Les conséquences économiques des conflits ont fait très tôt l’objet de travaux de la part des économistes ; John Bates Clark [1916], son fils John Maurice Clark [1931] et William Rossiter [1916] ont par exemple cherché à estimer les coûts économiques de la Première Guerre mondiale. Mais ces dernières années, la reprise de l’invasion russe de l’Ukraine en 2022 et plus globalement la montée des tensions géopolitiques ont fortement ravivé l’intérêt des économistes pour l’étude des conséquences du risque géopolitique en général et celles des conflits en particulier.
La littérature conclut que les guerres sont très coûteuses et que ces coûts sont particulièrement persistants [McGuirk et Trebesch, 2025]. Hannes Mueller [2012] estimait qu’une guerre civile réduit initialement le PIB par tête de 18 % en moyenne ; les travaux sur les guerres interétatiques [Organski et Kugler, 1977] estiment que celles-ci réduisent le PIB de 10 % à 15 % et qu’il faut entre quinze et vingt ans pour que l’économie achève sa reprise. En étudiant les épisodes de forte chute du PIB, Barro [2006] et Barro et Ursúa [2008] ont conclu que les guerres mondiales font partie des plus gros désastres macroéconomiques. Observant également les événements macroéconomiques majeurs, Valerie Cerra et Sweta Saxena [2008] concluent que les guerres ont un impact ample et durable assez similaire à celui des crises financières.
S’appuyant sur un large échantillon de données relatives à une soixantaine de pays pour une période s’étendant sur 150 ans, Jonathan Federle et alii [2024] ont non seulement confirmé que les guerres interétatiques se révélaient particulièrement coûteuses, en entraînant typiquement une chute de 30 % de la production des pays belligérants, mais ils ont également montré que les conflits pesaient aussi fortement sur l’activité économique des pays qui n’y prennent pas part : les pays situés à leur proximité voient généralement leur production chuter de plus de 10 %.
Efraim Benmelech et Joao Monteiro [2025] viennent de proposer de nouvelles estimations des effets économiques des guerres en s’appuyant sur une approche de contrôle synthétique : ils ont défini pour chaque conflit un groupe de pays qui participent à celui-ci et un groupe de contrôle composé de pays qui n’y participent pas, puis ils ont comparé le comportement économique des deux groupes.
Sur plusieurs plans, ils n’adoptent pas la même focale que Federle et alii [2024], si bien que les deux études se révèlent complémentaires. Tout d’abord, alors que Federle et ses coauteurs analysaient les répercussions des conflits sur les pays qui n’y prennent pas part, Benmelech et Monteiro se concentrent sur les répercussions des conflits sur les pays belligérants. Ils s’intéressent tout particulièrement aux mécanismes qui rendent persistants les effets des conflits sur l’activité économique. De plus, Benmelech et Monteiro s’intéressent aux conséquences budgétaires des conflits, alors que ces effets restaient dans l’angle mort de Federle et ses coauteurs. En outre, les deux études n’observent pas les mêmes conflits : Federle et ses coauteurs se focalisaient sur les seuls conflits interétatiques, tandis que Benmelech et Monteiro analysent également les conflits intraétatiques. Enfin, Benmelech et Monteiro se sont appuyés sur une base de données couvrant 115 conflits et 145 pays pour les 75 dernières années, c’est-à-dire resserrent la fenêtre temporelle, mais élargissent la couverture géographique. Alors que Federle et ses coauteurs se concentraient sur les pays développés, Benmelech et Monteiro prennent bien davantage en compte les pays en développement
Benmelech et Monteiro confirment que les conflits ont des effets importants et durables sur l’activité réelle : le PIB réel chute en moyenne de 13 % sur les dix années qui suivent le début du conflit (ce qui correspond à une perte de plus de 28 milliards de dollars aux prix de 2015) et il n’y a toujours pas de reprise même une décennie après le début du conflit. La consommation chute brutalement et l’investissement encore plus. En théorie, avec la destruction du stock de capital, la productivité du capital augmente, ce qui devrait stimuler l’investissement ; ce n’est pas le cas. L’une des explications tient au comportement du crédit : en termes réels, celui-ci chute de 22 %. Les conflits affectent aussi le commerce extérieur : les exportations chutent de 13 % et les importations de 7 %, si bien que le solde du compte courant tend à se dégrader.
La chute de l’activité est plus sévère dans le cas des conflits intraétatiques que dans le cas des conflits interétatiques : les premiers entraînent une chute de la production réelle de 20 % (soit une perte équivalente à 25 milliards de dollars, aux prix de 2015), tandis que les seconds entraînent une baisse de la production deux fois moindre. Benmelech et Monteiro notent aussi que les coûts sont supportés de façon disproportionnée par les perdants : ces derniers subissent une baisse cumulée de 24 % de leur production réelle (soit une perte équivalente à 11,7 milliards de dollars, aux prix de 2015), tandis que pour les pays qui sortent victorieux d’une guerre, cette dernière n’a pas d’effet net dix ans après ses débuts. Ce résultat suggère que les pays les plus susceptibles de gagner un conflit sont ceux qui en subissent moins les conséquences économiques.
Ensuite, Benmelech et Monteiro constatent que les conflits entraînent une détérioration des finances publiques : les dépenses ont tendance à rester stables, mais les recettes chutent (de 14,5 % en moyenne), ce qui réduit le solde primaire. Dans la mesure où les dépenses publiques restent stables, alors même que les dépenses militaires, augmentent, cela suggère que les gouvernements réduisent fortement les autres dépenses. Comme ces dernières incluent certainement des dépenses favorables à la croissance à long terme, notamment dans l'éducation et la santé [Damon, 2025], il y a là des vecteurs via lesquels un conflit dégrade le potentiel de croissance à long terme.
Suite au début d’un conflit, la dette publique nominale augmente, mais la dette publique réelle décline : cette dernière baisse de 9 %, ce qui équivaut à une baisse de 11,4 milliards de dollars (aux prix de 2015). Le ratio dette publique sur PIB reste quant à lui inchangé. Ces évolutions s’expliquent par le comportement de l’inflation : les prix augmentent en moyenne de 50 %. Cette inflation érode la dette publique et génère des recettes de seigneuriage, mais elle déprime aussi l’investissement en entraînant une dépréciation du taux de change : la plupart des biens d'investissement étant importés, la dépréciation de la monnaie en accroît.
Références
CLARK, John Bates (1916), « The economic costs of war », in American Economic Review, vol. 6, n° 1.
CLARK, John Maurice (1931), The Costs of the World War to the American People, Yale University Press.
DAMON, Julien (2025), « Dépenses militaires versus dépenses sociales ? », in Telos, 25 février.
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