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27 mai 2014 2 27 /05 /mai /2014 17:39

La Grande Récession a eu de profondes répercussions sur les marchés du travail des pays avancés et en particulier sur les plus jeunes actifs. Le taux de chômage pour les individus âgés de 16 à 25 a atteint un pic d’environ 20 % aux Etats-Unis et des niveaux encore plus élevés dans plusieurs pays européens : il avoisine 50 % en Grèce et en Espagne. Cette extrême dégradation des marchés du travail a accentué l’intérêt des économistes pour l'analyse des répercussions du cycle d’affaires sur l’entrée dans la vie active et les trajectoires individuelles. 

Les individus entrant sur le marché du travail en période de prospérité économique sont susceptibles d’avoir de meilleurs salaires tout au long de leur carrière que les individus entrant dans la vie active en période de morosité économique. Par exemple, les employeurs peuvent interpréter les périodes de chômage traversées antérieurement par les candidats à une offre d’emploi comme la preuve d’une faible productivité, ce qui les désincite à les embaucher [Gaini et alii, 2012]. Cette effet de stigmatisation est particulièrement prononcé pour les jeunes car ceux-ci n’ont pas d’expérience professionnelle ou très peu. Or les individus qui connaissent de plus fréquentes périodes de chômage en début de carrière accumulent moins d’expérience professionnelle, ce qui pénalise effectivement leur productivité. Plus les travailleurs restent au chômage, plus leurs chances d’être embauchés diminuent en raison des mécanismes d’hystérèse, plus ils risquent de se décourager et de finir par sortir de la vie active. Bref, les conditions conjoncturelles sont susceptibles d’avoir un effet persistant et négatif sur la trajectoire professionnelle : c’est l’« effet cicatrice » (scarring effect). Dans ce contexte, un diplôme est susceptible de réduire la probabilité pour son détenteur de se retrouver au chômage et préserve ainsi ses perspectives de carrière. Les études accroissent la productivité des individus en leur permettant d’accumuler davantage de capital humain et le diplôme apparaît comme un « signal » aux yeux des employeurs, attestant de la productivité de son détenteur. Au final, les entreprises pourraient être plus réticentes à licencier leur main-d’œuvre qualifiée et à embaucher des travailleurs non qualifiés, en particulier lors des périodes de ralentissement conjoncturel.

Philip Oreopoulos, Till von Wachter et Andrew Heisz (2012) ont observé l’impact à long terme des récessions sur les rémunérations en observant les trajectoires scolaires et professionnelles des travailleurs canadiens. Ils constatent qu’obtenir son diplôme lors d’une récession se traduit par des pertes de rémunérations représentant environ 9 % des rémunérations annuelles au cours des premières années. Les chocs initiaux ont en outre des répercussions sur l’ensemble de la carrière. Les travailleurs qui obtiennent leur diplôme au cours d’une récession sont initialement embauchés par des entreprises versant de faibles salaires. Ils recouvrent par la suite une part des pertes salariales en se rapprochant peu à peu des meilleures entreprises. En l’occurrence, les travailleurs qui ont été diplômés lors des récessions tendent à changer plus fréquemment leur emploi que ceux qui ont obtenu leur diplôme en période de prospérité économique. Les diplômés les plus qualifiés (par exemple ceux qui ont au moins deux années d’expérience professionnelle avant l’obtention de leur diplôme) souffrent moins lorsqu’ils entrent sur le marché du travail en période de récession parce qu’ils sont plus rapidement embauchés par les entreprises ayant les plus hauts salaires, tandis que les diplômés les moins qualifiés peuvent être affectés de façon permanente par la récession.

Les ralentissements économiques n’affectent pas seulement la trajectoire professionnelle, mais aussi plusieurs dimensions de la qualité de vie. Durant les récessions, les individus sont davantage susceptibles de souffrir de dépression et de stress, de se suicider et d’adopter des comportements malsains (consommation d’alcool, tabagisme). Cette tendance est d’autant plus pernicieuse qu’elle réduit à nouveau la productivité des travailleurs et donc leur employabilité.

David Cutler, Wei Huang et Adriana Lleras-Muney (2014) ont analysé les données relatives à 31 pays au cours du dernier demi-siècle. Ils confirment qu’un taux de chômage plus élevé lors de l’obtention du diplôme est associé par la suite à un moindre revenu, une moindre satisfaction de vivre, une plus grande obésité, une plus grande consommation d’alcool et de cigarettes. 15 à 70 % des écarts observés d’un pays à l’autre dans ces différentes variables sont susceptibles de s’expliquer par les conditions conjoncturelles prévalant lors de l’obtention du diplôme. Poursuivant leur analyse, David Cutler et ses coauteurs confirment que les effets délétères des récessions sont significativement plus faibles pour les plus diplômés. En d’autres mots, les individus qui obtiennent leur diplôme dans une économie déprimée sont plus enclins à boire et à fumer plus tard au cours de leur vie, mais c’est moins vrai pour les plus diplômés. De plus, les pertes salariales associées aux mauvaises performances du marché du travail sont significativement plus faibles pour les individus les plus éduqués. 

Au vu du chômage qu’elle a généré, la Grande Récession devrait fortement affecter le revenu et la santé des jeunes travailleurs. Au niveau agrégé, l’émergence d’une génération sacrifiée se traduit par un affaiblissement durable de la productivité et finalement du potentiel de croissance de l’économie. Cette perspective devrait d’autant plus inciter les autorités publiques à ramener les chômeurs vers l’emploi que le maintien du chômage à un niveau élevé complique par la suite son reflux en raison des effets d’hystérèse

 

Références

CUTLER, David, Wei HUANG & Adriana LLERAS-MUNEY (2014), « When does education matter? The protective effect of education for cohorts graduating in bad times », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20156, mai.

GAINI, Mathilde, Aude LEDUC et Augustin VICARD (2013), « Peut-on parler de "générations sacrifiées" ? Entrer sur le marché du travail dans une période de mauvaise conjoncture économique », in Economie et Statistique, n° 462-463.

OREOPOULOS, Philip, Till von WACHTER & Andrew HEISZ (2012), « The short- and long-term career effects of graduating in a recession », in American Economic Journal: Applied Economics, vol. 4, n° 1.

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