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15 décembre 2013 7 15 /12 /décembre /2013 18:43

La baisse des prix observée sur les marchés immobiliers américains à partir de 2006 a profondément déstabilisé le système financier l’année suivante, avant de faire basculer les Etats-Unis et l’économie mondiale dans la récession en 2008. Un déclin des prix d’actifs (par exemple, l’éclatement d’une bulle immobilière ou boursière) entraîne une chute cumulative du crédit, de l’investissement et de la production. Dans le cas de la récente crise immobilière, ce sont avant tout les ménages qui furent affectés par la baisse des prix, notamment car ils se sont endettés pour acquérir leur logement. Ils ont alors fortement baissé leurs dépenses pour se désendetter et réduit par conséquent les débouchés pour les entreprises. La baisse des prix d’actifs est d’autant plus dommageable à l’activité qu’elle déstabilise également le système financier : avec la baisse du prix des actifs qu’elles possèdent et la multiplication des défauts de paiement de leurs clients, les banques rationnent le crédit et sont davantage susceptibles de faire faillite, ce qui amplifie la contraction de l’activité. 

Par conséquent, les autorités publiques ont cherché à soutenir les prix de l’immobilier, notamment à travers un assouplissement sans précédents de la politique monétaire. Leur hausse est susceptible d’améliorer les bilans des ménages et de les inciter à consommer via les effets de richesse. Face à une plus forte demande, les entreprises sont de leur côté incitées à investir et à embaucher davantage, ce qui stimule à nouveau la demande et consolide la reprise. En outre, cette nécessité d’accroître les prix immobiliers apparaît d’autant plus impérieuse que les pays avancés semblent être confrontés depuis quelques décennies à une « stagnation séculaire » pour reprendre les termes de Larry Summers, soit en d’autres termes un déficit chronique de demande global. Dans ce contexte, peut-être qu’aujourd’hui seules les bulles sont susceptible de générer suffisamment de demande pour ramener et maintenir les économies avancées au plein emploi.

Le cycle des prix d’actifs et ses répercussions sur l’économie ont été modélisés à plusieurs reprises, notamment par Ben Bernanke et Mark Gertler (1989) à travers le concept d’accélérateur financier ou encore par Nobuhiro Kiyotaki et John Moore (1997). Si ces auteurs rendent compte des coûts macroéconomiques associés à l’effondrement des prix d’actifs, ils considèrent par contre leur hausse comme favorable à l’investissement productif. En effet, la théorie suggère plusieurs canaux à travers lesquels une hausse des prix d’actifs influence l’investissement. Par exemple, les problèmes d’aléa moral limitent le montant de crédit que peuvent emprunter les entreprises, puisque les banques sont réticentes à prêter si elles ne sont pas convaincues que l’emprunteur utilisera le crédit à un autre usage que celui annoncé. Pour inciter les banques à leur accorder un crédit, les entrepreneurs peuvent mettre leur propre argent en jeu ou utiliser les actifs de l’entreprise comme collatéraux, auquel cas la hausse de leur prix augmentera la capacité d’emprunt de l’entreprise et lui permettra d’accroître ses dépenses d’investissement. Comme les banques détiennent également des actifs, la hausse de leurs prix les incite d’autant plus à prêter. De tels modèles suggèrent ainsi qu’une bulle immobilière est susceptible de stimuler l’investissement en incitant les banques à prêter davantage.

C’est précisément cette idée que Indraneel Chakraborty, Itay Goldstein et Andrew MacKinlay (2013) remettent en cause. Selon eux, la hausse des prix d’actifs est susceptible de dégrader l’investissement productif via des effets d’éviction. Par exemple, la hausse du prix de l’immobilier va conduire à allouer des ressources matérielles, financières et humaines à des usages autres que productifs. Pour arriver à cette conclusion, les auteurs considèrent la période comprise entre 1988 et 2006 et observent l’impact de la bulle immobilière sur l’ensemble de l’économie. Ils constatent que les banques présentes dans les secteurs immobiliers les plus dynamiques tendent à accorder davantage de prêts hypothécaires, mais aussi à réduire les prêts commerciaux. Les entreprises qui empruntent auprès de ces banques investissent significativement moins que les autres.

Ces résultats amènent Chakraborty et ses coauteurs à nuancer l’idée qu’il faille aujourd’hui soutenir la hausse des prix de l’immobilier pour accélérer la reprise de l’activité. Si cette hausse est susceptible d’inciter les ménages à dépenser davantage, elle détériore également les capacités d’emprunt des entreprises, ce qui contraint fortement l’investissement productif. Les bulles ne conduisent donc pas à stimuler la croissance potentielle des économies, mais peut-être au contraire à la dégrader. La récurrence des bulles ces dernières décennies pourrait alors offrir une explication (tout du moins partielle) à la grande stagnation et à la tendance baissière que certains auteurs comme Antonio Fatás (2013a, b) ou Martin Wolf (2013) ont décelée dans l’investissement. De ce point de vue, il apparaît peu désirable de chercher à alimenter des bulles pour ramener l’économie au plein emploi, puisqu’elles contribuent précisément à maintenir les économies dans la stagnation séculaire. 

 

Références

BERNANKE, Ben S., & Mark GERTLER (1989), « Agency costs, net worth, and business fluctuations », in American Economic Review, vol. 79.

CHAKRABORTY, Indraneel, Itay GOLDSTEIN & Andrew MACKINLAY (2013), « Do asset price bubbles have negative real effects? », document de travail, 5 novembre.

FATÁS, Antonio (2013a), « Bubbles, interest rates and full employment », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 19 novembre.

FATÁS, Antonio (2013b), « Saving glut or investment dearth? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 22 novembre.

KIYOTAKI, Nobuhiro, & John MOORE (1997), « Credit cycles », in Journal of Political Economy, vol. 105.

WOLF, Martin (2013), « Why the future looks sluggish », in Financial Times, 19 novembre.

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