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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 13:26

Les prix du pétrole commencèrent à augmenter en 2002, le cours du Brent atteignant le niveau record de 144,27 dollars en juillet 2008, pour ensuite refluer fortement en raison de la récession mondiale et de la déprime subséquente de la demande. Les prix atteignirent un point bas en janvier 2009 ; le Brent retrouvait alors ses valeurs de 2004 en passant sous la barre des 40 dollars le baril. Depuis lors, les cours ont renoué avec leur tendance haussière, en parallèle à la reprise de l'activité économique mondiale. L’identification des causes sous-jacentes à ces mouvements des prix reste imprécise.

Ces évolutions sont cohérentes avec les fondamentaux et en premier lieu avec la dynamique suivie par la demande au cours de l'ensemble de la décennie [Plante et Yücel, 2011a, 2011b ; Porcher, 2012]. Les besoins énergétiques augmentant avec l’activité économique, la consommation pétrolière doit augmenter avec le PIB et, effectivement, les variations annuelles des prix du pétrole ont globalement correspondu à celles du PIB mondial. En outre, la consommation énergétique des économies en développement augmenta deux fois plus rapidement que celle des économies développées. Les premières représentent actuellement la moitié de la demande mondiale de pétrole. Si les économies avancées ont su réduire l’intensité énergétique de leur croissance au cours du temps, l’expansion économique des émergents se singularise par une forte intensité énergétique. A court terme, la demande de pétrole est peu élastique aux variations de son prix, notamment parce qu’elle se destine pour les deux tiers aux besoins de transport, un usage où le pétrole s’avère difficilement substituable. Dans ce contexte de faible sensibilité au prix, un choc sur le marché, en relevant la demande ou en restreignant l’offre, accroît fortement la volatilité des prix.

La dynamique des prix pétroliers est également compatible avec les déterminants de l’offre. Le marché du pétrole n’est pas pleinement concurrentiel. L’OPEP constitue un producteur oligopolistique qui extirpe une rente non concurrentielle en contrôlant la production de ses membres pour faire augmenter les prix. Elle était à l’origine de 42 % de la production mondiale fin 2011. Les producteurs n’appartenant pas à l’OPEP forment une frange hétérogène et concurrentielle qui s’avère preneuse de prix. Les capacités de production actuellement existantes sont plafonnées. Les efforts d’exploration et d’investissement qui sont réalisés au préalable déterminent les capacités de production disponibles et leurs perspectives d’extension. Il est nécessaire de régulièrement mettre en exploitation de nouveaux gisements afin de produire sans discontinuité, mais la mise en exploitation des réserves en capacités de production nécessite de massifs investissements de long terme. Un prix du pétrole élevé rend rentable de procéder à ces derniers. Les membres de l’OPEP disposent de marges de capacité, tandis que les autres producteurs fonctionnent en pleine capacité. La capacité de production de l’OPEP a ainsi peu varié au cours du temps, passant de 34 à 35,5 millions de barils par jour entre 1973 et 2008. L’organisation a dû toutefois réduire ses capacités excédentaires durant la dernière décennie pour répondre à la forte demande. N’ajuster que lentement les capacités a permis à l’OPEP de maintenir les prix à un niveau élevé ; mais puisque l’organisation fut par conséquent dotée d’insuffisantes capacités pour compenser les chocs sur le marché, ces derniers ont entraîné une plus forte volatilité des prix.

L’équilibre du marché entraîne ainsi d’importantes variations des prix. L’écart entre l’offre et la demande mondiales peut toutefois paraître insuffisant pour expliquer les variations du prix effectivement constatées et les évolutions de cet écart et du prix ne sont en outre pas synchrones. Le prix du pétrole s’est par exemple fortement élevé au premier semestre 2009 sans que ne le justifie la reprise de l’activité mondiale. Une hypothèse largement admise serait que la financiarisation du marché et l’afflux de spéculateurs détermineraient d’une manière significative la dynamique des prix. Les liquidités abondantes créées par les faibles taux d’intérêt au début de la dernière décennie auraient ainsi pu alimenter une bulle du pétrole, mais aussi plus largement des matières premières.

Le marché physique du pétrole se compose tout d’abord du marché au comptant (dit spot) et du marché à livraison différée (dit forward). Sur le marché au comptant, se déroulent des transactions physiques à livraison (quasi) immédiate. Le prix du pétrole (le prix spot) se détermine sur ce marché libre à travers la confrontation de l’offre et de la demande. Les agents effectuent sur le marché forward des transactions physiques à livraison différée. Ils échangent des cargaisons de pétrole pour une date ultérieure à un prix immédiatement fixé.

En parallèle à ces compartiments, le marché à terme (futures) est un marché financier où s’échangent des intentions d’achat ou de vente futures de pétrole, pour une date ultérieure et à un prix immédiatement fixé. Le marché à terme héberge principalement les banques, les raffineurs, les distributeurs et les fonds d’investissement, notamment les hedge funds. Un tel marché s’avère utile pour gérer le risque associé aux fluctuations du cours du pétrole. Les opérateurs du marché cherchent soit à s’assurer contre ce risque, c’est-à-dire à se couvrir, soit à spéculer. Les producteurs ou consommateurs qui voudraient couvrir leurs positions sont qualifiés de « commerciaux », tandis que les opérateurs qui ne recherchent que le gain monétaire sont qualifiés de « non commerciaux » ou de « spéculateurs ». L’activité sur le marché à terme s’est fortement développée au cours de la dernière décennie et le nombre de traders non commerciaux a connu également une forte croissance. La spéculation en soi est nécessaire au bon fonctionnement du marché. Il peut en effet exister un décalage entre les acheteurs et les vendeurs sur un contrat à terme donné. Les spéculateurs, en principe, permettent de corriger ces déséquilibres en fournissant de la liquidité et en participant activement au processus de découverte des prix. Démontrer que la spéculation est excessive et déstabilisatrice est difficile. Une spéculation excessive doit toutefois se manifester à travers certains signes tangibles.

Pour orienter les cours à la hausse, les spéculateurs peuvent acheter du pétrole sur le marché au comptant et le stocker [Plante et Yücel, 2011b]. Or, les capacités de stockage sont limitées et coûteuses. Le comportement des stocks durant la décennie s’est révélé globalement cohérent avec la situation d’un marché tendu. En outre, le stockage en mer s’est par exemple réduit durant l’été 2008, alors même que les cours tendaient vers leurs niveaux records. Il reprit à nouveau en fin d’année, alors même qu’avait débuté la récession mondiale.

Les spéculateurs peuvent également acheter un nombre important de contrats futures, ce qui accroît les prix à terme et pousse indirectement les auteurs participant au marché à stocker du pétrole [Plante et Yücel, 2011a]. En temps normal, le prix à terme est supérieur au prix au comptant d'un montant correspondant peu ou prou aux coûts de stockage. Si le prix à terme est significativement élevé, les vendeurs vont être incités à davantage vendre dans le futur et moins aujourd’hui. Les stocks et par conséquent les prix spot doivent alors augmenter, tandis que les prix à terme doivent diminuer. Ainsi, afin qu’un mouvement spéculatif sur le marché à terme entraine une hausse du prix spot, les comportements de stockage spéculatif doivent se multiplier, ce qui ne fut a priori pas le cas. Selon les récentes études de Fattouh et al. (2012), il n’y a en outre pas de preuve claire que les changements de positions des traders financiers prédisent les variations des prix à terme. Les hausses des prix au comptant ne sont pas forcément précédées de hausses des prix à terme.

Ainsi, le développement des marchés à terme fut certes synchrone avec les hausses de prix, mais les comportements de spéculation semblent n’avoir joué qu’un rôle réduit dans celles-ci. Tout au plus, ils peuvent les avoir amplifiées [Porcher, 2012]. 5 à 10 % du prix du baril pourraient ainsi s’expliquer par les pressions spéculatives, mais les évolutions des cours sont restées fondamentalement liés à la forte demande des économies émergentes et aux marges étroites entre l’offre et la demande. Les traders du marché à terme n’auraient eu en définitive qu’une activité essentiellement routinière.

 

Références Martin Anota

ARTUS, Patrick, Antoine d’AUTUME, Philippe CHALMIN & Jean-Marie CHEVALIER (2010), Les effets d’un prix du pétrole élevé et volatil, rapport du CAE, n° 93.

FATTOUH, Bassam, Lutz KILIAN, & Lavan MAHADEVA (2012), « The Role of Speculation in Oil Markets: What Have We Learned So Far? », CEPR Discussion Paper, n° 8916.

PLANTE, Michael D., & Mine K. YÜCEL (2011a), « Did Speculation Drive Oil Prices? Futures Market Points to Fundamentals », Economic Letter, vol. 6, n° 10, octobre.

PLANTE, Michael D., & Mine K. YÜCEL (2011b), « Did Speculation Drive Oil Prices? Market Fundamentals Suggest Otherwise », Economic Letter, vol. 6, n° 11, octobre.

PORCHER, Thomas (2012), « Le marché du pétrole : les facteurs explicatifs de l’évolution des cours », Ecoflash, n° 264, janvier.

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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 21:30

Eloi LAURENT

La Découverte, 2012

Science économique, sociologie et science politique placent la confiance au fondement de l’économie, de la société et de la démocratie. Elles l’abordent pourtant généralement sous l’angle de ses crises. La Grande Récession illustre l’omniprésence de ce terme nébuleux. L’ouvrage stimulant d’Eloi Laurent vise ainsi à préciser cette notion essentielle et à décrypter ses effets économiques, sociaux et politiques.

La confiance constitue avant tout une espérance de fiabilité dans les conduites humaines. Accorder sa confiance est un choix éminemment personnel. Qu’elle soit médiatisée ou non par une institution, elle n’est possible qu’entre deux être humains. Elle se distingue donc de la foi et de la croyance. Elle n’est pas non plus synonyme de certitude puisqu’elle suppose un contexte de risque : il est possible que la confiance accordée soit trahie. L’individu qui accorde sa confiance se place donc en position de vulnérabilité. Enfin, si la confiance est une composante du capital social, les deux notions ne se confondent pas : un réseau social peut fort bien être dense, mais se voir aussi paralysé par l’absence de confiance.

Le chapitre 2 de l’ouvrage porte sur les théories de la confiance. La relation de confiance précède et détermine la possibilité de l’échange. L’économie de marché suppose une confiance réciproque, quasiment insaisissable, qui ne devient visible que lors des crises économiques. Keynes fait de la confiance l'élément clé du système économique en la faisant étroitement intervenir dans la détermination de l’investissement. La théorie de l’intérêt « incorporé » ou « enchâssé » développée par le sociologue Hardin constitue une approche étroitement économique de la confiance. Selon lui, « je te fais confiance parce que je crois qu’il est dans ton intérêt sur une question donnée de prendre en compte mes intérêts dans ton action ». La question de la confiance aboutit alors sur celle de la fiabilité. La confiance procède entièrement du jeu des intérêts individuels. La confiance à la Hardin est rationnelle, puisqu’elle dépend d’un calcul et du savoir que l’individu croit détenir sur la fiabilité d’autrui ; elle est en outre relationnelle puisqu’elle suppose un autre individu en qui placer ou non sa confiance. La confiance ne peut toutefois être saisie à l’aune de la seule théorie du choix rationnel, puisqu’elle présente une dimension sociale. Le comportement individuel peut être motivé par des considérations morales ou culturelles qui vont au-delà du simple calcul économique et de l’intérêt privé. Le calcul interpersonnel de confiance est encastré dans des relations sociales qui l’influencent puissamment. La relation de confiance interpersonnelle influe sur la société et possède ainsi une valeur sociale.

Le chapitre 3 identifie les formes que peut prendre la confiance. Les notions de « confiance en l’avenir » et de « confiance en soi » sont trompeuses : la première dissout la confiance dans une abstraction détachée de l’expérience sociale, tandis que la seconde ramène la confiance à une expérience purement individuelle alors même qu’elle n’est par nature possible que dans une interaction entre individus. La « confiance généralisée », qui est celle habituellement employée dans les travaux académiques, est une « vraie-fausse » confiance dans la mesure où elle est impersonnelle. Le premier type de « vraie confiance » est la confiance dans les institutions, essentielle dans nos démocraties. Elle suppose de placer sa confiance en des principes abstraits, puisqu’elle ne peut se fonder sur la connaissance personnelle des agents et représentants des institutions. Le second type de confiance est la confiance interindividuelle.

Les études empiriques sont multipliées pour démontrer l’importance de la confiance au sein des processus économiques et sociaux. Il existe deux manières de mesurer la confiance, en l’occurrence les expériences et les enquêtes. Robert Axelrod mit par exemple en œuvre à l’université du Michigan un jeu de confiance sous la forme d’un « grand tournoi » qui n’était autre qu’un jeu répété du dilemme du prisonnier. Chaque joueur a deux options : coopérer ou se défiler. Une règle efficace de décision dans un tel jeu de confiance évite les conflits non nécessaires tant que les partenaires les évitent également, répond aux défections non provoquées, pardonne après et adopte un comportement suffisamment clair pour que les partenaires adaptent les leurs. Des jeux de confiance plus sophistiqués sont à l’œuvre sur internet, déployant des mécanismes de réputation dans un environnement profondément soumis au risque et à l’incertitude. L’élaboration d’un système fiable d’informations y est essentielle car les jeux de confiance n’y sont que rarement répétés. Ostrom déduit de ces diverses expériences que les caractéristiques typiques d’un comportement de coopération ne se développent qu’à travers le processus de socialisation : « on ne naît pas confiant ou coopératif, on le devient ». Pour leur part, les enquêtes (de sentiment) de confiance sont essentiellement des sondages d’opinion inclus dans les « enquêtes de valeurs » menées à l’échelle nationale ou internationale. Elles cherchent à évaluer la confiance « généralisée » à travers la « question de Rosenberg », dont la forme retenue par la World Values Survey s’énonce ainsi : « d’une manière générale, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou qu’il faut être très prudent dans ses rapports avec autrui ? » Les termes utilisés sont malheureusement vagues et la question manque de cohérence interne. Les enquêtes suggèrent toutefois que la confiance dans les institutions s’avère hétérogène. Les citoyens témoignent d’une plus grande confiance à l’égard des Parlements nationaux qu’à l’égard les gouvernements. Le système judiciaire est l’institution jugée la plus digne de confiance. Certains pays connaissent un déclin de la confiance à l’égard de certaines institutions.

Alors que les premiers chapitres s’intéressaient à la confiance comme variable expliquée, le chapitre 5 relève les gains économiques associés à l’établissement de la confiance. Les institutions et la gouvernance ont un rôle fondamental dans la poursuite du développement économique et de la complexification sociétale. Si la confiance interpersonnelle apparaît nécessaire au développement économique, celui-ci tend à se poursuivre en donnant une place croissante à la confiance institutionnelle au détriment de la confiance interindividuelle. La perception des qualités d’un mandataire (celles de la compétence, de la bienveillance et de l’intégrité) par le mandat est essentielle au sein d’une organisation pour faire émerger et stabiliser la confiance. Si celle-ci parvient à s’établir, le mandant poursuit son implication dans la transaction et s’expose davantage au risque d’être trahi. Fiabilité et confiance se renforcent alors mutuellement. L’entreprise sécurise des relations ne faisant plus l’objet d’un calcul de confiance, mais d’une habitude de confiance. Parce qu’ils disposent d’une confiance sociale plus élevée, les pays où prédomine la coopération horizontale, celle qui s’exerce à travers les réseaux, notamment associatifs, affichent de meilleures performances macroéconomiques que les pays caractérisés par des structures verticales de type religieux ou autoritaire. La confiance sociale est en outre associée positivement au taux de croissance économique et au niveau de revenu par habitant. La monnaie est de la « confiance cristallisée ». Une crise monétaire est une crise de la légitimité sociale, corrodant la confiance institutionnelle et risque de se muer en crise de la confiance interpersonnelle. La confiance joue également un rôle déterminant dans la conduite de la politique économique. L’envahissement de l’espace public par la statistique économique accentue la défiance envers la manipulation des indicateurs économiques par les autorités publiques, or la confiance envers ces indicateurs est essentielle pour assurer la légitimité de l’impôt.

Le chapitre 6 présente les rapports qu’entretiennent confiance et démocratie. Les travaux que réalisa Putnam il y a une vingtaine d’années ont initialisé l’analyse contemporaine des bienfaits civiques et politiques de la confiance. Les normes et réseaux d’engagement civique sont à ses yeux essentiels à la qualité de la vie publique et à la performance des institutions sociales. Putnam affirme en outre qu’un déclin du capital social est à l’œuvre aux Etats-Unis et entraîne une chute de la participation démocratique nuisible à la qualité de la vie publique. La confiance apparaît chez Locke comme le lien fondamental unissant gouvernants et gouvernés. Paradoxalement, la défiance à l’égard du pouvoir politique incite les démocraties à instaurer des arrangements institutionnels réduisant la capacité des gouvernants à trahir la confiance des citoyens. Elle s’avère donc bénéfique puisqu’elle conduit à une amélioration des institutions et devient même chez Rosanvallon le vecteur d’une régénérescence de la démocratie à travers la participation active des citoyens.

Eloi Laurent envisage dans le chapitre 7 les moyens politiques de former la confiance. Les institutions faisant système, toute tentative d’instituer la confiance interpersonnelle dans un système social qui en est dépourvu est condamné à l’échec. Le capital social et la confiance sont les fruits des politiques sociales à visée universelle favorisant l’égalité entre citoyens. L’amélioration de l’éduction, le renforcement des institutions formelles et la réduction des inégalités de revenu sont les principaux vecteurs d’accroissement de la confiance généralisée. Eloi Laurent souligne toutefois qu'une politique visant à accroître la confiance peut dissimuler d’autres agendas qui sont sans rapport avec cette dernière. Laurent dissèque deux exemples d’instrumentalisation idéologique de la confiance. Robert Putnam a cherché à démontrer, en multipliant les confusions et sans apporter de preuves robustes, que le déclin du capital social aux Etats-Unis s’expliquait par la diversité raciale ; la confiance serait corrodée par la diversité. De leur côté, Algan et Cahuc (2007) postulent un lien contestable entre rigidités structurelles et rigidités culturelles : la mise en place salutaire de réformes structurelles de flexibilisation du marché du travail et de libéralisation de l’économie française serait entravée par diverses rigidités culturelles, qu’il faudrait ainsi éradiquer pour stimuler la croissance au bénéfice de la population. Eloi Laurent rappellera en outre en conclusion de l’ouvrage que « ce n’est pas, en France, la défiance qui explique les difficultés sociales, mais le contraire ». Après avoir ainsi mis en garde contre les abus du terme de confiance, l’auteur dresse l’état des confiances en France. « Les Français font fortement confiance aux gens qu’ils connaissent et plutôt confiance à ceux qu’ils rencontrent pour la première fois, mais ils se montrent obstinément prudents à l’égard des autres en général. » Plus la confiance limitée aux relations familiales et communautaires serait forte, plus la confiance à l’égard des étrangers serait faible. Si la France connaît une crise de confiance, celle-ci concerne avant tout certaines institutions, en particulier les institutions politiques. La confiance que leur accordent les Français est effectivement faible et déclinante.

 

voir la liste complète des notes de lecture 

Martin Anota

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23 avril 2012 1 23 /04 /avril /2012 01:10

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Les phases successives de la crise de la zone euro et la dynamique des dettes publiques ont révélé la perfide interaction entre les fragilités du secteur financier et les pressions sur l’endettement public. Plusieurs publications ont récemment précisé ce lien.

Mody et Sandri (2011) ont analysé la structure de corrélation entre les évolutions des valeurs boursières et celles des spreads souverains (c’est-à-dire la prime de risque incorporée par les titres publics par rapport à leurs équivalents allemands) à partir d'un panel de pays de la zone euro. Avant la crise du crédit subprime, les différents pays de la zone euro présentaient des spreads souverains pratiquement identiques. Avec l’éclatement de la crise aux Etats-Unis durant l’été 2007, les spreads s’élevèrent tout d’abord modérément. A partir du sauvetage de la Bear Stearns en mars 2008, ils s’accroissent fortement et commencent à se différencier clairement d’un pays à l’autre. Les spreads s'élevaient avec un retard de deux trois semaines par rapport aux dégradations des valeurs boursières des banques. Les différences observées entre les primes de risque reflétaient l’hétérogénéité des problèmes financiers domestiques, mais aussi les différences dans le niveau de l’endettement public et la croissance potentielle. Les spreads souverains furent ainsi très sensibles aux pertes boursières dans les pays ayant un endettement public élevé et un plus faible potentiel de croissance.

GRAPHIQUE  Valeurs boursières du secteur financier et spreads souverains

Modi Sandrisource : Modi et Sandri (2011)    

D’après Modi et Sandri, la crise connaît une nouvelle aggravation avec la nationalisation d’Anglo Irish en janvier 2009. Le sauvetage de la banque irlandaise suscite les premières inquiétudes concernant la soutenabilité budgétaire des Etats et finalement leur capacité à soutenir durablement le secteur financier. Les évolutions dramatiques des déséquilibres budgétaires de la Grèce viennent peu après confirmer la mutation de la crise bancaire de la zone euro en une crise souveraine. Alors qu’auparavant les pertes boursières ne se traduisaient qu’avec retard par une hausse des spreads souverains, les évolutions entre les deux variables financières sont dorénavant simultanées. Non seulement la déstabilisation du secteur financier mène à des inquiétudes concernant la soutenabilité des dettes souveraines, mais la détérioration même de l’équilibre budgétaire affaiblit aussi à présent les perspectives bancaires. Désormais, les difficultés de l’Etat et du secteur bancaire menacent de se renforcer mutuellement.

Acharya, Drechsler et Schnabl (2012) mettent en exergue le lien existant entre le risque de crédit souverain et le risque de crédit bancaire. La croissance économique est affectée par la sous-capitalisation du secteur bancaire, puisque le processus de désendettement des institutions financières se traduit par un resserrement du crédit. Les gouvernements renflouent le secteur financier pour éviter un effondrement du crédit et une contraction de l’output. Le risque de crédit de l’Etat augmente immédiatement du côté du passif de son bilan, car les renflouements amènent l’Etat à émettre davantage de dette. Parallèlement, les ménages et entreprises anticipent des hausses futures de taxes, ce qui réduit les rendements à long terme des investissements. Le sous-investissement consécutif entraîne un ralentissement de la productivité et de la croissance, donc une hausse du risque de crédit de l’Etat via cette fois-ci le côté actif de son bilan. Les dynamiques bancaire et publique entrent en étroite interaction : les autorités publiques « sacrifient » une partie de leur solvabilité pour absorber le trop-plein de risque accumulé par le secteur financier, donc les spreads de crédit souverain augmentent.

Dans la mesure où l’Etat est l’assureur ultime des banques domestiques, la détérioration de sa propre solvabilité impacte négativement leur situation, notamment car les banques détiennent elles-mêmes de la dette publique. Acharya et alii (2012) observent le biais domestique (home bias), c’est-à-dire la proportion de titres domestiques parmi l’ensemble des titres de dette publique détenus par les banques d’un pays donné. Le biais domestique dans la détention de titres publics est en moyenne d’environ 60 %. Il est en outre plus élevé pour les banques des pays en extrême difficulté de la périphérie européenne (les PIIGS). Ce biais domestique dans la détention de dette souveraine cristallise un effet retour de l’Etat au secteur financier. La qualité de crédit des banques européennes serait alors liée à l’ampleur de leur biais domestique. Un second effet retour apparaît relatif aux garanties implicites du secteur financier par les gouvernements. La qualité de crédit du secteur financier est affectée par les perspectives négatives concernant la solvabilité publique. Une hausse dans les CDS souverains détériore le risque de crédit bancaire, puisqu’elle affaiblit la qualité des garanties implicites apportées par les gouvernements. Ces deux effets retour se traduisent par une détérioration de l’activité d’intermédiation bancaire, donc par une nouvelle exacerbation des risques de crédit souverain et de plus fortes pressions récessives.

Selon Modi et Sandi (2011), l’existence de boucles rétroactives négatives entre les banques et l’Etat fait émerger des équilibres multiples ; d’infimes perturbations peuvent se voir profondément amplifiées et faire basculer les économies dans un régime insoutenable. Alors qu’avant la crise du crédit subprime, les marchés eurent une perception erronée des risques et provoquèrent une convergence injustifiée des spreads, les marchés ont depuis resserré les conditions de financement et firent basculer les banques et les Etats dans une sévère détresse autoréalisatrice.

Angeloni et Wolff (2012) observent l’effet de débordement induit par le risque souverain sur le risque bancaire. Ils se focalisent sur la composition du bilan des banques pour déterminer si leur détention de titres publics influence leurs performances boursières. Ces dernières furent négatives en 2011. Les plus mauvaises performances boursières ont été réalisées par les banques localisées dans la périphérie européenne. Les deux auteurs utilisent les données issues du stress test de juillet et du Capital Exercise mené en décembre par l’Autorité bancaire européenne (ABE). Ces tests permettent de comparer la composition bilantielle des banques en décembre 2010 et en septembre 2011. Sur la période, les banques ont réduit leur détention de titres de dette souveraine émises par les économies périphériques, en l'occurrence l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal. Les banques ont ainsi été moins exposés au risque souverain en septembre 2011 qu’au début de 2011. En revanche, l’Opération de refinancement de plus long terme (LTRO) menée par la BCE en décembre 2011 semble avoir amplement renversé cette évolution. Selon l’étude d’Angeloni et Wolff, il n’y a finalement pas de forte corrélation entre les valorisations boursières des banques et leur exposition à la dette souveraine des pays périphériques. Les performances des banques sont faiblement reliées au caractère risqué de leur détention de dette publique. En revanche, les cours boursiers des banques semblent incorporer le risque souverain associé au pays dans lequel les banques sont localisées. Ainsi, des banques ayant leur siège dans un même pays, mais qui seraient différemment exposées au risque souverain, connaîtraient pourtant des performances relativement similaires sur le marché boursier.

Références Martin Anota

ACHARYA, Viral, Itamar DRECHSLER & Philipp SCHNABL (2012), « A tale of two overhangs: The nexus of financial sector and sovereign credit risks », in VoxEU.org, 15 avril.

ANGELONI, Chiara, & Guntram WOLFF (2012), « Sovereign portfolios or banks’ location: What channels sovereign risk into banking systems?  », in VoxEU.org, 19 avril.

MODY, Ashoka, & Damiano SANDRI (2011), « The interplay of sovereign spreads and banks’ fragility in the Eurozone », in VoxEU.org, 23 novembre.

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