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16 février 2021 2 16 /02 /février /2021 16:03
Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

Il y a bientôt un an, la contraction de l’activité économique associée à la pandémie a mis un terme à la plus longue expansion de l’économie américaine qui ait enregistrée. Cette expansion s’était amorcée il y a un peu plus d’une décennie suite à la crise financière et à la Grande Récession que celle-ci avait provoquée. Jay Shambaugh et Michael Strain (2021) viennent de dresser le bilan de cette reprise en se focalisant spécifiquement sur le marché du travail.

GRAPHIQUE 1  Evolution de l’emploi au cours du cycle d’affaires aux Etats-Unis (en indices, base 100 le premier mois de la récession)

Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

source : Shambaugh et Strain (2021)

L’éclatement d’une bulle immobilière, l’effondrement boursier et les difficultés du secteur bancaire avaient fait basculer fin 2007 l’économie américaine dans la plus grave récession qu’elle ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Sur une base annuelle, l’économie américaine s’était alors davantage contractée que lors de la Grande Dépression. 8,7 millions d’emplois furent détruits au cours des deux années qui suivirent le début de la récession (cf. graphique 1), le taux de chômage augmenta de 5,3 points de pourcentage, amenant jusqu’à un actif sur dix à se retrouver au chômage, et le taux d’activité baissa fortement (cf. graphique 2).

GRAPHIQUE 2  Taux d’activité des 25-54 ans aux Etats-Unis (en %)

Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

source : Shambaugh et Strain (2021)

La Grande Récession prit officiellement fin durant l’été 2009. La reprise qui s’ensuivit fut marquée par une faible croissance de la productivité et une croissance de la production plus lente que ce que beaucoup avaient anticipé. Elle mit plusieurs années à éliminer le chômage conjoncturel tant elle fut lente et que la récession avait été sévère (cf. graphique 3). Shambaugh et Strain rappellent que plusieurs facteurs ont contribué a freiné la reprise. Tout d’abord, le chômage conjoncturel provoqué par la précédente récession, celle de 2001, n’avait peut-être pas été totalement résorbé lorsque l’économie américaine bascula dans la Grande Récession. Ensuite, la récession, synchrone à une crise financière, a été précédée d’une forte hausse de l’endettement des ménages et d’une accumulation d’amples déséquilibres sur les marchés financiers et les marchés immobiliers. Il fallut du temps pour que ces déséquilibres se résorbent et notamment pour que les ménages se désendettent. Enfin, les politiques conjoncturelles n’ont pas été assez expansionnistes. D’un côté, la politique monétaire a rapidement été contrainte par la borne inférieure zéro (zero lower bound). De l’autre, la politique budgétaire a certes été expansionniste lors de la Grande Récession, mais elle est rapidement devenue restrictive une fois la reprise amorcée [Fatás et Mihov, 2013].

GRAPHIQUE 3  Ecart entre le taux de chômage et le taux de chômage naturel (en points de %)

Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

source : Shambaugh et Strain (2021), d’après les estimations du CBO

Mais parce qu’elle a été régulière et longue, l’expansion qui suivit la Grande Récession inclut la plus longue période de créations d’emplois qui ait été enregistrée. Celle-ci s’est étalée sur 113 mois consécutifs, allant d’octobre 2010 au mois de mars 2020, lorsque la pandémie de Covid-19 provoqua une nouvelle contraction de l’activité économique. 

Shambaugh et Strain distinguent plusieurs phases au cours de cette reprise et notent que les différentes catégories de travailleurs n’ont pas été affectées de la même façon au cours de chacune d’entre elles. Au début de l’expansion, les taux de chômage restaient très élevés, les taux d’activité continuaient de baisser et la croissance des salaires était très lente. Beaucoup craignaient une « reprise sans emploi » (jobless recovery) et redoutaient que le chômage provoqué par la Grande Récession se soit transformé en chômage structurel, mais la faiblesse de la croissance des salaires et de l’inflation suggérait, comme d’autres éléments, qu’une part substantielle du chômage restait de nature conjoncturelle [Lazear et Spletzer, 2012]. A partir de 2014, les salaires commencèrent à croître plus vite à la médiane (cf. graphique 4). A partir de 2015, le taux d’activité des 25-54 ans commença à son tout à s’accroître. Au cours des cinq dernières années de l’expansion, la croissance des salaires s’est accélérée en bas de la répartition des salaires et est apparue plus rapide qu’en haut de la répartition. Les taux d’emploi des travailleurs les moins diplômés grimpèrent bien au-delà de leur niveau d’avant-crise que ne le firent ceux des travailleurs diplômés du supérieur.

GRAPHIQUE 4  Croissance des salaires horaires réels à divers centiles aux Etats-Unis (en %)

Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain

source : Shambaugh et Strain (2021)

Finalement, l’emploi et le taux d'activité des 25-54 ans finirent par dépasser leur niveau d’avant-crise et le taux de chômage par se retrouver en-deçà du sien. L’ensemble du cycle d’affaires, comprenant la récession et la subséquente reprise, qui s’amorça en décembre 2007 a constitué l’une des meilleures périodes pour la croissance des salaires réels depuis plusieurs décennies. L’essentiel de cette croissance s’est réalisée pendant les toutes dernières années et c’est au cours de celles-ci qu’elle s’est généralisée à l’ensemble de la distribution des salaires.

Shambaugh et Strain concluent leur analyse en avançant plusieurs raisons qui les amènent à se montrer optimistes pour la reprise de l’économie américaine consécutive à l’actuelle récession. Tout d’abord, la contraction de l’activité économique associée à l’épidémie de Covid-19 a eu lieu en l’absence de déséquilibres préexistants et elle n’a, pour l’heure, pas été associée à une réelle crise financière. De plus, l’économie américaine s’est retrouvée en récession en ayant résorbé le chômage provoqué par la précédente récession, ce qui n’était peut-être pas tout à fait le cas lorsqu’elle avait basculé dans la Grande Récession. 

Enfin, Shambaugh et Strain appellent à ne pas hésiter à utiliser des politiques budgétaire et monétaire agressives lors des récessions. Tout au long de la reprise qui suivit la Grande Récession, beaucoup s’étaient inquiétés à l’idée que des effets d’hystérèse aient rendu permanente une partie de la hausse du chômage provoquée par la crise financière et que la reprise ne soit rapidement contrainte par l’offre, remettant en cause la stabilité des prix ; le fait que le taux de chômage ait finit par descendre en-deçà de son niveau d’avant-crise et que le taux d’activité ait presque rejoint le sien, sans générer une significative inflation, vient suggérer que de tels effets d’hystérèse ne se sont guère manifestés. D’autre part, ce n’est que lorsque le taux de chômage s’est rapproché de son niveau d’avant-crise que la croissance des salaires s’est accélérée et qu’elle s’est transmise au bas de la répartition des salaires. Un marché du travail sous tensions s’est révélé être favorable aux salaires et à l’égalité salariale sans nuire à l’emploi.

 

Références

FATAS, Antonio, & Ilian MIHOV (2013), « Recoveries », document présenté lors de la 57ième conférence « Fulfilling the full employment mandate », Réserve fédérale de Boston, 13 avril.

LAZEAR, Edward P., & James R. SPLETZER (2012), « The United States labor market: Status quo or a new normal? », NBER working paper, n° 18386.

SHAMBAUGH, Jay C., & Michael R. STRAIN (2021), « The recovery from the Great Recession: A long, evolving expansion », IZA, discussion paper, n° 14017.

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