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26 juillet 2013 5 26 /07 /juillet /2013 12:32

Les théories modernes de la croissance considèrent que le progrès technique constitue le principal déterminant de la croissance à long terme. L’accumulation de capital humain (c’est-à-dire l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences, ainsi que l’amélioration de la santé) améliore alors le potentiel d'une économie en contribuant au progrès technique. Si j’ai déjà exploré le lien entre la santé et la croissance économique dans un précédent billet, je me penche ici sur la relation entre l’éducation et la croissance. En l’occurrence, l’éducation est susceptible de stimuler les performances macroéconomiques en accélérant les gains de productivité et en favorisant l’innovation.

Robert Lucas (1988) a été le premier à considérer l’accumulation de capital humain comme une source décisive de croissance endogène. L’éducation catalyse l’accumulation du capital humain que détient la main-d’œuvre, ce qui stimule la productivité du travail et accélère la croissance économique. Lucas suppose que le rendement marginal du capital humain est constant, car l’efficacité de ce dernier est selon lui cumulative : il est d’autant plus facile d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences que l’on possède déjà un stock de connaissances et compétences. Cette hypothèse permet au modèle de générer une croissance auto-entretenue. De leur côté, Gregory Mankiw, David Romer et David Weil (1992) reprennent le modèle néoclassique de Solow et y intègrent le capital humain comme troisième facteur de production aux côtés du capital physique et du travail. Dans leur modélisation, le capital humain peut faire l’objet d’une accumulation au cours du temps, mais il se caractérise cette fois-ci par des rendements décroissants. Le modèle ne prédit alors pas de croissance économique à long terme. En raison de la décroissance des rendements des facteurs, l’économie tend en effet vers son état régulier ; l’accumulation de capital humain ne fait que ralentir cette convergence. Mankiw et alii suggèrent toutefois que les autorités publiques pourraient assurer une croissance positive à long terme en déployant une politique de soutien à l’éducation qui maintiendrait positif le taux d’accumulation du capital humain [Aghion et Howitt, 2009]. 

Les travaux réalisés par Paul Romer (1990) et par Philippe Aghion et Peter Howitt (1992) ont donné naissance un deuxième ensemble de modèles de croissance endogène, aujourd’hui essentiellement rattachés au paradigme néo-schumpétérien, où la croissance repose fondamentalement sur l’innovation. Le progrès technique contribue à la croissance économique en mettant à disposition des agents économiques de nouvelles variétés de biens et services, en améliorant la qualité de ces derniers et en accroissant la productivité. Puisque l'émergence d’une innovation tient en la création d’une nouvelle idée, ces modèles considèrent que l’éducation a un rôle crucial à jouer dans le processus de destruction créatrice qui est à l'oeuvre au sein de l’économie.

Richard Nelson et Edmund Phelps (1966) ont été les premiers à explorer l’idée que l’accumulation de capital humain contribue au progrès technique. Au niveau microéconomique, l’éducation facilite la diffusion et la transmission des connaissances qui sont nécessaires pour comprendre et traiter de nouvelles informations, ainsi que pour utiliser efficacement les nouvelles technologies conçues par d'autres agents. Au niveau macroéconomique, l’éducation permet aux pays en développement d’amorcer leur rattrapage en leur permettant d’absorber plus rapidement et plus efficacement les technologies produites par les pays avancés. En l’occurrence, plus le pays est éloigné de la frontière technologique, plus les gains tirés de l’éducation sont importants. Jess Benhabib et Mark Spiegel (1994) ont prolongé les travaux de Nelson et Phelps en développant l'idée que des travailleurs plus éduqués innovent plus rapidement. L’éducation accroît alors le potentiel innovateur d’une économie et les nouvelles idées stimulent la croissance économique. Au final, ces modèles suggèrent que l’accumulation de capital humain stimule la croissance en favorisant l’innovation et la diffusion technologique. La capacité d’une économie à innover à la frontière ou à rattraper les pays les plus avancés technologiquement dépendrait en l’occurrence du stock de capital humain dont elle dispose. Les pays en développement qui seraient dénués d’un tel stock de capital humain risquent alors d'être pris au piège dans une trappe à sous-développement.

GRAPHIQUE 1  Croissance et durée de scolarité  

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source : Hanushed et Woessmann (2008)

Les observations empiriques parviennent difficilement à faire apparaître un lien causal entre l'éducation et la croissance. A partir de données concernant 110 pays sur la période s’écoulant de 1960 à 1990, notamment les durées de scolarité, Alan Krueger et Mikael Lindahl (2001) constatent que la croissance économie est significativement corrélée avec le stock de capital humain et les taux d’accumulation du capital humain. Toutefois, ces corrélations disparaissent lorsque l’échantillon est restreint aux seuls pays de l’OCDE. Eric Hanushek et Ludger Woessmann (2008) ont par la suite montré que ce n’est pas la quantité, mais plutôt la qualité de l’éducation qui importe avant tout pour la croissance. Les deux auteurs ont observé les performances scolaires et économiques de 55 pays. Ils utilisent les résultats aux tests PISA pour construire un indicateur mesurant la qualité de l’éducation. Ils confirment que l’association entre le nombre d’années de scolarité et la croissance n'est pas significative (cf. graphique 1.). Toutefois, leur analyse fait apparaître une forte corrélation entre la qualité moyenne de l’éducation et le taux de croissance moyen entre 1960 et 2000 (cf. graphique 2). Par conséquent, si l’allongement de la durée d’études ne semble pas stimuler la croissance, une amélioration des performances aux tests PISA se traduit par contre par de meilleures performances économiques. Ces divers résultats pourraient suggérer que si la durée de scolarité est importante pour le rattrapage des pays en développement sur les pays avancés, il est par contre essentiel d’investir dans la qualité de l’éducation lorsque l’économie est proche de la frontière technologique.

GRAPHIQUE 2  Croissance et qualité de l'éducation  

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source : Hanushed et Woessmann (2008)

Otto Toivanen et Lotta Väänänen (2013) ont récemment cherché à déterminer si l’éducation stimulait l’innovation. De cette manière, leurs travaux éclairent l’un des canaux par lesquels l’accumulation de capital humain influence la dynamique de la croissance économique. Leur analyse se concentre sur la formation en ingénierie en Finlande, d’une part, car les brevets d’invention sont généralement déposés par des ingénieurs et, d’autre part, car la Finlande se distingue des autres économies avancées par sa proportion élevée d’ingénieurs : 27 % de la population en âge de travailler possédant une formation dans l’enseignement supérieur a obtenu un diplôme en ingénierie, alors que ce taux ne s’élève qu’à 15 % au niveau de l’ensemble des pays de l’OCDE. En outre, la Finlande a mis en place des politiques éducatives entre 1950 et 1981 visant à développer les études d’ingénieurs, ce qui constitue aux yeux de Toivanen et Väänänen une expérience naturelle.

Les auteurs montrent tout d’abord que le nombre de brevets que les inventeurs ont déposé aux Etats-Unis est fortement corrélé avec l’essor des études d’ingénieurs. Ils identifient ensuite un impact causal de la formation en ingénierie sur la propension à déposer un brevet. Toivanen et Väänänen réalisent alors une analyse contrafactuelle pour confirmer cette idée et constatent que si la Finlande n’avait pas créé de nouvelles écoles d’ingénieurs après la Seconde Guerre mondiale, le nombre de brevets que les inventeurs finlandais ont déposé aux Etats-Unis aurait été plus faible de 20 %. Leur étude suggère ainsi que l’éducation accroît effectivement le nombre d’inventeurs et stimule par là le potentiel innovateur de l’économie. 

 

Références

AGHION, Philippe, & Peter HOWITT (1992), « A model of growth through creative destruction », in Econometrica, vol. 60, n° 2.

AGHION, Philippe, & Peter HOWITT (2009), The Economics of Growth, MIT Press. Traduction française, Economie de la croissance, Economica.

BENHABIB, Jess, & Mark M. SPIEGEL (1994), « The role of human capital in economic development: Evidence from aggregate cross-country data », in Journal of Monetary Economics, vol. 34, n° 2.

HANUSHEK, Eric A., & Ludger WOESSMANN (2008), « The role of cognitive skills in economic development », in Journal of Economic Literature, vol. 46, n° 3.

KRUEGER, Alan B., & Mikael LINDAHL (2001), « Education for growth: Why and for whom? », in Journal of Economic Literature, vol. 39, n° 4.

LUCAS, Robert (1988), « On the mechanics of economic development », in Journal of Monetary Economics, vol. 22, n° 1. 

MANKIW, N. Gregory, David ROMER, & David N. WEIL (1992), « A contribution to the empirics of economic growth », in Quarterly Journal of Economics, vol. 107, n° 2.

NELSON, Richard R., & Edmund PHELPS (1966), « Investment in humans, technology diffusion, and economic growth », in American Economic Review, vol. 56, n° 2.

ROMER, Paul (1990), « Endogenous technical change », in Journal of Political Economy, vol. 98, n° 5.

TOIVANEN, Otto, & Lotta VÄÄNÄNEN (2013)« Education and invention », CEPR discussion paper, n° 8537, juin.

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