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10 janvier 2016 7 10 /01 /janvier /2016 15:31

Au cours de la crise financière mondiale et dans les premiers temps de la reprise qui l’a suivie, les responsables politiques et en particulier les banquiers centraux ont cherché à coopérer pour restaurer la stabilité financière et stabiliser l’activité. Par exemple, la Réserve fédérale américaine et cinq autres banques centrales majeures se sont coordonnées pour réduire simultanément leurs taux directeurs en octobre 2008. Par la suite, la Fed a échangé des dollars avec des devises étrangères dans le cadre d’accords de swaps de devises avec quatorze banques centrales, notamment des pays émergents. Mais une fois la reprise mondiale pleinement amorcée, plusieurs responsables politiques et analystes à travers le monde affirmèrent que les mesures ultra-accommodantes de la Fed nuisaient à leur économie. Par exemple, en novembre 2010, lorsque la Fed débuta les achats d’actifs dans le cadre de son deuxième programme d’assouplissement quantitatif, Guido Mantega, alors ministre des Finances brésilien, affirma que la banque centrale américaine menait une véritable « guerre de devises » : la Fed assouplissait sa politique monétaire pour affaiblir le taux de change du dollar et procurer par là même une avantage comparatif aux Etats-Unis dans les échanges commerciaux. Une dépréciation permettrait à un pays d’accroître ses exportations, mais en réduisant celles du reste du monde : elle serait donc un jeu à somme nulle.

Lors d’une conférence organisée par le FMI au mois de novembre dernier, Ben Bernanke (2016a) a mis à l’épreuve une telle idée. L’ancien gouverneur de la Fed rappelle que les dépréciations compétitives étaient déjà un sujet de discorde au cours de la Grande Dépression des années trente. Les pays qui connurent le plus rapidement une reprise furent ceux (comme la Grande-Bretagne) qui quittèrent le plus tôt l’étalon-or pour laisser leur devise se déprécier vis-à-vis de celles des pays (comme la France) qui restèrent dans l’étalon-or. Certains économistes, notamment Joan Robinson, estimaient alors que les premiers renouèrent avec la croissance aux dépens des seconds. En fait, selon Bernanke, l’abandon de l’étalon-or n’a pas seulement permis aux pays de profiter de la réallocation des échanges en laissant leur monnaie se déprécier : il leur donna une plus large marge de manœuvre pour adopter des politiques expansionnistes. Ces dernières contribuèrent à accroître la demande mondiale et à accélérer la reprise mondiale. Aujourd’hui, tout comme durant les années trente, beaucoup se focalisent sur un unique canal de transmission de la politique monétaire, en l’occurrence son impact sur le taux de change, en négligeant les autres. Or, si un pays stimule son activité domestique avec la dépréciation de sa devise, ses résidents profitent de la hausse de leurs revenus pour accroître leurs importations. Les données empiriques suggèrent effectivement que les effets de revenu que la politique monétaire est susceptible d’avoir sur les exportations américaines tendent à compenser les effets de taux de change.

GRAPHIQUE 1  Les contributions des exportations nettes au PIB américaine (en points de pourcentage)

Bernanke, la Fed et le reste du monde

source : Bernanke (2016a)

Surtout, Bernanke estime que rien n’assure que la Fed se soit récemment engagée dans une guerre des devises. Une telle politique non coopérative est en effet censée accroître les exportations nettes. Le déficit commercial américain s’est effectivement contracté en 2008 et en 2009, mais en raison de la crise et de la contraction subséquente de la demande domestique. Les exportations nettes contribuèrent alors à stimuler l’activité américaine (cf. graphique 1). Depuis 2010, les exportations nettes ne contribuent que très peu à la croissance américaine totale ; elles ont même pesé sur cette dernière en 2010 et en 2014. En outre, le dollar s’est effectivement déprécié au début de l’année 2011, peu après que la Fed ait lancé son deuxième programme d’assouplissement quantitatif, mais il s’est ensuite apprécié lors de la seconde moitié de l’année 2011 (cf. graphique 2). Son appréciation s’est ensuite poursuivie, tout d’abord lentement, puis rapidement à partir du milieu de l’année 2014. En d’autres termes, si la Fed s’est effectivement lancée dans une guerre de devises, cette dernière n’a pas réussi.

GRAPHIQUE 2  Les contributions des exportations nettes au PIB américaine (en points de pourcentage)

Bernanke, la Fed et le reste du monde

source : Bernanke (2016a)

Bernanke (2016b) s’est ensuite attaqué à l’idée selon laquelle les changements de la politique monétaire de la Fed, qu’il s’agisse aussi bien des assouplissements que des resserrements monétaires, aient des répercussions perverses sur les marchés financiers dans le reste du monde, en particuliers dans les pays émergents. Certains, comme Raghuram Rajan, l’actuel gouverneur de la banque centrale indienne, estiment que les décisions de la Fed accroissent la volatilité des capitaux. En l’occurrence, le maintien des taux directeurs de la Fed à leur borne zéro et l’adoption des divers programmes d’assouplissement quantitatif auraient alimenté les entrées de capitaux dans les pays émergents et provoqué par là même une appréciation de la devise et une expansion insoutenable du crédit. Réciproquement, le retrait de ces mêmes mesures accommodantes stimulerait la sortie de capitaux des pays émergents, exposant ces derniers à un effondrement du crédit et des prix d’actifs, comme le suggère l’épisode du « taper tantrum » de 2013 : Bernanke, alors à la tête de la Fed, avait fait référence en mai à l’éventualité d’un ralentissement (tapering) des achats d’actifs de la banque centrale américaine d’ici la fin de l’année. Beaucoup interprétèrent ces déclarations comme signalant une hausse prochaine des taux directeurs américains. Les pays émergents, notamment les « cinq fragiles » (l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et la Turquie) connurent par la suite des sorties de capitaux, une dépréciation de leur devise et un ralentissement de leur croissance. 

Bernanke assure que, si la Fed déstabilise les marchés financiers étrangers, chose pour laquelle il n'est pas entièrement convaincu, elle ne le fait pas délibérément. En outre, si la politique monétaire américaine a effectivement des répercussions sur la stabilité financière, alors ces dernières posent également des problèmes pour les Etats-Unis. Pour Bernanke, le dilemme entre stabilité financière et stabilité macroéconomique auquel une banque centrale fait face au niveau mondial est le même auquel elle fait face au niveau domestique. Or, selon lui, les banques centrales ne doivent pas négliger les risques d’instabilité financière, mais elles ne doivent pas être détournées de leurs objectifs domestiques de plein emploi et de faible inflation pour des raisons de stabilité financière. Pour assurer cette dernière, la politique monétaire est un instrument peu efficace, ne serait-ce que parce que l’impact exact de la politique monétaire sur la stabilité financière est encore imprécis. Même s’il était possible de déceler la formation d’une bulle, le resserrement de la politique monétaire pourrait non seulement avoir peu d’effet sur cette bulle, mais elle risquerait surtout d’affecter l’activité dans l’ensemble de l’économie. Ce sont la réglementation financière et les mesures de politique macroprudentielle qui doivent être utilisées pour garantir la stabilité financière, et ce même dans les pays émergents.

Enfin, Bernanke (2016c) s’est demandé pourquoi la Fed est la cible de telles critiques, alors même que d’autres banques centrales se sont engagées dans des politiques monétaires aussi agressives ces dernières années, notamment la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre et la BCE. Cela s’explique selon lui par le rôle dominant que joue le dollar américain, aussi bien dans les échanges de marchandises, que dans les échanges sur les marchés des capitaux. Ce rôle a profondément changé depuis un siècle. Avec l’instauration du système de Bretton Woods au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les devises furent ancrées au dollar. Les Etats-Unis eurent alors une large marge de manœuvre pour poursuivre des objectifs de politique économique domestiques et générer de larges déficits courants. Valéry Giscard d’Estaing a ainsi pu dire que les Etats-Unis bénéficiaient d’un « privilège exorbitant ».

Le système de Bretton Woods s’est écroulé dans les années soixante-dix et les pays ont alors eu la possibilité de choisir leur régime de change. Pourtant, le dollar a gardé son rôle prodéminant, notamment en raison de les effets d’inertie : les gens sont habitués à utiliser le dollar et une devise internationale est d’autant plus utile qu’elle est utilisée par le plus grande nombre. Au cours des dernières décennies, le dollar s’est aussi révélé être un intermédiaire des échange et une réserve de valeurs des plus efficaces. En effet, depuis les années quatre-vingt, l’inflation est restée faible et stable aux Etats-Unis ; les marchés financiers américains sont les plus profonds et les plus liquides à travers le monde ; il y a une large offre d’actifs libellés en dollars qui sont considérés comme très sûrs, notamment les bons du Trésor américains, ce qui permet au dollar de continuer de jouer un rôle de « devise refuge » au cours des périodes de turbulences financières ; la Fed a su jouer efficacement son rôle de prêteur en dernier ressort, même au niveau mondial avec ses opérations de swaps de devises avec les autres banques centrales. Mais pour Bernanke, les Etats-Unis ne tirent actuellement que des bénéfices symboliques du rôle international joué par leur devise. La concurrence exercée par les autres devises, notamment le yen et l’euro, a significativement érodé le « privilège exorbitant » des Etats-Unis. Pour preuve, les taux d’intérêt que les Etats-Unis payent sur les actifs sûrs, notamment les titres publics, ne sont en général pas plus faibles que ceux payés par les autres pays. En outre, lorsque le dollar joue son rôle de « valeur refuge », il tend à s’apprécier, ce qui pénalise la compétitivité des produits américains sur les marchés internationaux, précisément à un moment où l’environnement économique est le plus hostile.

Ce qui distingue la transmission de la politique monétaire américaine par rapport à la transmission des politiques monétaires des autres banques centrales est le fait que beaucoup d’emprunteurs dans les pays émergents empruntent en dollar. Pour autant, Bernanke estime que la Fed ne joue pas un rôle de « banque centrale du monde ». Le taux d’intérêt pertinent pour les décisions d’investissement et d’embauche d’une entreprise étrangère est le coût d’emprunt mesuré en termes de devise locale, non le taux d’intérêt du dollar. Ainsi, lorsque la Fed resserre sa politique monétaire, les emprunteurs autour du monde ne font pas pour autant face à des conditions d’emprunt plus strictes. La politique monétaire de la Fed affecte par contre le coût de remboursement des prêts existants, or beaucoup de prêts en dollar accordés aux emprunteurs étrangers ne sont pas couverts contre le risque de change. Si la Fed resserre sa politique monétaire et si le dollar s’apprécie fortement, ces prêts, qui apparaissaient initialement bon marché, deviendront très coûteux. Heureusement, le dollar s’est considérablement apprécié au cours des 18 derniers mois et, pour l’heure, il n’y a pas eu de problèmes financiers majeurs.

 

Références

BERNANKE, Ben (2015), « Federal reserve policy in an international context », document de travail, présenté à la 16ème conférence annuelle Jacques Polak, organisée par le FMI, novembre.

BERNANKE, Ben (2016a), « What did you do in the currency war, Daddy? », in Ben Bernanke’s blog, 5 janvier.

BERNANKE, Ben (2016b), « Tantrums and hot money: How does Fed policy affect global financial stability? », in Ben Bernanke’s blog, 6 janvier.

BERNANKE, Ben (2016c), « The dollar’s international role: An “exorbitant privilege”? », in Ben Bernanke’s blog, 7 janvier.

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2 janvier 2016 6 02 /01 /janvier /2016 14:52

L’un des débats les plus vifs en finance internationale est si l’ouverture d’un pays aux capitaux étrangers favorise sa croissance économique. En effet, ces dernières décennies, les grandes institutions internationales ont activement préconisé la libéralisation des comptes de capital, en particulier dans les pays émergents. A mesure que la mondialisation s’est approfondie, il a peut-être été de plus en plus difficile pour les pays de continuer de restreindre les mouvements de capitaux ; en l’occurrence, il est d’autant plus difficile pour un pays de maintenir son contrôle des capitaux si les autres pays l’abandonnent.

Théoriquement, l’intégration financière est censée conduire à une allocation plus efficace du capital et à améliorer le partage des risques entre les pays. En effet, chaque pays connaît des fluctuations de son activité, mais il pourra « s’assurer » contre celles-ci et lisser les fluctuations de sa consommation domestique, parce que les autres pays ne se situent pas forcément au même point du cycle que lui : un pays en récession pourra profiter de l’entrée de capitaux provenant de pays connaissant au contraire une expansion, ce qui réduira l’impact de la récession sur le revenu de ses résidents. En outre, comme le suggèrent les modèles de croissance néoclassiques inspirés de Solow, les capitaux sont censés aller des pays abondants en capitaux (c’est-à-dire les pays développés) vers les pays peu dotés en capitaux (c’est-à-dire les pays en développement), dans la mesure où la productivité marginale du capital est plus élevée dans les seconds que dans les premiers. Avec l’allègement des contraintes pesant sur le mouvement des capitaux, les pays récipiendaires voient les afflux de capitaux s’accroître, leur coût du capital diminuer et l’investissement domestique s’en trouver stimulé, ce qui accélère leur croissance économique et par là la convergence de leur niveau de vie vers son état régulier.

D’un autre côté, certains suggèrent au contraire qu’un approfondissement de l’intégration financière est susceptible de retarder le développement d’un pays. En assouplissant les restrictions aux flux de capitaux, un pays espère accélérer les entrées de capitaux, mais cet assouplissement peut également accélérer leur sortie. Par conséquent, un pays adoptant de mauvaises politiques ou se caractérisant par de fragiles institutions serait susceptible de connaître une fuite des capitaux, ce qui réduit l’épargne domestique. Par exemple, si les résidents ont la possibilité de placer leur épargne à l’étranger et si les institutions financières domestiques sont peu développées, ils pourront être effectivement incités à placer leurs capitaux dans un autre pays. Les entrées peuvent en outre avoir tendance à être procycliques. En effet, ces dernières décennies, plusieurs pays n’ont pas réussi à contenir les sorties des capitaux lorsqu’ils subirent des crises, ce qui avait tendance à aggraver ces dernières. Réciproquement, les entrées de capitaux contribuent certes à stimuler l’activité en période d’expansion, mais elles peuvent aussi alimenter des booms insoutenables en période d’expansion, ce qui accroît le risque de crises. Enfin, la libre mobilité des capitaux expose davantage chaque pays aux crises financières éclatant dans le reste du monde, ce qui favorise la contagion internationale. Par conséquent, plusieurs pays émergents ont pu se montrer réticents à libéraliser leur compte de capital et certains ont instauré des contrôles de capitaux pour éviter les afflux déstabilisateurs de capitaux et préserver la stabilité financière. Certaines études du FMI parues récemment ont même pu justifier l’adoption de telles mesures, tout du moins pour les pays émergents, en les considérant comme relevant de la politique macroprudentielle.

Les études ont cherché à trancher le débat en déterminant l’ampleur des gains générés par la libéralisation financière, or la plupart d’entre elles semblent suggérer que la libéralisation du compte de capital n’a pas d’impact significatif sur l’investissement, la croissance et les autres variables réelles susceptibles d’affecter le bien-être des populations. Par exemple, l’analyse empirique réalisée par Dani Rodrik (1998) ne décèle pas de corrélation entre l’ouverture des comptes de capitaux des pays et le montant de leur investissement ou le rythme de leur croissance économique. Dans sa revue de la littérature, Barry Eichengreen (2001) estime que les études ne parviennent au mieux qu’à déceler des effets ambigus. En observant les données relatives à 57 pays, Hali Edison, Ross Levine, Luca Ricci et Torsten Slok (2002) ne parviennent pas à rejeter l’hypothèse selon laquelle l’intégration financière n’accélère pas la croissance. En observant quatorze libéralisations du compte de capital, Ayhan Kose, Eswar Prasad, Kenneth Rogoff et Shang-Jin Wei (2003) constatent que seulement trois d’entre elles ont conduit à une accélération significative de la croissance.

Comme le montrent Pierre-Olivier Gourinchas et Olivier Jeanne (2006) à travers un modèle néoclassique, les gains associés à l’intégration financière sont peu significatifs. Même lorsqu’un pays est initialement dans une situation d’autarcie et se caractérise alors par un faible niveau de capitaux, l’ouverture ne lui rapporte que peu de gains. En l’occurrence, les gains de bien-être générés par le passage d’une autarcie financière complète à une parfaite mobilité des capitaux correspond à une hausse permanente de la consommation d’environ 1 %. Cela s’explique par le fait que la distorsion provoquée par une faible mobilité des capitaux est transitoire : le pays finit par atteindre son niveau d’état régulier de capitaux sans s’ouvrir, bien que plus lentement. Seuls les pays dépourvus de capitaux peuvent connaître de larges gains à travers l’ouverture financière.

Afin d’éclaircir le débat, Nicolas Coeurdacier, Hélène Rey et Pablo Winant (2015) ont également cherché à identifier les gains d’une intégration financière à partir d’un modèle de croissance néoclassique, mais cette fois-ci en prenant en compte l’incertitude agrégée. Leur modélisation confirme les résultats précédemment établis par la littérature, puisqu’elle suggère que ces gains sont faibles : ils s’élèvent au mieux à deux points de pourcentage, même dans les cas les plus favorables où la prime de risque est élevée. Les pays les plus risqués bénéficient certes du partage international des risques, mais leurs résidents vont aussi réallouer leur épargne de précaution dans les pays les plus sûrs. Cela nuance l’idée souvent répandue que ce sont les pays les plus risqués, c’est-à-dire les pays en développement, qui devraient tirer les plus larges gains de l’intégration financière. En réalité, ce sont les pays les plus sûrs, c’est-à-dire les pays développés, qui sont les plus susceptibles de bénéficier de l’intégration financière. Ils vendent en effet de l’assurance à un prix élevé, en l’occurrence à un prix d’autant plus élevé que l’aversion au risque et la prime de risque sont élevés. Le modèle de Coeurdacier et alii nuance également les prédictions standards liant l’intégration financière et la croissance, dans la mesure où ses prédictions sont bien plus complexes et où il suggère que les répercussions de l’intégration financière sur la croissance sont hétérogènes et dépendent de la rareté du capital, du niveau de risque et de la taille des pays. En effet, l’intégration financière pèse sur la croissance des pays émergents si leur niveau de risque agrégé est élevé en comparaison avec les pays développés. En outre, si les pays émergents connaissent une véritable pénurie de capitaux à l’ouverture, l’intégration financière accélère la croissance à court terme, mais la ralentit à plus long terme. Les résultats obtenus par Coeurdacier et alii expliquent pourquoi les études empiriques ont des difficultés à saisir clairement les gains associés à l’intégration financière.

 

Références

COEURDACIER, Nicolas, Hélène REY & Pablo WINANT (2015), « Financial integration and growth in a risky world », NBER, working paper, n° 21817, décembre.

EDISON, Hali, Ross LEVINE, Luca RICCI & Torsten SLOK (2002), « International financial integration and economic growth », in Journal of International Money and Finance, vol. 21.

EICHENGREEN, Barry (2002), « Capital account liberalization: what do the cross-country studies tell us? », in World Bank Economic Review, vol. 15.

GOURINCHAS, Pierre-Olivier, & Olivier JEANNE (2006), « The elusive gains from international financial integration », in Review of Economic Studies, vol. 73. 

KOSE, M. Ayhan, & Eswar Prasad (2004), « La libéralisation du compte de capital », in FMI, Finance & Développement, septembre.

KOSE, M. Ayhan, Eswar PRASAD, Kenneth ROGOFF & Shang-Jin WEY (2003), « Effects of financial globalization on developing countries: Some empirical evidence », FMI, occasional paper, n° 220.

RODRIK, Dani (1998), « Who needs capital account convertibility? ».

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27 décembre 2015 7 27 /12 /décembre /2015 18:01

Le mois de septembre a marqué le trentième anniversaire l’Accord du Plaza. Le 22 septembre 1985, les ministres des Finances et les banquiers centraux des Etats-Unis, de la France, du Japon, de la République Fédérale allemande et du Royaume-Uni ont signé un accord au Plaza Hotel à New York afin d’intervenir collectivement sur les marchés des changes en vue de contenir une appréciation du dollar jugée alors excessive. En effet, au cours des cinq années qui avaient précédé l’accord, le dollar s’était apprécié de 44 % vis-à-vis des autres grandes devises ; en raison de cette appréciation du dollar et de la perte de compétitivité des produits américains sur les marchés internationaux, le solde commercial des Etats-Unis s’était dégradé. L’accord du Plaza constitue l’intervention la plus impressionnante réalisée sur le marché international du dollar depuis que Richard Nixon a laissé flotter la monnaie américaine en 1973. Les différents pays participants se sont accordés sur des fourchettes de taux de change à l’intérieur desquelles ils s’engagent à maintenir leur devise. Au cours des deux ans qui ont suivi, le dollar s’est déprécié de 40 %. Après un certain délai, le solde commercial américain s’est fortement amélioré. 

Jeffrey Frankel (2015) s’est repenché sur cet épisode historique et l’a analysé à la lumière d’aujourd’hui. Il rappelle qu’entre 1980 et 1984 le dollar s’était apprécié de 26 % et que cette appréciation pouvait alors facilement s’expliquer par les fondamentaux. Le resserrement de la politique monétaire opéré par Paul Volker entre 1980 et 1982 et la relance budgétaire impulsée par Ronald Reagan entre 1981 et 1984 ont poussé les taux d’intérêt de long terme à la hausse, ce qui stimula les entrées de capitaux et conduisit à une appréciation de la monnaie, comme l’aurait prédit un modèle traditionnel à la Mundell-Fleming. Comme le subséquent déficit commercial était (du moins initialement) associé à un déficit budgétaire, Martin Feldstein parla de « déficits jumeaux » (twin deficits). Plusieurs partenaires commerciaux, notamment la France, se plaignirent de l’ampleur de l’appréciation du dollar, mais les Etats-Unis ne partagèrent pas cette irritation. Initialement, les responsables américains considérèrent que le dollar fort reflétait la confiance du reste du monde vis-à-vis de l’économie américaine. En outre, non seulement plusieurs économistes, notamment Milton Friedman, jugeaient que la libre flexibilité des taux de change était optimale et que toute intervention serait pernicieuse, mais certaines études qui étaient alors publiées ne parvenaient pas à démontrer que les interventions sur les marchés des changes étaient véritablement efficaces.

Entre mars 1984 et février 1985, le dollar s’apprécia de 17 %. Cette phase d’appréciation se distingua des précédentes, du fait qu’elle s’opéra à un rythme plus rapide, mais aussi du fait qu’elle ne semblait plus s’expliquer par les fondamentaux. Le différentiel des taux d’intérêt attint son maximum en juin 1984, puis il déclina, ce qui aurait dû (théoriquement) s’accompagner d’une dépréciation du dollar. Certains économistes estimèrent alors que le dollar faisait l’objet d’une bulle spéculative. Après avoir atteint 112 milliards de dollars en 1984, le déficit commercial des Etats-Unis s’éleva à 122 milliards de dollars en 1985. L’administration Reagan changea de politique de change : alors qu’elle nourrissait une doctrine du laissez-faire entre 1981 et 1984, elle embrassa un plus grand activisme au cours des années suivantes. Cet activisme s’est notamment traduit par l’accord du Plaza du 22 septembre 1985. 

Pourtant, Jeffrey Frankel préfère dater le changement de régime au début de l’année 1985, en l’occurrence au moins de janvier, lors de l’instauration de la seconde administration Reagan. Avec désormais James Baker à la tête du Trésor, les responsables américains se déclarèrent désormais favorables à reconsidérer la politique de change. En outre, comme le note Frankel, le taux de change du dollar attint son maximum en février, soit plusieurs moins avant l’accord du Plaza ; lorsque ce dernier se tint, le dollar s’était déjà déprécié de 13 %. Même si les autorités américaines n’avaient pris aucune décision, les marchés ont peut-être anticipé des interventions sur le marché des changes en vue de contenir l’appréciation du dollar. En outre, les grands partenaires à l’échange des Etats-Unis, en particulier la République fédérale allemande, commencèrent à intervenir au début de l’année 1985, notamment en vendant des dollars. Ainsi, Frankel préfère inclure dans les « Accords du Plaza » l’ensemble des événements qui se sont produits entre l’intronisation de Baker et la réunion du 22 septembre.

Si les Etats-Unis sont par la suite intervenus à plusieurs reprises sur les marchés des changes, aussi bien pour contenir des appréciations que des dépréciations du dollar, ces interventions devinrent plus rares à partir des années quatre-vingt-dix. En fait, c’est l’ensemble des pays du G7 qui délaissa les interventions sur les marchés des changes ; il y eut quelques exceptions, notamment en 2000, lorsque la BCE intervint pour stopper la dépréciation de l’euro, ou en mars 2011, lorsque la Banque du Japon se coordonna avec les autres grandes banques centrales pour stopper l’appréciation du yen. Les actions entreprises ces dernières années par certaines banques centrales, notamment dans les pays émergents, en vue de contenir l’appréciation de leur le taux de change ont été qualifiées de « manipulations de devises » et beaucoup considèrent qu’elles ont participé à l’apparition des déséquilibres globaux, notamment l’explosion de l’excédent courant chinois (et symétriquement le creusement du déficit courant américaine). Dans la mesure où elles sont perçues comme des mesures non-coopératives, elles sont interprétées comme des mesures agressives lancées dans le cadre de ce que l’on qualifie de véritables « guerres de devises ». En février 2013, les partenaires du G7 ont même accepté la proposition du Trésor américain de ne pas procéder à des intervenions unilatérales sur les marchés des changes.

L’abandon des interventions sur les marchés des changes par les pays du G7 fut en partie motivé par le fait qu’ils jugeaient de telles interventions désormais peu efficaces. Pourtant, plusieurs études, notamment celle de Gustavo Adler, Noemie Lisack et Rui Mano (2015) et celle de Gustavo Adler, Olivier Blanchard et Irineu de Carvalho Filho (2015), ont récemment suggéré que les interventions de change restaient efficaces. Frankel juge que les pays du G7 ont beau ne pas avoir eu à intervenir sur les marchés des changes au cours des dernières années, il n’est pas certain qu’elles n’auront pas à le faire à moyen terme.

En ce qui concerne l’actuelle appréciation du dollar, il n’estime toutefois pas qu’elle nécessite une nouvelle action coordonnée des banques centrales. Le dollar s’est en effet apprécié de 20 % entre le milieu de l’année 2014 et la fin de l’année 2015, ce qui est une variation bien moindre que celle observée au début des années quatre-vingt. L’appréciation actuelle du dollar est, du moins pour l’heure, conforme avec les fondamentaux : l’économie américaine a réalisé de bonnes performances macroéconomiques ces dernières années, en particulier en comparaison avec la zone euro ou le Japon, et elle s’est rapprochée du plein emploi. C’est notamment en raison de ces bons fondamentaux que la Fed a commencé à resserrer sa politique monétaire et notamment décidé de relever ses taux directeurs ce mois-ci après les avoir laissé au plus proche de zéro. Surtout, Frankel estime que l’appréciation du dollar ne devrait pas avoir de significatif effet négatif sur la croissance américaine : il affecte surtout la composition du PIB et non son montant total.

 

Références

ADLER, Gustavo, Olivier BLANCHARD & Irineu de CARVALHO FILHO (2015), « Can foreign exchange intervention stem exchange rate pressures from global capital flow shocks? », FMI, working paper, n° 15/159.

ADLER, Gustavo, Noemie LISACK & Rui C. MANO (2015), « Unveiling the effects of foreign exchange intervention: A panel approach », FMI, working paper, n° 15/130, juin.

FRANKEL, Jeffrey (2015), « The Plaza accord, 30 years later », NBER, working paper, n° 21813, décembre.

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