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8 novembre 2013 5 08 /11 /novembre /2013 18:59

La zone euro s’est scindée ces dernières années en deux blocs de pays. Entre 2010 et le milieu de l’année 2012, les primes de risque sur les CDS souverains ont fortement augmenté à Chypre, en Espagne, en Grèce, en Irlande, au Portugal et en Slovénie, mais très peu dans les autres pays-membres. Une même divergence apparaît également pour les conditions de financement des entreprises non financières. Ces turbulences financières ont non seulement conduit les pays « périphériques » à adopter des plans d’austérité pour réduire le ratio d’endettement public, alors même qu’ils subissaient une profonde récession ; les autres Etats-membres ont également mis en œuvre une politique budgétaire procyclique. A partir de la seconde moitié de 2012, les primes de risque souveraines dans les économies en difficultés ont chuté, de même que les primes de risque de crédit pour les entreprises non financières. 

Ces évolutions suggèrent une relation étroite entre les deux variables : la hausse des primes de risque souverain a conduit à une hausse des primes de risque dans le secteur privé, mais il est possible que la seconde ait alimenté en retour la première. Dans les économies en difficulté, marquées par de plus faibles fondamentaux macroéconomiques, l’accroissement du risque souverain affaiblit les marchés du crédit domestiques et contribue au resserrement des conditions financières. L’accroissement des primes de risque pèse directement sur la demande agrégée et par conséquent sur la production. En réduisant les valeurs des collatéraux, elle exacerbe les problèmes de surendettement dans le secteur privé. La causalité fonctionne également en sens inverse : le ralentissement de l’activité et le renflouement des intermédiaires financiers, en accroissant les dépenses publiques et en réduisant le montant des prélèvements obligatoires, pèsent sur les finances publiques et élèvent par là la probabilité d’un défaut souverain. L’économie fait alors face à un véritable cercle vieux. Aujourd’hui, malgré la nette amélioration observée depuis l’année dernière, les coûts d’emprunt restent élevés dans les pays périphériques de la zone euro, freinant l’activité économique et aggravant les difficultés budgétaires qu’elles rencontrent.

L’interaction entre le risque souverain et le risque privé génère ce que Giancarlo Corsetti, Keith Kuester, Andre Meier et Gernot Müller (2012) considèrent être un véritable « canal du risque souverain » (sovereign risk channel) dans la transmission des chocs macroéconomiques. Ce canal est négligeable en temps normal, puisque la banque centrale peut ajuster ses taux directeurs pour contenir les coûts d’emprunt. Cependant, le risque souverain devient particulièrement contraignant lorsque la politique monétaire ne peut davantage réduire ses taux directeurs en raison de la borne inférieure zéro. L’économie fait alors face à des équilibres multiples : les anticipations deviennent autoréalisatrices et les primes de risque sont susceptibles de s’élever brutalement sur les marchés obligataires, entraînant alors une véritable crise de la dette souveraine.

Giancarlo Corsetti et ses coauteurs (2013) modélisent le canal du risque souverain dans un cadre nouveau keynésien. Ils montrent que l’accroissement de risque souverain dans une région dans un contexte où la politique budgétaire est fortement procyclique au niveau agrégé rend l’économie plus vulnérables aux retournements des anticipations et par conséquents aux retournements déflationnistes, si bien que le risque que la zone euro éclate s’élève également. Non seulement les différents Etats-membres doivent coordonner leurs politiques budgétaires, mais celles-ci doivent en outre être asymétriques : si les pays hautement endettés ont à mener un plan d’austérité pour empêcher une hausse des primes de risque souverain et une dégradation des conditions de financement pour le secteur privé, cette politique doit nécessairement s’accompagner d’une relance budgétaire dans le reste de la zone euro afin d’en neutraliser les répercussions sur la demande globale.

Les auteurs observent alors l’impact que peut avoir une mutualisation du risque souverain. Puisque les primes de risque augmentent de façon non linéaire avec le niveau de dette, une telle mutualisation entraîne une chute des coûts d’emprunt dans les économies en difficulté et celle-ci ne s’accompagne que d’une faible hausse des primes de risque dans le reste de la zone euro. L’instauration du mécanisme européen de stabilité (MES) et le lancement du programme Outright Monetary Transactions (OMT) ont effectivement conduit à une forte chute des primes de risque dans les pays périphériques de la zone euro. La mutualisation du risque du risque souverain contribue effectivement à relâcher la contrainte que le risque souverain exerce sur l’économie. La stabilité de la zone euro n’en est toutefois pas assurée : si la politique budgétaire demeure procyclique dans l’ensemble de l’union monétaire, l’équilibre reste indéterminé et l’économie vulnérable à des crises autoréalisatrices. 

 

Références 

CORSETTI, Giancarlo, Keith KUESTER, Andre MEIER & Gernot MÜLLER (2012), « Sovereign risk, fiscal policy, and macroeconomic stability », IMF working paper, n° 12/33, janvier.

CORSETTI, Giancarlo, Keith KUESTER, Andre MEIER & Gernot MÜLLER (2013), « Sovereign risk and belief-driven fluctuations in the euro area », IMF working paper, n° 13/227, novembre. 

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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 22:59

De nombreux pays européens ont mis en œuvre des plans d’austérité ces dernières années. Les pays de la « périphérie » ont cherché à consolider leurs finances publiques sous la pression des marchés obligataires. Le Etats dans le reste de la zone euro, notamment l’Allemagne, se sont également lancés dans un mouvement d’assainissement budgétaire de crainte d'être eux-mêms victimes d'une crise de la dette souveraine. Les taux d’intérêt sur les obligations publiques se sont stabilisés et ont même diminué avec l’intervention de la BCE au milieu de l’année 2012, mais les Etats-membres désirent toujours réduire leur ratio d’endettement public, si bien qu’ils sont susceptibles de poursuivre leurs plans d’austérité.

Or, ces derniers ont de profondes répercussions sur l’activité économique. Les Etats européens ont cherché à réduire leur endettement public à l’instant même où les agents privés s’évertuaient à se désendetter, ce qui a amplifié la chute initiale de la demande globale. Même si elle peut toujours utiliser des mesures non conventionnelles de politique monétaire, la BCE a placé son taux directeur au plus proche de zéro, si bien qu’elle dispose d’une marge limitée de manœuvre pour stimuler l’activité et réduire l’impact des consolidations budgétaires sur l’activité économique. Dans ce contexte de sous-emploi où les agents privés sont contraints en termes de liquidité et où l’économie fait face à une trappe à liquidité, les multiplicateurs budgétaires sont susceptibles d’être beaucoup plus élevés qu’en temps normal. En outre, comme les Etats de la zone euro ont mené leurs programmes d’assainissement au même instant, leurs répercussions sur l’activité se sont mutuellement exacerbées. L’ensemble des pays-membres a donc subi une forte pression déflationniste ces dernières années, au point de menacer l’efficacité même des plans d’austérité et d'entraîner une nouvelle envolée des ratios d’endettement public. Par exemple, la Grèce et le Portugal ont entrepris les plus larges efforts de rigueur. Ce sont également les pays qui ont connu les plus fortes baisses du PIB. Leurs plans d’austérité ont au final échoué, puisqu’ils ont conduit à une hausse et non à une baisse de leur ratio dette publique sur PIB. 

Dans une contribution destinée à la Commission Européenne, Jan in't Veld (2013) a modélisé l’impact des mesures d’austérité budgétaire mises en œuvre en zone euro depuis 2011. Il constate que les consolidations qui s’appuient sur une réduction des dépenses publiques se caractérisent par un multiplicateur budgétaire plus élevé que les consolidations qui reposent sur une hausse de la fiscalité. Selon le degré d’ouverture, Jan in't Veld estime que les multiplicateurs budgétaires sont compris entre 0,5 et 1 (soit des valeurs moindres que celles obtenues récemment par le FMI ou par De Grauwe et Ji [2013]).

Or, des effets de débordement (spillovers) sont également à l’œuvre et ont contribué à amplifier les répercussions négatives des consolidations budgétaires sur l’activité. D’un côté, il existe des effets de débordement de demande (demand spillovers) qui traduisent le fait que la politique conjoncturelle menée dans un pays influence les échanges qu’il entretient avec les partenaires commerciaux. Autrement dit, puisque les mesures de consolidation prises dans un pays donné réduisent la demande domestique, elles se traduisent également par une baisse des importations, donc une dégradation de l’activité économique dans les partenaires commerciaux. D’un autre côté, des effets de compétitivité sont également à l’œuvre : les politiques déflationnistes mises en œuvre dans un pays donné afin d’améliorer sa compétitivité en poussant les prix et salaires à la baisse affectent la situation des autres pays, notamment en réduisant leur compétitivité relative. Selon Jan in't Veld, les effets de débordement associés aux consolidations budgétaires sont larges, puisqu’ils sont susceptibles d’ajouter entre 1,5 et 2,5 points de pourcentage aux effets négatifs sur la croissance. En d’autres termes, chaque pays pris isolément serait peut-être parvenu plus efficacement et moins douloureusement à gagner en compétitivité et à améliorer ses finances publiques s’il avait été le seul à adopter un plan d’austérité et des politiques déflationnistes. L’adoption collective et simultanée de plans d’austérité profondément aggravé la situation économique de l’ensemble des pays-membres en raison des effets de débordement.

Pour Jan in't Veld, les pays périphériques devaient nécessairement consolider leurs finances publiques pour rétablir la confiance sur les marchés obligataires et diminuer leurs primes de risque souverain [1]. Leurs efforts d’ajustement auraient dû toutefois être compensés par une relance budgétaire et une stimulation de la demande dans le reste de la zone euro, en particulier dans les pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire. Cela aurait non seulement facilité l’assainissement des finances publiques dans les pays périphériques, mais également l’ajustement de leurs comptes courants. Or, même si, par exemple, la Grèce a significativement amélioré son solde courant ces dernières années, l’excédent courant de l’Allemagne a continué à augmenter, ce qui signifie que les pressions qu'elle exerce sur le reste de la zone euro se sont accentuées. Les mesures d’austérité budgétaire qu’ont adoptées les pays au cœur de la zone euro ont compliqué les efforts de consolidation fournis dans la périphérie et finalement contribué à la hausse de leurs ratios d’endettement public. Jan in't Veld préconise ainsi non seulement d’étaler dans le temps les programmes d’austérité dans les pays périphériques, mais il prône également un assouplissement de la politique budgétaire dans les pays disposant de la meilleur notation souveraine, en particulier l'Allemagne.

Si ce type d’analyse et de conclusions n’est pas rare dans la littérature économique, même au sein d’institutions comme le FMI, on ne l’avait toutefois pas entendu jusqu’à présent dans le cadre de la Commission européenne. Même si son article « ne reflète que l’opinion de son auteur et non pas celle de la Commission », Jan in't Veld vient de publier ce qui s’apparente à un mea culpa de la part de l’institution bruxelloise ou, tout du moins, à une critique des conseils et décisions de Berlin en matière budgétaire.

 

[1] Pour certains auteurs, ces efforts n’étaient pas nécessaires, tout du moins dans l’optique de réduire les taux d’intérêt sur la dette souveraine. Pour De Grauwe et Ji [2012], la stabilisation des marchés obligataires dépendait finalement de la seule intervention de la BCE comme prêteur en derniers ressort aux Etats. Les efforts de rigueur budgétaire étaient donc non seulement excessivement douloureux et inefficaces, mais ils se sont également révélés inutiles. 

 

Références

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2012), « Self-fulfilling crises in the eurozone. An empirical test », CAMA working paper, août. 

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2013), « The legacy of austerity in the eurozone », CEPS Commentary, 4 octobre.

IN'T VELD, Jan (2013), « Fiscal consolidations and spillovers in the Euro area periphery and core », Commission européenne, economic paper, n° 506, octobre.

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1 septembre 2013 7 01 /09 /septembre /2013 18:59

Le projet européen consiste finalement à créer un vaste territoire où les biens, les travailleurs, les capitaux et les entreprises circuleraient librement, de manière à promouvoir la croissance et la cohésion des Etats-membres. La constitution de l’union économique et monétaire (UEM) a marqué une étape importante dans le processus d’intégration. En 1992, le traité de Maastricht subordonne l’adoption de la monnaie européenne au respect de plusieurs critères de convergence nominale, si bien que les candidats ont dû mettre en place des politiques d’ajustement. Afin de réduire les inégalités territoriales et accroître la compétitivité des Etats-membres, des politiques régionales ont également été mises en place, les régions en difficulté recevant un soutien financier pour adapter plus facilement leurs structures économiques. La question qui se pose alors est de savoir si la constitution de l’union européenne s’est effectivement révélée bénéfique pour les Etats-membres. Une manière de répondre à cette question, même si elle reste partielle, est d’observer si l’intégration européenne s’est accompagnée d’une convergence des revenus réels par tête.

Selon les modèles de croissance néoclassiques à la Solow (1956), les écarts de revenu réel par habitant entre les pays sont censés se réduire, les pays les plus pauvres tendant à croître plus rapidement que les plus riches. En effet, ces modèles suggèrent qu’en présence de rendements décroissants et d’une diffusion parfaite des technologies, les pays convergent à long terme vers le même revenu par tête, indépendamment des conditions initiales, c’est-à-dire quelles que soient leurs caractéristiques initiales : on parle alors de convergence absolue. Toutefois, les études empiriques ne confirment pas les prédictions des modèles néoclassiques, mais tendent plutôt à montrer que la convergence est conditionnée : seuls les pays disposant de la même technologie et des mêmes fondamentaux convergent vers le même niveau de revenu. Si les pays ne présentent pas les mêmes caractéristiques, ils convergent vers différents états réguliers. Autrement dit, rien n’assure que les pays les plus pauvres vont converger vers les pays les plus riches. A partir des travaux précurseurs de Lucas et de Romer dans les années quatre-vingt, les théories de la croissance endogène se sont développées pour expliquer cette convergence conditionnelle. Ces modèles montrent qu’en présence de rendements croissants et d’externalités positives, la croissance est susceptible de se poursuivre indéfiniment, mais encore faut-il qu’elle s’amorce. L’accélération précoce de la croissance dans les pays avancés constitue alors pour eux un avantage irrémédiable. Certains auteurs ont par la suite également montré que le modèle de croissance néoclassique pouvaient générer des équilibres multiples : même s’ils ont des structures économiques identiques, certains pays peuvent converger vers un niveau de revenu élevé, tandis que d’autres sont piégés dans une trappe à sous-développement.

La nouvelle économie géographique offre de très intéressantes réflexions à propos du processus la convergence au sein de l'Union européenne. Cet ensemble de travaux, qui s’est développé à partir du modèle « centre-périphérie » de Paul Krugman (1991) et qui intègre tout comme les théories de la croissance endogène les rendements croissants, se révèle en l'occurrence peu optimiste. Si un ensemble de régions (constituant le « centre ») dispose ne serait-ce que d’un infime avantage par rapport aux autres régions (constituant la « périphérie »), alors une réduction des barrières à l’échange est susceptible d'entraîner une migration des travailleurs et un transfert des activités productives depuis les territoires périphériques vers les territoires centraux. Ces derniers offrent alors une plus large gamme de variétés de biens et services et des salaires plus élevés, ce qui accroît leur attractivité et stimule à nouveau le transfert des travailleurs et activités. Autrement dit, la plus grande liberté de circulation, en favorisant le plus infime avantage régional, a amorcé un processus auto-entretenu d’agglomération. Alors que les fondateurs et institutions de l’Union européenne ont en tête d’en accroître la cohésion, les théories de la nouvelle économie géographique suggèrent que le processus d’intégration peut au contraire intensifier les disparités initiales : la poursuite de l’intégration européenne va certes bénéficier aux grands pays du centre, mais en se révélant déstabilisatrice pour la périphérie [Crozet et Lafourcarde, 2009]. 

Plusieurs études empiriques ont ainsi cherché à évaluer le processus de convergence entre les pays européens. En observant les 27 Etats-membres de l’Union européenne sur la période s’étalant entre 1970 et 2010, Mihály Tamás Borsi et Norbert Metiu (2013) ne parviennent pas à mettre en évidence une convergence du revenu réel par tête dans l’Union européenne. Par contre, ils constatent que quatre groupes de pays convergent vers différents niveaux de revenu à long terme et que les liens régionaux semblent jouer un rôle significatif dans leur constitution. Cette répartition des pays en clubs de convergence n’est pas nécessairement liée à l’appartenance à la zone euro, puisque les pays-membres de la zone euro appartiennent à différents sous-groupes. A long terme, les pays d’Europe centrale et occidentale (PECO) semblent en outre se distinguer des plus anciens membres de l’Union européenne, ce qui suggère que, même si les PECO ont présenté une plus forte croissance du revenu réel que les autres membres de l’Union européenne au cours des quatre dernières décennies, le rattrapage se révèle insuffisant pour éliminer les écarts de revenu réel par tête entre les pays. Finalement, Borsi et Metiu observent à partir du milieu des années quatre-vingt-dix un déclin graduel des pays méditerranéens qui se traduit finalement par une disjonction entre les pays du nord-ouest et ceux du sud-est de l’Union européenne, ce qui n’est pas sans accréditer l’idée de polarisation spatiale suggérée par la nouvelle économie géographique. 

 

Références

BORSI, Mihály Tamás, & Norbert METIU (2013), « The evolution of economic convergence in the European Union », Deutsche Bundesbank, discussion paper, n° 28/2013, août.

CORRADO, Luisa, Ron MARTIN & Melvyn WEEKS (2005), « Identifying and interpreting regional convergence clusters across Europe », in Economic Journal, vol. 115.

CROZET, Matthieu, & Miren LAFOURCADE (2009), La Nouvelle Economie géographique, La Découverte.

KRUGMAN, Paul (1991), « Increasing returns and economic geography », in The Journal of Political Economy, vol. 99, n° 3.

SOLOW, Robert M. (1956), « A contribution to the theory of economic growth », in Quarterly Journal of Economics, vol. 70, n° 1.

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