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28 juin 2012 4 28 /06 /juin /2012 19:56

Anton BRENDER, Emile GAGNA et Florence PISANI

La Découverte, 2012 « LA CRISE DES DETTES SOUVERAINES » Edition la Découverte, collection Repères 120 pages 10 €.

 

Avec Les Déséquilibres financiers internationaux (2007) et La Crise de la finance globalisée (2009), Anton Brender et Florence Pisani ont déjà publié deux livres essentiels pour comprendre les différents enchaînements d’une crise enclenchée en 2007 dans un compartiment du marché hypothécaire étasunien et qui ne cesse depuis de prendre toujours de nouvelles formes. Les institutions publiques ont déchargé les agents privés des risques massifs accumulés au cours de la décennie. Le nouvel ouvrage des deux auteurs, cette fois-ci accompagnés d’Emile Gagna, se concentre sur les contraintes que pose l’absorption de cet excès d’épargne privée sur la soutenabilité de l’endettement public et finalement sur la croissance mondiale.

Les auteurs rappellent dans un premier chapitre que les risques associés à l’endettement public ne peuvent être analysés de la même manière que l’endettement privé. La durée de vie de l’Etat est illimitée. Il peut emprunter pour rembourser les dettes arrivées à échéance. S’il ne lui est pas nécessaire de rembourser sa dette, il doit en revanche assurer le service des intérêts dus. La dynamique de l’endettement public dépend crucialement de l’excédent primaire du budget, c’est-à-dire de la différence entre les recettes de l’Etat et de ses dépenses hors versement des intérêts. Si l’excédent primaire est inférieur aux intérêts dus, l’Etat devra emprunter pour assurer le service de sa dette. Le montant maximal de ressources que les futurs contribuables accepteront de transférer aux créanciers de l’Etat va toutefois limiter son endettement. Ce sont toutefois les créanciers de l’Etat qui valideront en définitive les dynamiques envisagées. Le maintien sur la trajectoire soutenable peut être perturbé par une hausse des taux auxquels l’Etat emprunte ou un affaiblissement des perspectives de croissance. Un cercle vicieux peut alors s’enclencher : si une déprime de l’activité réduit l’excédent primaire, les taux peuvent réagir à la hausse et rendre nécessaire une plus forte hausse de l’excédent primaire, qui risquerait à son tour de freiner davantage l’activité. De plus, la réaction des investisseurs est non linéaire lorsque le niveau d’endettement est élevé : de modestes chocs peuvent engendrer une crise budgétaire [Escolano, 2010]. Le niveau au-delà duquel la dette publique d’une économie devient insoutenable est difficile à estimer. Il est fonction de multiples variables, dont la réputation financière du pays, la qualité de ses institutions et ses perspectives de croissance. S’il ne semble pas y avoir de lien significatif entre le niveau d’endettement et la croissance lorsque la dette publique brute de l’Etat centrale est inférieure à 90 % du PIB, l’endettement public pourrait dégrader la croissance une fois ce seuil franchi [Reinhart et Rogoff, 2010]. Les liens de causalité ne sont toutefois pas clairement établis. Il existerait un lien inverse entre l’endettement public et le taux d’épargne privée [Checherita et Rother, 2010], qui, dans la conjoncture actuelle, contribuerait alors à écarter le risque de déflation dans les économies développées en réduisant le taux d’épargne privé.

En réponse à l’arrêt de la progression du crédit et au relèvement du taux d’épargne privée suite à la crise du crédit subprime, les Etats ont dû utiliser leur budget pour éviter un effondrement total de l’activité [De Grawe, 2010]. Dans les économies développées, le choc déflationniste a pu être atténué par le jeu des stabilisateurs automatiques et des mesures discrétionnaires de stimulation budgétaire. Les agents privés ne dépensant pas tout leur revenu, les déficits publics se sont creusés pour absorber l’épargne privée. La dégradation des soldes primaires durant la crise a été proportionnelle à la hausse des propensions à épargner des agents privés. Les Etats des pays développés disposent de marges de manœuvre réduites pour contrôler l’évolution de leurs finances publiques. D’une part, le vieillissement de la population et la hausse des coûts de la santé leur impose d’accroître à long terme leurs dépenses budgétaires. D’autre part, leur niveau de prélèvements est déjà élevé. Depuis 2010, les Etats ont orienté leur politique budgétaire en fonction de leurs priorités individuelles. Certains (Allemagne, Royaume-Uni) considèrent comme prioritaire d’enrayer la dérive de l’endettement ; d’autres (Japon, Etats-Unis) acceptent cette dérive tant que la reprise est incertaine. L’absence de coordination de stratégies de sortie affaiblit la reprise et une consolidation budgétaire réalisée trop tôt est vouée à l'échec car la contraction de l'activité qu'elle entraîne va en retour dégrader le solde budgétaire [Wolf, 2010]. Les banques centrales ne peuvent stimuler davantage la dépense privée car leurs taux directeurs ont atteint leur limite inférieure [Blanchard et Milesi-Ferretti, 2011]. Les entreprises, en excédent de financement, resteront prêteuses tant que les perspectives d’avenir ne les inciteront pas à investir. Le relèvement de la propension à dépenser des agents privés repose donc globalement sur la reprise de l’endettement des ménages, or celle-ci est ralentie par le rétablissement inachevé des systèmes bancaires. La baisse de la propension à épargner des agents privés compensera insuffisamment le rééquilibrage budgétaire pour stabiliser le poids de l’endettement public. Les expériences passées montrent que la dépense privée n’est pas stimulée par l’austérité budgétaire [Guajardo et al., 2011]. Si le besoin de financement des agents publics baisse plus rapidement que la capacité de financement des agents privés, l’économie doit réduire son besoin de financement total, donc améliorer son solde courant. L’ajustement simultané des bilans va ainsi être source de pression déflationniste pour l’économie mondiale. Il est nécessaire que les pays développés ne tentent pas simultanément et précipitamment de rééquilibrer leur budget pour éviter que certains d’entre eux n’entrent dans une spirale de contraction de l’activité et de creusement des déficits publics.

Le troisième chapitre le piège auquel la stratégie poursuivie par le Japon menace d’enfermer l’économie insulaire. Les mécanismes à l’œuvre au Japon au début des années quatre-vingt-dix sont similaires à ceux aujourd’hui à l’œuvre dans de nombreuses économies développées. Ménages et entreprises étant alors lourdement endettés, ils ont relevé leur propension à épargner avec l’éclatement des bulles immobilière et boursière. Le désendettement des agents privés sera par la suite lent. L’Etat va s’endetter à la place des entreprises pour soutenir l’activité. La crise de 2007 va à nouveau puissamment dégrader le solde budgétaire. La dette publique atteignait fin 2010 environ 200 % du PIB. Toutefois, le Japon se singularise par une épargne privée excessive. Les agents privés, fortement averses au risque, placent essentiellement leur épargne en actifs domestiques. Les résidents détiennent ainsi 95 % de la dette publique début 2011. Les institutions publiques détiennent la moitié de la dette de l’Etat. Ce contexte particulier explique pourquoi le gouvernement japonais peut émettre aujourd’hui des obligations à dix ans à un taux proche de 1 %. Toutefois, les conditions d’accumulation de la dette publique évoluent. Le vieillissement de la population et la diminution de la population active entrainent un tarissement des flux d’épargne et pèsent le financement du déficit public [Horioka et al., 2007]. La capacité de financement des entreprises se substitue à celle des ménages. Les banques absorbent depuis 2009 la quasi-totalité des émissions. Elles deviennent plus sensibles à une évolution des prix de marché des titres publics et davantage exposées à des risques de pertes élevées [Banque du Japon, 2011]. Il n’est donc plus exclu que les taux obligataires connaissent une pression à la hausse. Les entreprises pourraient préférer détenir des titres étrangers.

Le quatrième chapitre revient sur la stratégie de sortie de crise suivie par les Etats-Unis. Au cours des deux dernières décennies, ils ont massivement importé de l’épargne. Le maintien d’un déficit public élevé a joué un rôle important dans le soutien conjoncturel depuis une dizaine d’années, notamment en permettant d’absorber le choc boursier de 2000 et la crise du crédit subprime. Plus structurellement, depuis cinq décennies, les programmes publics de santé voient leur poids croître continûment dans le budget et cette évolution s’accélère avec le vieillissement de la population et le progrès médical. Entre 2001 et 2011, la dette publique brute est passée de 55 % à 95 % du PIB. Malgré cette forte accumulation de dette publique, la stratégie américaine consiste à retarder la consolidation budgétaire tant que la reprise de l’activité n’est pas confirmée. Les autorités américaines font ainsi le pari que l’économie ne subira aucun choc avant de renouer avec une croissance soutenue. Cependant, l’activité en sortie de crise s’avère plus déprimée que lors des précédents cycles. Une reprise de l’activité américaine est habituellement impulsée par l’investissement résidentiel et la consommation de biens durables, or les ménages devraient maintenir leur taux d’épargne financière élevé en raison du poids excessif de leur endettement. Les entreprises réalisent de forts profits qu’elles sont réticentes à investir en raison du faible niveau de demande. Dans ce contexte de forte capacité de financement des agents privés, le retour des finances publiques à une trajectoire soutenable ne pourra être que graduelle, à moins d’accepter la persistante du haut niveau de chômage. Laisser expirer fin 2012 les baisses d’impôts pour les hauts revenus et diminuer les dépenses militaires desserreraient la contrainte budgétaire. Tant que la reprise n’est pas assurée, la Fed ne resserrera pas sa politique monétaire. Si les taux obligataires connaissent une remontée, la banque centrale interviendra pour stabiliser le marché.

Le cinquième chapitre porte sur la gestion chaotique de la crise en Europe. La création de la monnaie unique fut couplée à la mise en place de règles lors du traité de Maastricht  visant à limiter l’endettement public pour prévenir tout risque de crise budgétaire. Le déficit devait être inférieur à 3 % du PIB, tandis que l’endettement ne devait excéder 60 % du PIB. D’une part, les règles n’ont pas été respectées. A la veille de la crise financière, la dette publique brute des Etats-membres atteint en moyenne 75 % du PIB. D’autre part, l’intégration monétaire a entraîné une divergence dans les comportements d’endettement des agents privés. L’Allemagne a vu son solde courant s’améliorer avec la modération salariale. Cette évolution n’aurait pas été possible si dans d’autres pays, notamment en Espagne, l’endettement privé n’avait pas suffisamment progressé pour absorber l’épargne dégagée. Avec la crise de 2007, l’endettement privé va se contracter et l’endettement public va en réponse s’accroître de 15 points de PIB. Ce surcroît de dette publique relativement moindre que celui observé au Japon ou aux Etats-Unis et le retour à l’équilibre budgétaire apparaît par conséquent plus facile. Certains pays se retrouvant dans une situation plus inquiétante que la moyenne, les marchés vont commencer à douter de la soutenabilité de leur endettement public. Une dynamique de marché particulièrement perverse s’est enclenchée et a touché de proche en proche tous les pays dont l’endettement pouvait inquiéter. Les pays européens ont souhaité que chaque pays reste responsable de ses dettes, or rien n’empêchait qu’un doute sur la solvabilité d’un Etat-membre n’affecte la position financière des autres. Les gouvernements ont cherché à mettre en place des programmes d’aide, non seulement insuffisants, mais leurs conditions, volontairement « dures » pour contenir tout risque moral, dissuadent les pays d’y recourir tant qu’ils possèdent encore un accès au marché. L’effondrement du prix de leur dette durant ce laps de temps aura érodé par contagion celui des titres d’Etats dont la vulnérabilité semble comparable et entrainé des pertes chez leurs détenteurs. A défaut de chercher collectivement à désamorcer la dynamique de marché, les gouvernements vont accélérer leur retour à l’équilibre budgétaire pour tenter de se rendre moins vulnérables. Ces dynamiques vont durablement freiner la croissance économique en Europe et menacer l’existence de la zone euro. Les banques européennes occupant une place centrale dans le système financier et les dettes de leurs Etats constituant un actif de réserves pour l’économie mondiale, la crise européenne menace directement la stabilité macroéconomique mondiale.

Le dernier chapitre se focalise ainsi sur les risques pesant sur le système financier globalisé. L’accroissement de l’endettement public était nécessaire pour absorber l’épargne dégagée par la brutale hausse des taux d’épargne des agents privés. Le système financier a pu concevoir des placements sans risque en contrepartie des titres publics qu’il absorbait. La perte du statut d’actif sans risque pose une nouvelle contrainte à l’équilibre macroéconomique mondiale. La banque centrale peut alors assurer la stabilité du système en augmentant suffisamment la taille de son bilan pour décharger les agents privés d’un volume de risque de crédit et de liquidité qu’ils n’arrivent plus à porter. En outre, durant la dernière décennie, les banques de la zone euro ont massivement absorbé le risque de crédit et de liquidité associé à la titrisation des créances hypothécaires [Shin, 2011]. En offrant des placements sûrs au reste du monde, la zone euro s’est comportée en preneur de risque déchargeant ce dernier du risque de crédit et de liquidité. Avec la perte du statut d’actif sans risque des dettes publiques, le système financier globalisé perd de sa capacité de prise de risque. La moindre capacité d’intermédiation du système financier international et la nécessité des économies développées de rendre leur endettement soutenable vont faire pression sur les déséquilibres de balances courantes. Etats-Unis, Japon et pays européens ne peuvent rééquilibrer rapidement leurs soldes budgétaires et maintenir une croissance domestique suffisante sans une croissance soutenue des économies émergentes et la dépréciation de leurs taux de change réels vis-à-vis de ces dernières. L’appui des économies émergentes est essentiel pour éviter une guerre des monnaies entre grandes économies développées. La crise des dettes souveraines peut notamment accroître dramatiquement la volatilité des taux de change des pays développés si les opérateurs de marché et détenteurs de réserves vendent massivement certaines de leur devise. La résolution de la crise repose donc amplement sur la coopération internationale.

 

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Martin Anota

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