Les échanges internationaux de biens et services ont explosé dans les années 1990 et 2000, alimentés en particulier par les exportations de produits en provenance de pays à bas coûts, en premier lieu de la Chine. Cela ne s’est pas traduit que par des gains, en termes de pouvoir d’achat et de diversité des produits par exemple, pour les populations [Dorn et Levell, 2021]. La plus forte concurrence à l’importation a significativement contribué au déclin de l’emploi industriel aux Etats-Unis [Autor et alii, 2013]. Même si, dans le sillage de la crise financière mondiale, la vague d’hypermondialisation s’est essoufflée et la part des produits asiatiques, notamment chinois, dans les importations américains a atteint un plateau, les effets du « choc chinois » sur l’emploi américain se sont révélés être particulièrement durables [Autor et alii, 2021]. Si la majorité de la population américaine est restée favorable au libre-échange, ce dernier a suscité des crispations croissantes dans les débats politiques aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie. C'est un candidat au discours protectionniste qui gagne les élections présidentielles en 2016, avec notamment pour programme de « ramener des emplois en Amérique ».
GRAPHIQUE 1 Exposition aux droits de douane sur les importations
Début 2018, l’administration Trump a commencé à fortement relever les taxes douanières sur des importations en provenance de Chine et de quelques autres pays. Ces mesures protectionnistes ont déclenché une véritable guerre commerciale : les pays ciblés par l’administration Trump ont relevé en représailles leurs droits de douane sur leurs importations de produits américains, en particulier les produits agricoles, et les Etats-Unis ont réagi en adoptant de nouvelles mesures à l’égard des premiers. En deux ans, les droits de douane américains sur les importations de produits chinoises sont passés en moyenne de 3,1 % à 21,0 %, tandis que les droits de douane chinois sur les importations de produits américains sont passés en moyenne de 8,0 % à 21,8 %. L’administration Trump a fortement accru les subventions publiques au secteur agricole pour atténuer l’effet des représailles étrangères sur celui-ci. Après deux ans, la guerre commerciale a cessé d’escalader avec la signature d’un accord entre les Etats-Unis et la Chine conclu en janvier 2020.
GRAPHIQUE 2 Exposition aux représailles étrangères
Les hausses de droits de douane, en particulier celles adoptées en représailles par les autres pays, n’ont pas ciblé n’importe quels produits (cf. graphiques 1 et 2). Fajgelbaum et alii (2020) estiment que les secteurs les plus exposés aux droits de douane de l’administration Trump et aux représailles étrangères ont eu tendance à se concentrer sur les régions dirigées par des élus républicains. De leur côté, Thiemo Fetzer et Carlo Schwarz (2021) et Sung Eun Kim et Yotam Margalit (2021) estiment que les représailles chinoises ont été conçues de façon à infliger des dommages au parti républicain. Quant aux subventions publiques, ce sont bien les régions les plus agricoles qui en ont le plus bénéficié (cf. graphique 3).
GRAPHIQUE 3 Subventions agricoles par tête
Les analyses empiriques ont suggéré que la guerre commerciale a détérioré la situation économique des Etats-Unis [Amiti et alii, 2019 ; Fajgelbaum et alii, 2020 ; Cavallo et alii, 2021 ; Flaaen et alii, 2021]. Dans une nouvelle étude, David Autor, Anne Beck, David Dorn et Gordon Hanson (2024) concluent que la guerre commerciale n’a pas aidé le « cœur » des Etats-Unis. En effet, les droits de douane sur les importations de biens étrangers n’ont ni augmenté, ni réduit l’emploi dans les secteurs nouvellement protégés. En revanche, les droits de douane adoptés en représailles par les autres pays ont eu un impact clairement négatif sur l’emploi, en particulier dans le secteur agricole. Ces effets négatifs n’ont été qu’en partie atténués par les subventions publiques adoptées par l’administration Trump pour les contrer.
Plusieurs travaux ont également cherché à identifier les répercussions politiques de la guerre commerciale aux Etats-Unis. D’un côté, Olga Chyzh et Robert Urbatsch (2020), Sung Eun Kim et Yotam Margalit (2021) et Emily Blanchard et alii (2024) constatent que celle-ci a fait perdre des voix aux républicains lors des élections de mi-mandat. De l’autre, James Lake et Jun Nie (2022) et Jaerim Choi et Sunghun Lim (2023) estiment qu’elle a fait gagné des voix aux républicains lors de l’élection présidentielle de 2020.
Autor et ses coauteurs concluent pour leur part que les résidents des régions les plus exposées aux droits de douane ont été moins susceptibles de s’identifier comme démocrates, davantage susceptibles de réélire Donald Trump en 2020 et davantage susceptibles de voter républicain pour le Congrès. Certes, Autor et ses coauteurs vont dans le sens de Kim et Margalit (2021) et Blanchard et alii (2024) en concluant que les mesures de représailles des autres pays ont en soi érodé le soutien en faveur des républicains, mais ils estiment que les droits de douane et les subventions publiques de l’administration Trump (bien que peu efficaces d’un point de vue économique) ont davantage renforcé ce soutien, si bien que l’effet net sur celui-ci a été positif. En outre, ils notent que ces gains électoraux se sont concentrés dans les régions qui ont le plus subi l’intensification de la concurrence chinoise et dont les secteurs ont par la suite été les plus protégés par les mesures protectionnistes de l’administration Trump.
Références