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5 octobre 2015 1 05 /10 /octobre /2015 21:42

Il y a diverses raisons amenant à penser que les récessions, en particulier les plus sévères, dégradent la production potentielle. Par exemple, face à une faible demande globale et à un resserrement du crédit bancaire, les entreprises peuvent être moins incitées à investir, notamment dans l’innovation, si bien que les capacités de production et le potentiel de long terme se dégradent. En outre, les chômeurs ont tendance à perdre leurs compétences ; ou, tout du moins, ils ne peuvent en acquérir de nouvelles, c’est-à-dire profiter de l’apprentissage par la pratique (learning-by-doing). D’un autre côté, certains suggèrent que les récessions contribuent à apurer l’économie de ses excès passés et par là à accroître la soutenabilité de la croissance à long terme. Par exemple, les entreprises les moins efficaces sont susceptibles de faire faillite et de disparaître, c’est-à-dire de libérer davantage de ressources (et notamment davantage de travailleurs) au profit des entreprises les plus efficaces, ce qui accroît la productivité moyenne de l’économie.

Plusieurs études ont constaté que les crises financières bancaires et financières tendent à dégrader la production potentielle ou tout du moins certaines de ses composantes. Davide Furceri et Annabelle Mourougane (2009) ont observé un échantillon de pays de l’OCDE sur la période entre 1960 et 2007. Leurs résultats suggèrent que la survenue d’une crise financière tend à réduire de façon permanente la production potentielle. Les crises financières réduisent en moyenne la production potentielle de 1,5 % à 2,4 %. L’ampleur des pertes de production s’accroît avec la sévérité de la crise. La survenue d’une crise profonde diminue la production potentielle de presque 4 %, soit le double de l’impact moyen d’une crise. Jane Haltmaier (2012) a étudié l’impact des récessions sur la production tendancielle, selon qu'elles soient ou non associées à une crise financière. A partir d'un large échantillon de pays, elle constate que la croissance tendancielle est significativement plus lente dans la période de deux à quatre ans après un pic d’activités que dans les deux ans avant le pic. La profondeur d’une récession a un impact significatif sur les pertes en production potentielle en ce qui concerne les pays avancés, tandis que la durée d’une récession a un impact significatif sur les pertes essuyées par les économies en développement. Par conséquent, si la Grande Récession a pu avoir un profond impact sur la production potentielle des pays avancés, elle n’a eu qu’un impact limité sur celle des pays en développement. De son côté, Laurence Ball (2014) a estimé les répercussions à long terme de la Grande Récession de 2008-2009 sur la production dans 23 pays. Il a comparé les estimations courantes de la production potentielle de l’OCDE et du FMI à la trajectoire que le PIB suivait encore en 2007. Les pertes en production potentielle sont comprises entre pratiquement zéro en Australie et en Suisse à plus de 30 % du PIB en Grèce, en Hongrie et en Irlande. La perte moyenne est de 8,4 % du PIB. Dans certains pays, les pertes en potentielle ont même tendance à s’accroître au cours du temps : leur PIB continue de s’éloigner de sa trajectoire d’avant-crise.

Plus récemment, Robert Martin, Teyanna Munyan et Beth Anne Wilson (2015) ont étudié l’impact des récessions sur le niveau à long terme de la production. Ils observent les répercussions de 150 récessions en s’appuyant sur les données relatives à 23 économies avancées au cours des 40 dernières années. Ils constatent que les récessions sévères ont un impact négatif puissant et soutenu sur le niveau de la production. En effet, pour que le PIB revienne à sa trajectoire tendancielle d’avant-crise, la croissance du PIB après la récession doit être durablement plus forte qu’avant : plus la récession a été sévère, plus la croissance d’après-crise est censée être forte. Or, les auteurs ne trouvent aucune preuve empirique suggérant que la croissance s’accélère suite à la récession, qu’elle soit ou non associée à une crise bancaire et financière. Au contraire, les taux de croissance sont plus lents après qu’avant les récessions, et ce même lorsque les années qui précèdent immédiatement le pic et qui peuvent être associées à une bulle sont exclues de l’analyse. Suite aux récessions, la production reste sous la tendance d’avant-crise pendant une période de temps prolongée, si bien que les pertes de productions associées à la récession ont un caractère permanent et que le PIB suit finalement une nouvelle trajectoire tendancielle. Ce résultat soulève des questions à propos des chocs qui sont à l’origine des récessions : les pertes de production peuvent impliquer que des chocs de demande aient des effets permanents ou bien que les récessions trouvent leur origine dans des chocs d’offre permanents. En outre, Martin et ses coauteurs constatent que les pertes en production sont associées aux déclins de la plupart des composantes de la production, en particulier à moindre utilisation du facteur travail (liée aux déclins du taux d’emploi et du taux d’activité) et à une réduction de l’investissement

Selon Martin et ses coauteurs, l’écart significatif qui apparaît suite aux récessions entre la production courante et la trajectoire d’avant-crise contraste avec la manière par laquelle les économistes et les prévisionnistes modélisent la croissance et la trajectoire de la production après les récessions. Il est souvent supposé que la production croît rapidement après les récessions pour refermer l’écart de production. En fait, les écarts de production se referment surtout via des révisions à la baisse de la production potentielle plutôt que via une croissance rapide après la récession. Les révisions de croissance s’opèrent quant à elles lentement, sur plusieurs années : ce n’est que peu à peu que les prévisionnistes acceptent que la production ne retrouvera finalement pas sa trajectoire d’avant-crise. Les responsables politiques sous-estiment initialement l’impact des récessions sur la production potentielle et ont par conséquent des prévisions d’inflation excessivement optimistes. L’existence de larges pertes en production suite aux récessions plaident pour que les responsables politiques réagissent rapidement au cours de celles-ci, en assouplissant rapidement les politiques conjoncturelles, au lieu d’adopter une attitude attentiste et de rendre par là même permanentes les pertes en production associées à la récession.

 

Références

BALL, Laurence M. (2015), « Long-term damage from the Great Recession in OECD countries », NBER, working paper, n° 20185, mai.

FURCERI, Davide, & Annabelle MOUROUGANE (2009), « The effect of financial crises on potential output: new empirical evidence from OECD countries », OCDE, working paper, n° 699.

HALTMAIER, Jane (2012), « Do recessions affect potential output? », Fed, international finance discussion paper, n° 1066.

MARTIN, Robert, Teyanna MUNYAN & Beth Anne WILSON (2015), « Potential output and recessions: Are we fooling ourselves? », Fed, international finance discussion paper, n° 1145.

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