Le FMI a reconnu en 2010 que les entrées soudaines de capitaux exposaient leurs récipiendaires (en particulier les pays en développement) à des risques d’instabilité financière et que le contrôle des capitaux constituait alors un outil efficace pour préserver la stabilité financière [Ostry et alii, 2010]. Cette perspective contraste radicalement ses précédentes positions : l’institution de Washington était jusqu’alors favorable à la liberté des mouvements de capitaux. Par exemple, durant la crise asiatique de 1997 et 1998, le FMI critiqua l’instauration de contrôles des capitaux parmi les pays en difficulté, en l'occurrence en Malaisie. Or, comme le suggèrent par exemple Ethan Kaplan et Dani Rodrik (2001), les pays qui restreignirent les afflux de capitaux connurent par la suite une plus forte reprise que les autres pays. En principe, les contrôles de capitaux fournissent aux autorités monétaires une marge de manœuvre supplémentaire pour stabiliser l’activité économique à court terme. En effet, selon le trilemme de Mundell, un pays ne peut à la fois avoir la liberté des capitaux, une politique monétaire indépendante et un taux de change fixe. Par conséquent, en restreignant l’entrée des capitaux dans l’économie, une banque centrale est à même de maintenir des taux de change fixes, tout en assouplissant sa politique monétaire pour stimuler la production. Si le contrôle des capitaux contient les fuites de capitaux lors des crises financières (empêchant les premières d’aggraver les secondes), il empêche en « temps normal » que les capitaux affluent massivement et alimentent alors une expansion insoutenable du crédit et des prix d’actifs.
Pour déterminer l’efficacité respective du contrôle des capitaux et du libre flottement des devises comme catalyseurs de la reprise économique, plusieurs auteurs se sont penchés sur les événements de la Grande Dépression. En effet, à la veille de cet épisode, de nombreux pays appartenaient à l’étalon-or, un système de taux de change fixes reposant étroitement sur le métal précieux. Le resserrement de la politique monétaire américaine au début de l’année 1928 est considéré par certains comme l’événement déclencheur de la Grande Dépression. Contraints par le système monétaire international, les autres banques centrales furent forcées de resserrer également leur politique monétaire. Or, de telles actions amorcèrent des paniques bancaires au sein de chaque économie tout en faisant propager la déflation au niveau mondial. La crise bancaire internationale de 1931 mena à des attaques spéculatives sur les monnaies. Les autorités publiques privilégièrent la préservation du système monétaire international sur la stabilisation de l’activité, en supposant que la première conduirait mécaniquement à la seconde [Eichengreen et Temin, 1997]. Face à un déficit de la balance des paiements et des sorties d’or, les règles de l’étalon-or imposaient aux gouvernements et banques centrales de restreindre le crédit et de réduire les prix et coûts (notamment les salaires) jusqu’à ce que l’équilibre soit restauré. Adoptées lors de la crise mondiale, de telles mesures ne faisaient qu’aggraver les conditions économiques.
Avec la poursuite de la déflation dans un contexte de contraction de l’activité, les pays-membres eurent de plus en plus de difficultés à maintenir l’ancrage de leur taux de change à partir de 1929, si bien que plusieurs d’entre eux quittèrent le système monétaire international [Mitchener et Wandschneider, 2014]. Au milieu des années trente, la plupart des pays avaient abandonné (de façon désordonnée) l’étalon-or pour embrasser des systèmes de change alternatifs. Si certains pays suivirent l’Angleterre et abandonnèrent l’or dès 1931, d’autres pays, comme la France, maintinrent l’ancrage de leur monnaie sur l’or, même après 1933 : ces derniers formèrent le « bloc-or ». Parmi ceux qui abandonnèrent l’or, certains décidèrent d’ancrer leur monnaie sur la livre sterling et d’autres laissèrent leur devise flotter librement. Plusieurs pays instaurèrent des contrôles de capitaux pour protéger leur économie des afflux de capitaux de court terme et contenir les pressions sur leur balance des paiements. Depuis les travaux précurseurs d’Ehsan Choudhri et Levis Kochin (1980) et de Barry Eichengreen et Jeffrey Sachs (1985), plusieurs études ont suggéré que les pays qui avaient rapidement abandonné l’or connurent une plus forte croissance que les autres. Ces événements eurent des répercussions durables sur les relations financières internationales. Il fallut attendre les années quatre-vingt pour que les flux de capitaux retrouvent leur ampleur d’avant-crise. Cette décennie marqua également le retour de l’instabilité financière.
Kris James Mitchener et Kirsten Wandschneider (2014) ont examiné la période entre 1925 et 1936 pour évaluer l’efficacité des contrôles de capitaux instaurés en réponse à la Grande Dépression. Ils constatent que les contrôles des capitaux jugulèrent effectivement les sorties d’or au cours des mois qui suivirent leur instauration. Cependant, les pays qui les mirent en œuvre n’ont pas connu une reprise plus rapide que les pays qui abandonnèrent l’or et laissèrent tout simplement leur taux de change flotter. Lorsqu’ils examinent l’impact des contrôles de capitaux sur la production industrielle, les exportations et les prix, Mitchener et Wandschneider ne décèlent un effet statistiquement significatif que sur la production industrielle. Les pays qui adoptèrent un contrôle des capitaux eurent un taux de croissance de la production industrielle légèrement inférieur à celui des pays ayant laissé leurs taux de change flotter. Ainsi, même si les contrôles de capitaux permirent de contenir les fuites de capitaux, ils semblent avoir contraint la reprise. Puisque les pays qui instaurèrent un contrôle des capitaux abandonnèrent l’étalon-or plus tôt que les pays du bloc-or, leur reprise débuta plus rapidement. Toutefois, lorsque les pays-membres du bloc-or abandonnèrent celui-ci, ces pays eurent par la suite les mêmes performances que les pays qui avaient instauré un contrôle des capitaux. Ce dernier n’offrit donc qu’une maigre amélioration en termes de reprise.
Mitchener et Wandschneider cherchent alors à comprendre pourquoi les contrôles de capitaux n’ont pas conduit à une accélération significative de la reprise. L’analyse des séries temporelles leur suggère que les pays ayant instauré des contrôles de capitaux ne profitèrent pas entièrement de l’autonomie de leur politique monétaire. Même s’ils ne suivirent pas la France en resserrant leur politique monétaire après avoir imposé un contrôle des changes, ces pays ne poursuivirent pas non plus la même stratégie que les Etats-Unis, un pays qui laissa flotter sa monnaie dès 1933 et mit en œuvre une politique monétaire particulièrement expansionniste. Le taux de croissance moyen de l’offre de monnaie des pays ayant instauré un contrôle des capitaux devint positif après leur instauration, mais il fut plus faible que les taux de croissance de l’offre de monnaie des pays qui laissèrent flotter leur monnaie ou même des pays-membres du bloc-or une fois qu’ils quittèrent ce dernier. Ces constats confirment les précédentes études, notamment celles de Milton Friedman et Anna Schwartz (1962) et de Barry Eichengreen (1992), qui ont suggéré que les politiques monétaires furent trop restrictives au cours de la Grande Dépression. En alimentant la déflation, les actions des banques centrales amenèrent en fait les systèmes bancaires au bord de l’effondrement. Les contrôles de capitaux n’ont pas été efficacement utilisés lors de la Grande Dépression pour stabiliser les systèmes bancaires, stimuler la production domestique ou générer de l’inflation. De leur côté, les pays qui adoptèrent la flexibilité des taux de change poursuivirent des politiques monétaires expansionnistes et surent alors contenir la déflation et la contraction de l’activité.
Références
CHOUDHRI, Ehsan U., & Levis A. KOCHIN (1980), « The exchange rate and the international transmission of business cycle disturbances: Some evidence from the Great Depression », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 12, n° 4.
EICHENGREEN, Barry (1992), Golden Fetters: The Gold Standard and the Great Depression, Oxford University Press.
EICHENGREEN, Barry, & Jeffrey SACHS (1985), « Exchange rates and economic recovery in the 1930s », in The Journal of Economic History, vol. 45, n° 4.
EICHENGREEN, Barry, & Peter TEMIN (1997), « The gold standard and the Great Depression », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 6060.
FRIEDMAN, Milton, & Anna SCHWARTZ (1963), A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press.
KAPLAN, Ethan, & Dani RODRIK (2001), « Did the Malaysian capital controls work? », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 8142.
MITCHENER, Kris James, & Kirsten WANDSCHNEIDER (2014), « Capital controls and recovery from the financial crisis of the 1930s », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20220, juin.
OSTRY, Jonathan, Atish GHOSH, Karl HABERMEIER, Marcos CHAMON, Mahvash QURESHI & Dennis REINHARDT (2010), « Capital inflows: The role of controls », Fonds monétaire international, staff position paper, n° 10/04.