Il y a tout juste cinq ans, la pandémie de Covid-19 et la récession qui l’a accompagnée ont fait l’objet d’une énorme production scientifique en temps réel. En revanche, la reprise qui a suivi a été très peu étudiée. James Stock et Mark Watson [2025] se sont penchés sur ce cycle très particulier. La récession pandémique et la reprise subséquente se révèlent en effet, sur plusieurs plans, très singulières lorsqu’on les compare avec les précédentes fluctuations de l’activité.
Tout d’abord, la récession associée à la pandémie a été extrêmement courte : elle n’a duré que deux mois selon la datation du NBER, en l’occurrence mars et avril 2020. C’est la plus courte selon les registres du NBER remontant à 170 ans. La seconde récession la plus courte a été celle qui avait débuté en mars 1919 ; elle avait duré sept mois.
Cela dit, la contraction de l'activité a été la plus forte qui ait été enregistrée depuis la Seconde Guerre mondiale. La consommation réelle chuta de 6,6 % en mars, puis de 11 % en avril. Au printemps 2020, des millions de travailleurs furent licenciés. Les nouvelles demandes hebdomadaires d’indemnisation du chômage, qui sont généralement comprises entre 200.000 et 300.000, atteignirent les 6 millions la semaine finissant le 28 mars, contre 650.000 à leur pic durant la Grande Récession à la fin des années 2000. Le taux de chômage mensuel était de 3,5 % en février ; il attint 14,8 % en avril.
GRAPHIQUE 1 Taux de chômage aux Etats-Unis (en %)
Source : FRED
La reprise subséquente a quant à elle été particulièrement rapide. Elle a été aussi rapide que la récession : au cours des deux mois qui ont suivi le creux en avril, les dépenses de consommation réelles ont augmenté de 14 % et le taux de chômage a chuté de près de quatre points de pourcentage. Au cours des six mois qui ont suivi le creux (en avril), l’emploi a crû de 18 % en rythme annualisé, alors que sa croissance était de seulement 1 % au cours des précédentes reprises enregistrées depuis 1960. Puis, au cours des six mois suivants, le rythme de création d’emplois a ralenti et est revenu aux normes historiques, avant d’accélérer fortement à partir de mars ou d’avril 2021 pour resté élever jusqu’à la fin de l’année. Le taux de chômage avait atteint un pic de 14,8 % en avril 2020 ; il était déjà revenu à 6,9 % en octobre 2020. Fin 2021, l’économie américaine était à son plein emploi, ou du moins proche de celui-ci : le taux de chômage était alors de 3,9 %.
D’habitude la consommation de services et l’emploi tertiaire sont moins sensibles à la conjoncture que la consommation de biens et l’emploi industriel. Ce fut l’inverse lors de la pandémie : les services se sont effondrés et il leur a fallu plusieurs années à retrouver leur pic d’avant-crise ; juste après sa contraction en mars et en avril 2020, la consommation de biens durables explosa dès mai et était en juin 14 % supérieure à son pic d’avant-crise. Le cycle a été marqué par une réallocation sans précédent de la consommation, de la production et l’emploi des services, en particulier ceux en face à face, comme la restauration, vers les biens, en particulier les biens qui peuvent être consommés à domicile et en plein air.
Au prisme d’un modèle empirique simple, Stock et Watson montrent qu’un unique choc non observable peut expliquer les anomalies observées lors de la pandémie. Il s’avère a posteriori que ce « choc du Covid » a suivi étroitement l’évolution du nombre de décès occasionnés par la pandémie. En tout cas, dans la modélisation de Stock et Watson, il a diminué au cours du temps, à mesure que la reprise se poursuivait. Fin 2022, le choc du Covid et les anomalies de l’activité économique avaient largement disparu. En définitive, ce choc expliquait à lui seul 97 % de la variation de la croissance de l’emploi, 95 % de la variation du taux de chômage, 75 % de la variation de la consommation, 73 % de la variation de la consommation de services, 56 % de la variation des mises en chantier de logements et 37 % de la variation de la consommation de biens durables.
GRAPHIQUE 2 Logarithme du PIB réel et trajectoire tendancielle d’un pic à l’autre
Source : Stock et Watson (2025)
Stock et Watson ont noté une autre anomalie par rapport aux précédents cycles. Les autres récessions postérieures à 1960 ont été suivies par l’arrimage du PIB à une trajectoire tendancielle inférieure à celle qu’il suivait avant-crise (cf. graphique 2). La crise financière de la fin des années 2000 n’a pas fait exception : dans une étude antérieure, Stock et Watson [2012] notaient qu’elle était juste plus large qu’habituellement. La récession pandémique, elle, se singularise par un retour du PIB à sa trajectoire antérieure. Les dynamiques macroéconomiques qui étaient observées avant la pandémie se sont reproduites suite à celle-ci ou, comme préfèrent le dire Stock et Watson, elles n’ont jamais disparu : elles n’ont été que temporairement dissimulées par le choc pandémique.
C’est précisément le Covid lui-même qui posait problème. Par conséquent, tout ce qui permettait de réduire les conséquences sanitaires du virus ou de continuer de vivre malgré le virus a contribué à stimuler l’activité. Par exemple, le déploiement du télétravail a permis à beaucoup de travailleurs de poursuivre leur activité. Le déploiement des masques, puis surtout l’arrivée du vaccin ont permis à la population de retrouver rapidement ses habitudes. En l’occurrence, l’opération Selon Stock, l’opération Warp Speed, orchestrant la recherche d’un vaccin, a probablement constitué la meilleure politique macroéconomique [Eberly et alii, 2025].
Le singulier rebond du PIB tient certainement aussi à la réaction, elle-même singulière, de la politique budgétaire. Face à la récession pandémique, les pays développés ont adopté une relance budgétaire d’une ampleur sans précédent [Auerbach et alii, 2022]. Les Etats-Unis ne font pas exception : la première administration Trump, puis l’administration Biden ont adopté trois plans de relance massifs. En conséquence, le ratio dette publique sur PIB aux Etats-Unis a augmenté de 17,4 points de pourcentage pour atteindre 124 %, ce qui constitue sa plus forte hausse, supérieure à celle observée dans le sillage de la crise financière de la fin des années 2000. Une autre conséquence a peut-être la poussée inflationniste au sortir de la pandémie, comme le suggèrent plusieurs travaux [Jordà et alii, 2022 ; de Soyres et alii, 2022 ; Dynan et Elmendorf, 2024].
Si la pandémie n’a pas eu d’effet durable sur la dynamique du cycle d’affaires, reste ouverte la question de savoir si elle a durablement affecté diverses variables macroéconomiques. Comme nous l’avons déjà noté, la crise sanitaire a accéléré le déploiement du télétravail [Buckman et alii, 2025] et entraîné une forte hausse de l’endettement public, mais elle a aussi fortement accru le nombre de créations d’entreprises [Decker et Haltiwanger, 2023], accentué l’attention portée aux chaînes de valeur et modifié la main-d’œuvre [Abraham et Rendell, 2023], notamment avec les décès provoqués par la pandémie, les COVID longs [Blanchflower et Bryson, 2023] et les départs à la retraite anticipés [Davis et alii, 2023]. Pourtant, les taux de croissance d’agrégats macroéconomiques comme la consommation, l’investissement, le taux d’activité et la productivité étaient, une fois le choc du Covid passé, revenus à leur niveau prépandémique. Stock et Watson rejoignent ainsi ici d'autres travaux : John Fernald et alii [2024] ont conclu que la croissance de la productivité du travail est revenue à son rythme prépandémique et Nicholas Bloom et alii [2025] n'ont pas non plus noté de changement quant à la croissance de la productivité globale des facteurs.
Références
STOCK, James H., & Mark W. WATSON (2025), « Recovering from COVID », NBER, working paper, n° 33857.