Les diverses déclinaisons du modèle Mundell-Fleming, le modèle traditionnellement utilisé en macroéconomie ouverte, suggèrent que les entrées de capitaux dépriment l’activité [Fleming, 1962 ; Mundell, 1963]. En effet, pour un taux d’intérêt donné, elles entraînent une appréciation de la devise et donc par là même une baisse des exportations nettes, entraînant une contraction de la production domestique. A la limite, ce n’est que si le taux directeur baisse suffisamment que l’afflux de capitaux pourra se révéler expansionniste. Paul Krugman (2014) a notamment utilisé un tel modèle pour suggérer que les sorties de capitaux sont expansionnistes.
Pourtant, les décideurs politiques et plusieurs études empiriques suggèrent au contraire que les entrées de capitaux stimulent l’activité domestique, du moins à court terme, notamment en alimentant le crédit. (A moyen ou long terme, elles peuvent nuire à la croissance économique si elles entraînent une mauvaise allocation des ressources dans l’économie, notamment une réallocation des facteurs dans les secteurs produisant des biens non exportables, et surtout si l’expansion du crédit se révèle insoutenable.) Les autorités publiques pourraient au final faire face à un dilemme : alors que l’effet direct d’une hausse du taux d’intérêt est celui d’un ralentissement de la production domestique, le resserrement monétaire stimule parallèlement les entrées de capitaux, or ce second effet peut compenser le premier.
Olivier Blanchard, Jonathan Ostry, Atish Ghosh et Marcos Chamon (2015) ont cherché à réconcilier la modélisation théorique et les faits empiriques. Pour cela, ils ont étendu l’ensemble des actifs inclus dans le modèle Mundell-Fleming, en distinguant entre obligations et actifs non obligataires (les actions, les comptes bancaires, etc.) et en considérant que ces deux classes d’actifs sont imparfaitement substituables. A un taux d’intérêt donné, les entrées de capitaux peuvent diminuer le taux d’intérêt des actifs non obligataires, ce qui réduit le coût de l’intermédiation financière, stimule par ce biais le crédit et la demande domestique, et compense par là même l’impact de l’appréciation sur la demande étrangère.
Blanchard et ses coauteurs tirent plusieurs implications de leur modèle. Tout d’abord, l’impact des entrées de capitaux sur la production dépend de leur nature. Pour un taux directeur donné, les afflux obligataires entraînent seulement une appréciation du taux de change et ils se révèlent par là même nuisibles à l’activité. A l’inverse, les afflux « non obligataires » entraînent simultanément une appréciation du taux de change et une baisse de leur rendement ; si le second effet domine le premier, alors les entrées de capitaux peuvent au final stimuler l’activité.
Par conséquent, les politiques appropriées vis-à-vis des entrées de capitaux dépendent de la nature de ces derniers. Si elles se font avec des obligations (ce qui est souvent le cas), les interventions stérilisées sur les marchés des changes peuvent compenser les répercussions des entrées obligataires en laissant inchangés le taux de change et le taux d’intérêt. La banque centrale prend en effet la position inverse à celle des étrangers. Par exemple, lorsque les agents étrangers réduisent leur détention d’actifs étrangers et accroissent leur demande pour les obligations domestiques, alors la banque centrale demande moins d’obligations domestiques et accroît ses détentions d’actifs étrangers. Par contre, lorsque les interventions stérilisées sur les marchés de change sont utilisées pour gérer des afflux non obligataires, elles peuvent éviter l’appréciation du taux de change, mais elles s’accompagnent d’une forte baisse du rendement des actifs non obligataires. Une distinction similaire s’applique aux contrôles de capitaux : s’ils ciblent principalement les afflux obligataires, les afflux non obligataires vont dominer et entraîner une appréciation de la devise et une baisse du rendement des actifs non obligataires ; si les contrôles de capitaux ciblent principalement les afflux obligataires, les afflux obligataires vont dominer, entraînant une appréciation, laissant inchangés les taux d’intérêt et déprimant la production.
Au final, la combinaison optimale d’interventions sur le marché des changes ne sera pas la même selon que la baisse des taux d’intérêt sur les actifs non obligataires entraîne ou non une expansion excessive du crédit, susceptible d’entraîner un effondrement après le boom. Si les autorités désirent accroître la production domestique et qu’elles disposent d’outils macroprudentiels pour éviter une expansion excessive du crédit, alors les afflux non obligataires sont préférables aux afflux obligataires. Même si ces deux formes d’entrées des capitaux entraînent une appréciation du taux de change, les afflux non obligataires réduisent le rendement des actifs non obligataires alors que les afflux obligataires ne le font pas et entraînent une nouvelle appréciation. Des instruments comme les interventions stérilisées et les contrôles de capitaux sont préférables au taux directeur, car ils permettent de discriminer entre afflux obligataires et afflux non obligataires.
Références
FLEMING, J. M. (1962), « Domestic financial policies under fixed and floating exchange rates », FMI, staff paper, vol. 9.
KRUGMAN, Paul (2014), « Currency regimes, capital flows, and crises », in FMI, IMF Economic Review.