rapide de l’automatisation ne menacerait pas de rendre inutiles les travailleurs d’ici quelques décennies et craignent une « fin du travail ». Pour Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee (2014), les travailleurs seraient en passe de perdre la « course contre les machines » (race against the machine).

Les ordinateurs ont de plus en plus remplacé les travailleurs pour accomplir les « tâches routinières », c’est-à-dire explicites et codifiables. Ces tâches correspondaient à des activités manuelles et cognitives exigeant des compétences intermédiaires. Autor fait toutefois preuve ici d'optimisme en suggérant que la marge de substitution est limitée : les ingénieurs ne peuvent pas programmer un ordinateur pour réaliser un processus qu’ils ne comprennent pas explicitement. Il existe plusieurs tâches que nous comprenons tacitement et accomplissons facilement sans pour autant que nous ne connaissions des « règles » ou procédures explicites. C’est le cas lorsque nous cassons un œuf sur le bord d’un bol, écrivons un paragraphe convaincant ou développons une hypothèse pour expliquer un phénomène incompris pour reprendre les exemples d’Autor. Ce dernier se réfère ici au paradoxe de Polanyi : Michael Polanyi (1966) avait observé que « nous en savons plus que ce que nous pouvons dire ».

Les tâches de travail qui sont les plus susceptibles d’être automatisées sont celles qui suivent des procédures explicites et codifiables ; en l’occurrence, les ordinateurs se révèlent supérieurs aux travailleurs dans la réalisation de ces tâches, que ce soit en termes de rapidité, de qualité, de précision et de rentabilité. Par contre, les tâches qui se révèlent les plus difficiles à être automatisées sont celles exigeant de la flexibilité, une part de jugement et du sens commun, c’est-à-dire des compétences que nous ne comprenons que tacitement. Par conséquent, les ordinateurs peuvent facilement se substituer aux travailleurs pour ce qui concerne les tâches routinières et codifiables, alors que les travailleurs disposent d’un avantage comparatif dans la résolution de problèmes, l’adaptabilité et la créativité. Il en résulte que les entreprises n’auraient alors plus besoin que de travailleurs non qualifiées et de travailleurs très qualifiés pour produire.

Le risque associé à l'informatisation n'est pas celui d'une réduction du nombre d'emplois disponibles, mais plutôt d'une dégradation d'une large part d'entre eux. Et effectivement, le marché du travail américain a connu une polarisation au cours des dernières décennies : les emplois peu qualifiés (donc peu rémunérés) et les emplois très qualifiés (donc très bien rémunérés) ont connu une croissance plus rapide que les emplois exigeant des compétences intermédiaires. Certains ont suggéré que la polarisation du marché du travail et en particulier la croissance d’emplois peu qualifiés intensifs en tâches manuelles pourrait dénoter que l’éducation et le progrès technique ne sont plus complémentaires. Pour Autor, le progrès technique qui a stimulé la demande de main-d’œuvre qualifiée pendant de nombreuses décennies va continuer à le faire au cours des prochaines.

Ces dynamiques ont de profondes répercussions sur la structure des salaires. Même si l’informatisation pourrait accroître la part des emplois dans le travail intensif en tâches manuelles, elle n’est pas susceptible d’accroître rapidement leurs rémunérations en raison de l’absence de fortes complémentarités et de l’abondance potentielle de l’offre la main-d’œuvre. En effet, les travailleurs aux compétences intermédiaires, qui se voient remplacer par des machines, risquent avant tout de grossir les rangs des demandeurs d’emplois peu qualifiés. Par contre, les travailleurs hautement qualifiés, toujours plus recherchés par les entreprises, sont les véritables gagnants des avancées technologiques : puisque leur travail est complémentaire à l’activité des machines, ils bénéficient de salaires élevés. Par conséquent, le progrès technique, fortement biaisé en faveur du travail qualifié, pourrait contribuer à expliquer la hausse des inégalités salariales aux Etats-Unis.

Autor suggère toutefois que la polarisation ne va pas se poursuivre indéfiniment. Même si plusieurs tâches exigeant des compétences intermédiaires sont susceptibles d’être automatisées, beaucoup d’emplois exigeant des compétences intermédiaires amènent le travailleur à réaliser un ensemble de tâches impliquant l’ensemble du spectre des compétences. Autor prend l’exemple des professions de soutien médical (notamment les techniciens en radiologie) qui constituent des emplois moyennement qualifiés et relativement bien rémunérés qui représente non seulement une part significative, mais aussi croissante de l’emploi. Selon Autor, ces emplois vont continuer à se développer car ils exigent des tâches qui ne peuvent pas être facilement automatisées, à moins d’accepter une perte de qualité.

Autor est sceptique à la thèse selon laquelle la dégradation du marché du travail au cours de la dernière décennie serait une conséquence néfaste de l’informatisation. Cette période coïncide en effet avec un ralentissement des investissements dans l’informatique, ce qui amène Autor à rejeter l’idée qu’elle corresponde à nouvelle ère de substitution du travail par le capital. En outre, au cours de la même décennie, l’économie mondiale a connu une forte croissance et les inégalités mondiales ont diminué. Il apparaît alors peut plausible que le progrès technique ait à la fois bénéficié à la majorité des pays tout en pénalisant le pays qui constitue le meneur technologique. Pour Autor, la détérioration du marché du travail américain que l’on a pu observer après 2000 et surtout après 2007 s’explique par d’autres événements macroéconomiques. Le premier d’entre eux est l’éclatement de bulles spéculatives, tout d’abord de la bulle boursière, puis de la bulle immobilière, qui réduisirent l’investissement et l’activité innovatrice. Le second événement est associé à la mondialisation et à l’essor des pays émergents : non seulement les entreprises chinoises ont directement concurrencé les entreprises américaines sur les marchés de biens manufacturés, mais plusieurs autres secteurs dépendaient étroitement de l’activité de ces dernières [Autor et alii, 2013].

 

Références

AUTOR, David H. (2014), « Polanyi’s paradox and the shape of employment growth », conférence tenue à Jackson Hole, 21-23 août.

AUTOR, David H., David DORN & Gordon H. HANSON (2013), « The China syndrome: Local labor market effects of import competition in the United States », in American Economic Review, vol. 103, n° 6.

BRYNJOLFSSON, Erik, & Andrew MCAFEE (2014), Race Against the Machine.

NORDHAUS, William D. (2007), « Two centuries of productivity growth in computing », in Journal of Economic History, vol. 67, n° 1.

POLANYI, Michael (1966), The Tacit Dimension.

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27 mai 2014 2 27 /05 /mai /2014 17:39

La Grande Récession a eu de profondes répercussions sur les marchés du travail des pays avancés et en particulier sur les plus jeunes actifs. Le taux de chômage pour les individus âgés de 16 à 25 a atteint un pic d’environ 20 % aux Etats-Unis et des niveaux encore plus élevés dans plusieurs pays européens : il avoisine 50 % en Grèce et en Espagne. Cette extrême dégradation des marchés du travail a accentué l’intérêt des économistes pour l'analyse des répercussions du cycle d’affaires sur l’entrée dans la vie active et les trajectoires individuelles. 

Les individus entrant sur le marché du travail en période de prospérité économique sont susceptibles d’avoir de meilleurs salaires tout au long de leur carrière que les individus entrant dans la vie active en période de morosité économique. Par exemple, les employeurs peuvent interpréter les périodes de chômage traversées antérieurement par les candidats à une offre d’emploi comme la preuve d’une faible productivité, ce qui les désincite à les embaucher [Gaini et alii, 2012]. Cette effet de stigmatisation est particulièrement prononcé pour les jeunes car ceux-ci n’ont pas d’expérience professionnelle ou très peu. Or les individus qui connaissent de plus fréquentes périodes de chômage en début de carrière accumulent moins d’expérience professionnelle, ce qui pénalise effectivement leur productivité. Plus les travailleurs restent au chômage, plus leurs chances d’être embauchés diminuent en raison des mécanismes d’hystérèse, plus ils risquent de se décourager et de finir par sortir de la vie active. Bref, les conditions conjoncturelles sont susceptibles d’avoir un effet persistant et négatif sur la trajectoire professionnelle : c’est l’« effet cicatrice » (scarring effect). Dans ce contexte, un diplôme est susceptible de réduire la probabilité pour son détenteur de se retrouver au chômage et préserve ainsi ses perspectives de carrière. Les études accroissent la productivité des individus en leur permettant d’accumuler davantage de capital humain et le diplôme apparaît comme un « signal » aux yeux des employeurs, attestant de la productivité de son détenteur. Au final, les entreprises pourraient être plus réticentes à licencier leur main-d’œuvre qualifiée et à embaucher des travailleurs non qualifiés, en particulier lors des périodes de ralentissement conjoncturel.

Philip Oreopoulos, Till von Wachter et Andrew Heisz (2012) ont observé l’impact à long terme des récessions sur les rémunérations en observant les trajectoires scolaires et professionnelles des travailleurs canadiens. Ils constatent qu’obtenir son diplôme lors d’une récession se traduit par des pertes de rémunérations représentant environ 9 % des rémunérations annuelles au cours des premières années. Les chocs initiaux ont en outre des répercussions sur l’ensemble de la carrière. Les travailleurs qui obtiennent leur diplôme au cours d’une récession sont initialement embauchés par des entreprises versant de faibles salaires. Ils recouvrent par la suite une part des pertes salariales en se rapprochant peu à peu des meilleures entreprises. En l’occurrence, les travailleurs qui ont été diplômés lors des récessions tendent à changer plus fréquemment leur emploi que ceux qui ont obtenu leur diplôme en période de prospérité économique. Les diplômés les plus qualifiés (par exemple ceux qui ont au moins deux années d’expérience professionnelle avant l’obtention de leur diplôme) souffrent moins lorsqu’ils entrent sur le marché du travail en période de récession parce qu’ils sont plus rapidement embauchés par les entreprises ayant les plus hauts salaires, tandis que les diplômés les moins qualifiés peuvent être affectés de façon permanente par la récession.

Les ralentissements économiques n’affectent pas seulement la trajectoire professionnelle, mais aussi plusieurs dimensions de la qualité de vie. Durant les récessions, les individus sont davantage susceptibles de souffrir de dépression et de stress, de se suicider et d’adopter des comportements malsains (consommation d’alcool, tabagisme). Cette tendance est d’autant plus pernicieuse qu’elle réduit à nouveau la productivité des travailleurs et donc leur employabilité.

David Cutler, Wei Huang et Adriana Lleras-Muney (2014) ont analysé les données relatives à 31 pays au cours du dernier demi-siècle. Ils confirment qu’un taux de chômage plus élevé lors de l’obtention du diplôme est associé par la suite à un moindre revenu, une moindre satisfaction de vivre, une plus grande obésité, une plus grande consommation d’alcool et de cigarettes. 15 à 70 % des écarts observés d’un pays à l’autre dans ces différentes variables sont susceptibles de s’expliquer par les conditions conjoncturelles prévalant lors de l’obtention du diplôme. Poursuivant leur analyse, David Cutler et ses coauteurs confirment que les effets délétères des récessions sont significativement plus faibles pour les plus diplômés. En d’autres mots, les individus qui obtiennent leur diplôme dans une économie déprimée sont plus enclins à boire et à fumer plus tard au cours de leur vie, mais c’est moins vrai pour les plus diplômés. De plus, les pertes salariales associées aux mauvaises performances du marché du travail sont significativement plus faibles pour les individus les plus éduqués. 

Au vu du chômage qu’elle a généré, la Grande Récession devrait fortement affecter le revenu et la santé des jeunes travailleurs. Au niveau agrégé, l’émergence d’une génération sacrifiée se traduit par un affaiblissement durable de la productivité et finalement du potentiel de croissance de l’économie. Cette perspective devrait d’autant plus inciter les autorités publiques à ramener les chômeurs vers l’emploi que le maintien du chômage à un niveau élevé complique par la suite son reflux en raison des effets d’hystérèse

 

Références

CUTLER, David, Wei HUANG & Adriana LLERAS-MUNEY (2014), « When does education matter? The protective effect of education for cohorts graduating in bad times », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20156, mai.

GAINI, Mathilde, Aude LEDUC et Augustin VICARD (2013), « Peut-on parler de "générations sacrifiées" ? Entrer sur le marché du travail dans une période de mauvaise conjoncture économique », in Economie et Statistique, n° 462-463.

OREOPOULOS, Philip, Till von WACHTER & Andrew HEISZ (2012), « The short- and long-term career effects of graduating in a recession », in American Economic Journal: Applied Economics, vol. 4, n° 1.

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