Dans la zone euro, la politique monétaire est décidée par une unique autorité centrale, tandis que les politiques budgétaires restent déterminées au niveau national. Une banque centrale indépendante et un cadre de discipline budgétaire sont pourtant insuffisants pour rendre viable une union monétaire. La crise de la dette souveraine, en rendant insoutenables son hétérogénéité structurelle et les faiblesses de son architecture institutionnelle, menace l’existence de l’euro. En l’absence de véritable mobilité de la main-d’œuvre entre les Etats-membres, une politique monétaire unique se révèle insuffisante à stabiliser les économies. L’unification budgétaire apparaît comme une solution crédible pour éviter l’éclatement de la zone euro et l’effondrement subséquent de l’activité économique en Grèce comme parmi les autres Etats-membres.
Afin d’ébaucher un tel projet institutionnel, Bordo et al. (2011) ont analysé les unions budgétaires expérimentées par l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil, le Canada et les Etats-Unis. Ces derniers constituent des unions monétaires dans la mesure où ils possèdent une unique devise commune et une unique banque centrale. Ils constituent en outre des unions budgétaires au sens où une politique budgétaire couvrant l’ensemble de l’union est mise en œuvre par une autorité centrale. Ces cinq unions budgétaires sont structurées en fédérations, avec des entités fédérées disposant d’une relative indépendance.
A partir de l’histoire de ces fédérations budgétaires, Bordo et al. ont tiré des leçons politiques pertinentes pour la zone euro aujourd’hui. Cinq conditions leur apparaissent essentielles pour assurer la pleine efficacité d’une union budgétaire. La première et plus importante d’entre elles est l’instauration d’une règle de non renflouement concernant les membres de l’union fiscale. L’adoption d’une telle règle sera crédible et efficace si elle s’accompagne de la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle des politiques budgétaires et de l’endettement des Etats-membres. La deuxième condition est l’indépendance de revenus et dépenses des membres de l’union fiscale. La troisième condition est un mécanisme de transfert pleinement effectif lors des périodes de détresse. Le déploiement d’un tel mécanisme de transfert peut être facilité par l’établissement d’un marché obligataire spécifique à la zone euro, permettant de résoudre les problèmes de liquidité et crédibilité actuellement affrontés par certains Etats européens et ainsi de réduire les taux d’intérêt qu’ils subissent. Quatrièmement, une union budgétaire doit s’adapter aux changements économiques et politiques en apportant les réformes adéquates à son architecture institutionnelle. En cela, l’unification budgétaire s’apparente à un constant processus d’essais et d’erreurs.
D'après Münchau (2012), l’unification budgétaire de la zone euro doit en outre nécessairement s’accompagner des quatre innovations institutionnelles suivantes afin d’empêcher son éclatement. Tout d’abord, il met également l’accent sur la nécessité d’une obligation propre à la zone euro. Cette émission d’eurobonds, couvrant une large part de la nouvelle dette, impliquerait que les Etats-membres transfèrent une partie de leur souveraineté aux autorités centrales. Ensuite, la BCE devrait voir intégrer la responsabilité spécifique de la stabilité financière dans son mandat. Elle doit être libre de conduire des opérations sur le marché secondaire. De plus, il est nécessaire de mettre en place un système d’assurance dépôt couvrant l’ensemble de la zone euro et couplé avec la garantie que les dépôts seront remboursés en euros même si le pays hôte quitte la zone euro. Enfin, une institution financée par la zone euro doit être mise en place et dotée du pouvoir discrétionnaire de recapitaliser les banques. Parallèlement, la régulation et la supervision bancaires doivent être davantage centralisées. Les deux premiers changements institutionnels impliqueraient une profonde révision des traités européens, ce qui n’est en revanche pas le cas des deux derniers, qui peuvent être ainsi immédiatement mis en œuvre.
Une unification budgétaire de la zone euro apparaît toutefois insuffisante pour résoudre ses problèmes structurels et conjoncturels aux yeux d'Austan Goolsbee (2012). En l’occurrence, les architectes de l’unification monétaire ont été convaincus que celle-ci entraînerait de facto une convergence réelle des Etats-membres, or la zone euro demeure structurellement hétérogène. En effet, depuis le début des années deux mille, les pays du sud de l’Europe ont connu des progressions salariales plus rapides que les gains de productivité, tandis que les pays du nord connaissent une évolution opposée. La politique de déflation compétitive que l’Allemagne a mis en œuvre en contractant les salaires a profondément accentué la divergence dans la compétitivité des Etats-membres. Dans ce contexte, l’unification monétaire rend impossible de quelconques ajustements par des variations de taux de change pour résoudre les déséquilibres. Au lieu d’égaliser les taux de croissance et d’inflation, une telle hétérogénéité structurelle, marquée par la faible mobilité de la main-d’œuvre, a finalement conduit à une divergence dans les taux de chômage et les taux d’intérêts.
Par conséquent, si une union budgétaire était réalisée dans la zone euro, elle devrait être accompagnée de larges transferts du nord de l’Europe vers le sud. En effet, selon Goolsbee, l’union budgétaire des Etats-Unis a pu efficacement fonctionner car elle constitue avant tout un mécanisme d’assurance de dimension supra-étatique. Au cours des deux dernières décennies, les Etats du Mississipi, du Nouveau Mexique et de la Nouvelle Virginie ont par exemple chacun reçu annuellement des transferts publics équivalents à 12 % de leur propre PIB, un montant relativement supérieur au déficit grec de l’année 2011. Sans de tels transferts publics, la périphérie européenne se maintiendra durablement dans une situation de chômage élevé et la probabilité d'un éclatement de la zone euro ira croissante.
Références Martin ANOTA
GOOLSBEE, Austan (2012), « A Fiscal Union Won't Fix the Euro Crisis », in The Wall Street Journal, 29 mai.