Les économies abondamment dotées en ressources naturelles tendent à connaître une croissance relativement plus faible par rapport aux économies qui en sont dépourvues. A partir d’un échantillon de 95 pays, Jeffrey Sachs et Andrew Warner (1995) ont ainsi montré que les économies présentant de hauts ratios d’exportations de ressources naturelles sur PIB en 1971 tendent à avoir de plus faibles taux de croissance sur la période s’étalant de 1971 à 1989. Cette relation négative entre dotations en ressources naturelles et croissance demeurait une fois que Sachs et Warner aient contrôlé les variables traditionnellement considérées comme importantes pour la croissance économique, telles que le revenu par tête initial, l’ouverture commerciale, l’efficacité des institutions gouvernementales ou encore le taux d’investissement.
Le syndrome hollandais (dutch disease) décrit un ensemble de mécanismes par lesquels une forte dotation en ressources naturelles peut influencer négativement la croissance à long terme d’une économie. Le terme a été introduit par The Economist pour expliquer la stagnation de l’activité aux Pays-Bas durant les années soixante-dix comme le résultat de la découverte d’un large gisement de gaz naturel. L’exploitation de ressources naturelles génère habituellement de larges profits qui vont conduire au développement de l’activité minière au détriment des autres secteurs de l’économie. L’accroissement du revenu national et de la demande entraînent des pressions inflationnistes, tandis que l’afflux de capitaux se traduit par un excédent commercial et s’accompagne d’une appréciation du taux de change réel. La surévaluation du taux de change par rapport à ce qu’induiraient autrement les performances du pays va réduire la compétitivité des autres entreprises exportatrices. Celles-ci voient alors leurs profits diminuer, ce qui renforce les incitations à développer l’activité extractrice. Au cours du boom de ressources premières, les agents démontrent une forte préférence pour le présent qui les conduit à délaisser la question de la croissance à long terme de l'économie et à faire preuve de laxisme dans la gestion privée et publique. Une fois les ressources naturelles épuisées, l’atrophie de la base productive et la surévaluation du taux de change conduisent à une stagnation durable de l’activité économique.
La malédiction (curse) entourant les ressources naturelles n’est toutefois pas systématique et semble dépendre amplement du capital institutionnel de l’économie et de son degré de démocratie. L’Australie, le Botswana, le Canada et la Norvège ont par exemple su efficacement exploiter les abondantes ressources naturelles de leurs territoires pour se développer. Les économistes du FMI Rabah Arezki, Thorvaldur Gylfason et Amadou Sy (2012) se sont ainsi penchés sur ces expériences réussies pour identifier les réponses politiques et institutionnelles possibles qui s’offrent aux pays en développement pour répondre aux défis que leur pose la présence de ressources naturelles.
Le syndrome hollandais pose notamment la question de la stabilisation des taux de change et de la stérilisation des entrées de capitaux, en particulier lors des périodes de prix élevés des matières premières. Les coûts de stérilisation s’avèrent significatifs pour les pays en développement puisque les taux d’intérêts domestiques d’équilibre sont généralement supérieurs à ceux des pays avancés. Une politique budgétaire contracyclique peut toutefois fournir un degré automatique de stérilisation dans la mesure où les périodes de prix élevés des matières premières coïncident avec celles d’excédents budgétaires.
L’abondance en ressources naturelles complique toutefois la conduite de la politique budgétaire. En effet, les revenus du gouvernement dépendent alors largement des prix des matières premières, or ces derniers sont volatiles et imprévisibles. Les gouvernements doivent alors découpler à court terme leurs dépenses courantes des revenus et planifier à plus long terme des dépenses assurant l’équité intergénérationnelle. Certains instruments financiers peuvent couvrir contre la volatilité des prix des matières premières. L’accumulation d’épargne dans les fonds souverains ou l’investissement public sont deux moyens, éventuellement complémentaires, par lesquels le gouvernement peut gérer efficacement les revenus issus des ressources naturelles. Les pays en développement, notamment africains, éprouvent d’immenses besoins en biens publics, mais ils sont contraints par la capacité d’absorption limitée de leur économie, ce qui plaide dans leur cas pour la constitution d’une épargne (éventuellement au sein d’un fonds souverain) en parallèle à l’accumulation de capital public.
La croissance économique à long terme dépend du développement d’entreprises suffisamment nombreuses et diversifiées pour prendre le relais une fois que les ressources naturelles sont épuisées. Si les pouvoirs publics ont un rôle définitivement essentiel dans une telle diversification, les politiques industrielles à travers lesquelles l’Etat s’implique directement peuvent être capturées par les élites locales et susciter des comportements de corruption. Selon Arezki et alii, il serait alors plus judicieux pour les gouvernements d’impulser une diversification économique tirée par l’activité privée en mettant en place des règles incitatives. La diversification peut également être encouragée en allégeant l’imposition sur l’activité entrepreneuriale et l'innovation. Les recettes issues des matières premières peuvent être utilisées pour financer de nouvelles infrastructures propres à accroître les rendements et encourager l’investissement privé. Le développement du secteur financier peut également jouer un rôle dans ce processus de diversification.
En définitive, les auteurs soulignent la place centrale de la question institutionnelle. Les pays abondamment dotés en ressources naturelles voient leurs institutions sapées par les comportements de recherche de rentes et le clientélisme, or le capital institutionnel s'avère déterminant dans la trajectoire de croissance à long terme. Les travailleurs qualifiés tendent à se diriger vers les secteurs improductifs et la capture de rentes. Le cadre institutionnel doit ainsi être refondu pour orienter la main-d’œuvre qualifiée vers l’activité entrepreneuriale privée. Le développement du secteur financier nécessite quant à lui l’instauration de droits de propriété afin de jouer un plus grand rôle dans l’allocation de ressources vers les petites et moyennes entreprises. Une gestion plus transparente des revenus issus des ressources naturelles permet notamment une meilleure allocation des travailleurs qualifiés vers les secteurs productifs.
Références Martin ANOTA
PRAGER, Jean-Claude, & Jacques-François THISSE (2010), Economie géographique du développement, La Découverte.
SACHS, Jeffrey D., & Andrew M. WARNER (1995), « Natural resource abundance and economic growth », working paper, Harvard Institute for International Development.