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27 juin 2016 1 27 /06 /juin /2016 22:58

Selon les nouveaux keynésiens (qui s’appuient notamment sur les travaux de Wicksell), il existerait un taux d’intérêt « naturel » qui égaliserait l’offre de fonds prêtables (c’est-à-dire l’épargne) et la demande de fonds prêtables (c’est-à-dire l’investissement) ; il s'agit du taux d'intérêt qui est associé au plein emploi, c'est-à-dire qui permet à l'économie d'utiliser au maximum ses ressources (notamment la main-d'oeuvre) sans générer de pressions inflationnistes. Les banques centrales auraient alors pour tâche de faire varier leurs taux directeurs de façon à ce que le taux d'intérêt en vigueur soit à son niveau naturel. C’est en partant d’un tel cadre d’analyse que Lawrence Summers (2013) a pu affirmer ces dernières années que les pays développés faisaient actuellement face à une véritable « stagnation séculaire », soit une insuffisance structurelle de la demande globale. En l’occurrence, le taux d’intérêt naturel serait tellement faible qu’il pourrait se situer en territoire négatif, si bien que les économies seraient piégées dans une véritable trappe à liquidité. Cette faiblesse du taux d’intérêt naturel peut notamment s’expliquer par des tendances lourdes que l’on observe actuellement comme le vieillissement démographique, l’essor des inégalités, la baisse des prix des biens d’investissement, etc. Les pays développés semblent effectivement présenter les symptômes d’une stagnation séculaire : de faibles taux d’intérêt, une croissance lente de la production et une inflation inférieure à sa cible (de 2 %). Même si la Fed a amorcé le relèvement de ses taux directeurs à la fin de l’année 2015, beaucoup d’autres banques centrales parmi les pays développés voient toujours leurs taux directeurs être contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound) et cherchent toujours à assouplir leur politique monétaire, notamment en essayant de pousser leurs taux directeurs en territoire négatif.

Par conséquent, lorsque les économies sont confrontées à une telle situation, les banques centrales ont beau ramener leurs taux directeurs au plus proche de zéro, le taux d’intérêt en vigueur demeure supérieur à son niveau « naturel ». L’investissement apparaît alors insuffisant pour absorber toute l’épargne générée par l’économie et la demande est alors insuffisante pour maintenir le plein emploi. L’assouplissement monétaire est peut-être insuffisant pour directement stimuler la demande globale et ramener les économies au plein emploi ; par contre, il est susceptible de générer régulièrement des bulles d’actifs, qui contribuent (tant qu’elles n’éclatent pas) à dissimuler la faiblesse sous-jacente de l’économie en sortant momentanément les économies de leur trappe à liquidité. Larry Summers préconise par contre l’adoption de plans de relance budgétaire : ces derniers contribueraient à absorber le trop-plein d’épargne et à accroître le taux d’intérêt naturel, en particulier s’ils prennent la forme d’un surcroît d’investissement dans les infrastructures publiques. 

Gauti Eggertsson et Neil Mehrotra (2014) avaient proposé la première modélisation de la stagnation séculaire (telle que la conçoit Larry Summers) à travers un modèle à génération imbriquées. Répondant quelque peu aux critiques soulevées par Ben Bernanke (2015), Gauti Eggertsson, Neil Mehrotra, Sanjay Singh et Lawrence Summers (2016b) ont récemment considéré un modèle à générations imbriquées en économie ouverte pour préciser comment les mouvements de capitaux façonnent la transmission de la stagnation séculaire. Lorsque le taux d’intérêt naturel est faible, un approfondissement de l’intégration des marchés des capitaux transmet la récession d’un pays à l’autre. Même si ce n’est qu’une poignée d’économies qui est confrontée à une stagnation séculaire, cette dernière est susceptible de se transmettre au reste du monde. Le modèle met ainsi en évidence un canal de transmission supplémentaire pour la stagnation séculaire, en l’occurrence les « déséquilibres mondiaux » : les pays ayant une épargne excessive et de faibles taux d’intérêt réels vont exporter l’épargne aux pays où les rendements sont plus élevés, ce qui déprime le taux d’intérêt naturel en leur sain. L’hypothèse d’une « surabondance mondiale d’épargne » (global saving glut) avancée par Ben Bernanke (2005) pour expliquer les déséquilibres mondiaux colle assez bien au modèle d’Eggertsson et alii ; selon celle-ci, les larges déficits courants des Etats-Unis avant la Grande Récession résultaient de la forte demande pour la dette publique américaine. Le modèle amène ses auteurs à estimer que, si la hausse des taux directeurs de la Fed stimule les entrées de capitaux au sein de l’économie américaine, ces afflux de capitaux sont susceptibles d’élargir le déficit courant et de pousser le taux d’intérêt naturel à la baisse aux Etats-Unis, auquel cas la Fed sera forcée de ramener ses taux directeurs à zéro ; une fuite des capitaux à destination des Etats-Unis qui serait provoquée par un ralentissement de la croissance ou par l’instabilité politique dans les pays émergents (comme la Chine, le Brésil ou la Russie) aurait le même effet.

Tout comme en économie fermée, les plans de relance budgétaire contribuent à stimuler l’activité et à accroître le taux d’intérêt naturel quand c’est l’économie mondiale qui est confrontée à une stagnation séculaire. Surtout, lorsque tous les pays adoptent simultanément des plans de relance, alors les effets de ces derniers tendent à se renforcer simultanément, ce qui suggère que les différents gouvernements gagneraient à coordonner leurs politiques budgétaires. En outre, Eggertsson et ses coauteurs ne supposent pas l’existence d’effets d’hystérèse dans leur modèle, mais ils retrouvent pourtant l’un des résultats de Brad DeLong et Larry Summers (2012) en constatant que les plans de relance menés dans une stagnation séculaire sont susceptibles de s’autofinancer : ils contribuent à réduire les ratios dette publique sur PIB en permettant au dénominateur d’augmenter plus rapidement que le numérateur. A l’inverse, la politique monétaire expansionniste est une politique du « chacun pour soi », véritablement opportuniste, puisque les gains qu’en tirent le pays qui la met à l’œuvre s’obtiennent aux dépens de reste du monde. Si une banque centrale relève le taux d’inflation qu’elle cible, cela pourrait stimuler la croissance domestique, mais aussi détériorer la croissance dans les pays partenaires à l’échange, si leurs banques centrales ne font pas de même ; pour autant, comme en économie fermée, le relèvement (crédible) de la cible d’inflation permet certes à l’économie domestique d’atteindre un meilleur équilibre, mais celle-ci risque toutefois de rester dans la stagnation séculaire. De même, les politiques structurelles visant à accroître la compétitivité des économies, notamment via la flexibilisation des marchés du travail ou les politiques commerciales néomercantilistes (à travers lesquelles un pays, comme l’Allemagne, cherche à générer un large excédent commercial en encourageant les exportations), apparaissent également opportunistes lorsque c’est toute l’économie mondiale qui est plongée dans une stagnation séculaire. Eggertsson et ses coauteurs confirment ainsi que les réformes structurelles qui sont actuellement mises en œuvre dans les pays dans la périphérie sud de la zone euro ne risquent pas de restaurer la croissance en Europe.

Le modèle d’Eggertsson et alii se rapproche finalement de celui de Ricardo Caballero, Emmanuel Farhi et Pierre-Olivier Gourinchas (2015), mais alors que les premiers considèrent finalement une situation mondiale de trappe à liquidité, les seconds considèrent de leur côté une situation de « trappe à sûreté » (safety trap), c’est-à-dire une stagnation provoquée par la pénurie d’actifs. Caballero et alii estiment également qu’une relance budgétaire est à même de sortir les économies de la stagnation, mais avant tout parce qu’elle permet de réduire la pénurie d’actifs sans risque avec l’émission de titres publics. Ils rejetaient également l’usage de l’assouplissement monétaire, en particulier lorsqu’il prend la forme d’un assouplissement quantitatif (quantitative easing), car il risque d’accentuer la pénurie d’actifs sûrs.

 

Références

BERNANKE, Ben S. (2005), « The global saving glut and the U.S. current account deficit », 10 mars. 

BERNANKE, Ben S. (2015), « Why are interest rates so low, part 2: Secular stagnation », 31 mars 2015.

CABALLERO, Ricardo J., Emmanuel FARHI & Pierre-Olivier GOURINCHAS (2015), « Global imbalances and currency wars at the ZLB », NBER, working paper, n° 21670, octobre.

DELONG, J. Bradford, & Lawrence H. SUMMERS (2012), « Fiscal policy in a depressed economy », Brookings Papers on Economic Activity.

EGGERTSSON, Gauti B., & Neil R. MEHROTRA (2014), « A model of secular stagnation », NBER, working paper, n° 20574, octobre.

EGGERTSSON, Gauti B., Neil R. MEHROTRA, Sanjay R. SINGH & Lawrence H. SUMMERS (2016b), « A contagious malady? Open economy dimensions of secular stagnation », NBER, working paper, n° 22299, juin.

EGGERTSSON, Gauti B., Neil R. MEHROTRA & Lawrence H. SUMMERS (2016a), « Secular stagnation in the open economy », NBER, working paper, n° 22172, avril. 

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

SUMMERS, Larry (2015), « On secular stagnation: A response to Ben Bernanke », 1er avril.

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30 mai 2016 1 30 /05 /mai /2016 08:00

Il y a eu une tendance généralisée vers l’adoption de politiques « néolibérales » depuis les années quatre-vingt, comme le suggèrent divers indicateurs mesurant le degré de concurrence (cf. graphique). Cette plus grande concurrence, obtenue notamment par une vague de déréglementations et de privatisations, est censée stimuler la croissance économique. La libéralisation des comptes de capital devrait lisser la consommation des ménages en contribuant au partage des risques. En outre, elle est censée stimuler le rattrapage des pays en développement vis-à-vis des pays développés en canalisant l’épargne vers son usage le plus productif ; les résidents des pays pauvres obtiennent ainsi le financement qui leur manquait pour investir et sortir leur économie de sa trappe à sous-développement. Les investissements directs à l’étranger (IDE) contribuent à diffuser les technologies et les savoir-faire dans les pays en développement. Outre l’accroissement de la concurrence, les politiques néolibérales ont également eu pour objectif la réduction de la place de l’Etat dans l’économie, via la consolidation budgétaire et la privatisation des entreprises publiques.

Les économistes du FMI passent au crible les politiques néolibérales

source : FMI (2016)

Le Chili, véritable laboratoire du néolibéralisme sous Pinochet, est présenté par certains comme un exemple de réussite économique ; Milton Friedman parlait notamment à son égard de véritable « miracle économique ». L’adoption de politiques néolibérales a certainement contribué à améliorer la situation des populations en divers domaines. Par exemple, l’essor des échanges internationaux a contribué à sortir des millions de personnes de la pauvreté extrême. Pour autant, ces mêmes politiques ont fait l’objet de critiques récurrentes. Jonathan Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri (2016), trois économistes du FMI, se sont par conséquent penchés sur deux axes majeurs de l’agenda néolibéral, afin de déterminer s’ils conduisent effectivement à une accélération de la croissance.

Ils se penchent tout d’abord sur le lien entre croissance économique et ouverture financière. Si les IDE semblent effectivement stimuler la croissance à long terme, ce n’est pas forcément le cas des autres mouvements de capitaux, notamment les investissements de portefeuille, les flux bancaires et autres flux spéculatifs, qui sont susceptibles d’alimenter des booms insoutenables du crédit et de l’activité, d’entraîner des crises financières synchrones à de sévères récessions, voire même de freiner la croissance à long terme en alimentant ce qui s’apparente à une véritable « maladie hollandaise ». Ainsi, si les gains de l’ouverture financière en termes de croissance sont incertains, les coûts sont par contre manifestes. Atish Ghosh, Jonathan Ostry et Mahvash Qureshi (2016) ont observé que, depuis 1980, une cinquantaine de pays émergents ont connu 150 épisodes de forts afflux de capitaux ; dans 20 % des cas, l’épisode s’est soldé par une crise financière et la majorité de ces crises financières se sont accompagnées d’une forte chute de la production domestique.

En outre, Davide Furceri et Prakash Loungani (2015) ont identifié plusieurs canaux à travers lesquels l’ouverture du compte de capital est susceptible d’influencer la répartition des revenus. Leur étude empirique les amène à conclure que l’ouverture financière tend en l’occurrence à accroître les inégalités de revenu au sein de chaque pays et cet effet serait particulièrement aigu lorsqu’une crise éclate ; or une aggravation des inégalités de revenu est susceptible de freiner la croissance à long terme, comme l’ont notamment démontré Andrew Berg, Jonathan Ostry et Charalambos Tsangarides (2014).

Ces divers constats ont récemment amené les économistes d’institutions internationales, notamment ceux du FMI, à reconsidérer l’impact des mouvements internationaux de capitaux et à préconiser l’instauration de contrôles de capitaux pour freiner les flux spéculatifs, tout du moins dans les pays en développement. Joseph Stiglitz n’a pas manqué de noter que le Chili a peut-être su réaliser de très bonnes performances macroéconomiques suite à l’adoption de politiques néolibérales précisément parce qu’il le fit en maintenant un contrôle des capitaux le préservant des afflux de capitaux déstabilisateurs, ce qui ne fut pas le cas des pays asiatiques au milieu des années quatre-vingt-dix.

La réduction de la taille de l’Etat est également inscrite dans l’agenda néolibéral, avec pour objectif final et officiel de limiter l’endettement de l’Etat. Pourtant, la théorie économique ne permet de trancher sur ce que pourrait être la cible optimale de la dette publique. Certes, certains pays comme ceux en « périphérie » de la zone euro ont été contraints à embrasser l’austérité ces dernières années en raison de leur perte d’accès au financement de marché, mais Ostry et alii (2015) doutent qu’il soit justifié de réduire rapidement la dette publique dans des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui disposent d’une ample marge de manœuvre budgétaire. Les marchés jugent en effet peu probable que ces derniers connaissent une crise de la dette souveraine. Les trois auteurs rappellent en outre que les coûts d’une réduction de la dette publique (via une hausse des impôts ou une baisse des dépenses publiques) sont importants, notamment en détériorant la demande à court terme et le potentiel de croissance à long terme, mais aussi que les gains qui lui sont associés sont faibles : un pays dont la dette publique passe de 120 % à 100 % du PIB en quelques années ne voit pas sa probabilité de connaître une crise diminuer. Les coûts d’une réduction de la dette publique seraient ainsi très souvent supérieurs aux gains. Certes, une dette publique élevée nuit au bien-être de la collectivité et freine la croissance, mais ce coût est un coût irrécupérable : toute réduction subséquente de la dette publique obtenue via des mesures d’austérité ne fait qu’accroître ce coût.

Certains, comme Alberto Alesina ou Jean-Claude Trichet, ont suggéré que les consolidations budgétaires étaient susceptibles de stimuler l’activité économique, ne serait-ce qu’en nourrissant la confiance des entreprises et des ménages. Pourtant, la majorité des études empiriques constatent que les épisodes d’« austérité expansionniste » sont bien rares : en moyenne, les épisodes de consolidation budgétaire tendent à être suivis par des chutes plutôt que par des hausses de la production. Comme l’ont montré Laurence Ball, Davide Furceri, Daniel Leigh et Prakash Loungani (2013), une consolidation budgétaire équivalente à 1 % du PIB entraîne en moyenne une hausse de 0,6 du taux de chômage de long terme et de 1,5 point de pourcentage du coefficient de Gini. En d’autres termes, les plans d’austérité sont notamment susceptibles de freiner la croissance à long terme, ne serait-ce que parce qu’ils contribuent (à l’instar de l’ouverture financière) à aggraver aux inégalités de revenu.

 

Références

BALL, Laurence, Davide FURCERI, Daniel LEIGH & Prakash LOUNGANI (2013), « The distributional effects of fiscal austerity », FMI, working paper, n° 13/51, 21 juin.

BERG, Andrew, Jonathan D. OSTRY, & Charalambos G. TSANGARIDES (2014), « Redistribution, inequality, and growth », staff discussion note, n° 14/02, février.

FURCERI, Davide, & Prakash LOUNGANI (2015), « Capital account liberalization and inequality », FMI, working paper, novembre, n° 15/243.

GHOSH, Atish R., Jonathan D. OSTRY & Mahvash S. QURESHI (2016)« When do capital inflow surges end in tears? », in American Economic Review, vol. 106, n° 5.

OSTRY, Jonathan D., Atish R. GHOSH & Raphael ESPINOZA (2015), « When should public debt be reduced? », FMI, staff discussion note, n° 15/10. 

OSTRY, Jonathan D., Prakash LOUNGANI & Davide FURCERI (2016)« Neoliberalism: Oversold? », in FMI, Finance & Development, vol. 53, n° 2, juin. 

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4 mai 2016 3 04 /05 /mai /2016 18:26

Selon la théorie économique standard, un approfondissement de l’intégration financière facilite l’endettement et le prêt au niveau international, si bien qu'elle atténue l’impact des fluctuations du revenu sur la croissance de la consommation. Par exemple, si les ménages possèdent un portefeuille diversifié, comprenant des titres étrangers, ils pourront continuer de consommer lorsque l’économie domestique bascule en récession, car ils continueront de percevoir des revenus financiers de leurs titres financiers.

Ergys Islamaj et Ayhan Kose (2016) ont cherché à tester au niveau empirique la validité de cette prédiction théorique. Pour cela, ils ont observé comment la sensibilité de la consommation au revenu a changé au cours du temps en utilisant divers indicateurs d’intégration financière pour un échantillon de 88 pays développés et en développement au cours de la période entre 1960 et 2011. Ils tirent deux principaux constats de leur analyse. D’une part, la consommation a eu tendance à être de moins en moins sensible au revenu, à mesure que l’intégration financière s’approfondissait. En effet, la sensibilité de la croissance de la consommation à la croissance du revenu a diminué au cours des années quatre-vingt-dix et au début des années deux mille. En l’occurrence, elle a davantage diminué dans les pays développés que dans les pays en développement. D’autre part, leurs régressions indiquent qu’un degré élevé d’intégration financière est associé à une faible sensibilité de la consommation au revenu. Ces constats sont robustes à l’usage d’une large gamme de spécifications empiriques, de caractéristiques spécifiques aux pays et à la prise en compte d’autres variables comme les taux d’intérêt.

Islamaj et Kose testent en effet trois autres hypothèses susceptibles d’expliquer la moindre sensibilité de la consommation aux variations du revenu. Toit d’abord, celle-ci pourrait s’expliquer par un changement dans la persistance des chocs de revenu au cours du temps. En l’occurrence, si les chocs de revenu sont moins persistants, alors les agents auraient alors moins à ajuster leurs dépenses de consommation en réaction à de tels chocs. Les constats d’Islamaj et Kose pourraient être attribués à la réaction optimale des agents à une chute de la persistance si cette dernière à l’instant même où l’élasticité de la consommation au revenu diminue. Les deux auteurs constatent toutefois que la persistance des chocs a légèrement diminué depuis la fin des années quatre-vingt.

Selon une deuxième hypothèse alternative, la moindre sensibilité de la consommation aux fluctuations du revenu pourrait s’expliquer par des changements dans la corrélation des chocs de revenu. L’élasticité de la consommation au revenu dépend des corrélations des chocs de revenu qui se produisent dans l’ensemble des pays. D’une part, si les chocs de revenu sont plus fortement corrélés, alors cela réduirait les incitations à partager les risques avec le reste du monde et la sensibilité de la consommation au revenu domestique peut alors s’accroître. D’un autre côté, si la plus forte corrélation des chocs de revenus se produisant dans l’ensemble des pays s’explique par une baisse de l’incertitude mondiale, alors l’emprunt et le prêt transfrontaliers s’en trouvent facilités, ce qui réduit la sensibilité de la consommation au revenu. Or, Islamaj et Kose constatent que les corrélations entre les productivités totales des facteurs de l’ensemble des pays sont restées assez constantes pour l’ensemble de la période observée.

Enfin, une convergence des taux d’intérêt est également susceptible d’expliquer la moindre sensibilité de la consommation aux variations du revenu. Dans chaque pays, tous les résidents n’ont pas accès aux marchés financiers internationaux et ne peuvent pas forcément emprunter au taux d’intérêt mondial. Mais, à mesure que l’économie s’ouvre de plus en plus financière, de plus en plus de résidents accèdent aux marchés financiers internationaux et peuvent s’endetter au taux d’intérêt mondial. Lorsque l’ensemble des économies s’ouvrent financièrement, alors les taux d’intérêt nationaux tendent à converger vers le taux d’intérêt mondial, si bien que les différents pays sont de plus en plus confrontés aux mêmes chocs de taux d’intérêt. Si le taux d’intérêt mondial est moins volatil que les taux d’intérêt nationaux, alors la croissance de la consommation devient également moins volatile et les corrélations de la consommation pour l’ensemble des pays deviennent plus fortes. Le degré de co-variation de la consommation avec le revenu domestique aurait alors tendance à diminuer, si bien qu’il deviendrait de plus en plus difficile de distinguer dans les analyses empiriques l’impact des taux d’intérêt de l’impact de l’intégration financière sur la sensibilité de la consommation sur le revenu. Or, Islamaj et Kose constatent que la forte relation entre l’intégration financière et la sensibilité de la consommation au revenu demande même après la prise en compte des taux d’intérêt.

 

Référence

ISLAMAJ, Ergys, & M. Ayhan KOSE (2016), « How does the sensitivity of consumption to income vary over time? International evidence », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7659, mai.

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