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5 janvier 2016 2 05 /01 /janvier /2016 22:19

Plusieurs études suggèrent que l’expansion rapide du crédit lors d’une expansion de l’activité accroît fortement le risque de crises financières et de crises bancaires. Or les crises bancaires tendent à être suivies par de plus larges pertes en production et par de plus lentes reprises si elles sont précédées par des booms du crédit ; les répercussions des crises bancaires sur la production sont très durables, voire même permanentes. Il se pourrait même que l’expansion du crédit nuise également à l’activité lors des périodes expansions. En effet, Stephen Cecchetti et Enisse Kharroubi (2015) ont montré qu’un boom du crédit pèse sur la croissance économique en freinant la croissance de la productivité, et ce même s’il n’est pas suivi par une crise financière. Ils suggèrent que ce résultat s’explique par l’impact du boom du crédit sur l’allocation des ressources et notamment de la main-d’œuvre. En l’occurrence, l’essor du secteur financier peut bénéficier disproportionnellement aux projets avec de forts collatéraux, mais caractérisés par une faible productivité ; surtout, il peut inciter la main-d’œuvre qualifiée à chercher à se faire embaucher par le seul secteur financier, au détriment des autres secteurs de l’économie, notamment les plus innovants.

Claudio Borio, Enisse Kharroubi, Christian Upper et Fabrizio Zampolli (2016) ont récemment étudié le lien entre les booms du crédit, la croissance de la productivité, les réallocations de la main-d’œuvre et les crises financières à partir d’un échantillon de 21 pays avancés, sur la période s’étalant entre 1969 et aujourd’hui. Ils en tirent deux principaux constats. Premièrement, les booms du crédit réorientent l’allocation de la main-d’œuvre au profit des secteurs à faible croissance de la productivité et donc au détriment des secteurs à forte croissance de la productivité, ce qui explique pourquoi les booms du crédit tendent à freiner la croissance de la productivité. Deuxièmement, l’impact des réallocations qui surviennent durant un boom, et plus généralement durant une expansion de l’activité, est bien plus large si une crise s’ensuit. La perte moyenne par an au cours des cinq ans qui suivent une crise est plus de deux fois plus importante que durant un boom. En d’autres termes, lorsque les conditions économiques deviennent hostiles, la mauvaise allocation engendre la mauvaise allocation. 

Pour Borio et ses coauteurs, les résultats auxquels leur étude empirique aboutit apportent un éclairage sur plusieurs débats actuels et notamment sur la question de la stagnation séculaire. Selon Larry Summers (2014), les pays avancés ont fait face à une insuffisance chronique de la demande globale avant même qu’éclate la crise financière mondiale. Borio et alii estiment que la lenteur de la reprise après la Grande Récession résulte non seulement de la crise financière ; mais aussi du boom qui l’a précédée. Alors que Summers trouve que la croissance américaine a été décevante avant la crise fut décevante malgré le boom ; pour Borio et alii, elle a été décevante à cause du boom.

La littérature a souligné les répercussions procycliques du cycle financier sur la demande globale : l’expansion du crédit durant un boom stimule la demande agrégée et par là la production, tandis qu’un effondrement financier déprime la demande globale et par là la production en poussant les agents à se désendetter et les banques à restreindre le crédit. Borio et alii estiment qu’il ne faut pas se contenter d’observer la demande globale pour juger des répercussions du cycle financier ; ce dernier a également des répercussions négatives du côté de l’offre, via le canal de l’allocation des ressources. Les effets d’hystérèse qui freinent l’activité au sortir d’une crise financière ne s’expliquent pas seulement par la demande globale, mais également par l’allocation du crédit et de la main-d’œuvre. Cela justifie de redéfinir le concept de production potentielle en prenant en compte les déséquilibres financiers, comme le suggéraient déjà Claudio Borio, Piti Disyatat et Mikael Juselius (2013) : il faut prendre en compte le cycle financier pour déterminer le PIB potentiel et pour déterminer si l’économie est en surchauffe.

Ensuite, pour Borio et alii (2016), leurs résultats éclairent les répercussions que la politique monétaire peut avoir à moyen et long termes et son efficacité face aux effondrements financiers. Si une politique monétaire laxiste contribue aux booms du crédit et si ces booms ont des effets pernicieux permanents sur la production et la productivité, ne serait-ce que lorsqu’ils sont suivis par des crises financières, alors la monnaie n’est décidemment pas neutre à long terme. Enfin Borio et ses coauteurs jugent la politique monétaire accommodante peu efficace pour contrer les répercussions d’une crise financière. D’une part, son efficacité s’en trouve atténuée par le fait même que les agents cherchent à se désendetter et par le blocage du système financier. D’autre part, elle n’est pas un bon outil pour corriger la mauvaise allocation des ressources, puisqu’elle a précisément été à leur origine au cours de la précédente expansion ; elle risque à nouveau d’altérer l’allocation des ressources au cours de la prochaine expansion.

 

Références

BORIO, Claudio, Piti DISYATAT & Mikael JUSELIUS (2013), « Rethinking potential output: Embedding information about the financial cycle », BRI, working paper, n° 404, février.

BORIO, Claudio, Enisse KHARROUBI, Christian UPPER & Fabrizio ZAMPOLLI (2016), « Labour reallocation and productivity dynamics: financial causes, real consequences », BRI, working paper, n° 534, janvier.

CECCHETTI, Stephen G., & Enisse KHARROUBI (2015), « Why does financial sector growth crowd out real economic growth? », BRI, working paper, n° 490, février.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

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