Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 22:31

La zone euro, dans sa configuration institutionnelle actuelle, ne fait qu’accroître l’hétérogénéité entre les Etats-membres et générer de l’instabilité macroéconomique, mais surtout elle s’avère incapable de résoudre la crise actuelle. Le marché financier et l'union monétaire européens ne peuvent survivre en l’absence d’union bancaire et d’union budgétaire, voire à terme une véritable union politique. Ces différentes étapes de l’intégration économique impliquent chacune une perte de souveraineté toujours plus grande et toujours plus délicate. Les Etats-Unis démontrent en outre la lenteur d’un tel processus : l’intégration de leur marché bancaire ne s’est réellement achevée qu’à la seconde moitié du vingtième siècle. La crise de la zone euro avait peut-être débuté où ses membres prirent la décision de ne sauver que leurs propres banques domestiques [Münchau, 2012]. La persistance des turbulences bancaires et l’actuel épisode espagnol pourraient accélérer le programme d’intégration économique. Christine Lagarde s’est déjà prononcée en avril en faveur d’une supervision financière unifiée, d’une autorité de résolution bancaire unique et d’un seul fond d’assurance dépôt afin d’éliminer les perverses interactions entre les dynamiques d’endettement public et les difficultés bancaires. Le même mois, Mario Draghi avait appelé au renforcement de la supervision et de la résolution bancaires au niveau européen afin d’assainir le fonctionnement de l’Union Economique et Monétaire. 

Véron (2012b) identifie trois priorités dans l’établissement d’une union bancaire en zone euro. Tout d’abord, les banques devront partager plus largement leurs risques. L’actuelle pratique européenne crée des incitations perverses et rend les contribuables captifs des créanciers : les gouvernements européens ont tendance à rembourser l’ensemble créanciers des établissements en faillite et à réduire les pertes qu’ils encourent. Ensuite, les autorités européennes doivent disposer de la capacité opératoire de procéder à des restructurations bancaires sans nécessiter l’aval des autorités nationales. Pour cela, il est vital de mettre en place une structure d’intervention composée d’experts en restructuration et pouvant agir immédiatement au nom de l’ensemble de la zone euro. Enfin, il est urgent d’améliorer la confiance des déposants envers les banques et de prévenir les mouvements paniques de retraits en garantissant l’ensemble des dépôts de la zone euro via le FESF ou son successeur. Ainsi, selon Münchau (2012), une union bancaire devrait se composer de quatre éléments centralisés, en l’occurrence un fonds de résolution et de recapitalisation, un fonds d’assurance-dépôt illimitée, un régulateur centrale et un pouvoir de supervision central.

L’intégration de la politique bancaire fait face à de nombreux obstacles dans sa mise en œuvre [Véron, 2012a]. Tout d’abord, le Royaume-Uni constitue le principal centre financier en Europe, or il ne s’agit pas d’un Etat-membre de la zone euro. Il résiste à tout empiètement sur sa souveraineté en ce qui concerne la supervision et résolution bancaire. Ses plus grosses banques sont en outre en dehors du continent. Instaurer une union bancaire dans la seule zone euro est pourtant peu conciliable avec l’unification des marchés financiers au niveau de l’ensemble de l’Union européenne. Ensuite, les Etats-membres voient dans la politique bancaire un instrument essentiel de leur politique industrielle. Ils sont engagés à renforcer les champions bancaires nationaux (comme dans le cas du patriotisme économique en France) ou à protéger les liens existant au niveau local entre les communautés bancaires et politiques. De plus, la répression financière est une entrave supplémentaire au changement institutionnel : les Etats (sur)endettés sont en effet incités à s’appuyer sur leur système financier domestique pour réduire leurs propres difficultés financières en leur imposant d’acheter leur dette souveraine. La mise ne place d’une union bancaire priverait les Etats d’une partie des leviers pour procéder à la répression financière. Enfin, une union bancaire impliquerait des transferts transfrontaliers qui sont pour l’heure particulièrement controversés. Il n’est pas certain que les pays du nord de l’Europe acceptent de nouveau de payer pour les prises de risque excessives de la périphérie sud. Non seulement l’unification politique facilite le processus, mais il empêche que le dispositif d’assurance-dépôt génère un risque moral en encourageant les pays à quitter la zone euro en connaissance de cette garantie.


Références Martin ANOTA

MÜNCHAU, Wolfgang (2012), « A real banking union can save the Eurozone », in Financial Times, 3 juin.

VÉRON, Nicolas (2012a), « Banking union or financial repression? Europe has yet to choose », in VoxEU.org, 26 avril.

VÉRON, Nicolas (2012b), « Is Europe ready for banking union?  », in VoxEU.org, 23 mai.

Partager cet article
Repost0
4 juin 2012 1 04 /06 /juin /2012 11:34

L’expansion déséquilibrée que connut la Grèce au cours de la dernière décennie, le choc récessif qui suivit et les mesures publiques déployées pour contenir ce dernier entretiennent de nombreuses similarités avec l’effondrement argentin au début du siècle. L’ancrage au dollar et l’appartenance à la zone euro ont finalement eu un rôle sensiblement similaire en favorisant la montée des déséquilibres en temps d’expansion et en accentuant puissamment les effets de la crise lorsque celle-ci survint. En 2001, la profonde récession, les paniques bancaires et l’exaspération sociale ont amené l’Argentine à faire défaut et à abandonner son système d’ancrage au dollar. Son économie connut la reprise après la poursuite un temps de la contraction de l’activité et des déséquilibres financiers.

Ainsi, durant l'avant-crise, l’Argentine et la Grèce ont connu une profonde détérioration de leur compétitivité avec la hausse relative du coût du travail [Kretzmer et Levy, 2012]. Le peso argentin étant alors ancré au dollar, l’appréciation de la devise étasunienne entraîna une forte perte de compétitivité pour l’Argentine en accroissant son coût du travail unitaire. Les salaires augmentèrent en Grèce plus rapidement que la productivité du travail.

Tous deux connurent une période de croissance fortement déséquilibrée. En Argentine, alors que la faible épargne domestique contraignait la production, la forte hausse de la consommation et des importations durant la seconde moitié des années quatre-vingt-dix a rendu fortement déficitaire le compte courant. L’expansion grecque des années deux mille fut largement alimentée par l’endettement ; la consommation se maintint à de hauts niveaux, tandis que l’investissement et la production demeuraient à de faibles niveaux, ce qui entraîna également un large déficit courant.

Ayant tout comme l’Argentine de faibles recettes fiscales, le gouvernement grec a creusé un large déficit primaire en maintenant un fort niveau de dépenses publiques. Plus spécifiquement, l’appartenance à la zone euro a permis à la Grèce de profiter de coûts d’emprunt particulièrement faibles : les rendements obligataires grecs étaient inférieurs d’un point de pourcentage aux rendements obligataires allemands. Les deux pays expérimentèrent un fort endettement du secteur privé. En l’occurrence, la dette des ménages grecs passa de 27 % à 77 % du PIB entre 2000 et 2008. Les titres de dette des deux pays furent largement détenus par le reste du monde. 

Le choc négatif que subirent les deux économies fut d’origine externe. Dans le cas de l’Argentine, la forte appréciation du dollar, entraînant automatiquement celle du peso, et la forte dévaluation de la devise brésilienne réduisirent dramatiquement la compétitivité et les exportations argentines. La Grèce subit tout comme les autres économies développées la crise financière de 2007 et le ralentissement subséquent de l’activité en 2008. L’instabilité de son économie en a toutefois profondément aggravé les répercussions. Le PIB réel de l’Argentine diminua d’un cinquième entre le deuxième trimestre de 1998 et le troisième trimestre 2002, tandis que celui de la Grèce déclina d’environ 17 % depuis début 2008. Le taux de chômage atteignit pratiquement 24 % en Argentine, alors qu’il se maintient au-dessus de 20 % en Grèce. Dans les deux économies, les rendements obligataires s’envolèrent ; les sources de financement et les dépôts s’effondrèrent.

Avec respectivement le système d’ancrage au dollar et l’appartenance à la zone euro, l’Argentine et la Grèce ne peuvent procéder aux ajustements via des variations de taux de change. L’Argentine chercha en vain à restaurer sa compétitivité en procédant à une déflation domestique et à améliorer les comptes publics. La consolidation budgétaire était une condition imposée par le FMI pour délivrer une aide financière. Les autorités grecques, cette fois-ci aiguillonnées par la « troïka », adoptent les mêmes mesures. La contraction fiscale ne parvient pourtant pas à rétablir la confiance. En Argentine et en Grèce, elle n’a su qu’intensifier les effets de la récession et comprimer davantage les recettes fiscales. La réponse politique face à de tels développements fut de renforcer les mesures d’austérité, maintenant l’économie dans un cercle vicieux et un chômage élevé. Une telle situation accélère la fuite de capitaux, les retraits bancaires et les violences sociales.

Les ajustements budgétaires ne parvinrent donc pas à restaurer la solvabilité et la confiance des investisseurs en Argentine, au contraire. En décembre 2001, le pays fit défaut sur sa dette nationale. L’ancrage au dollar fut abandonné et le peso put alors librement flotter. Dans le cadre du processus de « pesification », tous les contrats signés en dollars furent automatiquement convertis en pesos à l’ancienne parité. En quelques mois, le peso perdit les trois quarts de sa valeur face au dollar. Les débiteurs virent leur dette diminuer d’un quart, tandis que la richesse financière des déposants fut réduite de trois quarts. La dépréciation accéléra dans un premier temps considérablement l’inflation, ce qui réduisit les revenus réels et accentua la contraction de l’activité. La dépréciation stimula dans un deuxième temps les exportations. La reprise de l’activité économique et de l’emploi intervint en 2003.

Aujourd’hui, sur certains aspects, les problèmes réels et financiers de la Grèce s’avèrent pires que ceux affrontés autrefois par l’Argentine, ce qui complique la (stratégie de) sortie de crise. Les déficits courant et public ainsi que le ratio dette publique sur PIB sont trois fois plus importants aujourd’hui en Grèce qu’hier en Argentine. Alors que la dette gouvernementale de l’Argentine s’éleva à 50 % du PIB avant son défaut, celle de la Grèce avoisine aujourd’hui 155 % du PIB et poursuit ascension. La restructuration de la dette ne résout pas les problèmes de compétitivité et de décrochage de l'activité. La Grèce fait face à une forte contrainte en ne pouvant dévaluer sa devise pour gagner en compétitivité. La poursuite et l’accentuation de la politique budgétaire restrictive accélèrent la contraction de la demande domestique. L’essentiel de l’ajustement va donc largement reposer sur les salaires réels. Les membres de la zone euro ne s’accordent aucunement sur l’éventualité d’impulser une plus forte intégration budgétaire et de procéder à un large transfert de revenus des pays du nord vers ceux de la périphérie sud. Dans une telle situation, la sortie de la zone euro et la dévaluation de la nouvelle devise apparaissent comme un scénario moins coûteux socialement que les programmes d’ajustement budgétaire et le plus favorable au développement de la demande externe. Pourtant, quelque soit la suite des événements, il semble peu probable que l’investissement et les exportations puissent s’accroître à moyen terme en Grèce pour stimuler la croissance.

 

Références Martin ANOTA

KIGUEL, Miguel (2011), « Argentina and Greece: More similarities than differences in the initial conditions », in VoxEU.org, 16 août.

KRETZMER, Peter, & Mickey LEVY (2012), « Greece’s predicament: Lessons from Argentina », in VoxEU.org, 16 mai.

VELASCO, Andres (2012), « An Argentine Guide to the Greek Crisis », in Project Syndicate, 30 mai.

Partager cet article
Repost0
1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 21:19
Charlemagne Jul 30th 2011 | from the print edition AT THE emergency meeting of euro-zone leaders on July 21st Jean-Claude Trichet, president of the European Central Bank, circulated a set...
Peter Schrank

Dans la zone euro, la politique monétaire est décidée par une unique autorité centrale, tandis que les politiques budgétaires restent déterminées au niveau national. Une banque centrale indépendante et un cadre de discipline budgétaire sont pourtant insuffisants pour rendre viable une union monétaire. La crise de la dette souveraine, en rendant insoutenables son hétérogénéité structurelle et les faiblesses de son architecture institutionnelle, menace l’existence de l’euro. En l’absence de véritable mobilité de la main-d’œuvre entre les Etats-membres, une politique monétaire unique se révèle insuffisante à stabiliser les économies. L’unification budgétaire apparaît comme une solution crédible pour éviter l’éclatement de la zone euro et l’effondrement subséquent de l’activité économique en Grèce comme parmi les autres Etats-membres.

Afin d’ébaucher un tel projet institutionnel, Bordo et al. (2011) ont analysé les unions budgétaires expérimentées par l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil, le Canada et les Etats-Unis. Ces derniers constituent des unions monétaires dans la mesure où ils possèdent une unique devise commune et une unique banque centrale. Ils constituent en outre des unions budgétaires au sens où une politique budgétaire couvrant l’ensemble de l’union est mise en œuvre par une autorité centrale. Ces cinq unions budgétaires sont structurées en fédérations, avec des entités fédérées disposant d’une relative indépendance.

A partir de l’histoire de ces fédérations budgétaires, Bordo et al. ont tiré des leçons politiques pertinentes pour la zone euro aujourd’hui. Cinq conditions leur apparaissent essentielles pour assurer la pleine efficacité d’une union budgétaire. La première et plus importante d’entre elles est l’instauration d’une règle de non renflouement concernant les membres de l’union fiscale. L’adoption d’une telle règle sera crédible et efficace si elle s’accompagne de la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle des politiques budgétaires et de l’endettement des Etats-membres. La deuxième condition est l’indépendance de revenus et dépenses des membres de l’union fiscale. La troisième condition est un mécanisme de transfert pleinement effectif lors des périodes de détresse. Le déploiement d’un tel mécanisme de transfert peut être facilité par l’établissement d’un marché obligataire spécifique à la zone euro, permettant de résoudre les problèmes de liquidité et crédibilité actuellement affrontés par certains Etats européens et ainsi de réduire les taux d’intérêt qu’ils subissent. Quatrièmement, une union budgétaire doit s’adapter aux changements économiques et politiques en apportant les réformes adéquates à son architecture institutionnelle. En cela, l’unification budgétaire s’apparente à un constant processus d’essais et d’erreurs.

D'après Münchau (2012), l’unification budgétaire de la zone euro doit en outre nécessairement s’accompagner des quatre innovations institutionnelles suivantes afin d’empêcher son éclatement. Tout d’abord, il met également l’accent sur la nécessité d’une obligation propre à la zone euro. Cette émission d’eurobonds, couvrant une large part de la nouvelle dette, impliquerait que les Etats-membres transfèrent une partie de leur souveraineté aux autorités centrales. Ensuite, la BCE devrait voir intégrer la responsabilité spécifique de la stabilité financière dans son mandat. Elle doit être libre de conduire des opérations sur le marché secondaire. De plus, il est nécessaire de mettre en place un système d’assurance dépôt couvrant l’ensemble de la zone euro et couplé avec la garantie que les dépôts seront remboursés en euros même si le pays hôte quitte la zone euro. Enfin, une institution financée par la zone euro doit être mise en place et dotée du pouvoir discrétionnaire de recapitaliser les banques. Parallèlement, la régulation et la supervision bancaires doivent être davantage centralisées. Les deux premiers changements institutionnels impliqueraient une profonde révision des traités européens, ce qui n’est en revanche pas le cas des deux derniers, qui peuvent être ainsi immédiatement mis en œuvre.

Une unification budgétaire de la zone euro apparaît toutefois insuffisante pour résoudre ses problèmes structurels et conjoncturels aux yeux d'Austan Goolsbee (2012). En l’occurrence, les architectes de l’unification monétaire ont été convaincus que celle-ci entraînerait de facto une convergence réelle des Etats-membres, or la zone euro demeure structurellement hétérogène. En effet, depuis le début des années deux mille, les pays du sud de l’Europe ont connu des progressions salariales plus rapides que les gains de productivité, tandis que les pays du nord connaissent une évolution opposée. La politique de déflation compétitive que l’Allemagne a mis en œuvre en contractant les salaires a profondément accentué la divergence dans la compétitivité des Etats-membres. Dans ce contexte, l’unification monétaire rend impossible de quelconques ajustements par des variations de taux de change pour résoudre les déséquilibres. Au lieu d’égaliser les taux de croissance et d’inflation, une telle hétérogénéité structurelle, marquée par la faible mobilité de la main-d’œuvre, a finalement conduit à une divergence dans les taux de chômage et les taux d’intérêts.

Par conséquent, si une union budgétaire était réalisée dans la zone euro, elle devrait être accompagnée de larges transferts du nord de l’Europe vers le sud. En effet, selon Goolsbee, l’union budgétaire des Etats-Unis a pu efficacement fonctionner car elle constitue avant tout un mécanisme d’assurance de dimension supra-étatique. Au cours des deux dernières décennies, les Etats du Mississipi, du Nouveau Mexique et de la Nouvelle Virginie ont par exemple chacun reçu annuellement des transferts publics équivalents à 12 % de leur propre PIB, un montant relativement supérieur au déficit grec de l’année 2011. Sans de tels transferts publics, la périphérie européenne se maintiendra durablement dans une situation de chômage élevé et la probabilité d'un éclatement de la zone euro ira croissante.

 

Références Martin ANOTA

BORDO, Michael, Lars JONUNG & Agnieszka MARKIEWICZ (2011), « A fiscal union for the euro: Some lessons from history », NBER working paper, n° 17 380.

GOOLSBEE, Austan (2012), « A Fiscal Union Won't Fix the Euro Crisis », in The Wall Street Journal, 29 mai. 

MÜNCHAU, Wolfgang (2012), « How to build a fiscal union to save the eurozone », in Financial Times, 27 mai.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher