La réaction des banques centrales s’étant révélée insuffisante pour contrer les turbulences financières et soutenir la demande globale, les Etats ont recouru plus ou moins activement depuis 2008 à des mesures discrétionnaires pour relancer l’activité. L’efficacité du Budget comme outil de stabilisation conjoncturelle reste toutefois sujette à controverse. La crise a renouvelé l’intérêt des économistes dans l’évaluation du multiplicateur budgétaire.
Selon la théorie keynésienne, une politique budgétaire expansionniste est propre à puissamment stimuler l’activité économique. En effet, le supplément de revenu créé par la hausse des dépenses publiques est en partie consommé et va alimenter la formation de revenus dans les entreprises produisant des biens de consommation. Ces revenus supplémentaires vont à leur tour être partiellement consommés et le processus va ainsi se répéter au cours du temps. Toutefois, puisqu’à chaque phase de distribution du revenu une fraction en est épargnée, l’effet multiplicateur tend à s’amortir. Au final, le montant total de revenus générés au cours du processus sera supérieur au montant initial de dépenses publiques. Plus la propension à consommer est forte, plus l’effet multiplicateur et les recettes fiscales seront importants. Pour obtenir un tel enchaînement, Keynes suppose, d’une part, que l’économie est en situation de sous-emploi, ce qui implique que l’offre globale va s’ajuster à la demande globale sans tension sur le niveau général des prix, et, d’autre part, que l’économie est en situation autarcique. En phase haute du cycle, le surcroît de dépenses publiques risque de se traduire essentiellement par une accélération de l’inflation et non une stimulation de l’activité réelle. De plus, le multiplicateur budgétaire s’avère moins efficace en économie ouverte, puisqu’une partie de la relance se traduira par une hausse des importations.
Les modèles néoclassiques mettent en exergue les effets neutres voire perturbateurs de l’expansion budgétaire en raison des effets de richesse et de substitution intertemporelle. Selon l’hypothèse d’équivalence ricardienne, si l’expansion budgétaire est financée par endettement, les agents privées anticipent une hausse des impôts à l’avenir et réagissent dès à présent en épargnant davantage. Qu’importe donc le mode de financement des dépenses publiques, les changements dans la demande privée vont réduire, voire annuler les effets multiplicateurs sur l’économie. Dans certains cas particuliers toutefois, face au choc de richesse négatif que constitue l’expansion budgétaire, les agents privés vont accroître leur offre de travail dans la période courante pour profiter du faible niveau d’imposition et l'activité s'en trouve aujourd'hui stimulé.
L’introduction de la viscosité des prix et des problèmes de coordination dans les modèles des nouveaux keynésiens renouvelle l’analyse des politiques conjoncturelles. Si les agents privés sont contraints en liquidité ou si marchés des capitaux sont imparfaits, l’équivalence ricardienne ne tient plus. La politique budgétaire retrouve sa pleine efficacité quand l’économie est confrontée à une spirale déflationniste et à un chômage élevé, alors que les taux d’intérêt nominaux avoisinent leur limite inférieure zéro (zero lower bound) [Christiano et al., 2011 ; Eggertsson, 2011 ; Rendahl, 2012] ; la politique monétaire perd au contraire en efficacité en situation de trappe à liquidité. La production est ici largement déterminée par la demande. Le niveau de croissance potentielle tend à diminuer en raison de l’existence d’effets d’hystérèse : les entreprises reportent leurs décisions d’investissement, la croissance du stock de capital ralentit et la persistance du chômage va entraîner une perte de capital humain, de capital social et de motivation chez les chômeurs, ce qui réduit leur employabilité [DeLong et Summers, 2012]. Le marché du travail est fortement inertiel : une variation dans le niveau de chômage est susceptible de persister à l’avenir. Dans ce contexte, une hausse des dépenses publiques stimule l’activité économique et réduit le taux de chômage à la fois dans le présent et dans les périodes à venir. Un cercle vertueux s’enclenche : comme les perspectives futures de l’économie s’améliorent, les agents privés sont moins réticents à dépenser et le chômage décline plus rapidement, ce qui entraîne une nouvelle hausse dans la demande privée. En outre, lorsque l’expansion budgétaire est financée par emprunt, les agents vont relever leurs anticipations d’inflation. Dans ce cas, si les taux d’intérêt nominaux sont maintenus constants, la hausse dans l’inflation anticipée va conduire à une diminution des taux d’intérêt réels et stimuler davantage l’activité économique. Selon DeLong et Summers (2012), même si la taille du multiplicateur est réduite et si l’effet d’hystérèse s’avère également modeste, une expansion budgétaire temporaire va faciliter plutôt qu’exacerber la contrainte budgétaire de long terme du gouvernement.
D’un point de vue empirique, les estimations du multiplicateur budgétaire sont divergentes. Ramey (2011) conclut qu’une hausse dans les dépenses gouvernementales stimule l’économie avec un multiplicateur compris entre 0,8 et 1,5. Il n’existe pas un unique multiplicateur décrivant l’efficacité du stimulus budgétaire. Les estimations divergent selon l’échantillon et les méthodes d’identification ; la transmission des politiques budgétaires varie selon l’environnement économique. En se basant sur un échantillon de 17 pays de l’OCDE pour la période 1975-2008, Corsetti et alii (2012) ont analysé empiriquement comment différentes conditions économiques affectent la transmission des chocs de dépenses gouvernementales sur l’activité. D’après leurs observations, dans un régime de change flexible, avec un faible niveau d’endettement public et en période de stabilité financière, les effets macroéconomiques d’une politique budgétaire expansionniste sont réduits. Dans ce « scénario de base », Il n’y a qu’une faible réponse de la production à l’impulsion budgétaire. La consommation connaît une légère diminution, tandis que l’investissement privé subit une éviction prononcée. L’inflation ralentit lors de l’impulsion budgétaire, puis accélère ensuite fortement. Le taux de change réel connaît alors une forte dépréciation.
Corsetti et alii s'écartent ensuite de ce scénario de base et observent qu'avec une monnaie soumise à un régime d’ancrage, l’expansion budgétaire entraîne un plus large déficit commercial que dans le cas de changes flexibles, mais pas de dépréciation réelle du taux de change. La stimulation budgétaire se révèle plus efficace dans un régime de taux de change fixe : l’output est davantage stimulé, tandis que la chute de l’investissement est contenue.
Si la dette publique et/ou le déficit public sont initialement larges, les réponses de l’output et de l’investissement à une impulsion budgétaire seront plus faibles que dans le scénario de base ; les différences sont toutefois modestes. La réponse de la consommation s’avère quant à elle tout d’abord similaire au scénario de base, puis elle tend à devenir positive au cours du temps. Enfin, le ralentissement de l’inflation immédiat et son subséquent pic sont plus ici plus marqués.
Lors d’une crise financière, la production et la consommation sont extrêmement sensibles à une hausse des dépenses publiques : les dépenses supplémentaires de consommation et d’investissement sont deux fois plus importantes que le surcroît budgétaire. Les exportations nettes et le taux de change réel déclinent plus amplement que dans le scénario de base. La taille du multiplicateur dépend donc effectivement de la position dans le cycle. Corsetti et alii rejoignent nombre de récents travaux en trouvant un multiplicateur proche de 2 en période d’instabilité financière. Deux fortes conclusions s’en dégagent. D’une part, la politique budgétaire s’avère un puissant outil de stabilisation de l’activité en période d’instabilité macroéconomique. D’autre part, une crise aura de plus sévères répercussions sur l’activité si le gouvernement contracte ses dépenses au cours de la récession. Corsetti et alii considèrent en outre que la soutenabilité de l’endettement public semble constituer une condition cruciale à l’obtention de multiplicateurs élevés en temps de crise financière. Ils insistent ainsi sur la nécessité de préserver et renforcer des marges de manœuvre budgétaires en temps normal.
Dans le cas de la zone euro, l'efficacité de l'intervention publique dépend crucialement de la coordination des différentes politiques budgétaires. Si chaque Etat-membre est une économie relativement ouverte sur l’extérieur, ce qui réduit l’efficacité de ses politiques budgétaires en raison des fuites via les importations, la zone euro dans son ensemble constitue une économie fermée. Par conséquent, si tous les pays européens accroissaient conjointement leurs dépenses publiques, le multiplicateur budgétaire serait de taille maximale, la relance d’un Etat-membre profitant partiellement aux autres. Réciproquement, l'adoption collective de plans d’austérité en période de ralentissement économique dans la zone euro amplifie dramatiquement leurs effets récessifs sur l’activité.
Références Martin ANOTA
DELONG, Brad, & Lawrence SUMMERS (2012), « Fiscal Policy in a depressed economy ».
RENDAHL, Pontus (2012), « Fiscal policy in an unemployment crisis », Cambridge working paper.