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5 mars 2017 7 05 /03 /mars /2017 09:48
Quelles sont les causes et conséquences du ralentissement de l’investissement dans les pays en développement ?

Entre 2003 et 2008, la croissance de l’investissement a atteint des sommets historiques dans les pays en développement en atteignant environ 12 % par an, c’est-à-dire un niveau plus de deux fois supérieur à la moyenne de long terme, en l’occurrence 5 %. Elle a pu non seulement contribuer à la forte accélération de la croissance économique dans le monde émergent et cette dernière a pu en retour l’alimenter. Le boom de l’investissement a été particulièrement prononcé dans les pays exportateurs de matières premières, qui ont bénéficié de la forte hausse du prix de ces dernières au début des années 2000. L’investissement a fortement chuté au cours de la crise financière mondiale, mais il a connu un puissant rebond en 2010 dans les pays en développement, notamment via l’adoption de plans de relance.

GRAPHIQUE  Croissance trimestrielle de l'investissement dans les pays émergents (en %)

Quelles sont les causes et conséquences du ralentissement de l’investissement dans les pays en développement ?

Par contre, depuis 2010, la croissance de l’investissement a brutalement ralenti dans les pays en développement et notamment les pays émergents (cf. graphique). En moyenne, selon l’analyse d’Ayhan Kose, Franziska Ohnsorge, Lei Sandy Ye et Ergys Islamaj (2017), elle est passée de 10,2 % en 2010 à 3,4 % en 2015. En 2016, elle a probablement diminué de plus d’un demi-point de pourcentage. La croissance de l’investissement n’a pas seulement été inférieure à sa moyenne d’avant-crise ; elle est aussi inférieure à sa moyenne de long terme dans plus des deux tiers des pays en développement en 2015, si bien que le ralentissement s’est révélé être généralisé. Le ralentissement de l’investissement est tout particulièrement prononcé dans les plus grands pays émergents et dans les exportateurs de matières premières. En l’occurrence, les pays dont la croissance de l’investissement est inférieure à son niveau de long terme représentent 35 % du PIB mondial et 71 % de la population mondiale ; plus largement, l’ensemble des pays en développement contribuent à 45 % de l’investissement mondial et aux deux tiers de la croissance mondiale de l’investissement entre 2010 et 2015. Kose et ses coauteurs notent aussi que le ralentissement a aussi bien touché l’investissement privé que l’investissement public. La croissance de l’investissement reste plus anémique et sa faiblesse a été plus persistante qu’à la suite des précédents ralentissements de l’activité mondiale. Les enquêtes de prévisions de long terme suggèrent que la faiblesse de l’investissement va encore persister.

Dans les pays importateurs de matières premières, le ralentissement de la croissance de l’investissement s’explique essentiellement par la chute des entrées d’IDE et par la faiblesse persistante de l’activité dans les plus grandes économies. Dans les pays exportateurs de matières premières, le ralentissement de la croissance de l’investissement s’explique essentiellement par la détérioration brutale des termes de l’échange. En effet, la plupart des prix des matières premières ont en effet chuté depuis qu’ils ont atteint leur pic en 2011 : les prix des métaux et de l’énergie ont chuté de plus de 40 %. Or, environ les deux tiers des pays en développement dépendent de l’exportation d’énergie, de métaux et de biens agricoles. Ainsi, les termes de l’échange des exportateurs de matières premières se sont détériorés de 4 % depuis 2011 ; les termes de l’échange des exportateurs de pétrole ont chuté de 21 %. Les hauts fardeaux de dette privée ont également tout particulièrement pesé sur l’investissement dans les pays exportateurs de matières premières : un cinquième des pays en développement ont un ratio crédit privé sur PIB supérieur à 60 % en 2015, soit le niveau le plus élevé depuis 1990. Enfin, l’incertitude entourant la politique économique et le risque politique ont en outre contribué au ralentissement de l’investissement dans plusieurs pays en développement, notamment avec l’intensification des tensions géopolitiques en Europe de l’est et au Moyen-Orient.

Kose et ses coauteurs mettent ainsi tout particulièrement l’accent sur les effets de débordement associés aux plus grandes économies. En effet, au cours des cinq dernières années, la croissance des pays développés a systématiquement été inférieure aux prévisions, en partie à cause de l’héritage même de la crise mondiale. Or les pays développés jouent un rôle essentiel en tant que partenaires à l’échange et sources d’IDE pour de nombreux pays en développement, si bien que la faiblesse de l’activité parmi les premiers a pesé sur la croissance et l’investissement des seconds. Lorsque la croissance de la production ralentit de 1 point de pourcentage aux Etats-Unis et dans la zone euro, la croissance de la production dans les pays en développement s’en trouve amputée de 0,8 à 1,3 point de pourcentage au cours de l’année suivante. Dans les pays en développement, la croissance de l’investissement réagit deux fois plus fortement que la croissance de la production aux variations de la production dans les pays développés. Les pays développés ne sont toutefois pas les seules grandes économies dont la faiblesse de l’activité a pesé sur l’investissement des pays en développement. En effet, la croissance de l’investissement a fortement chuté en Chine, ce qui a contribué à réduire les prix internationaux de matières premières et ainsi à affecter les pays qui exportent ces derniers, mais aussi pesé sur la croissance des autres pays en développement.

Ensuite, Kose et ses coauteurs zooment sur le rôle de la dette privée. Ils rappellent que l’affaiblissement de l’investissement s’est produit dans un contexte de conditions financières particulièrement souples. Les taux directeurs des banques centrales des pays développés ont en effet été nuls ou proches de zéro depuis la crise financière mondiale. La croissance du crédit privé s’en est trouvée stimulée dans le monde en développement. En l’occurrence, la croissance du crédit privé dans près de 30 pays en développement a été proche ou supérieure aux niveaux associés aux booms du crédit à un moment ou à un autre sur la période entre 2010 et 2015. Au cours de l’histoire, 40 % des booms du crédit ont coïncidé avec des hausses de l’investissement. Or les booms du crédit observés depuis 2010 ne se sont pas accompagnés d’une hausse de l’investissement, mais plutôt une hausse rapide de la consommation. Par le passé, lorsque de tels booms du crédit se sont défaits, la production s’est davantage contractée que lorsque le boom du crédit s’était accompagné d’une hausse de l’investissement.

Kose et ses coauteurs se tournent enfin sur les implications à long terme de la faiblesse de l’investissement. Ils rappellent que l’investissement ne contribue pas seulement à accroître les capacités de production et la productivité des travailleurs ; il contribue à la diffusion du progrès technique, dans la mesure où celui-ci « s’incarne » dans les biens d’équipement. Ainsi, le ralentissement de l’investissement contribue non seulement à freiner l’accumulation du capital, donc de la production ; il contribue aussi à freiner la productivité globale des facteurs. Le ralentissement de la croissance potentielle qui en résulte risque alors de contribuer en retour à la faiblesse de l’investissement.

 

Référence

Kose, M. Ayhan, Franziska Ohnsorge, Lei Sandy YE & Ergys Islamaj (2017), « Weakness in Investment Growth. Causes, Implications and Policy Responses », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7990.

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1 mars 2017 3 01 /03 /mars /2017 22:09
La TVA, un impôt inégalitaire ?

Après l’introduction de l’impôt sur le revenu personnel, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’est révélée être l’une des plus grandes innovations en matière de fiscalité. Il y a une soixantaine d’années, elle n’existait qu’en France.  Aujourd’hui, elle fait partie du système fiscal d’une majorité de pays : en 2007, elle rapportait 20 % de l’ensemble des recettes fiscales et affectait 4 milliards de personnes dans le monde [Keen et Lockwood, 2007]. C’est dans les années 1960 que l’usage de la TVA commence à se diffuser à travers le monde, tout d’abord via les pays européens, puis les pays latino-américains. L’adoption d’une TVA par les pays en développement a plutôt été récente : beaucoup d’entre eux, notamment en Afrique subsaharienne, l’ont adopté au cours des années 1990. Très souvent, l’introduction de la TVA s’est accompagnée d’une baisse des tarifs douaniers. 

GRAPHIQUE  Nombre de pays dans le monde ayant adopté la TVA

La TVA, un impôt inégalitaire ?

source : Alavuotunki et alii (2017)

La TVA présente en effet plusieurs avantages pour les autorités publiques. Dans la mesure où il s’agit d’un impôt indirect, elle est relativement indolore : ce sont les ménages qui la supportent, à travers leurs dépenses de consommation, mais ce ne sont pas eux qui la versent aux administrations publiques, si bien qu’ils n’ont pas pleinement conscience de s’acquitter d’un impôt lors de leurs achats. Dans leur analyse empirique sur données macroéconomiques, Michael Keen et Ben Lockwood (2007) ont constaté que la TVA constituait une source efficace de recettes fiscales, dans la mesure où elle a permis aux gouvernements qui l’ont adopté de gagner bien plus de recettes que s’ils ne l’avaient pas fait. D’un autre côté, beaucoup ont décrié la TVA comme étant un impôt régressif. En effet, les ménages payent le même taux de TVA qu’importe leur niveau de revenu, or les ménages consacrent une part d’autant moins importante à la consommation que leur revenu est élevé, si bien que les ménages supportent d’autant plus la TVA que leur revenu est faible. Autrement dit, la TVA pourrait contribuer à accroître les inégalités de revenu. Cependant, certains ont suggéré que la TVA a beau constituer un impôt régressif, elle est moins régressive que les tarifs douaniers qu’elle a eu tendance à remplacer. D’autre part, les recettes fiscales que les autorités publiques tirent de la TVA peuvent être utilisées pour financer le versement d’aides sociales et les services publics, or ceux-ci contribuent à réduire les inégalités de revenu. Autrement dit, sur le seul plan théorique, l’impact de la TVA sur les inégalités apparaît ambigu.

Kaisa Alavuotunki, Mika Haapanen et Jukka Pirttilä (2017) ont alors étudié l’impact que peut avoir l’introduction d’une TVA sur les inégalités et les recettes publiques en utilisant de nouvelles données empiriques au niveau macroéconomique, notamment celles issues de la World Income Inequality Database (WIID). Ils ont notamment cherché à actualiser et à affiner les résultats obtenus par Keen et Lockwwod. Ils constatent qu’en moyenne l’adoption d’une TVA n’a pas entraîné une hausse des inégalités. Surtout, lorsque les inégalités sont mesurées à partir de la consommation, les données ne suggèrent pas que l’introduction d’une TVA tende à alimenter les inégalités. Par contre, plusieurs preuves empiriques robustes suggèrent que, lorsqu’elles sont mesurées à partir du revenu disponible, les inégalités ont davantage augmenté dans les pays qui ont introduit une TVA plutôt que les autres. Dans la mesure où les pays pour lesquels les inégalités sont mesurées en utilisant un coefficient de Gini basé sur le revenu sont souvent des pays à haut revenu, alors les résultats suggèrent qu’il n’y a donc pas de preuves empiriques suggérant que la TVA ait creusé des écarts de bien-être dans le cas des pays à faible revenu. Dans la mesure où il y a très peu de données exploitables pour déterminer les inégalités dans les pays à faible revenu en se basant sur le revenu, Alavuotunki et ses coauteurs ne peuvent donc analyser comment la TVA influe exactement dans ces pays sur les inégalités de revenu.

 

Références

ALAVUOTUNKI, Kaisa, Mika HAAPANEN & Jukka PIRTTILÄ (2017), « The consequences of the value-added tax on inequality », CESIFO, working paper, n° 6318.

KEEN, Michael, & Ben LOCKWOOD (2007), « The value-added tax: Its causes and consequences », FMI, working paper, n°  07/183.

Observatoire des inégalités (2012), « La TVA est-elle juste ? », 8 novembre.

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24 février 2017 5 24 /02 /février /2017 14:16
La géographie des régimes de change en ce début de vingt-et-unième siècle

Plusieurs études ont montré que la réalité des pratiques de change (de facto) ne correspond pas forcément au régime de change (de jure) annoncé officiellement par les autorités monétaires. Par exemple, Guillermo Calvo et Carmen Reinhart (2002) ont constaté que le comportement des taux de change et des réserves de change de plusieurs pays qui déclaraient laisser leur monnaie flotter librement se distinguait peu de celui des pays qui déclaraient contrôler le flottement de leur monnaie, ce qui suggéraient qu’une grande partie des premiers ne laissaient pas aussi librement flotter leur monnaie qu’ils ne l’annonçaient. Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2004) estiment en outre qu’il faut prendre en compte le taux sur le marché des changes parallèle pour jauger du degré de flexibilité exact des taux de change ; c’est crucial dans le cas des pays émergents aujourd’hui comme dans le cas des pays développés, en particulier européens, durant l’ère de Bretton Woods. En effet, lorsque les primes de change sont élevées sur le marché parallèle, le taux de change de ce dernier offre une meilleure indication de l’orientation sous-jacente de la politique monétaire que le taux de change officiel (qui est souvent ancré sur une autre devise). Pour cette raison, les régimes de change de facto ne sont jamais aussi rigides que ne l’annoncent les autorités monétaires.

GRAPHIQUE 1  Géographie des régimes de taux de change en 1950

La géographie des régimes de change en ce début de vingt-et-unième siècle

En étudiant un échantillon de 194 pays pour la période s’étalant entre 1946 et 2016, Ethan Ilzetzki, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2017) constatent que la littérature a surestimé l’adoption de régimes de change plus souples après la fin du système de Bretton Woods ; le fait que le FMI classe depuis 2007 les pays-membres de la zone euro comme ayant des taux de change flottants a notamment contribué à fausser la perception des choses. En fait, les régimes de flexibilité limitée restent majoritaires. En effet, les taux de change peu flexibles concernent environ 80 % de l’ensemble des pays et environ la moitié du PIB mondial ; le décalage entre ces deux chiffres s’explique par le fait que certaines des économies les plus riches laissent librement flotter leur monnaie et que les plus grands pays émergents ont récemment adopté des régimes de flottement contrôlé. En outre, si l’on compare aux années du système de Bretton Woods, les régimes intermédiaires sont plus fréquents. Les ancrages de jure et les bandes étroites annoncées sont moins communes aujourd’hui. Les effondrements de devise qui accompagnent les épisodes de forte inflation sont également moins fréquents en ce début de vingt-et-unième siècle ; mais au lieu de considérer comme beaucoup que ces situations relèvent du flottement libre, Ilzetzki et ses coauteurs préfèrent parler de « chute libre ». Au final, ils notent que de plus en plus de pays ont adopté un flottement contrôlé et que le flottement libre n’est toujours adopté que par une poignée de pays. 

GRAPHIQUE 2  Géographie des régimes de taux de change en 2015

La géographie des régimes de change en ce début de vingt-et-unième siècle

Ilzetzki et ses coauteurs montrent aussi que le dollar américain est au moins aussi dominant aujourd’hui en tant que devise de réserve et de référence qu’il l’a été dans les premiers temps de l’ère de Bretton Woods. Il reste la principale devise sur laquelle les pays ancrent leur monnaie. Selon certains indicateurs, le dollar est même encore plus utilisé aujourd’hui qu’il y a 70 ans. L’euro est certes la deuxième devise la plus utilisée au monde, mais loin derrière le dollar. L’introduction de la monnaie unique a consolidé la zone franc et la zone deutschemark, mais la progression de l’usage de l’euro dans le monde semble avoir atteint un palier ces dernières années. Selon certains indicateurs, son importance dans le monde pourrait même avoir décliné, avec la décroissance de la part de la zone euro dans la production mondiale. Aucune devise, même le renminbi, ne concurrence toutefois pour l’instant l’euro. En effet, malgré le rôle de plus en plus important de la Chine dans la production et les échanges mondiaux, sa devise reste trop liée au dollar.

Les données relatives aux restrictions de change que compilent Ilzetzki et ses coauteurs confirment l’approfondissement de l’intégration des marchés de capitaux depuis les années 1940. En 1946, environ 70 % des pays indépendants avaient soit un taux de change dual, soit un taux de change multiple, soit des marchés de change parallèles actifs avec de substantielles primes de change. En 2016, la part s’élevait à environ 20 %, malgré une forte hausse depuis 2014. Toutefois, l’approfondissement de l’intégration des marchés de capitaux ne s’est pas opéré de façon régulière ; elle s’est par exemple stoppée entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1990, avant de reprendre à un rythme soutenu.

Enfin, Ilzetzki et alii suggèrent que l’accumulation record de réserves de change après 2002 s’explique par la volonté de plusieurs pays de stabiliser leurs taux de change dans un environnement où les marchés des capitaux sont de plus en plus intégrés. D’une certaine façon, les réserves ont joué le rôle de substitut aux contrôles de capitaux. En outre, les actifs de réserve sont toujours émis dans leur majorité par les Etats-Unis, si bien que la situation est propice à l’apparition d’un dilemme à la Triffin. Mais à la différence de l’époque de Bretton Woods, celui-ci ne résulte pas de la demande de réserves émanant des autres pays développés, mais de celle émanant des pays émergents. Le désir de stabiliser les taux de change a pu contribuer à ce phénomène. Enfin, Ilzetzki et ses coauteurs notent que le numéraire pour les réserves n’est plus lié à une offre d’or en faible progression comme durant les années 1970, mais à une offre de biens et services américains en faible progression.

 

Références

CALVO, Guillermo A., & Carmen M. REINHART (2002), « Fear of floating », in Quarterly Journal of Economics, vol. 117, n° 2.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2017), « Exchange arrangements entering the 21st century: Which anchor will hold? », NBER, working paper, n° 23134

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2004), « The modern history of exchange rate arrangements: A reinterpretation », in Quarterly Journal of Economics, vol. 119, n° 1.

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