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8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 13:04

L’accumulation de capital humain est considérée comme un élément crucial pour la croissance de la productivité, en particulier lorsque l'économie se situe aux abords de la frontière technologique. Par conséquent, le développement économique d’une ville ou d’un territoire tient en sa capacité à drainer de la main-d’œuvre qualifiée. Et effectivement, les plus grandes villes abritent une population plus éduquée et plus productive que le reste du territoire. Les données empiriques révèlent en outre que les inégalités salariales sont positivement corrélées à la taille des villes : plus la population d’une ville est importante, plus les primes de qualification (skill premia), c’est-à-dire le surcroît salarial obtenu par les plus qualifiés, sont importantes.

Donald R. Davis et Jonathan I. Dingel (2012) proposent ainsi un modèle liant les primes de qualification à la taille de villes. Le but de leur article est de comprendre les choix spatiaux des travailleurs qualifiés et non qualifiés, mais également les conséquences de ces choix. En effet, non seulement les travailleurs qualifiés migrent plus fréquemment que les travailleurs non qualifiés, mais lorsqu’ils changent effectivement de résidence, ils migrent également plus loin que ces derniers. L’équilibre spatial se révèle de toute importance pour décrire les dynamiques spatiales de long terme. Les travaux en nouvelle économie géographique qui se développent dans le sillage de l’article séminal de Krugman (1991) postulent l’immobilité des travailleurs non qualifiés. Dans les modèles spatiaux de long terme au contraire, les différences dans les mobilités spatiales doivent être un résultat et non une hypothèse. Pour obtenir cette mobilité différentielle, Davis et Dingel vont considérer le transfert de connaissances comme principale force d’agglomération, mais ce transfert ne se réalise pas sans coûts.

Leur modèle incorpore des échanges endogènes d’idées dans un système de villes. Il développe sous divers aspects les réflexions de Lucas (1988) sur le capital humain. Tout d’abord, les connaissances acquises à travers les interactions ne sont pas gratuites. Les agents prennent notamment en compte leur coût d’opportunité, correspondant au temps non dévoué aux activités productives, pour optimiser leur allocation temporelle. Ensuite, une partie du savoir étant tacite ou codifié, il ne peut être transmis qu’à travers le face-à-face. Les villes apparaissent alors comme le lieu privilégié pour de telles transmissions. De plus, le travail est distribué d’une manière continûment hétérogène. Puisque ce qu’un individu peut transmettre aux autres apprenants et ce qu’il peut lui-même apprendre varie en fonction de ces individus, la sélection spatiale des apprenants en différentes villes dotées d’opportunités d’appréhension distinctes apparaît naturelle. Enfin, ce qu’apprend un individu dépend de la capacité d’appréhension des autres membres de sa communauté. Les échanges de savoirs sont formés par les choix de localisation, dans la mesure où les opportunités d’appréhension sont hétérogènes et dépendent des décisions individuelles d’allocation temporelle en chaque lieu. Pour rendre compte de l’hétérogénéité du travail, les auteurs considèrent un continuum de niveaux de qualifications, permettant ainsi de représenter que même la main-d’œuvre très qualifiée est hétérogène.

Le processus de transfert de savoirs et compétences s’opère localement, dans un environnement parfaitement concurrentiel. Les coûts d’échanges sont nuls ou infinis. Les producteurs interagissent en ville afin d’acquérir des idées leur permettant d’accroître la productivité. Seuls deux biens sont produits dans le modèle canonique, en l’occurrence un bien échangeable et un bien non échangeable. Les biens non échangeables sont produits dans chaque ville par les travailleurs les moins qualifiés. Les travailleurs présents dans le secteur du bien échangeable allouent leur temps entre la production directe du bien et l’échange d’idées avec autrui en vue d’accroître leur productivité.

Les producteurs très qualifiés de bien échangeable vont alors tendre à habiter dans les plus grandes villes pour bénéficier de leur environnement favorable au transfert de connaissances, ce qui leur permet d’accroître leur productivité et donc leur salaire. Des forces de dispersion vont toutefois très rapidement s’exercer en parallèle. En effet, l’accroissement de la densité urbaine entraîne des phénomènes de congestion (saturation des réseaux de transport, etc.) et accroissent les prix de l’immobilier et des services non échangeables. Si les producteurs de bien non échangeable ne participent pas aux transferts de connaissances et n’obtiennent pas de prime de qualification, leurs salaires tendent tout de même à augmenter avec la taille de la ville pour compenser la hausse des prix. Au final, à l’équilibre, les individus les plus qualifiés vont habiter les plus grandes villes et allouer plus de temps à l’équilibre aux transferts de connaissances. Les primes de qualification augmentent avec la taille de la ville. Avec le jeu des forces d’agglomération et de dispersion, les plus larges villes seront les plus productives et les plus coûteuses.

Le modèle produit certains faits stylisés mis en évidence par les études empiriques. Tout d’abord, les villes sont fortement hétérogènes en termes de taille. Ensuite, les différences dans la taille des villes s’accompagnent de différences dans les salaires, prix immobiliers et productivités. De plus, une part significative des différences spatiales de salaires est attribuable à l’autosélection spatiale des travailleurs selon leur qualification. Cette autosélection reste toutefois incomplète, les villes étant habitées par des individus de diverses compétences. Enfin, les individus sont fortement mobiles au sein des économies avancées et répondent aux opportunités d’arbitrage spatial.

 

Références  Martin ANOTA

DAVIS, Donald R., & Jonathan I. DINGEL (2012), « A spatial knowledge economy », NBER working paper, n° 18188, juin.

KRUGMAN, Paul (1991), « Increasing returns and economic geography », in Journal of Political Economy, vol. 99, n° 3.

LUCAS, Robert (1988), « On the mechanics of economic development », in Journal of Monetary Economics, vol. 22, n° 1.

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5 juillet 2012 4 05 /07 /juillet /2012 16:45

La forte contraction de l’activité économique à partir de 2008 et la faiblesse de la reprise consécutive (aux Etats-Unis) a suscité plusieurs analyses sur les déterminants et caractéristiques des récessions. Les études ayant pour objet les épisodes de reprises elles-mêmes restent toutefois beaucoup plus rares.

Greg Howard, Robert Martin et Beth Anne Wilson (2011) ont observé la dynamique de la production lors des reprises que connurent 59 économies avancées et émergentes au cours des quatre dernières décennies. D'après leurs travaux, le fait qu’une récession soit associée ou non à une crise bancaire ou financière n’a pas d’effet statistiquement significatif sur l’ampleur de la croissance une fois passé le creux de la récession. La vitesse de la reprise dépend fortement de la profondeur et de la durée de la récession. De plus longues récessions impulsent une détérioration des capacités de production et du capital humain et sont associées à une lente croissance une fois la reprise amorcée.

Les récessions s’avèrent en revanche plus sévères lorsqu’elles s’accompagnent de perturbations dans l’activité bancaire et sur les marchés financiers ; plus précisément, elles tendent à être plus profondes lorsqu’elles se produisent dans les économies émergentes et plus longues quand elles ont lieu au sein des économies avancées. En revanche, outre sur la durée et profondeur, elles ne pèsent pas davantage sur la dynamique de reprise. Réciproquement, les reprises associées à une expansion rapide du crédit présentent une plus forte croissance économique [Claessens et al., 2011].

Michael D Bordo et Joseph G. Haubrich (2012) retrouvent ces résultats dans leur analyse des 27 cycles d’affaires que les Etats-Unis ont connus depuis 1882. Leurs données révèlent que de brusques expansions tendent à suivre les contractions abruptes. Plus précisément, le fait stylisé selon lequel les profondes contractions engendrent de fortes reprises est particulièrement vrai lorsqu’elles coïncident avec une crise financière. Les cycles sans crise financière présentent la plus faible relation entre la profondeur de la contraction de l’activité et la force de la reprise.

Les récessions sont associées à de persistantes déviations de leur trajectoire tendancielle de croissance d’avant-crise [Howard et al., 2011]. Cette déviation reflète de manière importante la faible utilisation du travail, en particulier un déclin dans les taux d’emploi et d’activité. La littérature relative aux effets d’hystérèse met en particulier l’accent sur la faible accumulation du capital productif et la détérioration des capacités productives lors des épisodes de ralentissement économique, mais également sur l’étiolement des compétences des travailleurs avec le chômage de longue durée. Loin de ne posséder que des effets de court terme, les phases de contraction de l’activité pèsent fortement sur la trajectoire de long terme de l’économie.

En considération de ces caractéristiques générales, l’actuelle reprise aux Etats-Unis est relativement faible au regard de la profondeur et de la durée de la récession. Trois ans après le redémarrage de l’activité aux Etats-Unis, la création nette d’emplois demeure faible et le taux de chômage reste élevé. Une coexistence similaire de faibles taux de croissance de l’emploi et du PIB était également observable suite à la récession du début des années quatre-dix et à celle du début des années deux mille. Au travers de leur étude de la performance du PIB, de l’emploi et d’autres variables macroéconomiques au cours des divers épisodes de reprises connues par les Etats-Unis dans l’après-guerre, Jordi Galí, Frank Smets et Rafael Wouters (2012) sont amenés à qualifier les trois derniers épisodes, non pas comme des reprises sans emplois (jobless recoveries), mais comme de lentes reprises (slow recoveries). Selon eux, les chocs de demande auraient contribué positivement aux reprises dans la période antérieure à 1990, tandis que leur contribution apparaîtrait négative postérieurement. La différence tiendrait essentiellement dans les chocs technologiques spécifiques à l’investissement. Ils soulignent en outre le rôle adverse des salaires et des chocs de politique monétaire dans la lenteur de l’actuelle reprise. Les trois économistes interprètent ce résultat comme reflétant le confinement des taux d’intérêt nominaux à leur borne inférieure zéro (zero lower bound) et la rigidité des salaires à la baisse.

Sur leur plus large échantillon temporel, Bordo et Haubrich (2012) identifient trois anomalies : les reprises consécutives à la Grande Dépression, à la crise de 1990 et à la dernière récession se singularisent par la lenteur avec laquelle la de production retrouve son niveau maximal d’avant-crise. Ces épisodes d’instabilité macroéconomique combinèrent des turbulences financières et une chute des prix réels de l’immobilier. Bordo et Haubrich montrent ainsi que l’immobilier résidentiel a joué un rôle important dans plusieurs cycles aux Etats-Unis. Il n’est pas en soi une large composante de la dépense domestique, mais il est étroitement lié aux achats de biens de consommation durables et plusieurs secteurs de l’économie américaine sont particulièrement sensibles à ses dynamiques. Le choc dans le marché de l’immobilier compte pour beaucoup dans le déclin de l’activité durant la récente contraction économique. Alors que l’activité immobilière avait constitué un moteur significatif de la reprise au cours de nombreuses récessions survenues aux Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale, la situation actuelle se caractérise par de nombreuses saisies de propriétés, par des conditions de crédit resserrées pour les constructeurs et acheteurs potentiels et par la poursuite du déclin des prix immobiliers. Le taux de nouvelles constructions demeure à un tiers de son niveau d’avant-crise. La faiblesse de la reprise reposerait ainsi fondamentalement sur l’atonie du secteur immobilier.

 

Références  Martin ANOTA

BORDO, Michael D., & Joseph G. HAUBRICH (2012), « Deep Recessions, Fast Recoveries, and Financial Crises: Evidence from the American Record », Federal Reserve Bank of Cleveland working paper, 14 juin.

CLAESSENS, Stijn, M. Ayhan KOSE & Marco E. TERRONES (2011), « How Do Business and Financial Cycles Interact?  », IMF working paper, avril.

GALÍ, Jordi, Frank SMETS & Rafael WOUTERS (2012), « Slow Recoveries: A Structural Interpretation », NBER working paper, n° 18085, mai.

HOWARD, Greg, Robert MARTIN & Beth Anne WILSON (2011), « Are Recoveries from Banking and Financial Crises Really So Different?  », Federal Reserve Board international finance discussion paper, n° 1037, novembre.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2012), « Five Years After Crisis, No Normal Recovery », 3 avril.

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2 juillet 2012 1 02 /07 /juillet /2012 15:23

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La décomposition internationale du processus productif est un élément essentiel de l’économie internationale moderne. Puisque chaque segment d’un produit peut être fabriqué séparément des autres, les entreprises fractionnent les étapes de production nécessaires à une production donnée et de les distribuer entre différents pays pour minimiser les coûts de production. Les firmes transnationales ont activement profité de la spécialisation verticale des pays en arbitrant entre les lieux possibles de chaque segment de leur chaîne de valeur. Apple a ainsi conçu son iPhone en Californie, mais le produit est physiquement assemblé en Chine, à partir de pièces provenant du monde entier, en particulier des autres pays du sud-est asiatique. Avec la baisse des coûts de transaction et l’approfondissement subséquent de la fragmentation de la production, les échanges de biens intermédiaires (pièces détachées, composantes, etc.) utilisés comme consommations intermédiaires ont pris une place croissante dans le commerce internationale au cours des dernières décennies.

Or les comptes nationaux ne collectent que les données relatives aux flux bruts aux frontières et non celles aux lieux sur lesquels la valeur est ajoutée aux différentes étapes du processus de production. Si une telle mesure s’avérait approprié pour une époque où les échanges de biens finis correspondent à l’essentiel du commerce international, elle apparaît inadéquate lorsque les échanges de biens intermédiaires en constituent une composante majeure. Il apparaît ainsi difficile de mesurer systématiquement la décomposition des processus productifs pour plusieurs pays sur de longues périodes.


Robert C. Johnson et Guillermo Noguera (2012) ont collecté des données relatives au commerce, à la production et aux usage d’intrants au niveau sectoriel sur la période s’étendant de 1970 à 2009. Ils obtiennent des tableaux entrées-sorties synthétiques pour chaque année et suivent à travers ceux-ci les expéditions de biens intermédiaires et finaux entre les pays. Ils peuvent ainsi capturer les chaînes de valeur complexes impliquant plusieurs pays, à l'intar de la fabrication de l’iPhone. Les auteurs identifient le contenu en valeur ajoutée du commerce bilatéral au cours des quatre décennies en suivant la valeur ajoutée depuis le lieu sur lequel elle est produite jusqu’au lieu où elle est absorbée en demande finale.

Au niveau mondial, le ratio de la valeur ajoutée sur les exportations brutes a diminué de 10 à 15 points de pourcentage au cours des quatre décennies. Plus précisément, il diminue durant les années soixante-dix, reste stable la décennie suivante, puis chute fortement lors des années quatre-vingt-dix. Le déclin est trois fois plus rapide après 1990 que sur la période précédente. L’ampleur et la chronologie des déclins de ratios diffèrent selon les pays. Le déclin médian est d’environ 16 points de pourcentage. Ces variations sont plus prononcées pour les économies à forte croissance subissant une transformation structurelle, mais aussi pour quelques économies avancées telles que l’Allemagne. L’industrie constitue en outre le secteur ayant le plus approfondi le processus de production.

Johnson et Noguera observent ensuite l’influence des coûts de transaction sur la dynamique de la fragmentation. La distance joue un rôle majeur parmi les barrières à l’échange non tarifaires. Les ratios bilatéraux de la valeur ajoutée sur les exportations brutes sont particulièrement élevés pour les partenaires à l’échange distants : en moyenne les exportations en valeur ajoutée « voyagent plus loin » que les exportations brutes. Les couples de pays partageant un langage commun ou une origine coloniale présentent également des ratios plus faibles. Les variations des ratios de la valeur ajoutée sur les exportations brute au cours du temps sont liées aux évolutions de distance. Les déclins dans les ratios sont plus accentués pour les partenaires commerciaux spatialement proches. Au cours du temps, le commerce brut et le commerce en valeur ajoutée deviennent plus sensibles à la distance ; le commerce brut réagit en l’occurrence plus fortement à la distance que le commerce en valeur ajoutée.

Les accords commerciaux régionaux influencent puissamment les ratios bilatéraux de la valeur ajoutée sur les exportations brutes. Ils tendent à stimuler le commerce en valeur ajoutée, mais surtout le commerce brut. Les accords commerciaux approfondis, notamment ceux relatifs aux marchés communs et aux unions économiques, influencent plus amplement la fragmentation que les accords préférentiels ou de libre échange. Les politiques commerciales ont ainsi un rôle majeur dans la dynamique de fragmentation.


Références  Martin ANOTA

JOHNSON, Robert C., & Guillermo NOGUERA (2012), « Fragmentation and trade in value added over four decades », NBER working paper, n° 18186, juin.

MOATI, Philippe, & El Mouhoub MOUHOUD (2005), « Décomposition internationale des processus productifs, polarisations et division cognitive du travail », in Revue d'Economie politique, n° 5, décembre.

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