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25 juillet 2018 3 25 /07 /juillet /2018 16:17
Les récessions laissent des cicatrices permanentes. Mais les prévisionnistes le savent-ils ?

Avant la crise financière mondiale, l’idée d’une fluctuation de la production autour d’une tendance stable faisant plutôt consensus parmi les économistes : si l’économie connaissait une récession, la production s’éloignerait certes de sa trajectoire tendancielle, mais, lors de la reprise, la croissance serait plus rapide qu’en temps normal et la production finirait ainsi par rejoindre sa tendance d’avant-crise. C’est typiquement ce que proposaient comme scénario les modèles qualifiés de « nouveaux keynésiens ».

La faiblesse de la reprise que l’on a pu observer dans les pays développés après la Grande Récession a toutefois remis en cause une telle vision des choses en suggérant que les contractions de l’activité ont beau être temporaires, elles peuvent avoir des effets permanents : suite à une récession, la croissance n’est pas forcément plus rapide qu’avant-crise, si bien que la production (et donc le niveau de vie) peut ne pas revenir à la trajectoire tendancielle qu’elle suivait tendanciellement avant la récession. C’est le constat auquel ont abouti de nombreuses analyses, notamment celle de Jane Haltmaier (2012), celle de Laurence Ball (2014), celle du FMI (2015), celle de Robert Martin et alii (2015) ou encore celle d’Olivier Blanchard et alii (2016). De leur côté, Antonio Fatas et Larry Summers (2017) montrent que les plans d’austérité budgétaire sont susceptibles d’avoir des effets pervers à long terme sur l’activité. Ainsi, les modèles habituellement utilisés ont pu amener à sous-estimer, d’une part, la nécessité d’assouplir les politiques conjoncturelles lors des récessions et, d’autre part, la nocivité des politiques restrictives. Pour Valerie Cerra et Sweta Saxena (2017), il est par conséquent temps de changer de paradigme.

Afin de voir lequel des deux schémas des cycles d’affaires les prévisionnistes ont en tête, John Bluedorn et Daniel Leigh (2018) ont étudié les prévisions à long terme des conjecturistes professionnels dans 38 pays développés et en développement au cours de la période allant de 1989 à 2017. Si les prévisionnistes estiment que les fluctuations de la production correspondent essentiellement à des écarts temporaires autour d’une tendance, on devrait s’attendre à ce que les prévisionnistes ne changent pas leurs prévisions de production à long terme suite à une variation non anticipée de la production dans la période courante. Or, les données suggèrent que les prévisions relatives à la production sont extrêmement persistantes : une révision non anticipée de 1 % la production courante se traduit typiquement par une révision dans le même sens d’environ 2 % du niveau de production prévu dix ans après, aussi bien dans les pays développés que les pays en développement (cf. graphique). Ainsi, les conjecturistes professionnels ont eu tendance, du moins durant ces trois dernières décennies, à considérer que les chocs touchant la production courante ont des effets permanents.

GRAPHIQUE  Révisions des prévisions de la production à long terme versus révisions des prévisions de la production courante (en points de %)

Poursuivant leur analyse, Bluedorn et Leigh constatent que les prévisionnistes ne semblent pas penser que la production tende à croître plus rapidement qu’à la normale suite aux récessions pour revenir à sa trajectoire tendancielle d’avant-crise ; ils s’attendent plutôt à ce que la croissance de la production converge lentement vers son rythme de long terme précédent, si bien que leurs prévisions suggèrent que la production tend à diverger de sa tendance d’après-crise suite aux récessions. Autrement dit, les prévisionnistes prennent depuis longtemps comme hypothèse ce que les études n’ont confirmé que récemment.

Bluedorn et Leigh se demandent ensuite si les conjecturistes surestiment la persistance de la production, c’est-à-dire si le véritable impact à long terme des chocs perçus est plus faible que les conjecturistes ne s’y attendent typiquement. Si les conjecturistes surestimaient systématiquement l’impact à long terme des fluctuations de la production courante, il devrait y avoir une relation négative entre les révisions de la production courante et les erreurs de prévision de la production au cours des dix années suivantes. Bluedorn et Leigh régressent alors l’erreur de prévision pour le niveau du PIB réel sur les dix années suivants la révisions de la production dans la période courante. Ce faisant, ils ne constatent pas que les conjecturistes se trompent systématiquement à propos de la persistance de la production.

 

Références

BALL, Laurence M. (2014), « Long-term damage from the Great Recession in OECD countries », NBER, working paper, n° 20185, mai.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », FMI, working paper, novembre.

BLUEDORN, John, & Daniel LEIGH (2018), « Is the cycle the trend? Evidence from the views of international forecasters », FMI, working paper, n° 18/163. 

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2017), « Booms, crises, and recoveries: A new paradigm of the business cycle and its policy implications », FMI, working paper, n° 17/250.

FATÁS, Antonio, & Lawrence H. SUMMERS (2016), « The permanent effects of fiscal consolidations », NBER, working paper, n° 22374.

FMI (2015), « Where are we headed? Perspectives on potential output », World Economic Outlook, chapitre 3.

HALTMAIER, Jane (2012), « Do recessions affect potential output? », Fed, international finance discussion paper, n° 1066.

MARTIN, Robert, Teyanna MUNYAN & Beth Anne WILSON (2015), « Potential output and recessions: Are we fooling ourselves? », Fed, international finance discussion paper, n° 1145.

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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 18:30
Et si la natalité était le meilleur indicateur avancé de l’activité ?

Plusieurs études ont montré que la fertilité était une variable procyclique, c’est-à-dire qu’elle a tendance à augmenter d’autant plus rapidement que la croissance économique est forte et, réciproquement, à baisser lors des récessions. Tomáš Sobotka, Vegard Skirbekk et Dimiter Philipov (2011) notaient qu’au cours d’une récession, « la baisse de la fertilité commence avec un bref retard compris entre une année et deux années et demie ». Autrement dit, les couples réagiraient au ralentissement de la croissance et à la détérioration subséquente de la situation sur le marché du travail en faisant moins d’enfants. 

La dernière crise financière mondiale ne fait pas exception. Sam Roberts (2009), dans le New York Times, avait par exemple rapidement noté que la Grande Récession qui secouait alors l’économie américaine avait provoqué une forte baisse de nombre de naissances dès 2008. Mais si c’est effectivement le cas, alors cette chute des naissances a dû être provoquée par une chute des conceptions en 2007, voire en 2008. Or, la croissance économique était encore vigoureuse en 2007 et la récession n’a officiellement éclaté au Etats-Unis qu’au cours de la seconde moitié de l’année 2008, officiellement en décembre selon la datation du NBER.

Kasey Buckles, Daniel Hungerman et Steven Lugauer (2018) ont alors étudié l’idée que la natalité puisse constituer un indicateur avancé du cycle d’affaires : elle semble atteindre un pic et amorcer une chute quelques temps avant le début des récessions. C’est ce qu’ils constatent en étudiant les données relatives à plus de 100 millions de naissances qui ont eu lieu aux Etats-Unis entre 1988 et 2015. Lors des dernières récessions qui ont touché l’économie américaine, c’est-à-dire celles qui ont commencé en 1990, 2001 et 2008, le taux de croissance des conceptions a commencé à chuter quelques trimestres avant que la conjoncture se retourne ; en l’occurrence, la baisse du nombre de naissances lors de ces trois récessions ne s’explique pas par une hausse du nombre d’avortements ou de fausses couches. Par exemple, si le nombre de conceptions avait légèrement augmenté durant le premier semestre de l’année 2007, son taux de croissance en rythme annuel est devenu négatif au troisième trimestre, soit bien avant que la production économique ne décroche. De plus, les chutes de conceptions qui précèdent les récessions sont en l’occurrence larges. Par exemple, le taux de croissance annuel des conceptions a chuté de plus de 4 points de pourcentage à la veille de la Grande Récession. Buckles et ses coauteurs ont également étudié l’évolution des conceptions à la fin des récessions ; celle-ci est toutefois bien plus ambigüe qu’à la veille des récessions. Par exemple, la Grande Récession n’a pas seulement été suivie par une reprise sans emplois (jobless recovery) ; elle a aussi été une reprise sans bébés (baby-less recovery).

GRAPHIQUE  Taux de croissance du PIB et du nombre de conceptions d’enfants autour de la Grande Récession

source : Buckles et alii (2018)

Les comportements en matière de fertilité sont donc bien plus tournés vers l’avenir (forward-looking) que ne le suggéraient les études existantes portant sur le lien entre natalité et cycle économique. Ils sont en l’occurrence très sensibles aux conditions économiques prévalant dans le futur proche ; cela remet en cause l’idée de Gary Becker (1960) selon laquelle la « production » de bébés est relativement insensible au court terme.

Buckles et ses coauteurs ne concluent pas que la chute de la natalité puisse être à l’origine des récessions ; si les ménages retardent leurs projets de grossesse, ils peuvent également par là même retarder certains achats de biens, notamment des biens durables comme les logements. Par contre, il est possible que le facteur qui est à l’origine du recul des conceptions soit également celui qui est à l’origine de la contraction de l’activité économique, en pesant dans les deux cas sur la confiance, mais qu’il affecte plus rapidement les comportements en matière de conception que l’activité économique. Cette étude souligne surtout qu’il serait opportun de s’appuyer sur le nombre de grossesses pour améliorer les prévisions de croissance économique. Certes la corrélation entre fertilité et activité économique est loin d’être parfaite, mais le nombre de grossesses apparaît être un indicateur avancé du cycle économique au moins aussi performant que la plupart de ceux retenus, par exemple le niveau de confiance des consommateurs, l’indice Case-Shiller utilisé pour juger de l’évolution des prix de l’immobilier ou encore les achats de biens durables comme les machines à laver, les lave-vaisselles et les voitures.

 

Références

BECKER, Gary (1960), « An economic analysis of fertility », in Demographic and Economic Change in Developed Countries.

BUCKLES, Kasey, Daniel HUNGERMAN & Steven LUGAUER (2018), « Is fertility a leading economic indicator? », NBER, working paper, n° 24355, février.

ROBERTS, Sam (2009), « Birth rate is said to fall as a result of recession », in The New York Times, 7 août.

SOBOTKA, Tomáš, Vegard SKIRBEKK & Dimiter PHILIPOV (2011), « Economic recession and fertility in the developed world », in Population and Development Review, vol. 37, n° 2.

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19 novembre 2017 7 19 /11 /novembre /2017 19:14
Booms, crises et reprises : n’est-il pas temps de changer de paradigme ?

La vision traditionnelle des cycles d’affaires repose sur trois grandes idées : le PIB réel fluctue autour d’une tendance ; cette tendance, appelée « production potentielle », serait déterminée du côté de l’offre ; et les fluctuations trouveraient leur origine dans des chocs de demande (cf. schéma 1). Selon cette vision, la récession serait généralement provoquée par un choc de demande négatif : l’affaiblissement de la demande globale pousserait la production sous son niveau potentiel, mais la production reviendrait rapidement à sa trajectoire initiale lors de la reprise. Bref, les pertes de production ne seraient que temporaires.

SCHEMA 1  La vision traditionnelle du cycle d’affaire

La Grande Récession amène à douter d’un tel paradigme. En effet, suite à la crise financière mondiale, la croissance économique n’a pas connu de puissant rebond et la reprise est restée lente pendant près de neuf ans. Au cours de cette période, les prévisions de croissance de la plupart des institutions ont été régulièrement révisées à la baisse. Entre 2000 et 2007, la croissance moyenne s’élevait respectivement à 2,7 % et 4,5 % aux Etats-Unis et dans le monde ; elle atteint respectivement 2,1 % et 3,8 % entre 2010 et 2017.

Cette dynamique du PIB est toutefois loin d’être exceptionnelle au regard de l’Histoire, même si l’on se concentre sur la seule période d’après-guerre. En effet, Valerie Cerra et Sweta Saxena (2005a, 2005b) avaient mis en évidence que les crises financières qui avaient respectivement touché la Suède et les pays asiatiques au cours des années quatre-vingt-dix ont durablement affecté leur activité économique. Surtout, Cerra et Saxena (2008) ont constaté, en étudiant un échantillon de 190 pays, que les crises de balance des paiements et les crises bancaires ont par le passé été suivies en moyenne par une perte permanente du niveau de la production réelle : celle-ci a beau renouer avec une croissance à un moment ou à un autre, la trajectoire qu’elle finit par rejoindre est inférieure à celle qu’elle suivait avant la crise. La perte en termes de production s’élève en moyenne à 5 % suite à une crise de la balance des paiements, à 10 % suite à une crise bancaire et à 15 % suite à une crise jumelle. En outre, les récessions affectent durablement l’activité même si elles ne sont pas synchrones avec une crise financière.

Cerra et Saxena (2017) confirment que ces conclusions restent valides lorsqu’elles étendent l’échantillon de données jusqu’à l’année 2013 : le taux de croissance moyen durant les années d’expansion d’une reprise est significativement plus faible que celui observé sur l’ensemble des années d’expansion. En effet, lorsqu’une reprise s’amorce, c’est-à-dire lorsque la croissance redevient positive après une récession, cette croissance est inférieure de 0,8 points de pourcentage par rapport à la moyenne lorsque la récession est associée à une crise bancaire et inférieure de 0,5 points de pourcentage par rapport à la moyenne lorsque la récession n’est pas associée à une crise bancaire. La croissance économique est inférieure de 0,6 points de pourcentage par rapport à la moyenne lors des quatre premières années de reprise suite à une récession synchrone à une crise financière ; elle est inférieure de 0,3 points de pourcentage par rapport à la moyenne au cours des quatre premières années de reprise suite à une récession qui n’a pas été associée à une crise bancaire.

Cette persistance des dommages macroéconomiques suggère l’existence de puissants effets d’hystérèse. Par conséquent, Cerra et Saxena appellent à abandonner le paradigme traditionnel des cycles d’affaires pour prendre en compte ces effets. En effet, au mieux, suite à une récession, la reprise permettra à la croissance de revenir à son rythme d’avant-crise, mais sans pour autant que le PIB revienne à sa trajectoire d’avant-crise. Par conséquent, la production ne fluctue pas autour d’une tendance croissante à long terme, puisque les chocs que connaît l’économie modifient la trajectoire suivie (cf. schéma 2). Cerra et Saxena en concluent que le cycle d’affaires n’est absolument pas cyclique.

SCHEMA 2 La réalité du cycle d’affaire 

Un tel constat est bien évidemment cohérent avec la théorie du cycle d’affaires réel (real business cycle) : selon celle-ci, les fluctuations économiques sont générées par des chocs de productivité qui conduisent à une modification de la tendance même que suit la production. Toutefois, il est peu probable qu’un pays ou l’ensemble de l’économie mondiale puisse soudainement connaître une perte de productivité sur une aussi grande échelle et une régression technologique. En outre, Cerra et Saxena constatent que les crises bancaires se traduisent en moyenne par une chute des prix de 2 % à long terme dans les pays développés. Par conséquent, la baisse simultanée de la production et des prix suggèrent que ce sont bien des chocs de demande qui sont à l’œuvre. Bref, ces constats remettent en cause l’hypothèse habituelle que les choses de demande n’ont que des effets transitoires : en raison des effets d’hystérèse, une baisse de la demande globale peut déprimer durablement l’offre globale. Par exemple, la faiblesse de la demande peut désinciter les entreprises à investir, ce qui non seulement contribue à la faiblesse de la demande à court terme, mais aussi se traduit par une réduction du stock de capital à long terme. FMI (2015) a ainsi constaté que l’investissement des entreprises s’est fortement contracté dans les pays développés au cours de la crise financière mondiale, mais aussi que c’est en raison de la faiblesse de l’activité s’il est resté par la suite déprimé.

Cerra et Saxena rejettent aussi l’idée que la faiblesse des reprises puisse s’expliquer par des booms insoutenables à la veille des crises, c’est-à-dire qu’elle puisse simplement refléter un retour à une trajectoire soutenable. En étudiant plusieurs décennies de données relatives à plus de 160 pays, elles constatent que la croissance du PIB que l’on peut observer juste avant le pic du cycle d’affaires ou juste avant une crise bancaire ou une crise de devise est plus faible que la croissance moyenne observée sur l’ensemble des années d’expansion. La croissance du PIB est en fait particulièrement faible avant une crise.

Ces divers résultats ont de profondes implications pour la politique économique. Si effectivement les pertes durables de production résultent de chocs de demande, alors on peut penser que les politiques conjoncturelles, en stimulant la demande globale, peuvent réduire les effets d’hystérèse. Valerie Cerra, Ugo Panizza et Sweta Saxena (2013) ont par exemple montré que les politiques macroéconomiques peuvent influencer le rythme des reprises et contribuer à réduire les pertes de production qui résultent des récessions. En l’occurrence, l’assouplissement monétaire, la relance budgétaire, la dépréciation du taux de change réel, l’aide étrangère et une plus grande flexibilité du taux de change sont susceptibles d’amplifier le rebond de l’activité. Dans les pays développés, la relance budgétaire semble particulièrement efficace pour stimuler la reprise suite à une récession synchrone à une crise bancaire.

 

Références

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2005a), « Eurosclerosis or financial collapse: Why did Swedish incomes fall behind? », FMI, working paper, n° 05/29.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2005b), « Did output recover from the Asian crisis? », FMI, staff paper, vol. 52, n° 1.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2008), « Growth dynamics: The myth of economic recovery », in American Economic Review, vol. 98, n° 1.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2017), « Booms, crises, and recoveries: A new paradigm of the business cycle and its policy implications », FMI, working paper, n° 17/250.

CERRA, Valerie, Ugo PANIZZA & Sweta C. SAXENA (2013), « International evidence on recovery from recessions », in Contemporary Economic Policy, vol. 31, n° 2.

FMI, (2015), « Private investment: What’s the holdup? », World Economic Outlook, chapitre 4.

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