De nombreuses récessions ont été précédées par une chute des prix d’actifs. La Grande Dépression des années trente, la décennie perdue du Japon dans les années quatre-vingt-dix ou encore plus récemment la Grande Récession de 2008 ont toutes suivi l’éclatement de bulles immobilières et boursières. Ces chutes de prix d’actifs ont été d’autant plus nocives pour l’économie qu’elles se sont accompagnées d’une crise financière. La littérature théorique a mis en évidence les mécanismes par lesquels l’activité s’en trouve affectée. Les chutes de prix d’actifs entraînent par exemple une baisse de la demande globale via les effets de richesse. Notamment parce que les actifs (comme l’immobilier) peuvent être utilisés comme collatéraux, leur chute réduit la capacité d’emprunt de leurs détenteurs, ce qui pousse ces derniers à diminuer leurs dépenses. Elle détériore également le bilan même des banques et les incite à réduire leurs prêts. Les turbulences financières suscitées par la baisse des prix d’actifs concourent ainsi à amplifier la contraction de l’activité.
La récente crise mondiale a renouvelé l’intérêt des économistes pour le lien entre prix d’actifs et cycles d’affaires. Ces nouvelles études ont ainsi confirmé que le profil des récessions, mais aussi celui des reprises qui leur sont consécutives, sont façonnés par les variables financières et notamment par le cycle du crédit. Stijn Claessens, Ayhan Kose et Marco Terrones (2011) ont par exemple montré que les récessions générées par un effondrement des prix d’actifs tendent à être plus longues et plus sévères que les autres. Parmi d’autres facteurs, le désendettement des agents privés, la faible création de crédit et la déprime de l’activité immobilière peuvent fortement contraindre la reprise.
John C. Bluedorn, Jörg Decressin et Marco E. Terrones (2013) ont cherché à utiliser les prix d’actifs, en l’occurrence les cours boursiers et les prix immobiliers pour prévoir les récessions qui sont survenues dans les pays avancés du G7 entre le premier trimestre de l’année 1970 et le quatrième trimestre 2011. A la différence des précédentes études, ils font attention à écarter de leurs échantillon les chutes de prix d’actifs qui se sont produites lorsque l’économie était déjà en récession. Les trois auteurs constatent que les chutes de prix d’actifs accroissent significativement la probabilité d’une récession dans les pays avancés constituant leur échantillon. En l’occurrence, les effondrements de cours boursiers sont plus amples et plus fréquents que les chutes de prix immobiliers, ce qui les rend plus utiles que ces derniers pour prévoir les retournements du cycle économique.
Bluedorn et alii observent également si l’incertitude élève la probabilité qu’une nouvelle récession survienne. La récente crise mondiale et, plus précisément, la lenteur de la reprise qui l’a suivie, ont en effet amené plusieurs auteurs à développer le concept d’incertitude pour expliquer les faibles performances des économies avancées. Selon cette naissante littérature, le degré d’incertitude (mesuré notamment par la volatilité des cours boursiers) varie au cours du cycle ; il est bien plus élevé lors des expansions que lors des récessions. Par exemple, face à une plus forte incertitude, les entreprises réduisent leurs dépenses d’investissement, car celles-ci sont souvent irrécupérables ; de leur côté, les ménages tendent également à réduire leurs achats de biens durables. Par conséquent, une plus forte incertitude se révèle nocive à l’activité et pourrait ainsi entraîner ou prolonger des récessions. Selon certains auteurs comme Nicholas Bloom, Ayhan Kose et Marco Terrones (2013), la faiblesse de la reprise actuelle serait pourrait ainsi être liée à une plus forte incertitude, notamment en ce qui concerne la conduite de la politique budgétaire [1]. L’étude de Bluedorn et ses coauteurs suggèrent que la hausse de l’incertitude est effectivement associée à l’éclatement d’une nouvelle récession.
[1] Cette idée reste toutefois fortement débattue. D’une part, cette littérature a encore une définition imprécise de l’incertitude (celle-ci ne s’apparente aucunement à sa définition keynésienne). D’autre part, il est probable que la faiblesse de l’actuelle reprise s’explique davantage par le caractère excessivement restrictif de la politique budgétaire que par l’incertitude qui l’entoure [Fatas, 2013].
Références
BLOOM, Nicholas, M. Ayhan KOSE & Marco E. TERRONES (2013), « Held back by uncertainty », in Finance & Development, vol. 50, n° 1, mars. Traduction française, « Le poids de l’incertitude ».
FATÁS, Antonio (2013), « The only uncertainty is why some cannot see facts », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 15 septembre. Traduction disponible ici.