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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 12:45

Avec la forte hausse de l’inflation amorcée en 2021, dans le sillage de la pandémie de Covid-19, les banques centrales ont amorcé un cycle de resserrement monétaire (cf. graphique 1). Il s’agit en l’occurrence du resserrement le plus puissant et le plus synchronisé au niveau mondial que l’on ait pu observer depuis une quarantaine d’années ; il met fin, dans les pays développés, à une longue période de taux d’intérêt extrêmement faibles. Dans beaucoup de pays, les taux d’inflation ont atteint un pic en 2022 et  déclinent depuis. L’une des questions est de savoir dans quelle mesure ce resserrement a contribué à cette désinflation ; la littérature suggère que les effets de la politique monétaire sur l’activité économique se manifestent après des « délais longs et variables ». En revanche, les prix des actifs réagissent plus rapidement à la politique monétaire. En l’occurrence, il semble que le resserrement des politiques monétaires ait entraîné un retournement sur les marchés de l’immobilier.

GRAPHIQUE 1  Taux directeurs des banques centrales (médianes, en %)

Comment la politique monétaire affecte les marchés de l’immobilier

La crise financière mondiale avait été marquée par une chute des prix de l’immobilier dans plusieurs pays développés (cf. graphique 2). Ceux-ci ont toutefois rapidement renoué avec leur hausse et cette dernière s’est accélérée dans le sillage de la pandémie de Covid-19, notamment sous l’effet de l’extrême faiblesse des taux d’intérêt. Avant le récent resserrement des politiques monétaires, les taux d’intérêt effectif sur les prêts immobiliers avaient atteint dans de nombreux pays leur plus bas niveau depuis plusieurs décennies. Le resserrement monétaire a marqué un tournant dans la dynamique des prix de l’immobilier : ils ont eu tendance à stagner dans les pays émergents et en développement et à baisser dans les pays développés.

GRAPHIQUE 2  Prix nominaux des logements (médianes, en indices, base 100 en 2005)

Comment la politique monétaire affecte les marchés de l’immobilier

La dynamique des prix de l’immobilier n’est pas sans importance macroéconomique. En effet, la consommation des ménages et les activités immobilières représentent ensemble environ 70 % du PIB dans la plupart des pays. Les logements constituent le principal actif du patrimoine des ménages. Ces derniers s’endettent avant tout pour accéder à l’immobilier et, lorsqu’ils utilisent un actif comme collatéral pour emprunter, il s’agit souvent de leur logement. La dette des ménages a d’ailleurs fortement augmenté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale [Jordà et alii, 2016a ; Jordà et alii, 2016b]. En conséquence, la dette des ménages et la dette immobilière jouent un rôle clé dans les cycles macroéconomique et financier [Jordà et alii, 2015 ; Mian et alii, 2017 ; Jordà et alii, 2016a]. Ce fut singulièrement le cas lors de la crise du crédit subprime aux Etats-Unis en 2007 : c’est notamment au travers de l'endettement immobilier des ménages que les déséquilibres menant à la crise se sont accumulés et l’effondrement immobilier a été le principal vecteur de la récession qui s’ensuivit. Et la politique monétaire avait joué un rôle déterminant dans cette dynamique : les faibles taux d'intérêt de la Réserve fédérale au début des années 2000 ont alimenté le boom immobilier, avant que le resserrement monétaire qu'elle opéra de 2004 à 2006 ne rende insoutenable l'endettement des ménages.

Dans les dernières Perspectives de l’économie mondiale du FMI, Mehdi Benatiya Andaloussi, Nina Biljanovska, Alessia De Stefani, Rui Mano (2024a, 2024b) se sont donc interrogés sur la transmission de la politique monétaire sur les marchés de l’immobilier et du crédit immobilier dans un large ensemble de pays. 

La politique monétaire est susceptible d’affecter la consommation des ménages et l’investissement résidentiel via plusieurs « canaux immobiliers » :

1. Le canal du taux d’intérêt (interest-rate channel) et le canal du crédit (credit channel). Si la banque centrale baisse ses taux d’intérêt, les banques commerciales tendront également à baisser les leurs et elles seront plus enclines à prêter, notamment aux ménages désireux d’acquérir un logement. La baisse même des taux d’intérêt incite les ménages à emprunter davantage. La consommation et l’investissement résidentiel devraient s’en trouver stimulés. Inversement, la hausse des taux directeurs amène les banques à relever leurs taux, ce qui incite les ménages à retarder l’achat d’un logement.

2. Le canal des liquidités (cash-flow channel). La hausse des taux directeurs déprime directement la consommation des propriétaires ayant des crédits à taux variable qui ne peuvent pas facilement emprunter. Ce canal opère aussi dans les pays où les prêts sont souvent à taux fixe si le refinancement est coûteux, mais seulement dans le cas d’une baisse des taux directeurs : le refinancement permet aux ménages de réduire leurs paiements hypothécaires et de dépenser davantage. Ce canal est susceptible d’être plus puissant quand une grande proportion des prêts hypothécaires est à taux variable et si la dette des ménages est importante.

3. Le canal des anticipations (expectations channel). Si les ménages pensent que les prix de l’immobilier continuent à augmenter, cela aura tendance à alimenter la demande courante de logements, donc à pousser les prix de l’immobilier à la hausse ; inversement, lorsque les ménages pensent que les prix des logements vont baisser dans le futur, ils tendent à réduire leur demande de logements, ce qui pousse à la baisse le prix de ces derniers. Ce canal est susceptible d’être plus puissant dans les territoires où les prix de l’immobilier ont fortement augmenté et où ils sont surévalués. 

4. Le canal du patrimoine (wealth channel). Si les prix de l’immobilier augmentent, cela entraîne un effet de richesse positif : se sentant plus riches, les ménages sont incités à consommer davantage. Inversement, une baisse des prix de l’immobilier entraîne un effet de richesse négatif : les ménages réduisent leur consommation. 

5. Le canal du collatéral (collateral channel). Ce canal apparaît lorsque les ménages utilisent le logement comme collatéral pour emprunter. Dans ce cas, si les prix des logements baissent, les collatéraux perdent en valeur, si bien que les ménages peuvent moins emprunter, ce qui déprime la consommation et l’investissement résidentiel ; c'est ce qu'on appelle l'« accélérateur financier ». Ce canal est susceptible d’être plus puissant dans les pays où les ménages sont très endettés et où les limitations des ratios prêts sur valeur sont souples, dans la mesure où les propriétaires peuvent alors utiliser leur logement comme collatéral pour emprunter davantage.

Benatiya Andaloussi et ses coauteurs observent que les canaux de transmission de la politique monétaire aux marchés immobiliers ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Cela tient notamment aux différences dans les caractéristiques mêmes des marchés de l’immobilier : la politique monétaire affecte davantage les marchés de l’immobilier dans les pays où l’offre de logements est la plus restreinte et où les prix ont été récemment surévalués.

Les différences dans les canaux immobiliers de la politique monétaire tiennent aussi aux différences entre les marchés de prêts immobiliers : la part des prêts à taux fixe dans l’ensemble des prêts immobiliers, est quasiment nulle au Chili et en Afrique du Sud, mais proche de 100 % en Allemagne, en France  et aux Etats-Unis ; la dette des ménages représente moins de 50 % du PIB dans certains pays, souvent émergents, mais plus de 200 % du PIB dans d’autres, notamment en Corée du Sud, aux Pays-Bas, en Suisse et dans les pays scandinaves ; les ratios prêts sur valeur sont limités à 45 % en Corée du Sud, mais à 100 %, voire plus, en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. Or, la politique monétaire affecte davantage les marchés de l’immobilier dans les pays où les prêts à taux variable constituent une grande part des prêts immobiliers, où les ménages sont les plus endettés et où les ratios prêts sur valeur sont les plus souples. 

Benatiya Andaloussi et ses coauteurs notent que plusieurs changements récents, touchant les marchés immobiliers et les marchés du crédit, ont pu modifier les canaux immobiliers de la politique monétaire. Dans beaucoup de pays, suite à la crise financière mondiale de 2008 et à la pandémie de Covid-19 en 2020, la part des prêts à taux variable dans l’ensemble des prêts immobiliers a eu tendance à diminuer, les ratios prêts sur valeur ont été resserrés et les populations ont eu tendance à s’éloigner des zones où l’offre de logements est la plus contrainte. Par conséquent, les canaux de transmission de la politique monétaire aux marchés immobiliers pourraient s’être affaiblis.

L’éventuel affaiblissement des canaux immobiliers de la politique monétaire pourrait contribuer à expliquer pourquoi les économies sont restées, du moins jusqu’à présent, relativement résilientes face aux resserrements monétaires. Benatiya Andaloussi et ses coauteurs mettent toutefois en garde contre les risques d’un maintien de politiques monétaires restrictives : avec la révision des taux sur les prêts immobiliers, la transmission de la politique monétaire pourrait soudainement s’accélérer, augmentant le risque de crise financière et de décrochage de la consommation. 

 

Références

BENATIYA ANDALOUSSI, Mehdi, Nina BILJANOVSKA, Alessia DE STEFANI & Rui MANO (2024a), « Feeling the pinch? Tracing the effects of monetary policy through housing markets », in FMI, World Economic Outlook: Steady but Slow: Resilience amid Divergence, chapitre 2.

BENATIYA ANDALOUSSI, Mehdi, Nina BILJANOVSKA, Alessia DE STEFANI & Rui MANO (2024b), « Housing is one reason not all countries feel same pinch of higher interest rates », FMI, blog, 8 avril.

JORDÀ, Oscar, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2015), « Betting the house », in Journal of International Economics, vol. 96.

JORDÀ, Oscar, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2016a), « The great mortgaging: Housing finance, crises and business cycles », in Economic Policy, vol. 31, n° 85.

JORDÀ, Oscar, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2016b), « Macrofinancial history and the new business cycle facts », in NBER Macroeconomics Annual 2016.

MIAN, Atif R., Amir SUFI & Emil VERNER (2017), « Household debt and business cycles worldwide », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 132, n° 4.

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