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27 mars 2017 1 27 /03 /mars /2017 20:31
Les exigences en capital rendent-elles plus sûr le secteur bancaire ?

Suite à la crise financière mondiale, de nombreux superviseurs financiers à travers le monde ont relevé les exigences en capital et en liquidité que doivent respecter les banques. Ce renforcement de la réglementation financière vise non seulement à réduire la fréquence des crises financières, mais aussi à en réduire les coûts pour l’économie : les établissements bancaires se retrouveraient moins souvent en difficultés et ils seraient moins tentés de réagir à leurs difficultés en réduisant excessivement leurs prêts. Or, il n’y a pas consensus sur le niveau auquel les exigences en capital et en liquidité doivent être relevées. Bâle III impose par exemple qu’il doit y avoir au moins trois centimes de capital pour chaque dollar d’actif ; cela laisse la possibilité aux banques d’avoir un volume d’actifs 33 fois plus élevé que leur niveau de fonds propres, soit un levier d’endettement à peu près équivalent à celui observé avant la crise mondiale [Couppey-Soubeyran, 2016]. D’un côté, plusieurs économistes, souvent liés à l’industrie bancaire, estiment que relever davantage les ratios de fonds propres et de liquidité risquerait surtout de freiner la croissance économique en réduisant la disponibilité du crédit, voire de créer de nouvelles turbulences financières. De l’autre, certains estiment que non seulement il n’y a pas de coûts sociaux à un relèvement des ratios de capital, mais que Bâle III ne va pas assez loin : pour Anat Admati et Martin Hellwig (2013), il serait optimal de fixer les ratios de capital à des niveaux dix fois supérieurs à ceux imposés par Bâle III.

Òscar Jordà, Björn Richter, Moritz Schularick et Alan Taylor (2017) ont voulu éclairer ce débat en cherchant à tirer des enseignements de l’histoire. Ils ont analysé de nouvelles bases de données relatives au passif des bilans dans 17 pays développés entre 1870 et 2013. Dans leur échantillon de pays, les fonds propres représentaient initialement environ 30 % du volume d’actifs des banques ; le ratio a ensuite décliné, en passant à moins de 10 % suite à la Seconde Guerre mondiale, avant de fluctuer entre 5 % et 10 % au cours des dernières décennies (cf. graphique). 

GRAPHIQUE  Ratio capital sur actifs

Les exigences en capital rendent-elles plus sûr le secteur bancaire ?

Jordà et ses coauteurs ont alors cherché à déterminer si les choix de financement du secteur bancaire, c’est-à-dire la structure du passif de son bilan, étaient liés systématiquement au risque d’instabilité financière. Que ce soit au niveau de l’ensemble des pays qu’au sein de chaque pays, leur analyse suggère que le ratio de capital n’a aucune valeur pour prédire les crises financières. Que ce soit sur l’ensemble de l’histoire des pays développés entre 1870 et 2013 ou bien sur la seule période qui suit la Seconde Guerre mondiale, un relèvement des ratios de capital n’empêche pas la survenue de nouvelles crises financières. Par contre, la hausse de certains indicateurs de liquidité, tels que le ratio prêts sur dépôts ou la part du financement hors dépôts, a eu tendance au cours de l’histoire à signaler une fragilisation financière. Par exemple, un niveau élevé ou une forte croissance du ratio prêts sur dépôts est associé à une plus grande probabilité de crise financière. Pour autant, ces indicateurs de liquidité n’ont pas plus de pouvoir prédictif que ce qu’apporte déjà l’actif du bilan : les données suggèrent que si les superviseurs cherchent le meilleur signal à observer pour juger du risque d’instabilité financière, ils doivent se focaliser sur les booms du crédit.

Enfin, Jordà et ses coauteurs étudient comment le capital bancaire module les coûts économiques des crises financières en utilisant la méthode des projections locales. Ils constatent que, sur ce plan, le capital bancaire importe énormément : la reprise subséquente à une récession synchrone à une crise financière est d’autant plus lente que le secteur financier était fortement endetté au début de la récession. Cinq ans après le début d’une telle récession, le PIB réel par tête est cinq points de pourcentage plus élevé lorsque le capital bancaire est supérieur à sa moyenne historique que lorsqu’il est inférieur à celle-ci. Ainsi, les « coussins » de capital ont d’énormes bénéfices sociaux en termes de stabilité macroéconomique. Au final, les auteurs rejoignent la conclusion à laquelle avaient abouti Eugenio Cerutti, Stijn Claessens et Luc Laeven (2015) : lorsqu’elle passe par un relèvement des ratios de capital, la politique macroprudentielle n’empêche peut-être pas une crise financière de survenir, mais elle en réduit tout de même les coûts macroéconomiques.

 

Références

ADMATI, Anat R., & Martin HELLWIG (2013), The Bankers’ New Clothes: What’s Wrong With Banking and What to Do About It, Princeton University Press.

CERUTTI, Eugenio, Stijn CLAESSENS & Luc LAEVEN (2015), « The use and effectiveness of macroprudential policies: New evidence », FMI, working paper, n° 15/61, mars.

COUPPEY-SOUBEYRAN, Jézabel (2016), « Les réformes bancaires ont-elles été poussées assez loin? », in CEPII, L’Economie mondiale 2017, La Découverte.

JORDÀ, Òscar, Björn RICHTER, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2017), « Bank capital redux: Solvency, liquidity, and crisis », NBER, working paper, n° 23287, mars. 

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12 mars 2017 7 12 /03 /mars /2017 16:24
Quelles ont été les répercussions de l’austérité dans le sillage de la Grande Récession ?

Les pays européens et les Etats-Unis ont subi une forte contraction de leur activité économique durant la crise financière mondiale, mais leurs performances ont été hétérogènes suite à celle-ci (cf. graphique). A la fin de l’année 2014, le revenu par tête était inférieur ou égal à sa valeur de 2009 dans un tiers des pays européens. A un extrême, la Grèce n’a jamais connu de reprise : le revenu par tête grec à la fin de l’année 2014 était inférieur de plus d’un quart à sa valeur de 2009. A un autre extrême, la Lituanie a certes essuyé une forte contraction de son PIB au durant la Grande Récession, mais elle a connu par la suite une puissante reprise. 

GRAPHIQUE  PIB réel par tête des pays-membres de l’UE, de la Suisse, de la Norvège et des Etats-Unis (en indices) 

Quelles ont été les répercussions de l’austérité dans le sillage de la Grande Récession ?

note : les périodes grisées correspondent aux récessions en Europe

source : House et alii (2017)

Beaucoup ont accusé l’austérité budgétaire d’avoir freiné la reprise et surtout d’avoir fait basculer la zone euro dans une seconde récession en 2011. Certes, les banques centrales ont fortement assoupli leur politique monétaire et même ramené leurs taux directeurs au plus proche de zéro pour stimuler l’activité tant la Grande Récession a été violente. Par contre, si l’ensemble des gouvernements des pays développés ont adopté des plans de relance pour stimuler l’activité lorsque la récession éclata en 2008, la forte hausse de leur dette publique qui s’ensuivit les a incités à rapidement abandonner ces mesures de relance, puis à adopter des plans d’austérité dès 2010. La crise de la dette grecque et la hausse des taux d’intérêt sur les titres publics des autres pays « périphériques » de la zone euro, notamment en Espagne, en Irlande, en Italie et au Portugal ont laissé craindre une contagion au reste de la zone euro, voire dans le reste des pays développés. Si les pays périphériques ont été forcés d’embrasser l’austérité pour retrouver la confiance des marchés, le reste de la zone euro a également adopté des mesures d’austérité pour éviter de la perdre. La généralisation de l’austérité a pu notamment trouver des justifications théoriques dans certains travaux universitaires, en particulier ceux réalisés par Alberto Alesina. Ces travaux ont en effet suggéré que les consolidations budgétaires pouvaient en fait se révéler expansionnistes au motif que la perspective d’un assainissement budgétaire et donc d’une réduction future du fardeau fiscal alimenterait la confiance et inciterait par là même le secteur privé à davantage dépenser. Si certains suggéraient lors de la Grande Récession que le multiplicateur budgétaire était faible (l’activité économique serait peu pénalisée par une consolidation budgétaire), des travaux comme ceux d’Alesina suggéraient qu’il pouvait même être négatif (l’activité économique serait stimulée par la consolidation budgétaire).

Ces conclusions sont discutées aussi bien sur le plan théorique que sur le plan empirique. Dans une optique keynésienne, la politique budgétaire doit en effet être contracyclique : les gouvernements doivent adopter des plans de relance lorsque l’activité ralentit, afin de stimuler la demande globale, tandis qu’ils doivent adopter des plans d’austérité lorsque l’activité est robuste, afin de réduire la dette publique accumulée lors de la récession. En effet, si l’activité est particulièrement sensible aux évolutions de la politique budgétaire (le multiplicateur budgétaire est élevé) lors des récessions, quand les ménages sont contraints en termes de liquidité, elle est moins sensible à celles-ci (le multiplicateur budgétaire est faible) lors des expansions. Or, en resserrant leur politique budgétaire lorsque l’activité était encore fragile, c’est-à-dire en adoptant une politique budgétaire procyclique, les Etats-membres de la zone euro ont en fait pu avorter une reprise qui s’amorçait à peine. En outre, la sensibilité de l’activité aux évolutions de la politique budgétaire serait particulièrement forte lorsque les taux directeurs sont contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound) : les banques centrales ne peuvent davantage assouplir leur politique monétaire pour compenser l’impact récessif de l’austérité budgétaire. Or, comme l’ont noté Olivier Blanchard et Daniel Leigh (2013), beaucoup d’estimations du multiplicateur budgétaire qui étaient disponibles lors de la Grande Récession portaient sur des périodes antérieures à la crise, en l’occurrence sur des périodes au cours desquelles ni les ménages n’étaient contraints en termes de liquidité, ni les taux des banques centrales n’étaient contraints par leur borne inférieure, ce qui a pu conduire à sous-estimer le multiplicateur budgétaire. Autrement elles ont sous-estimé aussi bien l’efficacité des plans de relance que la nocivité des plans d’austérité.

Enfin, les effets récessifs des plans d’austérité pourraient même avoir tendance à se renforcer lorsqu’ils sont adoptés simultanément par les différents pays-membres d’une zone monétaire : un plan d’austérité déprime l’activité domestique, donc les importations, si bien que les partenaires à l’échange et en premier lieu les autres pays-membres de l’union monétaire voient leur propre demande se déprimer davantage avec la chute de leurs exportations. En s’appuyant sur les données empiriques relatives aux Etats-Unis, Emi Nakamura et Jón Steinsson (2012) ont montré que l’appartenance à une union monétaire amplifiait effectivement la taille du multiplicateur budgétaire. Dans une contribution pour la commission européenne, Jan in ‘t Veld (2013) a non seulement confirmé que l’adoption simultanée de plans d’austérité par les différents pays-membres a aggravé leurs dommages sur l’activité, mais aussi montré qu’une relance budgétaire dans le cœur de la zone euro, notamment en Allemagne, aurait contribué à stimuler l’activité dans l’ensemble de l’union monétaire. Olivier Blanchard, Christopher Erceg et Jesper Lindé (2015) ont confirmé que l’adoption d’une relance dans le cœur de la zone euro aurait eu un impact significativement positif sur la périphérie, notamment en accroissant les exportations de cette dernière. Au final, d’après Sebastian Gechert, Andrew Hughes Hallett et Ansgar Rannenberg (2015), le PIB de la zone euro aurait été supérieur de 4,3 % en 2011 et de 7,7 % en 2013 aux niveaux qu’il a effectivement atteint si les pays-membres n’avaient pas adopté d’austérité au lendemain de la Grande Récession.

Dans une plus récente étude, Christopher House, Christian Proebsting et Linda Tesar (2017) ont cherché à préciser le rôle de la politique budgétaire dans les différences de performances économiques entre pays européens depuis 2010. Ils ont cherché à identifier des « chocs d’austérité », c’est-à-dire des réductions des achats publiques plus amples que ce qu’impliquent les régressions de prévision de forme réduite. Ils constatent que ces chocs d’austérité sont statistiquement associés aux erreurs de prévision à la baisse du PIB. Ils aboutissent à une estimation du multiplicateur sur les achats gouvernementaux supérieure à l’unité : une réduction des achats publics de 1 % entraîne une baisse du PIB de 2 %. La relation négative entre l’austérité dans les achats publics et le PIB est robuste. Elle demeure même lorsque House et ses coauteurs distinguent dans leur échantillon les pays qui disposent d’un taux de change fixe de ceux qui laissent flotter leur devise. En outre, l’austérité dans les achats publics est aussi négativement corrélée avec la consommation, l’investissement, la croissance du PIB et l’inflation. Une chute des dépenses du gouvernement est associée à une hausse des exportations nettes et à une dépréciation du taux de change nominal. 

House et ses coauteurs calibrent alors un modèle DSGE pour répliquer les dynamiques observées dans les données. Ils utilisent alors leur modèle pour réaliser plusieurs expériences contrefactuelles. Alors que la production agrégée de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, de l’Estonie, de la Finlande, de la France, du Luxembourg, des Pays-Bas, de la République slovaque et de la Slovénie était à la fin de l’année 2014 inférieure de 3 % à son niveau d’avant-crise, l’analyse contrefactuelle suggère qu’elle aurait été égale à son niveau d’avant-crise si ces pays n’avaient pas adopté de plans d’austérité. Quant à la production de l’Espagne, de la Grèce, de l’Irlande, de l’Italie et du Portugal, elle était fin 2014 inférieure de 18 % à son niveau crise ; l’analyse contrefactuelle suggère que cette perte n’aurait été que de 1 % si ces pays n’avaient pas embrassé l’austérité.

Enfin, House et ses coauteurs utilisent leur modèle pour examiner la dynamique des ratios dette publique sur PIB. Les plans d’austérité ont été adoptés dans l’objectif de réduire l’endettement public, or le modèle suggère que les réductions des dépenses publiques ont eu des effets tellement récessifs sur l’activité économique que l’austérité a en fait entraîné une hausse du ratio dette publique sur PIB dans plusieurs pays. En effet, les réductions des achats publics ont déprimé le PIB, or la baisse du PIB a déprimé en retour les recettes fiscales. L’analyse contrefactuelle suggère en l’occurrence que les hausses du ratio dette publique sur PIB auraient été bien plus modestes, aussi bien dans la périphérie que dans le reste de la zone euro, si les pays-membres n’avaient pas adopté de mesures d’austérité. Non seulement les plans d’austérité ont irrémédiablement appauvri les populations européennes, mais celles-ci n’en retirent pas de réels gains.

 

Références

BLANCHARD, Olivier, Christopher J. ERCEG & Jesper LINDÉ (2015), « Jump-starting the euro area recovery: Would a rise in core fiscal spending help the periphery? », Banque de Suède, working paper, n° 304.

BLANCHARD, Olivier J., & Daniel LEIGH (2013), « Growth forecast errors and fiscal multipliers », in American Economic Review, vol. 103, n° 3.

GECHERT, Sebastian, Andrew Hughes HALLETT & Ansgar RANNENBERG (2015), « Fiscal multipliers in downturns and the effects of Eurozone consolidation », CEPR, technical report policy insight, n° 79.

HOUSE, Christopher L., Christian PROEBSTING & Linda L. TESAR (2017), « Austerity in the aftermath of the Great Recession », NBER, working paper, n° 23147. 

IN'T VELD, Jan (2013), « Fiscal consolidations and spillovers in the Euro area periphery and core », Commission européenne, economic paper, n° 506.

NAKAMURA, Emi, & Jón STEINSSON (2011), « Fiscal stimulus in a monetary union: Evidence from U.S. regions », NBER, working paper, n° 17391.

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10 mars 2017 5 10 /03 /mars /2017 20:33
Les contrecoups de l’unification monétaire 

Beaucoup estiment que des pays n’ont intérêt à ancrer leurs devises les unes aux autres, voire même à adopter une monnaie commune, que s'ils forment une zone monétaire optimale : ce sera le cas s'ils parviennent à facilement absorber des chocs asymétriques, c'est-à-dire qui ne touchent qu'une poignée de pays. En effet, lorsque des pays adoptent une monnaie commune, une unique banque centrale gère la politique monétaire pour l'ensemble des pays-membres. Or, elle ne peut agir efficacement que si les chocs touchant l'union monétaire sont symétriques, c'est-à-dire communs à l'ensemble des pays. Par exemple, si tous les pays connaissent simultanément un choc de demande positif, stimulant peut-être leur activité, mais en générant des pressions inflationnistes, la banque centrale pourra contenir ces dernières en resserrant sa politique monétaire. Par contre, si les chocs sont asymétriques, la banque centrale ne pourra adopter une politique monétaire qui soit bénéfique à l'ensemble des pays ; pire, elle peut contribuer à amplifier ces chocs. Par exemple, si l'inflation augmente en moyenne dans l'union monétaire, alors que certains pays-membres sont en déflation, alors la banque centrale resserra sa politique monétaire, ce qui contribuera certes à réduire les déséquilibres dans les pays en inflation, mais aggravera par contre la baisse des prix et la contraction de l'activité dans les pays en déflation.

Durant les années 1990, à la veille de la création de l’euro, plusieurs études ont suggéré que ni l'Europe, ni les Etats-Unis ne constituaient des zones monétaires optimales. Par exemple, celle de Tamin Bayoumi et Barry Eichengreen (1993)  mettait en évidence l'existence d'une région centrale et d'une périphérie aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, avec des chocs asymétriques moins aigus dans le cœur que dans la périphérie. D'autre part, les deux auteurs constataient que les chocs étaient plus dispersés en Europe qu’aux Etats-Unis, ce qui suggérait qu’une union monétaire ne fonctionnerait pas de façon aussi lisse en Europe. Ces résultats plaidaient en faveur d’une union monétaire relativement restreinte, centrée sur l’Allemagne, la France et une poignée de pays d’Europe du nord ; par contre, cela suggérait qu’une union de devise incluant de nombreux pays, notamment l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal, serait problématique. Pour autant, Bayoumi et Eichengreen ont également constaté que la dispersion des chocs en Europe s'expliquait en grande partie du côté de la demande, donc potentiellement par le fait que les pays européens n'adoptaient pas la même politique monétaire. Si c'était effectivement le cas, alors l'unification monétaire devrait contribuer à réduire la dispersion des chocs. Autrement dit, avant l'adoption de la monnaie unique, les pays européens ne formaient pas une zone monétaire optimale, mais le fait même d'adopter la monnaie unique a pu contribuer à rapprocher la zone monétaire de l'optimalité.

25 ans après, Bayoumi et Eichengreen (2017) ont actualisé leur analyse originelle. Ils constatent que les Etats-Unis continuent d’être plus proches d’une zone monétaire optimale. Par contre, depuis le Traité de Maastricht, les chocs de demande et parfois les chocs d’offre dans les pays périphériques sont davantage corrélés avec ceux d’Allemagne, comparé aux chocs touchant les autres pays de la zone euro. Il y a en outre d’amples changements dans la réponse des prix aux chocs temporaires et permanents touchant la production dans la zone euro. Les chocs positifs temporaires touchant la production aux Etats-Unis accroissent les prix de façon permanente, ce qui est cohérent avec l’idée qu'il s'agit de chocs de demande positifs. De même, les chocs positifs permanents touchant la production aux Etats-Unis réduisent les prix, ce qui est cohérent avec l’idée qu’il s’agit de chocs d'offre positifs. Dans la zone euro, la réponse des prix est différente : les prix s’accroissent plutôt qu’ils ne chutent en réponse aux chocs permanents touchant la production, ce qui n'est pas cohérent avec le modèle standard d’offre globale-demande globale.

Bayoumi et Eichengreen expliquent le comportement des prix en zone euro par la présence d'effets d'hystérèse. En avançant le terme d’hystérèse, Olivier Blanchard et Larry Summers (1986) ont avancé la possibilité que les chocs de demande et les chocs d’offre pouvaient être liés de façon endogène. En l’occurrence, une récession provoquée par une insuffisance de la demande a beau être temporaire, elle peut avoir un effet permanent sur l'offre en dégradant la production potentielle. Par exemple, la hausse du chômage provoquée par la récession conduit à une réduction de la population active, dans la mesure où certains chômeurs perdent en compétences, donc en employabilité, et finissent par cesser leur recherche d’emploi par découragement. En outre, les réductions même temporaires de la production peuvent inciter les entreprises à réduire leur investissement, ce qui réduit le stock de capital.

Par contre, les formes d’hystérèse que Bayoumi et Eichengreen mettent en avant opèrent davantage via les marchés financiers que via les marchés du travail ou des produits. Dans la zone euro, les chocs d’offre positifs généraient un boom du crédit qui stimulait la demande globale. En améliorant la productivité du capital et du travail, ils accroissaient les marges et la profitabilité, si bien qu’ils entraînaient une hausse des prix d’actifs. Cette dernière encouragea le crédit bancaire, d'une part en améliorant le capital bancaire, ce qui incitait les banques à prêter davantage, et d'autre part en stimulant l’emprunt, ce qui permettait aux entreprises de financer le surcroît d'investissement. Ce dernier se traduisait par un surcroît d’offre, poussant davantage la production à la hausse, tandis que le surcroît de demande alimentait l’inflation. Les chocs de demande négatifs qui auraient dû normalement réduire la production et les prix avaient peu d’effets visibles sur la production parce que l’offre agrégée à court terme était relativement inélastique en raison des rigidités sur les marchés des produits et du travail. Mais la baisse des prix des produits associée aux chocs de demande négatifs réduisait aussi les prix d’actifs, amenant le mécanisme financier décrit précédemment à fonctionner dans le sens inverse. La baisse des prix d’actifs découragea le crédit et poussa la demande à chuter davantage. Le choc de demande négatif se traduisait donc par une forte chute de la production et une déflation, ce qui correspond à ce que l’Europe a connu ces dernières années. 

Cette interprétation pourrait expliquer pourquoi les perturbations touchant l’Allemagne se sont davantage corrélées avec les perturbations touchant les pays périphériques. Lorsque l’Allemagne a connu un choc d’offre positif via l’adoption des réformes Hartz dans les années qui ont suivi l’adoption de la monnaie unique, la croissance domestique s’accéléra et le financement bancaire afflua de l’Allemagne vers les pays périphériques ; ces derniers constituaient une destination attractive en raison de leurs taux d’intérêt élevés. Lorsque la crise financière mondiale éclata et que les banques se retrouvèrent en difficultés, le processus opéra en sens inverse.

Mais pour que cette explication soit cohérente avec ce que l’on peut observer entre les Etats-Unis et la zone euro, Bayoumi et Eichengreen estiment que la réponse du crédit doit être non seulement plus ample en zone euro qu’aux Etats-Unis, mais aussi qu'elle se soit accrue au cours du temps dans les pays constituant aujourd'hui la zone euro. Ils expliquent la plus forte élasticité du prêt bancaire dans la zone euro qu’aux Etats-Unis par le fait que les régulateurs bancaires européens s'appuient moins sur les ratios de levier simples et plus sur les modèles internes des banques, or ceux-ci sont procycliques. Ils expliquent la hausse de l’élasticité du prêt bancaire dans la zone euro par l’intensification de la concurrence entre banques à la suite de l'instauration du Marché unique, par l’élimination du risque de change liée à l'adoption de la monnaie unique et par la tentation des régulateurs nationaux de favoriser leurs champions domestiques.

Bayoumi et Eichengreen en concluent qu’une union monétaire sans union bancaire est encline à connaître de l’instabilité financière et macroéconomique. La zone euro ne peut éviter d’amples cycles financiers qu’en coordonnant et renforçant la réglementation de ses systèmes bancaires et financiers, notamment en imposant un unique superviseur. Les autorités européennes ont certes mis en place des mesures d'unification bancaire ces dernières années, mais la zone euro reste toujours exposée aux amples cycles financiers et ainsi aux chocs déstabilisateurs, dans la mesure où les régulateurs continuent de s’appuyer sur les modèles internes. 

 

Références

BAYOUMI, Tamim, & Barry EICHENGREEN (1993), « Shocking aspects of European monetary unification », in Francisco Torres & Francesco Giavazzi (dir.), Adjustment and Growth in the European Monetary Union, Cambridge University Press.

BAYOUMI, Tamim, & Barry EICHENGREEN (2017), « Aftershocks of monetary unification: Hysteresis with a financial twist », NBER, working paper, n° 23205, février.

BLANCHARD, Olivier, & Lawrence SUMMERS (1986), « Hysteresis and the European unemployment problem », in NBER Macroeconomics Annual, vol. 1.

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