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17 août 2012 5 17 /08 /août /2012 21:05

Les économistes ne s’accordent pas sur les mécanismes exacts par lesquels la finance influence les variables dites « réelles » de l’économie. Si, des intuitions de l’école autrichienne aux analyses postkeynésiennes de Minsky, plusieurs travaux hétérodoxes ont depuis longtemps souligné l’importance de la finance (voire ses possibles propriétés déstabilisatrices pour le système économique), les auteurs néoclassiques n’ont que peu à peu intégré les variables financières dans leurs modèles et saisi la portée de leurs répercussions réelles. Dans leur optique, les divers intermédiaires, marchés et instruments financiers émergent en raison des « frictions » générées par les coûts d’information et de transaction. C’est en atténuant ces derniers que les systèmes financiers sont propres à influencer les comportements d’épargne des agents, leurs décisions d’investissement, l’innovation technologique et donc finalement la dynamique de la croissance économique.

En se concentrant essentiellement sur la littérature théorique développée par les auteurs néoclassiques, sans pour autant oublier les réflexions pionnières de Bagehot et Schumpeter, Ross Levine (2005) attribue à la finance cinq fonctions primordiales qui sont susceptibles de catalyser la croissance de long terme. 

1. Les systèmes financiers produisent ex ante de l’information relative aux entreprises et allouent les capitaux vers leur usage le plus efficace. En effet, avant de procéder à un placement financier, il est nécessaire d’évaluer les entreprises, leurs dirigeants et les conditions de marché, or une telle évaluation est coûteuse. Les épargnants peuvent ne pas avoir individuellement la capacité ou la volonté de collecter et de traiter l’information relative aux placements possibles, auquel cas ils se montreront réticents à placer leur épargne. Les intermédiaires financiers peuvent entreprendre cette coûteuse recherche d’informations à la place des épargnants. La réduction subséquente des coûts d’acquisition d’information et la meilleure évaluation ex ante des opportunités de placements conduisent à une amélioration dans l’allocation des ressources et à une accélération de la croissance. Si les intermédiaires financiers identifient les entrepreneurs les plus à même d’initialiser de nouveaux biens et procédés productifs, ils pourront en outre stimuler l’innovation technologique.

2. Les systèmes financiers assurent ex post une surveillance des investissements et améliorent la gouvernance d’entreprise. Le degré auquel les fournisseurs de capitaux peuvent surveiller et influencer l’utilisation des capitaux par les entreprises a des répercussions sur les décisions d’épargne et d’allocation des ressources. Les marchés boursiers peuvent stimuler la gouvernance d’entreprise en reflétant efficacement l’information relative aux entreprises dans le cours des actions. Un intermédiaire financier, en mobilisant l’épargne de nombreux individus et en la prêtant aux entreprises, va jouer un rôle de « surveillant délégué » au bénéfice des épargnants et permettre ainsi une diminution des coûts agrégés de surveillance. Puisque les intermédiaires financiers nouent des relations de long terme avec les entreprises, les coûts associés à l’acquisition d’informations s’en trouveront également diminués. La gouvernance d’entreprise sera renforcée et le rationnement du crédit contenu, ce qui permet en définitive une accélération de la productivité, de l’accumulation du capital et finalement de la croissance.

3. Les marchés et intermédiaires financiers favorisent le partage des risques et la couverture des agents contre ces derniers. La capacité du système financier à offrir aux agents une plus large diversification de leurs risques influence la croissance économique de long terme en influençant directement les comportements d’épargne et l’allocation des ressources. Les projets d’investissement à hauts rendements, notamment les innovations radicales, étant plus risqués  que ceux à faibles rendements, une diversification croissante des risques permet de déplacer les choix de portefeuille vers les projets à hauts rendements et d’accélérer le changement technologique. Ensuite, les systèmes financiers améliorent également le partage intertemporel des risques : les risques qui ne peuvent être diversifiés à un instant précis, tels que les chocs macroéconomiques, peuvent être répartis entre les générations si les intermédiaires financiers, disposant d’une longue durée de vie, réalisent des placements avec une optique de long terme. Enfin, le système financier permet de réduire le risque d’illiquidité. La liquidité reflète la facilité avec laquelle les agents peuvent convertir des instruments financiers en pouvoir d’achat. Le risque d’illiquidité apparaît lorsque la conversion des actifs en monnaie devient incertaine, ce qui est notamment le cas en présence de coûts de transaction et d’asymétries d’information. Les projets à hauts rendements exigent un engagement de long terme de la part des créditeurs, mais les épargnants sont réticents à déléguer le contrôle de leur épargne sur de longues périodes. Les intermédiaires financiers vont notamment rendre les placements de long terme plus liquides. Les banques offrent par exemple des dépôts liquides aux épargnants et utilisent l’épargne collectée pour une multitude de placements tant liquides qu’illiquides. Les épargnants sont alors assurés contre le risque de liquidité, tandis que les projets à hauts rendements pourront être mis en œuvre.

4. Les systèmes financiers permettent de mobiliser efficacement l’épargne. En effet, puisque les épargnants sont dispersés les uns des autres, la collecte de leurs ressources implique des coûts de transaction. La mobilisation de l’épargne suscite notamment des problèmes d’asymétrie d’information, dans la mesure où les créditeurs sont amenés à renoncer au contrôle de leur épargne. L’agrégation de l’épargne sera alors facilitée par des contrats bilatéraux, dont la société par actions constitue un exemple, permettant de mettre en relation les entreprises désireuses d’un apport en capital et les agents en capacité de financement. Les intermédiaires financiers peuvent aussi activement participer au processus d’agglomération de l’épargne : une multitude d’épargnants placent leurs ressources auprès d’un intermédiaire qui les met alors à la disposition d’une multitude d’entreprises en besoin de financement. L’accroissement de l’épargne disponible permet aux entreprises de dépasser le caractère indivisible de leurs projets d’investissement et de pleinement exploiter les économies d’échelle. Sans l’accès à un montant minimal de financement, de nombreux processus productifs seraient contraints d’opérer à une échelle inefficiente. De plus, de multiples projets d’investissement nécessitent au préalable une importante injection de capitaux dont les investisseurs individuels ne disposent pas nécessairement.

5. Les systèmes financiers facilitent les échanges de biens et services. La monnaie et les innovations financières permettent une réduction des coûts de transaction et d’information propre à promouvoir la spécialisation, l’innovation technologique et la croissance. En effet, une plus grande spécialisation nécessite de démultiplier les transactions. Ces dernières étant coûteuses, les accords financiers réduisant les coûts de transaction vont inciter les entreprises à approfondir leur spécialisation. Le développement des marchés promouvant les échanges encourage donc la pleine exploitation des gains de productivité.

La mise en évidence de ces divers mécanismes théoriques a amené une majorité d’économistes à conclure que la finance joue un rôle positif sur la croissance économique. Et effectivement, plusieurs études économétriques identifient un lien causal allant de la première à la seconde. La finance ne serait pas simplement dérivée de l’activité économique, mais agirait aussi en retour comme l’un de ses moteurs. Le développement financier apparaît alors comme bénéfique et justifierait aux yeux de certains la dérégulation du secteur financier.

Partant du principe que la Grande Récession ne peut amener qu’à réévaluer ces conclusions, Stephen Cecchetti et Enisse Kharroubi (2012), deux économistes de la Banque des Règlements Internationaux, ont récemment réexaminé l’impact du développement financier sur la croissance et ils parviennent à deux importantes conclusions.

Les deux auteurs examinent tout d’abord l’impact de la taille du système financier sur la croissance de la productivité à partir d’un échantillon de cinquante économies avancées et émergentes au cours des trois décennies passées. La taille du secteur financier est appréhendée à travers le ratio du crédit privé au PIB et la part du secteur financier dans l’emploi total. Il apparait alors qu’un encours de crédit tendant à excéder le PIB s’avère nuisible à la croissance. De même, lorsque le secteur financier représente plus de 3,5 % de l’emploi total, toute hausse supplémentaire dans les effectifs financiers devient également nuisible à la croissance. L’impact de la taille du secteur financier sur la croissance de la productivité serait finalement en forme de U inversé : le développement financier n’est favorable à la croissance de la productivité que jusqu’à un certain point à partir duquel il devient au contraire nuisible à celle-ci, un point qui aurait été dépassé de longue date par les économies avancées.

Les auteurs se focalisent ensuite sur les seules économies avancées au cours des trois dernières décennies et observent l’impact de la croissance du système financier (qu’ils mesurent à travers, d’une part, la croissance de l’emploi et, d’autre part, de la valeur ajoutée de ce secteur) sur la croissance de la productivité réelle. Il apparaît alors qu’une plus rapide croissance de la finance s’avère dommageable pour la croissance réelle agrégée. Comparé à un pays où la part du secteur financier dans l’emploi total est stable, une croissance des effectifs financiers de 1,6 % par an, typiquement associée à un boom du secteur, réduit la croissance du PIB par travailleur d’environ un demi-point de pourcentage. Selon l’interprétation des deux auteurs, les booms financiers seraient par nature nuisibles à la croissance tendancielle. L’industrie financière concurrence les autres secteurs dans l’allocation des ressources, qu’il s’agisse de l’allocation du capital physique ou bien celle des travailleurs hautement qualifiés ; ces derniers, en particulier, se détourneraient ainsi des activités les plus innovantes de l'économie.

 

Références  Martin ANOTA

CECCHETTI, Stephen G., & Enisse KHARROUBI (2012), « Reassessing the impact of finance on growth », BIS working paper, n° 381, juillet.

LEVINE, Ross (2005), « Finance and growth: theory and evidence », in Aghion & Durlauf (dir), Handbook of Economic Growth, Elsevier.

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14 août 2012 2 14 /08 /août /2012 10:45

Plusieurs économistes et responsables politiques voient dans l’existence de règles de politique budgétaire et de mécanismes de plafonnement des déficits ou dettes publics comme un moyen efficace de soumettre les gouvernements à la discipline budgétaire. La zone euro est dotée de telles règles budgétaires. En l’occurrence, un candidat à la zone euro doit maintenir équilibré, voire excédentaire le budget de ses administrations publiques en veillant notamment à avoir un déficit et une dette publics respectivement inférieurs à 3 % et 60 % du PIB. Une fois entré dans la zone euro, chaque Etat-membre est tenu de continuer à respecter ces critères budgétaires dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Si les années précédant la création de la monnaie unique ont vu une réduction des déficits vers les seuils exigés et une forte stabilisation des dettes publiques, le PSC s’est toutefois rapidement montré inefficace. Les pays européens ont notamment manqué de rééquilibrer leurs finances publiques en période de reprise de l’activité pour pleinement utiliser le budget comme outil de stabilisation macroéconomique en cas de ralentissement conjoncturel. L’intensification de la crise souveraine depuis 2010 a incité les gouvernements européens à se focaliser sur la seule consolidation budgétaire (au détriment de la croissance économique, pourtant élément crucial de stabilisation de l’endettement public) et pour cela à adopter de nouvelles règles budgétaires, notamment l’inscription de règles de budget équilibré dans leur Constitution.

Jeffrey Frankel et Jesse Schreger (2012) estiment que les erreurs commises par les agences budgétaires dans leurs prévisions, notamment de croissance, participent aux dérapages budgétaires. Ils ont entrepris l’analyse de 24 pays et s’interrogent à partir de ces données sur l’adéquation entre, d’une part, les prévisions gouvernementales du PIB et du solde budgétaire et, d’autre part, leur évolution effective au cours du temps. Ils cherchent notamment à estimer l’influence des règles budgétaires sur l’écart entre prévisions officielles et chiffres effectifs. L’objet de leur étude n’est pas de déterminer si les règles budgétaires permettent véritablement aux gouvernements de stabiliser plus efficacement leurs finances publiques, encore moins d’évaluer leurs répercussions macroéconomiques (voir par exemple Creel, Hubert et Saraceno [2012] pour une telle évaluation), mais de déterminer si ces règles leur permettent d’anticiper plus finement l’évolution de leur endettement et de la croissance économique. 

Plusieurs études se sont déjà penchées sur le décalage entre les prévisions officielles et les trajectoires effectives du PIB et de l’endettement public. Elles ont notamment mis en évidence que les agences budgétaires de l’union européenne ont généralement eu tendance ces dernières décennies à surestimer le taux de croissance domestique. C’est en particulier le cas des institutions allemandes et portugaises, tandis que le Royaume-Uni apparaît comme une exception. La Finlande, le Royaume-Uni et la Suède tendent de leur côté à surestimer leurs déficits budgétaires. Globalement, le suroptimisme dans les prévisions ex ante se traduit par de plus amples déficits ex post et notamment des déficits supérieurs à 3 % du PIB. Les niveaux effectifs de solde budgétaire atteints par les gouvernements soumis au PSC sont en moyenne inférieurs aux niveaux officiellement attendus ex ante. En l’occurrence, les gouvernements français, italien et portugais sont les membres de la zone euro les plus excessivement optimistes.

A partir d’un échantillon de 33 pays, Frankel (2011a, 2011b) a de son côté observé que les prévisions officielles de croissance et d’équilibre budgétaire que réalisent les agences gouvernementales sont biaisées vers le haut. L’écart entre le niveau attendu et le niveau effectif se révèle en outre d’autant plus important que les prévisions portent sur un horizon temporel éloigné. Puisque la croissance économique joue un rôle déterminant dans la dynamique du solde budgétaire, le biais dans les prévisions budgétaires trouve une explication dans le suroptimisme affiché par les conjoncturistes dans leurs prévisions de croissance. De plus, le biais apparaît plus important en période d’expansion de l’activité économique qu’en temps normal. L’anticipation d’une poursuite de la croissance n’incite pas les gouvernements à procéder immédiatement aux ajustements budgétaires. Enfin, les pays soumis à des règles budgétaires, notamment au PCS, formulent des prévisions de croissance et de déficit budgétaire relativement plus biaisées et plus corrélés avec les expansions conjoncturelles que les autres pays.

En poursuivant l’analyse, Frankel et Schreger (2012) confirment également que les prévisions budgétaires des gouvernements tendent à être excessivement optimistes. Le biais s’avère en outre d’autant plus élevé que le pays appartient à la zone euro, que le déficit budgétaire observé à l’instant de la conjoncture est important et que l’économie connaît une période d’expansion. De même, les gouvernements tendent également à se montrer excessivement optimistes dans leurs prévisions du PIB réel en période d’expansion. S’il est couramment admis que les membres de la zone euro tendent à excéder la limite des 3 % de déficit, notamment sur plusieurs années consécutives, peu d’entre eux s’attendent officiellement à un déficit excessif pour les années suivantes. Frankel et Schreger remarquent également que, en cas de respect des critères du PSC à l’instant où sont formulées les prévisions, ces dernières ne sont pas plus biaisées que dans les autres pays. Si les Etats-membres de la zone euro dénués de règles d’équilibre budgétaire présentent un plus large biais de suroptimisme que les pays non-membres, ce biais se trouve toutefois réduit par l’existence de règles fiscales. En particulier, lorsqu’un déficit public tend à dépasser 3 % du PIB, les règles nationales semblent dissuader le gouvernement de formuler des prévisions excessivement optimistes. De même, toujours en cas de franchissement du seuil imposé par le PSC, le biais de suroptimisme est également réduit lorsque les prévisions budgétaires sont réalisées par une institution budgétaire indépendante.

 

Références  Martin ANOTA 

CREEL, Jérôme, Paul HUBERT et Francesco SARACENO (2012), « Fallait-il renforcer le Pacte de stabilité et de croissance ? », note de l’OFCE, 27 février.

FRANKEL, Jeffrey (2011a), « Over-optimism in forecasts by official budget agencies and its implications », in Oxford Review of Economic Policy, vol. 27, n° 4.

FRANKEL, Jeffrey (2011b), « A Solution to Fiscal Procyclicality: The Structural Budget Institutions Pioneered by Chile », NBER working paper, n° 16945, avril.

FRANKEL, Jeffrey, & Jesse SCHREGER (2012), « Over-optimistic Official Forecasts in the Eurozone and Fiscal Rules », NBER working paper, n° 18283, août.

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11 août 2012 6 11 /08 /août /2012 20:10

La crise actuelle révèle toute l’incohérence institutionnelle de la construction européenne. La politique monétaire s’avère notamment incapable de stabiliser à elle seule l’activité de la zone, les dynamiques de l’endettement public ont incité les gouvernements à opter pour des stratégies de consolidation budgétaire et, plus fondamentalement, les déséquilibres macroéconomiques entre les différents pays-membres restent irrésolus. Pour beaucoup, si la zone euro ne veut pas connaître une situation prolongée de dépression, elle semble avoir à accepter davantage d’intégration économique ou bien se résoudre à l’éclatement. Emmanuel Farhi et Iván Werning (2012) ont analysé l’unification budgétaire d’économies partageant une devise commune. Une union monétaire génère selon eux des externalités et celles-ci appellent à des accords assurantiels entre les Etats-membres pour réaliser des transferts budgétaires vers les pays en difficulté.

Au sein d’une union monétaire, un choc macroéconomique affectant l’un de ses membres ne peut par définition être compensé par une variation du taux de change. La gestion efficace d’un tel choc asymétrique repose, selon Robert Mundell (1961), sur le déplacement des facteurs de production, en l’occurrence des travailleurs et des capitaux ; c’est alors leur parfaite mobilité qui conditionne l’optimalité de la zone monétaire. Ronald McKinnon (1969) met de son côté l’accent sur le degré d’ouverture des économies appartenant à l’union monétaire, tandis que Peter Kenen (1969) met l’accent sur la diversification de l’appareil productif, une spécialisation des économies compromettant leur ajustement aux chocs sectoriels. Pour Harry Johnson (1969) enfin, l’ajustement à un éventuel choc asymétrique doit se réaliser via des transferts budgétaires depuis les régions bénéficiant d’une situation économique favorable vers les régions frappées par le choc. C’est dans le sillage de la littérature sur les zones monétaires optimales et plus particulièrement la réflexion de Johnson que s’inscrivent les travaux de Farhi et Werning. Dans cette optique, les transferts publics participent tout d’abord à lisser la consommation. Mais outre ce rôle direct habituellement associé à l’assurance, ils stimulent également les dépenses en cas de récession et inversement à les réfréner en période de surchauffe.

Mundell (1973) et finalement les institutions européennes considérent que l’instauration d’une devise commune améliore le partage des risques en approfondissant les marchés financiers et en accroissant au sein de chaque pays-membre la détention d’actifs émis dans le reste de l’union monétaire. En cas de choc asymétrique, les revenus générés par la possession d’actifs émis par les régions non touchées par le choc viendraient jouer un rôle stabilisateur dans les régions affectées. Le lissage de la consommation serait ainsi permis par les seuls mécanismes d’ajustement par les marchés. Toutefois, selon Farhi et Werning, les bénéfices de l’assurance macroéconomique sont plus larges dans une union monétaire et l’intervention publique est nécessaire pour lui donner sa pleine efficacité. A partir d’un modèle d’inspiration nouvelle keynésienne, où la viscosité des prix et des salaires constituent la friction clé, ils montrent en effet qu’un mécanisme privé de partage du risque ne permet qu’une gestion inefficiente des chocs asymétriques et donc que la seule intégration financière s’avère insuffisante pour réaliser l’ajustement macroéconomique.

Même si les agents sont capables de s’assurer eux-mêmes sur des marchés d’actifs complets, l’intervention du gouvernement sur les marchés d’assurance macroéconomique demeure nécessaire. En effet, en l’absence d’intervention publique, les agents privés n’internalisent pas les effets de la stabilisation macroéconomique dans leurs choix de portefeuille et n’acquièrent donc pas le montant efficient d’assurance. La richesse financière affecte le niveau de dépenses des agents privés, qui elle-même influence à son tour la production et donc le revenu ou la richesse. L’insuffisante internalisation de ces effets macroéconomiques tend à exacerber les épisodes conjoncturels d’expansions et d’effondrements. L’intervention publique devient nécessaire pour pallier l’inefficacité du marché d’assurance privé. Si les marchés d’actifs privés s’avèrent complets, l’efficience peut être assurée avec l’instauration d’un système de taxation incitative influençant les choix de portefeuille des agents privés. Un gouvernement peut également prendre en charge le mécanisme d’assurance macroéconomique, soit en prenant lui-même les positions assurantielles nécessaires sur les marchés financiers, soit en s’accordant ex ante sur des transferts publics conditionnels ou « renflouements » avec les autres Etats-membres de l’union.

A présent, si les marchés financiers sont incomplets, hypothèse que privilégient les deux auteurs, les marchés d’assurance macroéconomique sont imparfaits ou n’existent tout simplement pas. Les transferts publics ex post ou renflouements conditionnels aux chocs expérimentés par chaque pays dessinent alors un mécanisme efficace d’assurance macroéconomique. Deux points complémentaires motivent l’unification budgétaire des unions monétaires. D’une part, l’union budgétaire permet aux Etats-membres de l’union monétaire d’obtenir un plus large accès à l’assurance. D’autre part, les transferts publics s’avèrent plus efficaces que ne l’aurait été le partage de risque privé si les marchés d’actifs étaient complets.

D’après les résultats de la modélisation réalisée par Farhi et Werning, l’asymétrie des chocs frappant les Etats-membres, la persistance de ces chocs et l’ouverture des économies membres influencent l’efficacité des transferts publics comme outil de stabilisation macroéconomique au sein d’une union monétaire. Si la politique monétaire est à même de contrer au niveau de l’ensemble de la zone les éventuels chocs symétriques, les transferts budgétaires apparaissent nécessaires dans la gestion des chocs asymétriques. Ils gagnent en outre en efficacité avec, d’une part, la persistance des chocs et, d’autre part, le degré de fermeture de l’économie.

 

Références  Martin ANOTA

CLEVENOT, Mickaël, & Vincent DUWICQUET (2011), « Partage du risque interrégional », in Revue de l’OFCE, n° 119, octobre.

FARHI, Emmanuel, & Iván WERNING (2012), « Fiscal unions », NBER working paper, n° 18280, août.

JOHNSON, Harry G. (1969), « The case for flexible exchange rates », in Federal Reserve of Saint Louis Review, vol. 51, n° 6.

KENEN, Peter (1969), « The theory of optimum currency Areas : an eclectic view », in R. Mundell & A.K. Swoboda (dir), Monetary problems of the international economy, Chicago.

McKINNON, Ronald (1963), « Optimum currency areas », in American Economic Review, vol. 53, n° 4.

MUNDELL, Robert (1961), « A theory of optimum currency areas », in American Economic Review, vol. 51, n° 4.

MUNDELL, Robert (1973), « The economics of common currencies », in H.G. Johnson & A.K. Swoboda (dir), Uncommon Arguments for Common Currencies.

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