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7 avril 2017 5 07 /04 /avril /2017 18:09
Pourquoi la croissance de la productivité a-t-elle ralenti ?

La croissance économique a décéléré à travers le monde depuis la crise financière mondiale (cf. graphique 1). Dans une récente contribution pour le FMI, Gustavo Adler, Romain Duval, Davide Furceri, Sinem Kiliç Çelik, Ksenia Koloskova et Marcos Poplawski-Ribeiro (2017) montrent que cela s’explique non seulement par un ralentissement même de l’accumulation des facteurs de production (c’est-à-dire du travail et du capital), mais également par le ralentissement de la croissance de la productivité des facteurs : la qualité et l’efficacité des facteurs de production augmentent moins vite qu’avant la Grande Récession. 

GRAPHIQUE 1  Production par tête : trajectoire effective et tendance d’avant-crise (en indices, base 0 en 2007)

Pourquoi la croissance de la productivité a-t-elle ralenti ?

En effet, la croissance de la productivité globale des facteurs (PGF) a fortement ralenti suite à la crise financière mondiale et elle est restée lente depuis (cf. graphique 2). Ce ralentissement a été généralisé et durable aussi bien dans les pays développés que dans les pays émergents et les pays à faible revenu. Il n’est pas impossible que des erreurs de mesure aient amené à surestimer l’ampleur du ralentissement, en raison notamment du développement des technologies d’information et de communication, mais ce ralentissement est indéniable. En effet, en décomposant les moteurs de la production potentielle, Adler et ses coauteurs constatent qu’un ralentissement marqué de la croissance de la productivité totale des facteurs a contribué en moyenne à 40 % des pertes en production dans les pays développés ; la croissance de la productivité totale des facteurs reste inférieure à son niveau d’avant-crise dans les trois quarts des pays développés. Le ralentissement de la croissance de la PGF explique une part encore plus importante des pertes en production que les pays émergents et en développement ont essuyées. Pour les pays développés et à faible revenu, le ralentissement de la croissance de la PGF a commencé avant la crise financière mondiale ; cette dernière n’a fait que l’amplifier. Les pays émergents connaissaient par contre une accélération de la croissance de leur PGF à la veille de la crise financière mondiale, si bien que c’est cette dernière qui constitue une rupture.

GRAPHIQUE 2  Taux de croissance de la productivité totale des facteurs (moyenne sur 5 ans, en %)

Pourquoi la croissance de la productivité a-t-elle ralenti ?

Gustavo Adler et ses coauteurs ont cherché à évaluer le rôle respectif qu’ont pu jouer la crise et les forces séculaires dans le ralentissement de la productivité. Comme dans le sillage des précédentes récessions sévères, ils rappellent que des des effets d’hystérèse ont été à l’œuvre suite à la récente crise financière mondiale [Blanchard et alii, 2015]. Ceux-ci ne se sont pas seulement exercés via le travail (les chômeurs ont perdu en compétences et ont fini par quitter la population par découragement) et l’accumulation du capital (face à une demande stagnante, les entreprises ont cessé d’investir) ; ils ont également touché la PGF, et ce via trois grands canaux.

Tout d’abord, suite à l’effondrement de Lehman Brothers, en septembre 2008, les conditions financières se sont fortement resserrées à travers le monde. Malgré le fort assouplissement des politiques monétaires, les entreprises, en particulier celles de petite ou moyenne taille, ont vu leur accès au crédit se restreindre. Cela les a désincité à investir, notamment dans les actifs intangibles comme la recherche-développement, or de tels investissements sont essentiels à la PGF. La crise financière, mais également le boom qui l’a précédée, ont nui à l’allocation des capitaux, en les réorientant vers les entreprises les moins productives au détriment des entreprises les plus productives, en particulier dans certains pays européens [Borio et alii, 2016]. Deuxièmement, les pays développés semblent connaître un cercle vicieux où la faiblesse de la demande globale, la faiblesse de l’investissement et la lenteur de la diffusion des nouvelles technologies tendent à s’entretenir mutuellement : la faiblesse des ventes désincite les entreprises à investir, or les nouvelles technologies se diffusent via les achats de bien d’équipements ; l’anticipation d’un ralentissement du progrès technique déprime en retour la demande et notamment l’investissement [Blanchard et alii, 2017]. Troisièmement, une forte incertitude à propos des perspectives économiques et de la politique économique a pu avoir davantage déprimé la croissance de la PGF, en déprimant les investissements à hauts risques, donc à hauts rendements. Ces divers freins que la crise mondiale a posés sur la croissance de la PGF sont susceptibles de s’effacer à mesure que la crise s’éloigne ; ils sont toutefois toujours à l’œuvre, tout particulièrement en Europe continentale, ce qui plaide pour un maintien des politiques accommodantes. 

Gustavo Adler et ses coauteurs soulignent toutefois que les effets de la crise financière mondiale se sont conjugués aux vents contraires structurels qui affectaient la croissance de la PGF avant même que celle-ci éclate. Premièrement, le boom des technologies d’information et de communication que l’on a pu observer à la fin des années 1990 et au début des années 2000 a accéléré la croissance de la productivité globale, mais les gains tirés de cette vague d’innovations se sont ensuite affaiblies et le rythme même de l’innovation dans les pays les plus avancés a ralenti. Deuxièmement, le vieillissement de la population et notamment de la population active a affaibli la croissance de la productivité dans les pays développés à partir des années 1990, puis plus récemment dans le reste du monde. Au cours des années 1990 et des années 2000, le vieillissement démographique a pu amputer la croissance de la PGF de 0,2 à 0,5 points de pourcentage par an dans les pays développés et de 0,1 point de pourcentage par an dans les pays émergents et en développement. Troisièmement, alors qu’il augmentait deux fois plus rapidement que le PIB avant la crise financière mondiale, le commerce international augmente moins rapidement que le PIB depuis 2012. Des facteurs conjoncturels ont joué un rôle déterminant, puisque la faiblesse même de l’activité économique a pesé sur les échanges, mais des facteurs structurels ont également été à l’œuvre, notamment le ralentissement du développement des chaînes de valeur mondiales et de l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale. Or, la moindre concurrence étrangère réduit les incitations des entreprises à accroître l’efficacité de leur production et à innover, tandis que le moindre recours aux biens importés réduit la variété et la qualité des biens intermédiaires auxquels les entreprises ont accès. Quatrièmement, l’accumulation du capital humain a ralenti à partir des années 2000. Au cours de cette décennie, ce ralentissement a pu contribuer à amputer 0,3 points de pourcentage par an à la croissance de la productivité du travail dans les pays développés et émergents. Cinquièmement, alors que les réformes structurelles ont pu contribuer à la forte croissance des pays émergents et en développement au cours des années 2000, elles ont ensuite ralenti. Sixièmement, alors que la réallocation des ressources du secteur agricole (faiblement productif) vers l’industrie a pu contribuer à accélérer la croissance de la productivité dans les pays émergents et en développement, la transformation structurelle que ces derniers connaissent s’avère désormais moins propice aux gains de productivité, dans la mesure où leur activité se réoriente désormais en faveur du tertiaire, réputé moins productif que l’industrie.

 

Références

ADLER, Gustavo, Romain DUVAL, Davide FURCERI, Sinem KILIÇ ÇELIK, Ksenia KOLOSKOVA & Marcos POPLAWSKI-RIBEIRO (2017), « Gone with the headwinds: Global productivity », FMI, staff discussion note, n° 17/04, avril.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », FMI, working paper, novembre.

BLANCHARD, Olivier, Guido LORENZONI & Jean Paul L’HUILLIER (2017), « Short-run effects of lower productivity growth: A twist on the secular stagnation hypothesis », NBER, working paper, n° 23160, février.

BORIO, Claudio, Enisse KHARROUBI, Christian UPPER & Fabrizio ZAMPOLLI (2016), « Labour reallocation and productivity dynamics: financial causes, real consequences », BRI, working paper, n° 534, janvier.

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3 avril 2017 1 03 /04 /avril /2017 17:04
Les hauts revenus et les taux marginaux d’imposition

Que ce soit dans le débat politique ou dans l’analyse économique, il n’y a pas de consensus sur le niveau optimal d’imposition, notamment pour les hauts revenus. Aux Etats-Unis, la question apparaît comme des plus cruciales aujourd’hui : Donald Trump a promis de réduire les impôts, en particulier pour les hauts revenus, en estimant que cela stimulerait la croissance économique, or les Etats-Unis ont connu une forte hausse des inégalités de revenu ces dernières décennies. Comme dans d’autres pays développés, la baisse des taux d’imposition marginaux pour les hauts revenus et la lente érosion de la progressivité de l’impôt ont pu justement contribuer à la concentration des revenus au sommet de la répartition, sans qu’il y ait eu pour autant une accélération manifeste de la croissance.

Selon Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Stefanie Stantcheva (2014), la littérature empirique autour des effets des taux d’imposition sur les revenus primaires a abouti à deux grandes conclusions. D’une part, les plus hauts revenus réagissent aux variations des taux d’imposition. Cette réaction peut être très ample, en particulier à court terme. D’autre part, lorsque l’assiette fiscale est large et qu’il y a peu de niches fiscales, alors les élasticités ne sont jamais très élevées, du moins pas à court et moyen termes. 

En étudiant les données postérieures à 1960, Piketty et ses coauteurs montrent qu’il y a une forte corrélation dans les pays de l’OCDE entre les réductions des taux d’imposition des hauts revenus et la part du revenu que ces derniers détiennent. Pour expliquer cette élasticité, ils mettent en avant trois types d’explications possibles. Selon certains, notamment les théoriciens de l’offre (supply-siders), la réduction des taux d’imposition parmi les plus hauts revenus les incite à davantage travailler, à se lancer davantage dans l’entrepreneuriat, à davantage épargner, etc., ce qui stimule l’activité économique, du moins au sommet de la répartition. Le gouvernement perd certes directement en recettes fiscales, mais ces pertes peuvent être indirectement compensées, voire plus que compensées, par les recettes fiscales générées par le surcroît d’activité. Selon d’autres, la réaction aux variations des taux d’imposition s’expliquerait davantage par les comportements d’évitement fiscal, qui consiste pour les hauts revenus à faire basculer leurs revenus entre revenus du travail et revenus du capital de façon à payer moins d’impôts. Par exemple, les ménages ont intérêt à faire passer un maximum de leurs revenus sous forme de revenus du capital lorsque ces derniers sont moins imposés que les revenus du travail. Enfin, pour d’autres encore, une forte imposition des hauts revenus freine la quête de rentes parmi les salariés les mieux rémunérés. En effet, lorsque les taux marginaux d’imposition pour les hauts revenus sont très élevés, un salarié très bien rémunéré ne retirerait qu’un faible gain à l’obtention d’une hausse de salaire. Par contre, lorsque les taux d’imposition des hauts revenus baissent, ce gain augmente, si bien que les salariés les mieux rémunérés sont incités à négocier plus agressivement pour accroître leur salaire.

Emmanuel Saez (2016) s’est appuyé sur une expérience naturelle pour observer quelles sont les conséquences d’une plus forte imposition des hauts revenus : la hausse d’impôt qui suivit la réélection d’Obama fin 2012. En 2013, les impôts des hauts revenus augmentèrent en effet fortement aux Etats-Unis avec, d’une part, l’instauration de l’Obamacare et, d’autre part, l’expiration des réductions d’impôts accordées par Bush en 2001. Les taux marginaux d’imposition des hauts revenus augmentèrent de 9,5 points pour le revenu du capital et de 6,5 points pour le revenu du travail. Il s’agit de la plus forte hausse d’impôts que les Etats-Unis aient connue depuis les années 1950. Saez note que les revenus déclarés ont été anormalement élevés en 2012 et anormalement faibles en 2013, ce qui suggère que certains ménages ont anticipé la hausse d’impôt et ont ainsi avancé leur revenu pour réduire leur imposition. En l’occurrence, les 1 % les plus riches ont avancé 11 % de leur revenu de 2013 à l’année 2012.  Cela implique une élasticité du revenu vis-à-vis du taux d’imposition particulièrement forte à court terme. En outre, elle est bien plus élevée pour les 0,1 % les plus riches que pour les autres ménages appartenant au centile supérieur, ce qui suggère que ce sont seulement les très hauts revenus qui disposent de la capacité à déplacer dans le temps leur revenu à court terme.

Ensuite, Saez a analysé les réponses à moyen terme en comparant les années 2011 et 2015. Entre ces deux années, les parts du revenu détenues par les 1 % les plus riches ont continué d’augmenter au même rythme qu’entre 2009 et 2011, période au cours de laquelle l’économie américaine avait déjà amorcé sa reprise. La hausse des taux d’imposition des hauts revenus n’a donc pas déprimé les hauts revenus à moyen terme. Au final, les recettes perdues en raison des réactions comportementales n’ont représenté au maximum que 20 % de l’ensemble des recettes attendues. La hausse des taux marginaux d’imposition de 2013 a donc été très efficace pour générer des recettes fiscales supplémentaires. Elle y parvint de façon très progressive, comme les hausses d’impôts furent concentrées parmi les 1 % les plus riches. Pour autant, Saez estime que cette hausse d’impôts ne suffira pas pour inverser la hausse séculaire des inégalités de revenu que les Etats-Unis connaissent depuis les années 1970. 

Elargissant la focale, Enrico Rubolino et Daniel Waldenström (2017a) ont compilé les données relatives à une trentaine de pays entre 1900 et 2014 pour étudier les dynamiques à long terme de l’élasticité à l’impôt des hauts revenus. Leurs résultats montrent que les élasticités à l’impôt des 0,1 % des plus riches varient fortement au cours du temps. Elles étaient moyennes à faibles avant 1950, presque nulles entre la Seconde guerre mondiale et 1980, puis elles se sont accrues pour atteindre des niveaux sans précédents. La hausse de l’élasticité des plus hauts revenus a été tout particulièrement marquée dans les pays anglo-saxons ; elle est peu visible dans les pays d’Europe continentale et les pays nordiques. Les choses ont été tout à fait différentes pour les ménages qui appartiennent à la moitié inférieure du décile supérieur : leur élasticité à l’impôt a été faible tout au long du vingtième siècle. Leur analyse suggère également que le comportement d’évitement fiscal contribue tout particulièrement à façonner l’élasticité des plus hauts revenus vis-à-vis de l’impôt.

Dans une étude en parallèle, Rubolino et Waldenström (2017b) ont également cherché à observer comment les modifications de la progressivité de l’impôt influence la répartition des revenus en étudiant l’impact des réformes fiscales à grande échelle qui ont été menées dans les pays occidentaux durant les années 1980 et 1990. Ils se concentrent tout particulièrement sur les réformes qui ont été menées en Australie en 1987, la Nouvelle-Zélande en 1989 et la Norvège en 1992. Ces réformes ont eu pour objectif et pour effet de réduire la progressivité des systèmes fiscaux. Elles suivaient en cela les préconisations des théoriciens de l’offre : la réduction de la pression fiscale, en particulier pour les ménages les plus aisés, devait selon eux stimuler la croissance économique. Rubolino et Waldenström constatent que les réductions dans la progressivité de l’impôt consécutives aux réformes fiscales ont tout particulièrement accru les parts de revenu détenues par les plus riches. La part du revenu des 1 % des ménages les plus riches a augmenté de 20 à 50 %. Les effets sont les plus amples parmi les ménages les plus riches, puisque la part du revenu des 0,1 % les plus riches a augmenté de 50 à 100 %, tandis que la moitié inférieure du décile supérieur s’en est trouvée très peu affectée. Les effets ont été durables, supérieurs à une décennie. Ces résultats s’expliquent surtout par la réduction des taux d’imposition marginaux des plus hauts revenus et peu par la réduction de la progressivité globale de la fiscalité. Rubolino et Waldenström ont ensuite cherché à déterminer l’impact des réformes sur l’efficience économique en observant le comportement du PIB par tête, du nombre de dépôts de brevet par tête et des recettes fiscales ; ils constatent qu’aucune de ces trois mesures de l’activité économique n’a été affectée. L’impact sur la part des hauts revenus s’explique essentiellement par une redistribution des ressources existantes et non par la création de nouvelles ressources par l’élite. A nouveau, les réformes ont surtout amené les ménages à hauts revenus à modifier leur comportement en matière d’optimisation fiscale. 

 

Références

PIKETTY, Thomas, Emmanuel SAEZ & Stefanie Stantcheva (2014), « Optimal taxation of top labor incomes: A tale of three elasticities », in American Economic Journal: Economic Policy, vol. 6, n° 1.

RUBOLINO, Enrico, & Daniel WALDENSTRÖM (2017a), « Trends and gradients in top tax elasticities: Cross-country evidence, 1900-2014 », CEPR, discussion paper, n° 11935.

RUBOLINO, Enrico, & Daniel WALDENSTRÖM (2017b), « Tax progressivity and top incomes: Evidence from tax reforms », CEPR, discussion paper, n° 11936.

SAEZ, Emmanuel (2016), « Taxing the rich more: Preliminary evidence from the 2013 tax increase », NBER, working paper, n° 22798.

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31 mars 2017 5 31 /03 /mars /2017 18:00
L'inéluctable déclin de l’immigration peu qualifiée aux Etats-Unis

L’immigration a occupé une place importante dans la récente campagne présidentielle aux Etats-Unis. Donald Trump a non seulement joué sur la peur que suscite le terrorisme islamique, mais aussi la menace que constitue, selon lui, l’immigration illégale pour l’emploi et les salaires des citoyens étasuniens. Ainsi, parmi ses premières décisions en tant que Président, ont figuré l’interdiction de séjour (rapidement avortée) pour les citoyens issus de certains pays musulmans, mais aussi le lancement de la construction d’un mur à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, mur censé freiner l'immigration illégale du premier vers ces derniers.

Les Etats-Unis ont effectivement connu un grand afflux d’immigrés illégaux ces dernières décennies. Selon le Pew Research Center, le nombre d’immigrés sans papiers a augmenté en moyenne de 510.000 individus par an entre 1990 et 2007. Il représentait environ les deux tiers de la population adulte américaine qui était née à l’étranger et qui avait suivi une scolarité au maximum douze ans. Cette vague d’immigrés a contribué à accroître aux Etats-Unis le nombre de travailleurs peu qualifiés nés à l’étranger : le nombre d’immigrés en âge de travailler et ayant au maximum douze ans de scolarité a plus que doublé entre 1990 et 2007, puisqu’il est passé au cours de cette période de 8,5 à 17,8 millions d’individus.

Gordon Hanson, Chen Liu et Craig McIntosh (2017) ont étudié comment le volume et la composition de l’immigration peu qualifiée a évolué au cours du temps aux Etats-Unis. Ils notent que, contrairement à ce que peuvent suggérer les médias et les déclarations de Trump, le territoire étasunien est devenu moins attractif pour les migrants peu qualifiés depuis la Grande Récession. En effet, le nombre d’immigrants sans papiers a diminué en termes absolus entre 2007 et 2014, tandis que la population globale de travailleurs peu qualifiés qui sont nés à l’étranger est restée globalement stable.

Ce recul de l’immigration n’est, selon eux, pas surprenant. D’une part, il s’explique aisément par le dynamisme, ou plutôt le manque de dynamisme, de l’économie américaine : la Grande Récession a été provoquée par un effondrement du marché immobilier, or la construction constitue le deuxième plus grand secteur d’embauche pour les immigrés sans papiers et le troisième secteur d’embauche pour les immigrés peu qualifiés. Plus globalement, la faiblesse persistante de la croissance américaine depuis la crise financière a pu durablement réduire l’incitation à y migrer pour les potentiels immigrés. D’autre part, environ la moitié des immigrés peu qualifiés aux Etats-Unis provient du Mexique, tandis qu’un quart provient du reste de l’Amérique latine. Or ces pays ont connu une forte réduction de leurs taux de fécondité à partir de la fin des années 1970. Ils ont donc connu un fort ralentissement de la croissance de leur population active à partir des années 2000, ce qui a mécaniquement freiné l’émigration.

D’autres facteurs ont contribué à réduire l’émigration peu qualifiée à destination des Etats-Unis, notamment le renforcement même de la politique migratoire américaine. Par exemple, le nombre d’agents de patrouille aux frontières a doublé entre 2000 et 2010 : il est passé au cours de la période de 8.600 à 17.500 agents et il demeure encore aujourd’hui à des niveaux historiquement élevés. En outre, le nombre de reconductions à la frontière d’étrangers non criminels est passé de 116.000 en 2001 à une moyenne de 226.000 par an entre 2007 et 2015. Or ce renforcement de la politique migratoire américaine a ainsi réduit, d’une part, l’attrait des potentiels migrants pour les Etats-Unis et, d’autre part, la population de sans papiers déjà présente aux Etats-Unis.

Au final, Hanson et ses coauteurs jugent tout particulièrement anachronique l’actuel débat qui se tient aux Etats-Unis autour de l’immigration. La grande vague d’immigration qu’ont connue les Etats-Unis à la fin du vingtième siècle s’expliquait par la vigueur de leur croissance économique et par la forte natalité des pays latino-américains. Avec le ralentissement durable de la croissance économique aux Etats-Unis et de la natalité en Amérique latine, les Etats-Unis ont naturellement basculé dans un régime de faible immigration. Comme les principaux pays d’origine des migrants à destination des Etats-Unis vont continuer de connaître une faible croissance de l’offre de travail relativement aux Etats-Unis ces prochaines décennies, l’émigration de jeunes peu qualifiés vers les Etats-Unis risque de davantage décliner, et ce même si les Etats-Unis ne resserrent pas davantage leur politique migratoire.

 

Référence

HANSON, Gordon, Chen LIU & Craig MCINTOSH (2017), « Along the watchtower: The rise and fall of U.S. low-skilled immigration », Brookings Paper on Economic Activity, mars.

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