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8 novembre 2012 4 08 /11 /novembre /2012 19:03

Robert Lucas (1990) se demandait pourquoi les capitaux n’affluaient pas vers les économies émergentes : dans de la pure théorie néoclassique, les facteurs de production voient leurs prix d’autant plus s’élever qu’ils sont rares. Les salaires sont tellement faibles dans les économies en développement que la rentabilité du capital devrait y être particulièrement élevées  et les capitaux venir massivement s'y investir. En paraphrasant Lucas, Harold L. Cole, Jeremy Greenwood et Juan M. Sanchez (2012) se sont quant à eux demandé pourquoi la technologie n’afflue pas des pays riches vers les pays pauvres. Les économies devraient adopter les meilleures technologies, celles qui rapportent les niveaux les plus élevés de revenus, or ce n’est pas cas.

Dans la réalité, et cette fois-ci pour paraphraser Brender et Pisani (2007), les technologies ne circulent jamais dans le vide de la théorie. L’allocation d’un pays en ressources influe bien sûr sur ses choix technologiques. Les politiques publiques, en promouvant ou bien en décourageant l’usage des technologies, contraignent également leur adoption. Mais aussi, et ce sera la voie explorée par Cole et alii, des institutions, notamment financières, doivent être suffisamment développées pour qu’un transfert technologique s’opère. Les disparités observées dans le développement financier se traduisent par l’adoption de technologies différentes ; ces différences technologiques contribuent alors à la divergence dans les niveaux de productivités et finalement dans les niveaux de revenus constatés entre les pays. Depuis les travaux fondateurs de Schumpeter liant finance et développement économique, les économistes néoclassiques n’ont cessé de renouveler leurs modélisations pour mettre à jour les interactions que l’activité financière entretient avec la croissance. Si les analyses de Robert G. King et Ross Levine (1993) tendent à démontrer l’importance du développement financier pour l’accumulation du capital, les gains de productivité et en définitive la croissance économique, Stephen Cecchetti et Enisse Kharroubi (2012) décèlent plutôt de leur côté une courbe de Kuznets financière en suggérant que le développement financier devient dommageable à l’activité réelle de l’économie à partir d’un certain seuil. Dans le cas des pays en développement toutefois, l’activité financière semble encore insuffisamment mature et une telle insuffisance institutionnelle pèse très certainement sur l’adoption des technologies les plus avancées et finalement sur leur trajectoire de croissance.

Afin d’expliquer pourquoi les pays n’utilisent pas les mêmes technologies de production et comment celles-ci affectent leurs niveaux de revenu et de productivité, Cole et alii vont supposer que l’efficacité des marchés financiers joue un rôle déterminant dans l’adoption des technologies. Investir dans de nouvelles technologies est en effet risqué : celles-ci exigent un montant parfois massif de financement au préalable, or les retombées d’un tel investissement sont incertaines. En outre, les investisseurs financiers ont un accès plus limité aux informations que les développeurs mêmes du projet. Cette asymétrie informationnelle risque alors de se traduire par un niveau inadéquat de financement, donc un sous-investissement.

Cole et alii modélisent un contrat dynamique dans un cadre d’équilibre général où le niveau de productivité des entreprises constitue une information privée. Une entreprise choisit un investissement technologique, mais celui-ci implique un coût fixe d’autant plus important que le rendement attendu est élevé. Afin de surveiller l’usage des fonds qu’ils consentent, les intermédiaires financiers peuvent auditer les rendements d’une entreprise, mais les audits sont d’autant plus coûteux qu’ils sont efficaces. De plus, les coûts d’audit décroissent avec l’efficacité technologique du système financier du pays. La plus ou moins grande capacité à surveiller les investissements détermine les projets dans lesquels intermédiaires et entreprises peuvent investir. Lorsqu’un intermédiaire ne peut surveiller les projets d’investissement, il doit s’appuyer sur des mécanismes incitatifs pour s’assurer que les projets seront rentables. Ces mécanismes incitatifs vont dépendre de stratégies backloading qui consistent à programmer dès le départ le remboursement des fonds consentis à la date d'achèvement du projet. Certaines fois, il n’est également pas possible pour l’intermédiaire de surveiller les flux de trésorerie, ce qui rend inutilisable toute stratégie backloading. La rentabilité de certains projets s’en trouve dès lors davantage réduite. La structure technologique qui sera en définitive adoptée par un pays sera fonction de son système financier, si bien que celui-ci influera de manière déterminante sur son revenu et sa productivité globale des facteurs.

 

Références Martin ANOTA

BRENDER, Anton, & Florence PISANI (2007), Les Déséquilibres financiers internationaux, La Découverte.

CECCHETTI, Stephen G., & Enisse KHARROUBI (2012), « Reassessing the impact of finance on growth », BIS working paper, n° 381, juillet.

COLE, Harold L., Jeremy GREENWOOD, & Juan M. SANCHEZ (2012), « Why doesn’t technology flow from rich to poor countries? », Federal Reserve Bank of St. Louis, working paper, n° 40, octobre.

KING, Robert G., & Ross LEVINE (1993), « Finance and growth: Schumpeter might be right », in” Quarterly Journal of Economics, vol. 108, n° 3.

LUCAS, Robert (1990), « Why doesn’t capital flow from rich to poor countries? », in The American Economic Review, vol. 80, n° 2.

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5 novembre 2012 1 05 /11 /novembre /2012 17:27

La crise financière qui a éclaté sur le marché du crédit hypothécaire aux Etats-Unis a généré une puissante remontée des taux d’épargne au niveau mondial. Alors que les turbulences n’affectèrent tout d’abord que les seules économies avancées, elles se transmirent également aux économies émergentes avec la faillite de Lehman Brothers. La baisse de la demande globale n’a pas affecté de la même manière, ni au même rythme, l’ensemble des pays. Les économistes ont alors cherché à identifier les facteurs ayant participé à rendre si contagieuse la crise du crédit subprime. Très rapidement les analyses ont mis en évidence que le crédit et le levier d’endettement ont puissamment façonné les répercussions de la crise, la sévérité de cette dernière apparaissant significativement corrélée au montant des prêts accordés avant son déclenchement.

Peu d’études ont été réalisées pour expliquer la plus ou moins grande exposition d’un pays donné à la crise. Parmi les exceptions, l’analyse réalisée par Pelin Berkmen, Gaston Gelos, Robert Rennhack et James P. Walsh (2009) montre que les pays dont les systèmes financiers domestiques firent le plus grand usage du levier d'endettement et dont la croissance du crédit fut la plus rapide ont le plus fortement révisé à la baisse leurs prévisions de croissance. Le commerce extérieur aurait en outre constitué un important canal de transmission de la crise pour les pays avancés. Parmi ceux-ci, ceux qui exportaient avant tout des biens manufacturés furent bien plus affectés que ceux exportant essentiellement des produits alimentaires. L’adoption d’un régime de change flexible aurait quant à elle réduit la vulnérabilité à la crise. Philip R. Lane et Gian Maria Milesi-Ferretti (2010) observent que les pays qui connurent les plus larges déficits de compte courant avant la crise ont vu la demande domestique chuter plus fortement que la production domestique au cours de la crise. Stephen G. Cecchetti, Michael R. King et James Yetman (2011) montrent que l’ouverture financière et l’exposition aux Etats-Unis ont également participé à rendre les économies des vulnérables aux turbulences macroéconomiques. Domenico Giannone, Michele Lenza et Lucrezia Reichling (2011) suggèrent que les politiques de libéralisation menées sur les marchés du crédit ont particulièrement exacerbé les dommages subis par l’économie réelle. En se focalisant sur les émergens européens, Jesús Crespo Cuaresma et Martin Feldkircher (2012) observent qu’une croissance d’avant-crise qui aurait été financée par fonds externes a constitué une source significative de risques.

Dans une récente étude, Martin Feldkircher (2012) a cherché à identifier plus finement les conditions macroéconomiques et financières expliquant pourquoi les pays n’ont pas répondu de la même manière à la crise mondiale. Il examine un ensemble de données couvrant 97 facteurs potentiellement explicatifs. Il calcule quatre mesures de sévérité de crise couvrant les répercussions immédiates de la crise sur chaque économie, aussi bien que des mesures pour évaluer les implications de long terme.

Feldkircher met en évidence quatre résultats fondamentaux. Premièrement, la croissance du crédit avant la crise joue effectivement un rôle déterminant pour façonner la réponse de l’économie réelle à la crise. Une hausse de 1 % dans les prêts distribués avant la crise se traduit par une hausse de 0,2 % dans la perte cumulée en termes de production réelle. Deuxièmement, le ralentissement de l’activité réelle est davantage marqué si la croissance d’avant-crise du crédit s’est couplée à une forte exposition du pays au financement externe offert par les économies avancées. Troisièmement, les économies ayant connu un boom important de leur activité réelle avant la crise se sont montrées les plus vulnérables à la crise mondiale. Les coûts de la crise ont été particulièrement exacerbés si la croissance économique d’avant-crise est alimentée par le crédit domestique. Quatrièmement, la réponse de l’économie réelle à la crise tient fortement à la détention de réserves internationales. Si les données ne font pas apparaître de relation claire entre l’accumulation de réserves et la sévérité de la crise, elles font toutefois apparaître que les réserves internationales ont constitué un abri important à la crise, et ce d’autant plus que le taux de croissance du crédit était important avant la crise.

 

Références Martin ANOTA

BERKMEN, Pelin, Gaston GELOS, Robert RENNHACK & James P. WALSH (2009), « The global financial crisis: Explaining cross-country differences in the output impact », IMF working paper, n° 280, décembre. 

CECCHETTI, Stephen G., Michael R. KING & James YETMAN (2011), « Weathering the financial crisis: good policy or good luck? » BIS Working Papers, n°  351, août. 

CUARESMA, Jesús Crespo, & Martin FELDKIRCHER (2012), « Drivers of output loss during the 2008-09 crisis: A focus on emerging Europe », Focus on European Economic Integration

FELDKIRCHERY, Martin (2012), « The determinants of vulnerability to the global financial crisis 2008 to 2009: Credit growth and other sources of risk », BOFIT discussion paper, n° 26, octobre. 

GIANNONE, Domenico, Michele LENZA & Lucrezia REICHLIN (2011), « Market freedom and the global recession », IMF Economic Review.

LANE, Philip R., & Gian Maria MILESI-FERRETTI (2010), « The cross-country incidence of the global crisis », IMF working paper, WP/10/171.

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4 novembre 2012 7 04 /11 /novembre /2012 10:40

La proximité spatiale offre une multitude d’avantages économiques. Les économies d’agglomération désignent les bénéfices qui sont externes à l’entreprise et qui proviennent de la densité et diversité des agents économiques au niveau local. Marshall (1890) a identifié très tôt trois sources d’économies d’agglomération. Tout d’abord, les entreprises profitent de leur contigüité spatiale pour partager, d’une part, les infrastructures caractérisées par des coûts fixes élevés et de larges économies d’échelle et, d’autre part, les fournisseurs spécialisés d’intrants. Inversement, une plus forte densité d’entreprises permet à chacune d’entre elles de s’assurer d’avoir davantage de débouchés pour sa production. La proximité met également un large ensemble de main-d’œuvre spécialisée à la disposition des entreprises, ce qui leur permet de satisfaire plus finement leurs besoins spécifiques en compétences. Inversement, les travailleurs ont quant à eux accès à un plus large éventail d’opportunités d’emplois et ils ont ainsi plus de chances de trouver un emploi qui leur convienne en termes de préférences et de niveau de qualifications. Enfin, la proximité spatiale permet une meilleure diffusion des savoirs et des nouvelles technologies. En effet, les effets de débordements technologiques s’exercent en particulier dans les relations de face à face. Les effets positifs de ces économies d’agglomérations sont en définitive observés à travers une hausse de la productivité et une baisse des coûts subis par les entreprises.

Les coûts de transport sont un élément crucial pour la compréhension de l’agglomération spatiale des activités économiques. Le partage des intrants, l’appariement entre l’offre et la demande de travail et les transferts technologiques peuvent ne pas s’opérer localement, mais ils s’accompagnent alors d’une perte d’efficacité et de coûts supplémentaires. Une plus forte densité spatiale réduit la distance physique entre les agents économiques et par là les coûts de transport, or la facilité avec laquelle les gens, les produits et se déplacent contribue fortement à la productivité.

Dans ce contexte, les investissements en transport sont susceptibles de relever la productivité de plusieurs manières. Tout d’abord, ils facilitent les interactions interindividuelles en permettant le regroupement d’activités économiques connexes, notamment via l’apparition de districts industriels ou clusters. Ensuite, ils participent à l’accumulation du capital humain en améliorant l’accès à l’éducation, à la formation et aux emplois qualifiés. En outre, ils améliorent l’accès des entreprises aux marchés. Enfin, ils amortissent les coûts de transport des entreprises. Au final, une meilleure infrastructure de transport peut stimuler les économies d’agglomération en réduisant le prix du trajet et par conséquent en diminuant les coûts d’interaction dans l’économie spatiale. Avec une telle réduction des coûts, l’agglomération de l’activité économique s’intensifie et génère des bénéfices à travers les économies d’échelle.

Si les analyses ont fortement exploré le lien entre transport et productivité, ainsi que la relation entre productivité et économies d’agglomération, le lien entre la productivité et les économies d’agglomération générées par le transport n’a occupé qu’une place réduite dans la recherche. Toutefois, le modèle théorique développé par Venables (2007) a mis en évidence les liens existant entre l’offre de transport et le processus d’agglomération. Il met à jour l’existence d’une relation positive entre la taille de la ville et la productivité. Il a montré que les progrès dans le transport urbain génèrent des gains à travers la taille de la ville. En particulier, un relâchement des contraintes pesant sur l’accès au centre stimule notamment l’emploi. Venbles conclue de son étude que l’investissement en transport urbain est source de rendements croissants qui ne sont pas capturés par l’évaluation standard du transport. Si les villes les plus larges ont une productivité plus élevée en raison d’économies d’agglomération, alors l’écart entre les travailleurs urbains et les travailleurs extérieurs à la ville peut être exprimé, non comme un écart constant, mais comme une courbe concave qui s’élève avec la taille de la ville. Venables démontre alors que les bénéfices associés à un investissement de transport urbain peuvent être quantifiés assez simplement si nous connaissons, d’une part, le changement dans l’agglomération urbaine qui va résulter de l’investissement en transport et, d’autre part, le supplément de productivité qui sera généré par la plus forte agglomération. 

Daniel Graham, David Levinson et Patricia Melo (2012) se sont penchés sur la relation entre la productivité du travail et les économies d’agglomération urbaine à parti d’un échantillon de 51 zones urbaines aux Etats-Unis. Les économies d’agglomération sont saisies à travers des mesures de l’accessibilité à l’emploi basées sur la distance et le temps, ce qui leur permet de prendre explicitement en compte le lien entre le réseau de transport et les économies d’agglomération. Leur modélisation fait apparaître qu’un doublement de la densité des emplois entraîne une hausse des salaires de 4,3 % en moyenne. Graham et alii observent la présence de non-linéarités dans la relation entre la productivité du travail et les économies d’agglomération pour les aires urbaines aux Etats-Unis. Les effets des économies d’agglomération sur la productivité du travail pourraient donc être amplement sous-évalués lorsqu’ils sont estimés au niveau régional ou national.

Préciser la décroissance spatiale des économies d’agglomération importe pour la décision publique. Si les bénéfices des économies d’agglomération ne s’exercent que sur une échelle purement locale, alors les autorités publiques doivent mettre en œuvre des politiques qui favorisent les proches interactions entre les entreprises et entre celles-ci et les travailleurs. En revanche, si les bénéfices de l’agglomération s’exercent sur une échelle géographique plus large, en embrassant différents marchés du travail, alors les autorités publiques ont plutôt à améliorer les interactions entre les marchés du travail. L’étude de Graham et alii suggère que les effets d’agglomération peuvent s’exercer jusqu’à 60 minutes dans le cas des zones urbaines des Etats-Unis, mais leur magnitude décroît très rapidement avec la durée de trajet. Doubler le nombre d’emplois accessibles dans un rayon de 20 minutes du durée de trajet est associé à une hausse moyenne de 6,5 % dans les salaires réels, tandis qu’un tel doublement dans l’espace entre 20 à 30 minutes ne se traduit que par une hausse salariale de 0,5 %. Les effets des externalités d’agglomération urbaine seraient donc au final assez localisées, ce qui suggère aux auteurs de l’étude que les externalités de connaissances sont probablement une source importante d’économies d’agglomération.

 

Références Martin ANOTA

Department of Transport (2012), « Job density, productivity and the role of transport », juin.

GRAHAM, Daniel, James LAIRD & Peter MACKIE (2011), « The direct and wider impacts of transport projects: a review », in A Handbook of Transport Economics.

GRAHAM, Daniel, David LEVINSON & Patricia MELO (2012), « Agglomeration, Accessibility, and Productivity: Evidence for Urbanized Areas in the US », working paper.

GRAHAM, Daniel, & Kurt VAN DENDER (2012), « Estimating the agglomeration benefits of transport investments: some tests for stability ».

MARSHALL, Alfred (1890), Principes d’économie politique.

VENABLES, Anthony J. (2007). « Evaluating Urban Transport Improvements: Cost-Benefit Analysis in the Presence of Agglomeration and Income Taxation », in Journal of Transport Economics and Policy, vol. 41, n° 2.

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