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21 septembre 2012 5 21 /09 /septembre /2012 10:45

La monnaie et le crédit influencent de manière déterminante les dynamiques financières et les variables « réelles ». Ils jouent en l’occurrence un rôle majeur dans l’émergence, la propagation et l’amplification des chocs que subit l’économie. La Grande Dépression des années trente et de nombreuses turbulences macroéconomiques observées depuis 2007 correspondent aux dénouements dramatiques d’expansions excessives du crédit.

Tel que le résument Barry Eichengreen et Kris Mitchener (2003), un scénario typique de boom du crédit débute tout d’abord par une expansion de l’activité économique qui incite les banques et marchés financiers à étendre leur volume de prêts pour financer la croissance de la consommation et de l’investissement. L’expansion du crédit est alors d’autant plus stimulée que la régulation financière est laxiste et la concurrence entre banques et intermédiaires non bancaires est intense. Si la monnaie domestique est ancrée à une devise étrangère ou si survient un choc positif d’offre, les tensions sur les prix sont contenues, auquel cas la banque centrale n’a aucune raison de resserrer sa politique monétaire et de réfréner l’expansion de la monnaie et du crédit. La stimulation de l’activité économique qui en résulte mène à une nouvelle hausse du crédit. L’investissement, notamment immobilier, est encouragé par la hausse des prix immobiliers et du cours des titres. Des projets d’investissement toujours plus risqués sont entrepris avec l’extension des prêts. Dans cet environnement marqué par la stabilité des prix, les taux d’intérêts nominaux et les rendements sur actifs sans risque sont particulièrement faibles, si bien que la demande pour les investissements risqués augmente avec leur offre. Peu à peu, l’activité de construction immobilière et plus largement celle de l’investissement vont se traduire par des pressions inflationnistes, notamment en stimulant la consommation des ménages via les effets de richesse. Les tensions sur les prix ne pourront qu’amener la banque centrale à relever ses taux directeurs. Les bulles spéculatives éclatent alors et la chute subséquente des prix d’actifs déprime l’activité économique.

Cette vision des choses largement partagée et étudiée par les économistes de la Banque des règlements internationaux (BRI), notamment Claudio Borio et William White (2003), s’appuie sur les intuitions de l’économie autrichienne. Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek s'étaient focalisés sur la divergence entre le taux d’intérêt effectif et sa valeur naturelle pour expliquer les épisodes d'instabilité financière. Lorsque le taux de marché est inférieur au taux naturel, les prix tendent à augmenter et l’investissement s’en trouve stimulé. Une création excessive de crédit encourage l’inflation des prix d’actifs en alimentant la consommation et l’investissement. Plus l’inflation des prix d’actifs perdure, plus l’élimination subséquente des projets d’investissement et des excès financiers devra être importante, plus le ralentissement de l’activité économique qui en résulte sera sévère. Le boom du crédit porte en lui les germes de la crise. Le ralentissement conjoncturel est nécessaire pour obtenir une reprise soutenable, puisqu’il permet de purger l’économie des entreprises et projets d’investissement non viables. La banque centrale doit donc se garder d’intervenir, tout assouplissement monétaire ne pouvant que retarder la reprise et provoquer de nouvelles bulles sur les marchés d’actifs.

Les économistes de la BRI se sont aussi activement inspirés de l’hypothèse d’instabilité financière développée par Hyman Minsky (1986, 1992) et reprise par Charles Kindleberger (1978). Selon celle-ci, en raison des comportements adoptés par les agents économiques dans leur quête de rentabilité, l’économie présente une tendance endogène à se muer en un système instable. Que ce soit en période d’expansion ou de ralentissement économique, les agents réagissent aux déséquilibres en adoptant des comportements les amplifiant davantage. En l’occurrence, au cours d’une période prolongée de prospérité, les banques acceptent de financer un endettement accru des agents économiques et accroissent elles-mêmes leur propre levier. La diffusion des innovations financières participe également à relever le volume de financements disponible pour l’économie. Ainsi, les agents font un usage croissant du levier d’endettement se tournent peu à peu vers des modes de financement spéculatifs. L’expansion économique, qui se trouve rétroactivement alimentée par ces comportements spéculatifs, dissimule les risques tant aux intermédiaires et marchés financiers qu’à leurs régulateurs. Le boom du crédit subsiste tant que les anticipations de rendements demeurent optimistes. Dans cet environnement instable, tout événement est susceptible de pousser les agents vers une course à la liquidité et au nettoyage de leurs bilans. Une fois la crise amorcée, la multiplication des ventes d’actifs alimente le déclin de leurs prix, ce qui amorce une nouvelle vague de ventes en catastrophe. Le système ne retourne donc pas vers un nouvel équilibre stable ; les forces déstabilisatrices se révèlent au contraire cumulatives. Aucun mécanisme de marché ne peut alors soustraire l’économie du chômage et de la dépression. Selon Minsky et les post-keynésiens, la banque centrale doit donc pleinement jouer son rôle de prêteur en dernier ressort pour contenir les pressions déflationnistes.

Jusqu’à la Grande Récession, les travaux sur les crises financiers et le rôle du crédit dans leurs dynamiques ont donc ont essentiellement été menés par les analystes de la BRI et les économistes hétérodoxes. La crise de 2008 a stimulé le développement de méthodes empiriques permettant d’identifier les booms de crédit et de caractériser les fluctuations économiques qui les accompagnent. Dans un article initiant cette nouvelle vague de travaux, Moritz Schularick et Alan Taylor (2009) ont compilé les données relatives aux évolutions de la monnaie, du crédit et de divers autres indicateurs macroéconomiques observées entre 1870 et 2008 dans 12 économies développées. L’analyse de ces données fait apparaître « deux ères du capitalisme financier ». Au cours de la première période, s’étalant de 1870 à 1939 et correspondant peu ou prou au régime d’étalon-or, le volume de crédit au niveau agrégé s’avère étroitement lié à la masse monétaire. Agrégat monétaire et crédit sont volatiles, mais ils maintiennent l’un avec l’autre une relation des plus stables à long terme. L’agrégat monétaire large et le volume de prêts représentent sur la période 50 à 60 % du PIB, tandis que les actifs bancaires représentaient 80 à 90 % du PIB. Toutefois, avec la Grande Dépression, les agrégats monétaire et de crédit s’effondrent relativement au PIB tout au long des années trente et leur relation devint instable. Au cours de la seconde ère du capitalisme financier, monnaie et crédit vont croître très rapidement, le processus se poursuivant même après que le système financier ait recouvert la totalité des pertes qu'il réalisa lors des années trente. Avec la hausse du levier d’endettement se combinant avec le financement croissant via les passifs non monétaires des banques, le crédit se découple de l’agrégat monétaire large et connait une croissance rapide. En 2007, l’agrégat monétaire représentait 70 % du PIB, les prêts bancaires plus de 100 % et les actifs bancaires plu de 200 %. Le crédit joua ces dernières décennies un rôle croissant au niveau macroéconomique, notamment en raison des innovations financières et du relâchement du cadre régulateur.

Schularick et Taylor ont ensuite observé le comportement des agrégats monétaire et de crédit dans les années suivant une crise financière. Les données font à nouveau apparaître une mutation des dynamiques de crise avec la Seconde Guerre mondiale. Au cours des crises survenues après 1945, les banques centrales ont soutenu la croissance monétaire par des actions plus agressives et les crises ne se sont pas soldées par un effondrement de l’agrégat monétaire large. Les interventions publiques ont ainsi évité que se reproduisent les épisodes désastreux de désendettement et de déflation qui ponctuaient régulièrement l’histoire économique d’avant-guerre. Les répercussions « réelles » des crises financières n’ont toutefois pas été atténuées : malgré l’activisme des autorités monétaires pour contenir la transmission des crises, la profonde financiarisation de l’économie au cours de ces dernières décennies a rendu celle-ci plus vulnérable aux dynamiques financières.

L’analyse empirique menée par Schularick et Taylor tend selon eux à accréditer l’explication minskyenne du cycle conjoncturel. Leurs propres travaux rejoignent les conclusions de la BRI en mettant en évidence que la croissance passée du crédit constitue un indicateur des plus pertinents de la survenue de crises bancaires et financières. Le pouvoir prédictif du crédit est supérieur à celui des autres variables macroéconomiques et notamment de l’agrégat monétaire large, ce qui n’est pas étonnant au regard des évolutions du système financier.

Enrique Mendoza et Marco Terrones (2012) ont proposé une nouvelle méthodologie pour mesurer et identifier les booms de crédit. Leur méthode consiste à départager les composantes cycliques et tendancielles de l’évolution du crédit réel par tête dans chaque pays. Ils définissent alors le boom du crédit comme un épisode au cours duquel le crédit du secteur privé excède d'un certain seuil sa tendance de long terme. Les deux auteurs ont appliqué leur méthode sur un échantillon de 21 pays avancés et de 40 pays en développement. Ils recensent 70 booms du crédit pour la période s’étalant de 1960 à 2010, dont la moitié des occurrences s’est déroulée dans les pays avancés. Les phases haussières de ces booms sont associées à des expansions économiques, une hausse des prix boursiers et immobiliers, une appréciation réelle de la devise et un creusement des déficits externes. Les phases de contraction du crédit sont associées aux dynamiques inverses. De plus, les booms du crédit tendent à être synchronisés au niveau mondial. Ils sont notamment centrés sur des événements majeurs tels que la crise de la dette des années quatre-vingt, la crise du système monétaire européen (SME) en 1992, les fuites des capitaux dans les économies émergentes tout au long des années quatre-vingt-dix et enfin la crise mondiale de 2008.

Les booms du crédit, qu’ils surviennent parmi les économies avancées ou bien les économies émergentes, possèdent trois similitudes. Premièrement, ils sont similaires en magnitude. Deuxièmement, même s’ils n’aboutissent pas tous à des crises, leur pic est souvent suivi par des crises bancaires, des crises de devise ou des fuites de capitaux. Troisièmement, les booms de crédit sont reliés aux expansions économiques, puisqu’ils suivent souvent des épisodes d’afflux en capitaux, de forts gains de productivité et de profondes réformes financières. Plus exactement, les afflux de capitaux et les réformes financières jouent relativement plus souvent le rôle de déclencheur dans un boom du crédit parmi les pays en développement, tandis que ce sont les gains de productivité qui amorcent relativement plus souvent une expansion excessive du crédit dans les pays avancés. Les deux auteurs notent que les booms du crédit sont en outre plus fréquents en régime de change administré qu’en régime flexible.

 

Références Martin ANOTA

BORIO, Claudio, & William R. WHITE (2003), « Whither Monetary and Financial Stability: The Implications of Evolving Policy Regimes », Federal Reserve Bank of Kansas City.

EICHENGREEN, Barry, & Kris J. MITCHENER (2003), « The great depression as a credit boom gone wrong », BIS working paper, n° 137, septembre.

KINDLEBERGER, Charles P. (1978), Manias, Panics, and Crashes: A History of Financial Crises.

MENDOZA, Enrique G., & Marco E. TERRONES (2012), « An anatomy of credit booms and their demise », Banque centrale du Chili, working paper, juillet.

MINSKY, Hyman P. (1986), Stabilizing an Unstable Economy.

MINSKY, Hyman P. (1992), « The Financial Instability Hypothesis », Levy Institute, working paper, n° 74.

SCHULARICK, Moritz, & Alan TAYLOR (2009), « Credit booms go wrong », in VoxEU.org, 8 décembre.

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