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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 20:40

Les épisodes de forte inflation durant les années soixante-dix et le retour des économistes libéraux sur le devant de la scène ont profondément renouvelé la théorie et la pratique de la politique monétaire. Les travaux de la nouvelle école classique ont affirmé que la stabilisation des prix est le seul objectif atteignable à long terme par les banques centrales et le plus à même de maximiser le bien-être des agents économiques. Ils mettent en outre l’accent sur la crédibilité des autorités monétaires : elles doivent annoncer un objectif précis et s’y conformer. Pour gagner en crédibilité, les banquiers centraux vont alors privilégier les règles pour mener leur politique monétaire.

Le ciblage de l’offre de monnaie que préconisait Friedman fut massivement adopté par les banques centrales durant les années quatre-vingt : selon le monétariste, la croissance de la masse monétaire devait étroitement correspondre à la croissance du PIB afin de stabiliser les prix. La volatilité de la demande de monnaie et des agrégats monétaires eut raison d’une telle stratégie. Le ciblage du taux de change fut quant à lui abandonné au début des années quatre-vingt-dix avec la multiplication des attaques spéculatives. C’est ainsi que durant cette décennie les autorités monétaires, en quête d’une nouvelle stratégie, vont peu à peu adopter le ciblage d’inflation (inflation targeting).

Selon cette approche, la banque centrale doit annoncer clairement un taux d’inflation comme cible et moduler ses taux directeurs pour l’atteindre. Par exemple, si le taux d’inflation est supérieur à la cible, la banque centrale relève ses taux. L’objectif peut toutefois être apprécié à moyen terme, ce qui évite notamment une trop fort volatilité des taux directeurs. Une telle stratégie aurait notamment le mérite d’ancrer plus efficacement les anticipations et ainsi d’atteindre plus facilement la cible. En outre, puisque les agents gagnent en certitude quant à l’évolution future des prix, ils peuvent plus efficacement prendre leurs décisions, notamment dans leurs choix d’investissement, ce qui accroît la stabilité macroéconomique.

Jeffrey Frankel (2012) a annoncé ces jours-ci « avec regret la mort du ciblage d’inflation ». La Grande Récession aurait définitivement marqué l’échec d’une telle stratégie. Les défauts sont multiples. Tout d’abord, les partisans du ciblage d’inflation présentent une filiation avec les thèses monétaristes en se montrant finalement convaincus que l’inflation est avant tout un phénomène monétaire : l’accélération des hausses de prix serait engendrée par un excès d’offre de monnaie. Pourtant, base monétaire et niveau général des prix ne connaissent pas forcément les mêmes variations et l'inflation n'est pas nécessairement monétaire. Le Japon durant les années quatre-vingt-dix fut typiquement marqué par une situation de « trappe à liquidité » : la banque centrale a alors beau alimenter le marché interbancaire de liquidité, l’économie peut connaître une période prolongée de déflation. Plus globalement, malgré la forte volatilité des prix énergétiques par laquelle elle s’accompagne, la mondialisation fut ces dernières décennies une puissante source de stabilisation des prix. L’intégration d’économies à faibles coûts de production au commerce international a peut-être davantage permis de maîtriser la dynamique de l’inflation que l’action des banques centrales ; elle a également participé à déconnecter davantage l’évolution du niveau des prix de celle de la masse monétaire.

Dans notre environnement globalisé et concurrentiel, il y a en outre une véritable disjonction entre les dynamiques de l’endettement et celle des prix : une forte expansion du crédit peut être synchrone avec une maîtrise de l’inflation traditionnelle, mais se coupler en revanche avec une accélération de l’inflation des prix d’actifs. La Grande Dépression des années trente ou l’éclatement de la bulle immobilière, puis de la bulle boursière au Japon à la fin des années quatre-vingt sont des épisodes majeurs de déséquilibres sur les marchés d'actifs dans un contexte de faible inflation. La dernière décennie a reproduit une telle montée des déséquilibres.

Les banquiers centraux et les théoriciens de la nouvelle économie keynésienne ont considéré la stabilité des prix comme une condition suffisante à la stabilité financière et, plus largement, à la stabilité macroéconomique. Selon l’hypothèse dite de « divine coïncidence » retenue par les universitaires et les autorités monétaires, le contrôle de l’inflation stabilise l’emploi et l’activité économique. La crise financière de 2007 et ses répercussions sur l’économie réelle ont balayé la pertinence d’une telle conception théorique. La stabilité des prix est peut-être une condition nécessaire à une croissance équilibrée et durable (ce qui reste encore à démontrer), elle paraît toutefois insuffisante à l’assurer.

En outre, la stabilité elle-même des prix et la crédibilité acquise par la banque centrale peuvent directement alimenter la prise de risque des institutions financières en quête de rentabilité. La baisse des rendements obligataires et des primes de risque, dans un environnement de faibles taux d’intérêt, les incite à user des opérations à fort effet de levier. Selon le paradoxe de la crédibilité théorisé par Borio et les économistes de la Banque des Règlements Internationaux [Mésonnier, 2003], l’apparente stabilité des prix des biens et services dissimule aux yeux des banquiers centraux l’accumulation de déséquilibres insoutenables sur les marchés d’actifs. De plus, cela accroît le risque d’une puissante déflation lorsque se produit un retournement des prix d’actifs.

Selon Giavazzi et Giovannini (2010), un strict ciblage de l’inflation risque de confiner l’économie dans une « trappe à faibles taux d’intérêt ». De faibles taux d’intérêt incitent les agents financiers à adopter des prises de risques excessives, ce qui accroît le risque d’instabilité financière. Lorsqu’une crise survient effectivement, les taux d’intérêt doivent être assouplis pour sauvegarder le système financier. Tant que ce dernier est affaibli, les banques peuvent difficilement relever leurs taux, ce qui alimente une nouvelle phase d’instabilité financière.

Récemment, le ciblage d’un taux d’inflation a pu conduire les autorités monétaires à prendre des décisions préjudiciables pour l’économie. La Fed maintint ses taux inchangés sur plusieurs mois malgré l’élévation du risque de récession. Le relèvement des taux directeurs en juillet 2008 par la BCE apparaît comme une véritable aberration dans un contexte d’aggravation flagrante des turbulences sur les marchés financiers. Ce resserrement de la politique monétaire fut motivé par les tensions inflationnistes provoquées par les hausses du prix du pétrole. Ainsi, une banque centrale ciblant l’inflation répond inefficacement aux chocs d’offre ou aux chocs dans les termes de l’échange. Elle est par exemple amenée à resserrer sa politique monétaire en réponse à une hausse des prix des matières premières importées, alors qu’elle n’a aucune prise sur celle-ci.

Ces dernières années ont vu se multiplier les appels à l’abandon du ciblage d’inflation et à une réorientation stratégique des banques centrales. Ces dernières devraient suivre une cible de politique monétaire reflétant davantage les coûts sociaux. A cet égard, le ciblage du niveau nominal du PIB apparaît pour certains comme un candidat sérieux.

 

Références Martin Anota

BERNANKE, Ben, & Frederic MISHKIN (1997), « Inflation targeting : a new framework for monetary policy ? », in Journal of Economic Perspectives, vol. 11, n° 2.

CHOWDHURY, Anis, & Iyanatul ISLAM (2011), « Inflation targeting - some anomalies reconsidered », in VoxEU.org, 5 avril.

FRANKEL, Jeffrey (2012), « The death of inflation targeting », in Project Syndicate, 16 mai.

GIAVAZZI, Francesco, & Alberto GIOVANNINI (2010), « The low-interest-rate trap », in VoxEU.org, 19 juillet.

MESONNIER, Jean-Stéphane (2004), « Le Paradoxe de la crédibilité en question », in Bulletin de la Banque de France, n° 122.

STIGLITZ, Jospeh (2008), « The urgent need to abandon inflation targeting », in Project Syndicate, 6 mai. Traduction française, « L’échec du ciblage d’inflation ».

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16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 22:44

Durant les années deux mille, les Etats-Unis ont connu de massifs déficits de leur balance courante, tandis que les émergents est-asiatiques et les pays producteurs de pétrole engrangeaient de volumineux excédents. Ces déséquilibres globaux, phénomène majeur de la décennie écoulée, peuvent trouver une explication dans la faiblesse du taux d’épargne aux Etats-Unis, dans le niveau élevé du taux d’épargne des économies émergentes et dans la sous-évaluation de leurs devises. Puisque les émergents disposent de systèmes financiers relativement rudimentaires, leur épargne a amplement afflué aux Etats-Unis, pour finalement financer le déficit américain. Les déséquilibres globaux ont ainsi pu jouer un rôle déterminant dans l’émergence de la crise en alimentant la bulle immobilière. Avant même qu’éclate cette dernière, les responsables politiques des Etats-Unis ont régulièrement accusé la sous-évaluation du renminbi, la devise chinoise, d’être une source d’instabilité pour leur économie et plus globalement pour l’économie mondiale. De récents développements bouleversent ce schéma. Après un pic à 10,1 % du PIB en 2007, l’excédent de la balance courante de la Chine devrait atteindre cette année 2,3 %. Cette chute spectaculaire de l’excédent chinois apparaît comme l’un des événements macroéconomiques les plus marquants de ces dernières années [Rogoff, 2012].

Divers facteurs ont contribué à réduire l’excédent chinois [Ahuja et al., 2012]. La Grande Récession s’est traduite par un fort recul de l’activité dans les économies avancées. Les performances commerciales de la Chine se sont détériorées avec l’affaiblissement de la demande globale. La crise ayant durablement dégradé la croissance potentielle des économies avancées, cela va continuer de peser sur les exportations chinoises, a fortiori si la crise européenne se poursuit ou si la reprise américaine peine à se confirmer. Ces évolutions ne compromettent toutefois pas la capacité de la Chine à accroître ses parts de marché au niveau mondial.

Les autorités chinoises ont répondu à la crise de 2008 et à la chute subséquente de la demande étrangère en adoptant des mesures de relance ciblant principalement les domaines du transport et de l’immobilier. Si les dépenses chinoises en infrastructures se sont ensuite réduites avec la reprise mondiale, l’investissement privé a pris le relais, en particulier dans l’industrie haut de gamme. L’investissement est passé de 42 à 47 % du PIB, ce qui participe à rendre l’industrie chinoise plus compétitive, donc plus à même de soutenir ses exportations à l’avenir. La hausse de l’investissement a toutefois immédiatement entraîné de plus fortes importations de matières premières et de biens capitaux.

Les termes de l’échange de la Chine se sont profondément dégradés depuis 2009. Ses importations sont de plus en plus intensives en matières premières, or les prix de ces derniers tendent à fortement augmenter, notamment en raison de la demande accrue qu’en exprime l’économie chinoise. Parallèlement, la Chine exporte davantage de biens pour lesquels l’offre s’avère fortement concurrentielle, ce qui accentue la baisse de leurs prix relatifs. La crise n'a fait toutefois qu’accélérer une tendance déjà précédemment à l’œuvre. La dégradation des termes de l’échange est une tendance inhérente à la poursuite de la croissance chinoise : la Chine, en prenant une place toujours plus large au sein de l’économie mondiale, provoque elle-même une modification des prix relatifs.

Enfin, l’appréciation réelle de la devise chinoise a sans nul doute également contribué à réduire l’ampleur de l’excédent chinois. Entre avril 2008 et décembre 2011, le taux de change réel du renminbi s’est apprécié de 14 %. Les variations des taux de changes nominaux relatifs aux devises des principaux partenaires commerciaux expliquent l’essentiel de cette appréciation. L’inflation a notamment été plus forte en Chine qu’au sein de ses principaux partenaires commerciaux.

Le rééquilibrage extérieur de la Chine se conjugue à d’autres évolutions mondiales pour exercer une pression à la baisse sur l’accumulation des déséquilibres globaux [Artus, 2012]. Parmi ces évolutions, nous pouvons noter la hausse des dépenses domestiques au sein des autres économies émergentes, la perte en capacité productive du Japon, mais également l’indépendance énergétique croissante des Etats-Unis et leur réindustrialisation. Si ces diverses dynamiques se soldaient effectivement par une disparition des déséquilibres globaux, cette dernière aurait de multiples conséquences pour l’économie mondiale. Tout d’abord, l’affaiblissement du dollar, en accélération depuis les années quatre-vingt, serait contenu. Les réserves de change connaitraient une moindre accumulation et la création monétaire se résorberait. Cette réduction de la liquidité mondiale renforcerait la stabilité financière en atténuant la volatilité des prix d’actifs et entraînerait une élévation des taux d’intérêt à long terme. L’ensemble de ces développements participerait à appuyer la stabilité macroéconomique globale.

Toutefois, d’autres tendances sont également à l’œuvre et diffèrent la survenue d’un tel scénario, et en premier la hausse des prix du pétrole. Les Etats-Unis continuent d’accumuler d’importants déficits de leur balance des transactions courantes, mais avec cette fois-ci en contrepartie les excédents des producteurs pétroliers [The Economist, 2012]. Si la Grande Récession se traduisit par une chute dans l’excédent des pays producteurs de pétrolier, celui-ci s’est à nouveau gonflé avec la reprise mondiale et atteint des niveaux inédits. Selon les prévisions du FMI, les Etats-Unis devraient enregistrer en 2012 un déficit de 510 milliards de dollars et les pays producteurs de pétrole un excédent de 740 milliards de dollars, réalisé pour les trois cinquièmes par le Moyen-Orient. La Chine ne réaliserait quant à elle cette année qu’un excédent de 280 milliards de dollars. Par conséquent, l’affaiblissement de l’excédent extérieur de la Chine ne s’est concrètement pas traduit par une résolution des déséquilibres globaux, mais plutôt par leur reconfiguration.

En outre, le rééquilibrage extérieur de la Chine s’accompagne peut-être finalement de plus forts déséquilibres domestiques. La consommation privée représente moins de 40 % du PIB, alors que cette part avoisine 60 % pour les économies caractérisées par le même niveau de développement [Ahuja et al., 2012]. L’investissement représentant quasiment la moitié du PIB, la croissance chinoise reste amplement dépendante de celui-ci. Rien ne certifie que la part de la consommation dans le PIB chinois se soit récemment élevée ou que le taux d’épargne ait diminué. La hausse de la demande intérieure s’explique donc effectivement par l’accroissement de l’investissement, or une telle dynamique s’avère insoutenable à long terme. En outre, si les capacités de production accumulées avec la récente vague d’investissement restent sous-utilisées, cela peut compromettre leur financement et profondément affecter le système bancaire. En raison même de l’importance de la Chine dans l’économie mondiale, cette dernière est particulièrement exposée à un sévère ralentissement de l’activité chinoise. La disparition bienvenue des déséquilibres extérieurs pourrait malheureusement dissimuler l’instabilité de la configuration actuelle de la croissance chinoise aux yeux des analystes et décideurs politiques.

 

Références Martin Anota

AHUJA, Ashvin, Nigel CHALK, Malhar NABAR, Papa N’DIAYE & Nathan PORTER (2012), « An end to China’s imbalances ? », IMF working paper, n° 100.

ARTUS, Patrick (2012), « Disparition des global imbalances : quels effets ? », Flash Natixis, n° 331, 11 mai.

The Economist (2012), « Petrodollar profusion », 28 avril.

ROGOFF, Kenneth (2012), « Why a more flexible renminbi still matters », in Project Syndicate, 2 mai.

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13 mai 2012 7 13 /05 /mai /2012 13:53

 
Les banques centrales ont démultiplié les actions pour contenir l’effondrement du système financier et soutenir l’activité. Une fois ses taux directeurs arrivés à zéro, la Fed a très rapidement réalisé plusieurs « assouplissements quantitatifs » (quantitative easing). La BCE à procédé par deux fois, en décembre 2011 et février 2012, à d’exceptionnelles long-term refinancing operations (LTRO) en offrant la possibilité aux banques d’emprunter un montant illimité pour une durée de trois ans à de faibles taux d’intérêt. Les opérations menées par les autorités monétaires européennes ont permis (du moins jusqu’à présent) d’épargner aux Etats-membres une crise de la dette autoréalisatrice et d’éviter un éclatement de la zone euro, en rassurant les marchés et en entraînant une baisse des primes de risque. Le récent et massif accroissement du bilan de la BCE apparaît pour certains comme un équivalent de l’assouplissement quantitatif mené par la Fed. Pourtant, les mesures adoptées par les deux banques centrales et leurs répercussions sur les comportements bancaires diffèrent sensiblement sur plusieurs points.

Hors réserves de devises et actifs non pertinents au regard de la politique monétaire, le bilan de la BCE est passé de 5 % du PIB de la zone euro avant la crise à environ 18 % désormais, tandis que le bilan de la Fed atteint aujourd’hui 20 % du PIB américain. Les deux banques centrales connaissent un accroissement relativement semblable de la taille de leur bilan. Toutefois, la composition de ces derniers n’en est pas pour autant similaire [Gros, 2012 ; Pisani-Ferry et Wolff, 2012]. La Fed achète des actifs sans risque et prête très peu aux banques. En revanche, la BCE procède à de plus amples achats d’actifs risqués et a massivement prêté aux établissements en difficulté sur le marché interbancaire. En outre, la Fed augmenta temporairement ses prêts repo aux institutions financières pour réactiver un marché interbancaire dysfonctionnel suite à l’effondrement de Lehman Brothers. La BCE accroît de son côté régulièrement les prêts repo. Les achats d’obligations publiques réalisés par la Fed se substituèrent largement aux opérations repo dans la composition de leur bilan. L’accroissement du bilan de la BCE s’explique principalement quant à elle par la démultiplication des opérations repo et plus marginalement par l’achat de titres gouvernementaux. La Fed est proactive, décidant elle-même de l’évolution de la taille de son bilan. La BCE présente plutôt un comportement réactif, puisque la taille de ses opérations de prêts est déterminée par les banques [The Economist, 2012].

Les motivations sous-jacentes aux politiques monétaires menées des deux côtés de l’Atlantique ne sont en outre pas les mêmes. La Fed achète de larges montants de titres gouvernementaux afin de diminuer les taux d’intérêt de long terme [Pisani-Ferry et Wolff, 2012]. Les mécanismes de transmission de la politique monétaire sont dans la zone euro particulièrement grippés. La BCE cherche à travers son assouplissement des conditions de crédit (credit easing) à redynamiser le marché interbancaire et à alimenter en liquidité les banques de la périphérie en crise de la zone euro. Dans la mesure où l’Allemagne demeure réticente à ce que la BCE devienne un acheteur en dernier ressort pour les obligations souveraines, les LTRO constituent en outre un moyen indirect d’intervenir sur les marchés sous tension de la dette publique.

Les effets de la politique monétaire et les dynamiques du marché interbancaire contrastent fortement en zone euro avec celles observées aux Etats-Unis. Le système bancaire européen s’est profondément fragmenté le long des frontières nationales [Pisani-Ferry et Wolff, 2012]. Les banques ont déposé 700 milliards d’euros à la BCE ; celle-ci s’est donc substituée au marché interbancaire et sa politique monétaire perd fortement en efficacité. Les banques du sud de l’Europe ne participaient qu’à 20 % des opérations de financement de moyen et long termes ; elles participent aujourd’hui à 70 % d’entre elles. Si les banques du nord de l’Europe, notamment allemandes et néerlandaises, alimentent la majorité des dépôts à la BCE, les banques du sud de l’Europe, en particulier espagnoles et italiennes, absorbent l’essentiel des prêts consentis dans le cadre des LTRO. Les banques du nord de l’Europe accordent toujours davantage de crédit et décroissent leur détention de titres gouvernementaux ; parallèlement, les banques du sud de l’Europe expérimentent au contraire une contraction du crédit bancaire et accroissent fortement leur détention d’obligations publiques, empruntant finalement auprès de la BCE pour acquérir ces titres. Enfin, les LTRO ont eu une influence significative sur la courbe de rendements des émetteurs en détresse, mais non sur celle des émetteurs notés AAA.

La BCE et la Fed ne prennent pas non plus les mêmes risques [Gros, 2012]. La banque centrale étasunienne fait face, non pas à un risque de crédit, puisqu’elle achète des obligations publiques américaines, mais à un risque de taux d’intérêt. Alors que les taux de dépôts de court terme avoisinent zéro, les taux de long terme avoisinent 2 %. La détention d’obligations, pour un montant de 1 500 milliards de dollars, rapporte à la Fed 30 milliards de dollars par an, ce qui explique notamment sa réticence à relever ses taux directeurs. Si la BCE ne porte quant à elle aucun risque de maturité, elle fait en revanche face à un risque de crédit, puisqu’elle prête aux banques ne trouvant aucun financement ailleurs, or elle n’est pas assurée contre celui-ci. Si l’écart de 75 points de base entre les taux de dépôts et de prêt permet à la BCE d’obtenir 7,5 milliards d’euros par an, une telle somme est par exemple insuffisante pour absorber les pertes potentielles auxquelles la Grèce expose la BCE, cette dernière y ayant 130 milliards d’euros en jeu.

L’effondrement du crédit en périphérie de la zone euro se poursuit et se conjugue aux mesures d’austérité pour déprimer l’activité économique. Les opérations exceptionnelles de la BCE ont très certainement fait gagner du temps aux gouvernements pour réaliser les efforts nécessaires à la sortie de crise, mais pour l’heure leurs actions restent orientées vers la seule consolidation budgétaire. Sans coordination et expansion des politiques budgétaires, voire tout simplement en l’absence d’une véritable union fiscale, les actions de la BCE demeureront peu effectives et le temps de la latence ne fera qu’accroître les coûts et la probabilité d’une issue désordonnée à la crise européenne.

 

Références Martin Anota

The Economist (2012), « The ECB’s LTRO and the Fed’s testimony. How to read a central bank », 29 février.

GROS, Daniel (2012), « The Big Easing », in Project Syndicate, 5 avril.

PISANI-FERRY, Jean, & Guntram WOLFF (2012), « Is LTRO QE in disguise? », in VoxEU.org, 3 mai.

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