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13 février 2017 1 13 /02 /février /2017 17:28
L’insidieux impact à court terme du ralentissement de la productivité

Malgré de très faibles taux d’intérêt, la croissance économique a été lente ces dernières années aux Etats-Unis et surtout dans la zone euro. Certains estiment que des facteurs conjoncturels ont contribué à freiner la reprise : ce peut être le cas du désendettement des ménages et de la frilosité des banques à prêter, deux legs de la crise financière mondiale ; ce peut aussi être le cas des plans d’austérité que les gouvernements ont adoptés suite à l’envolée de leur dette publique dans le sillage de la crise financière et de la récession.

Pour d’autres, cette configuration de faible croissance et de faibles taux d’intérêt suggère que des dynamiques plus structurelles sont à l’œuvre. Pour Robert Gordon (2014), c’est avant tout l’essoufflement de l’innovation qui freine durablement la croissance économique, mais d’autres facteurs du côté de l’offre sont à l’œuvre, comme le vieillissement de la population qui réduit les taux d’activité et déprime la productivité des travailleurs. Selon Larry Summers (2014), les pays développés feraient actuellement face à une stagnation séculaire en raison de phénomènes aussi divers que l’excès d’épargne dans les pays émergents, la hausse des inégalités et le vieillissement démographique qui pèseraient sur la demande globale. Ces deux théories amènent à penser que la croissance ces dernières années aurait été faible même si la Grande Récession n’avait pas eu lieu. D’ailleurs, à mesure que le temps passe, les freins conjoncturels pesant sur l’activité se dissipent : par exemple, les banques se sont désendettées et ont accru leur offre de crédit, tandis que les gouvernements ont réduit le rythme de la consolidation budgétaire. Or la croissance reste malgré tout faible, ce qui rend encore plus crédible l’hypothèse de la stagnation séculaire.

C’est pourtant une autre explication qu’a avancée Olivier Blanchard (2016) : si la demande globale reste excessivement faible, c’est parce que les agents ajustent leur comportement face à un avenir assombri. Cette idée ne remet pas en cause l’hypothèse de stagnation séculaire : Blanchard estime que le rythme de croissance potentielle et les taux d’intérêt seront plus faibles que par le passé. Cependant, une fois que les entreprises et les ménages auront pleinement ajusté leur comportement face à ces perspectives assombries, la demande globale devrait s’en trouver stimulée et les taux seraient réajustés à la hausse. La croissance particulièrement anémique ou les taux d’intérêt historiquement faibles que les pays développés ont connus ces dernières années seraient ainsi temporaires. 

C’est cette idée qu’ont développée Olivier Blanchard, Guido Lorenzoni et Jean Paul L’Huillier (2017) dans un récent document de travail où ils se sont focalisés sur l’économie américaine. Ils ont tout d’abord observé la relation historique entre, d’une part, les révisions effectuées sur les prévisions de croissance potentielle à long terme et, d’autre part, les variations non anticipées de la consommation et de l’investissement. Ils constatent une relation particulièrement forte entre les deux (cf. graphique ci-dessous). En s’appuyant sur des données remontant à 1991, ils constatent que les révisions ont souvent été associées à des erreurs de prévision du même signe concernant la consommation et l’investissement. En supposant que les variations conjoncturelles de la production n’affectent pas les prévisions de croissance potentielle de très long terme, Blanchard et ses coauteurs interprètent cette relation comme étant causale : la révision à la baisse de la croissance potentielle freine la croissance de la demande. En outre, il apparaît que cet impact est large. En effet, une révision à la baisse de 0,1 point de pourcentage de la croissance potentielle future entraîne une baisse de la croissance de la consommation au cours de l’année compris entre 0,4 et 0,7 %.

GRAPHIQUE  Révisions de croissance potentielle et erreurs de prévision dans la consommation

L’insidieux impact à court terme du ralentissement de la productivité

source : Blanchard et alii (2017)

Blanchard et ses coauteurs ont ensuite passé en revue les différents canaux à travers lesquels une révision à la baisse des prévisions de croissance de la productivité à long terme est susceptible d’affecter la production ou l’inflation à court terme. Du côté de l’offre, les travailleurs peuvent se montrer réticents à accepter un ralentissement de la croissance de leurs salaires réels ; cette rigidité des salaires à la baisse est alors susceptible d’entraîner une hausse temporaire du taux de chômage naturel. Du côté de la demande, une plus faible croissance du revenu du travail futur anticipé peut contraindre les consommateurs à réviser à la baisse leur estimation de leur revenu permanent, donc les inciter à réduire leur consommation. De leur côté, les entreprises peuvent anticiper une plus faible croissance de la demande à l’avenir, ce qui les incite à réduire leurs investissements. Ces deux réactions dépriment la demande globale, si bien qu'elles contribuent à pousser le chômage à la hausse. Quant au comportement de l’inflation, il dépend de l’évolution respective du taux de chômage observé et du taux de chômage naturel : si le taux de chômage tend à s’accroître davantage que le taux de chômage naturel, les pressions inflationnistes déclineront, accentuant le risque d’une déflation ; si le taux de chômage s’accroît moins que le taux de chômage naturel, les pressions inflationnistes s’intensifieront.

Selon leurs simulations, Blanchard et ses coauteurs estiment que les révisions à la baisse de la croissance de la productivité ont pu réduire la demande globale aux Etats-Unis de 0,5 à 1 % par an depuis 2012. Par conséquent, une fois que les ménages et entreprises auront fini d’ajuster leurs anticipations et leur comportement en conséquence, ce frein sur la demande globale disparaîtra, stimulant la croissance économique et poussant les taux d’intérêt à la hausse. Si les marchés financiers n’ont pas pleinement pris en compte cet effet, alors il est possible que l’actuelle pente de la courbe de rendement sous-estime la hausse prochaine des taux d’intérêt.

 

Références

BLANCHARD, Olivier (2016), « The state of advanced economies and related policy debates: A fall 2016 assessment », PIIE, policy brief, n° 16-14, septembre 2016. Traduction française, « Etat des lieux des perspectives et politiques macroéconomiques dans les pays développés ».

BLANCHARD, Olivier, Guido LORENZONI & Jean Paul L’HUILLIER (2017), « Short-run effects of lower productivity growth: A twist on the secular stagnation hypothesis », NBER, working paper, n° 23160.

GORDON, Robert J. (2014), « The demise of U.S. economic growth: restatement, rebuttal, and reflections », NBER, working paper, n° 19895, février.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

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25 janvier 2017 3 25 /01 /janvier /2017 19:39
Le lien entre finance et croissance, des cycles d’affaires au long terme

La littérature, aussi bien théorique qu’empirique, a longtemps suggéré que le développement financier tendait à stimuler la croissance économique. Suite à la récente financière mondiale, les études se sont multipliées pour vérifier cette conclusion en précisant le lien entre finance et croissance, or plusieurs d’entre elles ont pu la remettre en cause ou, tout du moins, la nuancer. C’est le cas notamment de Jean-Louis Arcand, Enrico Berkes et Ugo Panizza (2012) ou encore de Stephen Cecchetti et Enisse Kharroubi (2012, 2015), qui ont cherché à déterminer l’impact à long terme de la finance sur la croissance. Leurs analyses ont suggéré que la relation entre développement financier et croissance économique était en forme de cloche : le développement financier tend tout d’abord à stimuler la croissance à mesure qu’il progresse, mais il ne le fait que jusqu’à un certain niveau de développement financier ; au-delà de ce seuil, le développement financier se poursuit en freinant toujours plus fortement la croissance économique.

D’autres études se sont focalisées sur les fluctuations de l’activité pour identifier les liens entre l’activité financière et les crises économiques. Mathias Drehmann, Claudio Borio et Kostas Tsatsaronis (2012) ont par exemple montré que les pics des cycles financiers étaient très étroitement associés aux crises financières, que les récessions sont bien plus sévères lorsqu’elles coïncident avec une phase de contraction du cycle financier, mais aussi que la durée et l’amplitude du cycle financier se sont fortement accrues depuis le milieu des années quatre-vingt. En étudiant plus de 200 cycles d’affaires et 700 cycles financiers dans 44 pays au cours des dernières décennies, Stijn Claessens, Ayhan Kose et Marco Terrones (2011) ont noté que la durée et l’amplitude des récessions sont plus importantes lorsque ces dernières surviennent lors de périodes de perturbations financières, notamment lors des effondrements des prix de l’immobilier. A partir d’un échantillon de données relatives à 14 pays développés sur plus d’un siècle, Moritz Schularick et Alan Taylor (2012) ont constaté que le ratio du crédit constitue un bon indicateur avancé des crises financières, si bien que ces dernières sont des « booms du crédit qui ont mal tourné », tandis que Òscar Jordà, Moritz Schularick et Alan Taylor (2013) ont montré que la sévérité des récessions se trouve amplifiée par l’intensité du développement financier : les récessions synchrones avec une crise financière provoquent de plus larges dommages à la production que les récessions normales et les expansions les plus intensives en crédit tendent à être suivies non seulement par de plus sévères récessions, mais aussi par de plus lentes reprises.

Dans une récente contribution pour le CEPII, Thomas Grjebine et Fabien Tripier (2016) se sont appuyé une nouvelle méthodologie pour évaluer la relation à long terme entre la croissance économique et l’expansion financière. Ils ont tout d’abord cherché à estimer l’élasticité directe entre la croissance économique et l’expansion financière pour déterminer les répercussions de cette dernière sur la première. Ils confirment certes que les booms financiers tendent à accroître la sévérité des récessions, mais ils constatent aussi que les pertes en termes de croissance que subit l’économie lors des récessions sont plus faibles que les suppléments de croissance que l’économie a pu connaître lors du boom. En d’autres termes, l’élasticité entre la finance et la croissance pour l’ensemble d’un cycle d’affaires apparaît positive en moyenne. En outre, les suppléments de croissance générés par les booms financiers résultent non seulement de taux de croissance moyens plus élevés, mais aussi d’une durée plus longue des expansions. 

Grjebine et Tripier proposent plusieurs interprétations pour expliquer ces résultats. Selon le mécanisme de l’accélérateur financier que Ben Bernanke a étudié dans plusieurs de ses travaux, une amélioration des fondamentaux conduit à une expansion financière qui alimente en retour la croissance économique. Dans une optique minskyenne et en référence au syndrome du « cette fois, c’est différent » de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2009), une expansion renforcerait d’autant plus les croyances à l’origine du développement excessif des activités financières qu’elle se poursuit. Enfin, les bulles lors des phases d’expansions économiques pourraient également jouer un rôle d’absorbeurs de chocs ; par exemple, une économie absorberait plus facilement un choc pétrolier si ce dernier survient lorsqu’une bulle alimente la croissance économique.

Cette élasticité positive doit toutefois être ajustée à la baisse en raison du développement excessif de la finance hérité des cycles d’affaires précédents. En effet, Grjebine et Tripier identifient un impact négatif durable des expansions financières sur les cycles d’affaires ultérieurs. En outre, le taux de croissance économique et le taux de croissance de l’activité financière ne sont positivement corrélés que jusqu’à un certain seuil de l’activité financière. Dans l’échantillon de pays qu’ils étudient, le niveau moyen de l’activité financière apparaît bien supérieur à ce seuil, ce qui suggère que l’élasticité totale entre la finance et la croissance économique est négative à long terme.

Grjebine et Tripier suggèrent là aussi plusieurs interprétations pour expliquer ces résultats. Par exemple, selon l’idée de « super-cycle de la dette » (debt supercycle) développée par Kenneth Rogoff (2015), c’est l’héritage même de l’expansion excessive de la finance par le passé qui entraîne une faiblesse durable de la croissance durable : les banques seraient durablement réticentes à prêter, les emprunteurs seraient forcés à réduire leurs dépenses pour se désendetter, etc. Les preuves empiriques étudiées par Grjebine et Tripier suggèrent que l’excès de finance est positivement corrélé avec la croissance du PIB, mais négativement corrélé avec la croissance de la productivité totale des facteurs. Ce résultat peut s’expliquer par le mécanisme décrit par Claudio Borio, Enisse Kharroubi, Christian Upper et Fabrizio Zampolli (2016) : selon ces derniers, les booms du crédit tendent à freiner la croissance de la productivité en réallouant la main-d’œuvre vers les secteurs caractérisés par une faible croissance de la productivité.

 

Références

ARCAND, Jean-Louis, Enrico BERKES & Ugo PANIZZA (2012), « Too much finance? », FMI, working paper, n° 12/61.

BORIO, Claudio, Enisse KHARROUBI, Christian UPPER & Fabrizio ZAMPOLLI (2016), « Labour reallocation and productivity dynamics: financial causes, real consequences », BRI, working paper, n° 534, janvier.

CECCHETTI, Stephen G., & Enisse KHARROUBI (2012), « Reassessing the impact of finance on growth », BRI, working paper, n° 381.

CECCHETTI, Stephen G., & Enisse KHARROUBI (2015), « Why does financial sector growth crowd out real economic growth? », BRI, working paper, février.

CLAESSENS, Stijn, M. Ayhan KOSE & Marco E. TERRONES (2011), « How do business and financial cycles interact? », FMI, working paper, n° 11/88, avril.

DREHMANN, Mathias, Claudio BORIO & Kostas TSATSARONIS (2012), « Characterising the financial cycle: don’t lose sight of the medium term! », BRI, working paper, n° 380.

GRJEBINE, Thomas, & Fabien TRIPIER (2016), « Finance and growth: From the business cycle to the long run », CEPII, working paper, n° 2016-28.

JORDÀ, Òscar, Moritz H.P. SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2013), « When credit bites back », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 45, n° 2.

REINHART, Carmen, & Kenneth ROGOFF (2009), This Time Is Different: Eight Centuries of Financial Folly. Traduction française, Cette fois, c'est différent. Huit siècles de folie financière.

ROGOFF, Kenneth (2015), « Debt supercycle, not secular stagnation », in voxEU.org, 22 avril.

SCHULARICK, Moritz H.P., & Alan M TAYLOR (2012), « Credit booms gone bust: monetary policy, leverage cycles, and financial crises: 1870–2008 », in American Economic Review, vol. 102, n° 2, avril.

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21 janvier 2017 6 21 /01 /janvier /2017 13:30
L'Afrique est en pleine transformation structurelle

En 2000, la revue The Economist qualifiait l’Afrique de « continent sans espoir » : celle-ci connaissait depuis plusieurs décennies une très faible croissance, alors même que les revenus moyens de ses habitants étaient plus faibles que sur les autres continents, notamment l’Asie de l’Est ou l’Amérique latine. Pourtant, les pays africains ont connu par la suite une période de forte croissance économique. Non seulement les taux de croissance moyens ont été positifs pour la première fois depuis plusieurs décennies et certaines des économies africaines ont même connu une croissance supérieure à plus de 6 % par an, mais les taux de croissance ont pu en outre être sous-estimés. Parallèlement, toujours à partir du tournant du siècle, la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté et le taux de mortalité infantile ont fortement diminué, tandis qu’une part croissante de la population accédait à l’éducation. Bref, au cours de ces dernières décennies, nous avons été les témoins d’un véritable « miracle de la croissance africaine » et, pour l’heure, celui-ci se poursuit.

Cette accélération de la croissance économique en Afrique pourrait résulter de la transformation structurelle que connaît le continent. En effet, plusieurs études ont suggéré que l’agriculture constituait le secteur d’activité le moins productif de l'économie ; ce serait d'ailleurs particulièrement le cas en Afrique. Par conséquent, lorsque l’emploi et l’activité productive sont réalloués du secteur agricole vers l’industrie et les services, alors la productivité des travailleurs augmente mécaniquement et la croissance économique tend à s’accélérer. C’est pour cela que Margarita Duarte et Diego Restuccia (2010) ou encore Berthold Herrendorf, Richard Rogerson et Ákos Valentinyi (2014), par exemple, ont pu récemment affirmer que ce changement structurel constituait une caractéristique fondamentale de la croissance économique. Beaucoup jugent toutefois que les niveaux de productivité et les gains de productivité sont plus faibles dans le tertiaire que dans l’industrie, or la part de l’emploi de l’industrie n’augmente pas indéfiniment : à partir d’un certain niveau de développement, elle amorce son déclin. Par conséquent, une économie a beau continuer à se tertiariser, sa croissance risque de ralentir lorsque s’amorce sa désindustrialisation.

Par conséquent, selon Xinshen Diao, Kenneth Harttgen et Margaret McMillan (2017), si des pays à différentes étapes de développement tendent à ne pas présenter la même structurelle sectorielle, l’écart de niveau de vie que les pays africains vis-à-vis des autres pays pourrait s’expliquer par le fait que les premiers ne se situent pas à la même étape de développement que les seconds. Ils ont alors cherché à relier l’accélération de la croissance économique et la baisse de la pauvreté que les pays africains ont récemment connues aux transformations structurelles qui sont à l’œuvre en leur sein. Ils constatent qu’une grande partie de cette croissance et de cette réduction de la pauvreté s’explique effectivement par un fort déclin de la part de la main-d’œuvre employée dans le secteur agricole, donc par la hausse de la part des actifs employés dans l’industrie et le tertiaire.

Dans l’échantillon de neuf pays à bas revenu que Diao et ses coauteurs analysent, ils observent que la part de la population active employée dans l’agriculture (qui était en particulièrement élevée dans les années quatre-vingt-dix) a baissé en moyenne de 9,33 points de pourcentage entre 2000 et 2010, tandis que la part de l’emploi dans l’industrie augmentait de 1,46 point de pourcentage et que la part de l’emploi dans le tertiaire augmentait de 6,13 points de pourcentage. Le déclin de l’emploi agricole a été le plus prononcé parmi les femmes du milieu rural âgées de plus de 25 ans qui ont bénéficié d’un enseignement primaire. Il a été accompagné par une hausse systématique de la productivité du travail, dans la mesure où la réallocation de la main-d’œuvre s’est effectuée d’un secteur à faible productivité (l’agriculture) vers des secteurs à plus forte productivité (l’industrie et le tertiaire). Dans l’échantillon de pays qu’ils étudient, la productivité du travail s’est accrue au rythme moyen de 2,8 % par an entre 2000 et 2010 ; 1,57 point de pourcentage de cette croissance s’explique par le changement structurel. Par contre, entre 1990 et 1999, la croissance de la productivité du travail était proche de zéro et le changement structurel tendait en fait à freiner la croissance économique. Lorsque Diao et ses coauteurs se penchent sur un échantillon de pays africains à plus hauts revenus, ils constatent que ces derniers ont connu la même accélération de la croissance de leur productivité du travail, mais les concernant l’ensemble de cette croissance s’explique par la croissance de la productivité intra-sectorielle.

Diao et alii ont notamment comparé le niveau des parts sectorielles de l’emploi en Afrique avec celui observé dans les autres pays, en prenant en compte le niveau de revenu. Ce faisant, ils remarquent qu’au vu des niveaux de revenu par tête en Afrique, les parts respectives de l’agriculture, de l’industrie et du tertiaire correspondent assez bien à ce que l’on peut s’attendre en observant ce qu'on pu connaître les autres pays par le passé. En outre, bien que la part de l’industrie dans l’emploi ne s’accroisse pas rapidement, cette part n’a pas atteint son pic dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne et elle continue de s’accroître.

La forte croissance que l’Afrique a connue ces dernières décennies n’est donc pas due (seulement) à des facteurs conjoncturels, comme par exemple la hausse des prix des matières premières, mais elle tient (également) à des facteurs structurels. Diao et ses coauteurs se montrent ainsi optimistes quant à la poursuite de la croissance en Afrique : tant que le changement structurel se poursuit et surtout que la part de l’emploi industriel n’a pas encore atteint son pic, la croissance africaine va se poursuivre. Toutefois, certains comme Dani Rodrik (2015) ont pu remarquer qu’à mesure que le temps passe, la part de l’industrie tend à atteindre son maximum de plus en plus tôt, relativement au niveau de vie : les pays en développement feraient aujourd’hui face à une « désindustrialisation précoce » (premature deindustrialization) par rapport aux pays qui ont amorcé leur développement plus tôt. Autrement dit, les pays africains risquent de ne pas profiter autant de l’industrialisation que n’en ont profité les autres pays.

 

Références

Diao, Xinshen, Kenneth Harttgen & Margaret McMillan (2017), « The changing structure of Africa's economies », NBER, working paper, n° 23021, janvier.

DUARTE, Margarita, & Diego Restuccia (2010), « The role of the structural transformation in aggregate productivity », in Quarterly Journal of Economics, vol. 125, n° 1.

Herrendorf, Berthold, Richard Rogerson & Ákos Valentinyi (2014), « Growth and structural transformation », in Aghion & Durlauf (dir.), Handbook of Economic Growth, vol. 2.

RODRIK, Dani (2015), « Premature deindustrialization », NBER, working paper, n° 20935, février.

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