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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 18:56

Why Investors See Low Inflation for the Next 10 Years

Ces dernières décennies, non seulement les taux d’inflation ont eu tendance à diminuer, mais leur volatilité s'est également amoindrie. Les prix sont restés particulièrement stables pendant et après la Grande Récession, malgré le puissant déclin de l'activité et la dramatique hausse du chômage. Les précédentes récessions ont généralement été associées à un fort ralentissement de l’inflation. Par exemple, entre 1980 et 1982, lorsque le taux de chômage est passé aux Etats-Unis de 4,5 % à 10,8 %, le taux d’inflation est passé de 12 % à 4,5 %. Par contre, entre 2007 et 2009, le taux de chômage s'est élevé encore plus fortement aux Etats-Unis et pourtant l’inflation n’a que faiblement diminué : elle est passée de 2,4 % à 1,7 %. Malgré la persistance du chômage, le taux d’inflation reste, aux Etats-Unis comme dans de nombreux autres pays avancés, très proche de 2 %. Même si les taux d’inflation, au cours de cette période, ont pu être dans certains pays au-dessus ou en-dessous de la cible suivie par les autorités monétaires, les anticipations de l’inflation future sont quant à elles bien restées proches de celle-ci. La récente contraction de l’activité mondiale aurait dû entraîner une puissante désinflation, voire même générer une déflation : la hausse du chômage aurait dû contenir les revendications salariales et les entreprises réduire leurs prix pour écouler leurs stocks d’invendus.

La remarquable résistance de la stabilité des prix et l’absence de déflation sont l’un des mystères de la Grande Récession et de la période qui lui est consécutive. Deux principales explications ont été avancées. Certains ont estimé que la stabilité de l’inflation lors de la crise économique signifiait que les écarts de production (output gaps) étaient faibles et que la remontée du chômage correspondait essentiellement à une hausse du chômage structurel. Par conséquent, les niveaux actuellement élevés du chômage exercent moins d’influence sur les salaires et les prix que par le passé. Au cours d’une récession typique, lorsque le chômage est élevé, la modération des revendications salariales et la baisse de la demande globale se traduisent par un ralentissement de l’inflation. En revanche, si de nombreux chômeurs ne peuvent efficacement se concurrencer dans leur recherche d’emploi, ils ont moins d’influence sur les salaires des travailleurs occupés, si bien que le chômage perd de son influence sur les prix des biens et services. Par exemple, le chômage de longue durée a atteint des niveaux historiques au cours de la Grande Récession. Or, plus les travailleurs passent de temps au chômage, plus leur capital humain se dégrade : leur santé se dégrade, leurs compétences s’effritent ou ne correspondent plus aux qualifications des emplois disponibles. Autrement dit, les chômeurs deviennent peu à peu inemployables. Ce niveau élevé de chômage de longue durée pourrait ainsi suggérer que la composante structurelle du chômage est importante. Il réduit en outre la production potentielle, donc il resserre les écarts de production. Par conséquent, selon cette interprétation, une poursuite de l'assouplissement monétaire pourrait éventuellement réduire le chômage, mais au prix d’une forte accélération de l’inflation, comme ce fut le cas lors des années soixante-dix. 

D’autres affirment que la stabilité de l’inflation reflète avant tout la réussite des banques centrales à ancrer les anticipations d’inflation et par là à stabiliser l’inflation. Si les agents anticipent une hausse future des prix, les travailleurs exigent dès à présent des hausses salariales, si bien que les anticipations se traduisent par une accélération immédiate de l’inflation. Au début des années quatre-vingt, lorsque les anticipations d’inflation furent élevées, les banques centrales durent adopter des mesures agressives, puis ont ciblé explicitement de faible inflation, ce qui leur permit de gagner en crédibilité et de fermement ancrer les anticipations. Puisque les travailleurs s’attendent à ce que les prix n’augmentent que faiblement, ils restreignent leurs revendications salariales, ce qui permet aux entreprises de contenir leurs coûts de production. Réciproquement, lorsque la crise économique survient, un tel ancrage des anticipations désamorce les pressions déflationnistes. En effet, si les agents n’anticipent pas une baisse des prix, alors les travailleurs sont moins susceptibles d’accepter les baisses de salaires. De leur côté, si les entreprises anticipent des salaires stables, elles se montrent réticentes à réduire leurs prix. 

Outre la crédibilité des banques centrales, la présence de rigidités peut notamment jouer un rôle : certains suggèrent que l’inflation, lorsqu’elle atteint de faibles niveaux, devient plus visqueuse et moins sensible aux fluctuations de l’activité. Par exemple, les salariés pourraient alors résister aux diminutions de leurs salaires et empêcher ainsi les entreprises de réduire leurs prix lorsque la demande globale diminue. Les nouveaux keynésiens mettent en l’occurrence l’accent sur l’existence de coûts de catalogue (menu costs) : il peut être coûteux pour les entreprises d’ajuster leurs prix nominaux, si bien qu’elles les modifient peu fréquemment lorsque l’inflation est faible. De même, la mondialisation peut avoir rendu l’inflation plus sensible à la demande mondiale plutôt qu’à la demande domestique. Surtout, l’ouverture des pays émergents au commerce international se révèle être une source majeure de désinflation.

Dans une récente étude, le FMI (2013) vient conforter la deuxième hypothèse. Depuis 1990, les taux anticipés d’inflation se sont effectivement rapprochés des niveaux ciblés par les banques centrales. Les anticipations se sont révélées moins sensibles aux écarts observés entre le taux d’inflation et la cible. Les marchés semblent croire que les banques centrales sont capables de ramener l’inflation à sa cible et cette croyance contribue elle-même à la stabilisation des prix. Avec le meilleur ancrage de l’inflation, les liens entre cette dernière et d’autres indicateurs économiques se sont affaiblis. Dans les économies avancées, l’inflation est devenue moins sensible aux ralentissements de l’activité économique. La courbe de Phillips est notamment bien plus plate que par le passé, si bien que le chômage affecte désormais moins l’inflation qu’auparavant. Sans la rupture de cette relation, les Etats-Unis auraient connu des taux de déflation proches de 3 % au cours de la Grande Récession. L’absence de pressions déflationnistes ne peut donc en soi suggérer que la hausse du chômage soit essentiellement structurelle.

Cette étude a une importante implication pour la politique économique. Elle suggère que la politique monétaire accommodante n’est pas susceptible d’être significativement inflationniste, aussi longtemps que les anticipations d’inflation restent solidement ancrées. Les craintes d’une accélération de l’inflation ne doivent donc pas empêcher les banques centrales de poursuive l’assouplissement de leur politique monétaire pour stimuler l’activité et ramener l’économie au plein emploi. En outre, l’affaiblissement du lien entre chômage et inflation peut conduire les banques centrales à sous-estimer la sévérité des chocs économiques et finalement à ne pas adopter les mesures adéquates. Si la déflation avait éclaté ces dernières années, les autorités monétaires auraient réagi plus rapidement et plus fortement face au ralentissement de l’activité. Par conséquent, puisque l’inflation n’est plus un indicateur pertinent de la demande globale, les banques centrales doivent nécessairement prendre en compte d’autres variables. Cela implique notamment de redéfinir le concept de production potentielle que de nombreuses banques centrales considèrent comme essentiel à la conduite de la politique monétaire.

De nombreux déséquilibres peuvent ne pas entraîner une inflation des prix à la consommation. Pire, une inflation faible et stable peut se traduire par un accroissement de la volatilité de d’autres variables économiques. La stabilité des prix a pu en effet alimenter l’endettement et les prises de risque qui ont conduit à la crise financière. Dans la première moitié des années deux mille, plusieurs économies ont en effet connu une inflation des prix d’actifs, notamment sur le marché immobilier, alors que l’inflation des prix à la consommation était contenue. Ces bulles immobilières ont contribué à fragiliser le système financier mondial et leur éclatement a fait basculer l’économie mondiale dans la récession. Ici, la crédibilité des banques centrales se révèle à « double tranchant » : la stabilité des prix insuffle un faux sentiment de sécurité et les agents privés sont convaincus que les autorités monétaires assurent la stabilité tant macroéconomique que financière, ce qui les amène à multiplier les prises de risque [Borio et alii, 2003]. Il n’est pas non plus étonnant que ces dernières décennies aient été l’occasion de gains de capital élevés et d’une plus forte volatilité des cours boursiers : une inflation faible et stable augmente le rendement du capital en comprimant la croissance des salaires. De cette manière, elle peut accroître les inégalités de revenu. Or, le creusement des inégalités a pu elle-même contribuer à l’accumulation des déséquilibres macroéconomiques et, après la crise, freiner la reprise de l’activité. La stabilité des prix ne signifie donc pas que les déséquilibres macroéconomiques soient absents, ni que la stabilité financière soit assurée. 

 

Références

AVENT, Ryan (2013), « Monetary policy: The mystery of stable prices », in Free Exchange (blog), 11 avril. 

BORIO, Claudio, B. ENGLISH & A. FILARDO (2003), « A tale of two perspectives: Old or new challenges for monetary policy », BIS working paper, n° 127.

The Economist (2013), « The death of inflation », 13 avril. 

FMI (2013), « The dog that didn’t bark: Has inflation been muzzled or was it just sleeping? », in World Economic Outlook: Hopes, Realities, Risks, chapitre 3, avril.

KRUGMAN, Paul (2013), « Missing deflation », in The Conscience of a Liberal (blog), 13 avril.

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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 22:06

Ces dernières décennies, la mondialisation des échanges, marquée par l’essor des pays émergents, et le progrès techniques, notamment la révolution informatique, sont à l’origine de profonds changements structurels au sein des économies avancées et y ont immanquablement transformé l’emploi. Or, depuis les années soixante-dix, les économies avancées connaissent également un élargissement des inégalités de revenu et, pour plusieurs d’entre elles, un chômage persistant, si bien que de nombreuses études ont suggéré que ceux-ci trouvaient finalement une explication, ne serait-ce que partielle, dans le commerce extérieur et le changement technologique.

D’une part, le progrès technique a pu être biaisé en défaveur du travail peu qualifié : en accroissant les besoins en capital humain et en permettant aux entreprises d’automatiser les tâches de production routinières qui étaient traditionnellement réalisées par les travailleurs de qualification intermédiaire, les nouvelles technologies auraient augmenté la demande pour la main-d’œuvre qualifiée. D’autre part, l’intégration des pays émergents dans le commerce international est quant à elle susceptible d’avoir déprimé les salaires et accéléré les destructions d’emplois dans les pays avancés. Non seulement les produits des pays émergents, plus complétifs en raisons de leur faible coût du travail, viennent directement concurrencer les produits des pays avancés, mais les entreprises des seconds sont aussi amenées à délocaliser une partie de leur production dans les premiers, en l’occurrence celle intensive en main-d’œuvre peu qualifiée. Si l’ouverture au commerce international tend à diminuer les inégalités internationales en profitant aux travailleurs peu qualifiés des pays en développement, elle risque en revanche d’accroître les inégalités au sein des pays avancés en dégradant les salaires et l’emploi des moins qualifiés au sein des pays développés. Au final, la mondialisation et le progrès technique sont susceptibles d’avoir polarisé les marchés du travail et exacerbé les inégalités salariales au profit des travailleurs les plus qualifiés, tout en exposant toujours plus fortement les travailleurs les moins qualifiés au chômage. 

David H. Autor, David Dorn et Gordon H. Hanson (2013) ont décomposé le territoire des Etats-Unis en 722 zones d’emplois. Ils ont ensuite cherché à distinguer l’impact que le commerce international et le progrès technologique ont pu respectivement avoir sur l’emploi dans chacune d’entre elles entre 1990 et 2007, une période où la concurrence chinoise s’est particulièrement accrue : la part des biens importés de Chine parmi l’ensemble des achats américains de biens est en effet passée de 0,2 % en 1987 à 4,8 % en 2007. L’analyse suggère que les marchés du travail dont la composition sectorielle les expose à la concurrence chinoise connaissent des chutes significatives de l’emploi, en particulier pour l’industrie manufacturière et pour les travailleurs non diplômés. Aux Etats-Unis, la concurrence étrangère a donc effectivement eu tendance à accroître le chômage de ces derniers.

L’exposition au changement technologique semble au contraire neutre pour le niveau d’emploi. En effet, les marchés du travail qui connaissent un processus d’informatisation ne connaissent aucun déclin de l’emploi. En revanche, ces mêmes marchés du travail connaissent une polarisation significative des emplois, aussi bien dans les secteurs manufacturiers que non manufacturiers : les emplois de tâches routinières et les emplois de bureau sont l’objet d’une destruction accélérée, tandis que les emplois cognitifs (managers, techniciens, etc.) et les emplois intensifs en tâches manuelles connaissent une forte croissance. Les emplois hautement qualifiés (donc très rémunérés) et les emplois non qualifiés (donc peu rémunérés) ont ainsi connu une expansion au détriment des emplois moyennement qualifiés. Autrement dit, le progrès technique semble bel et bien avoir contribué à la hausse des inégalités salariales aux Etats-Unis et les auteurs suggèrent qu'une telle dynamique est également à l'oeuvre dans les autres pays avancés.

Autor et alii constatent enfin que les effets des échanges internationaux et du progrès techniques sur l’emploi ont profondément varié au cours du temps. Durant les années deux mille, les répercussions du commerce international se sont devenues plus amples avec l’accélération des importations de produits chinois. Sur la même période, les répercussions de la technologie sur la composition de l’emploi se sont diluées dans l’industrie manufacturière, tandis qu’elles s’intensifiaient dans les secteurs non manufacturiers, ce qui suggère une informatisation de plus en plus poussée du traitement de l’information au sein de ces derniers. 

 

Références

AUTOR, David H., David DORN & Gordon H. HANSON (2013), « Untangling trade and technology: Evidence from local labor markets », NBER working paper, n° 18938, avril.

 

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7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 14:58

L’investissement n’importe pas pour sa seule influence sur l’accumulation du capital et, par là, sur les capacités de production. Comme l’expose Keynes dans sa Théorie générale, il constitue également une composante essentielle de la demande agrégée et contribue directement à l’émergence des cycles d’affaires. L’explication keynésienne du cycle par l’investissement est toutefois incomplète, car elle suppose implicitement que les entreprises obtiendront un financement pour leurs dépenses. Or, même si un projet d’investissement est rentable, l’entrepreneur peut tout simplement ne pas avoir suffisamment de ressources financières pour le mettre en œuvre. Hyman Minsky s’est alors évertué à compléter la théorie keynésienne de l’investissement en développant une théorie financière de l’investissement. 

Lorsque Minsky écrit dans les années soixante et soixante-dix, la théorie dominante supposait une neutralité de la structure financière des entreprises aux variables réelles de l’économie: celles-ci seraient fondamentalement déterminées par la technologie et les préférences des agents. Pour Minsky au contraire, les variables financières, aux côtés de l’incertitude, sont de puissants déterminants dans l’accumulation du capital. Minsky met particulièrement l’accent sur le levier d’endettement utilisé par l’entreprise et la robustesse de son bilan. Les entreprises investissent pour maximiser leurs flux de trésorerie ; les profits engendrés par l’investissement rétroagissent sur la structure financière. Lorsque la firme a jugé qu’un projet d’investissement était viable, elle doit trouver le financement nécessaire pour le mettre en œuvre. Si les profits sont insuffisants, elle devra se tourner vers les fonds externes. Or, la disponibilité et le coût du financement externe pour une entreprise dépendent de sa structure financière passée, c’est-à-dire des charges financières qui apparaissent dans son bilan suite à ses dépenses passées d’investissement. Le prêteur fait face à un risque en accordant un crédit. Il modulera les taux d’intérêt, l’échéance du prêt et les exigences en termes de garanties selon sa perception du risque. Le coût du financement externe excède le coût d’opportunité des flux de trésorerie d’un montant qui dépend à la fois de la robustesse du bilan et des conditions prévalant sur les marchés du crédit. Or, comme ces facteurs financiers varient au cours du temps, l’investissement au niveau agrégé va lui-même être sujet à des fluctuations. 

Chez Minsky, les interactions entre l’investissement et la finance sont à l’origine de l’instabilité financière et génèrent par là les cycles d’affaires. Une expansion de l’investissement au niveau agrégé élève les profits, ce qui permet aux entreprises d’obtenir les flux de trésorerie nécessaires pour assurer le service de la dette en cours et pour financer leurs dépenses futures d’investissement. La croissance des cash flows génère des ressources immédiatement disponibles pour l’autofinancement et facilite également l’accès au crédit. En effet, les banques, convaincues que les emprunteurs sont capables de supporter un surcroît d’endettement, abaissent leurs taux d’intérêt, allongent la maturité des prêts et réduisent leurs exigences en termes de garanties. Une période prolongée de croissance économique incite les agents à sous-estimer les risques et à recourir excessivement au financement externe. Les entreprises sont alors incitées à s’endetter et les banques à accorder davantage de prêts. Le plus grand usage du levier d’endettement qui résulte du boom d’investissement vient nourrir en retour ce dernier tout en fragilisant la structure financière des entreprises et par conséquent l’économie dans son ensemble : c’est le paradoxe de la tranquillité. Le boom subsiste tant que les anticipations de rendement sont vérifiées pour valider la dette contractée par l’investissement passé. Un tarissement des flux de profit va non seulement freiner l’investissement, mais aussi contraindre le service de la dette en cours. Les entreprises, pour faire face à leurs engagements de paiement, vendent alors leurs actifs en catastrophe, ce qui entraîne la chute des prix et complique leur désendettement. Face à la multiplication des défauts, les prêteurs durcissent les conditions de financement, ce qui amplifie la contraction de l’investissement et de l’activité.

Depuis la fin des années soixante-dix, les nouveaux keynésiens ont formalisé les intuitions de Minsky. Ils ont introduit les asymétries d’information pour mettre en évidence les contraintes de financement auxquelles les entreprises font face dans les décisions d’investissement. L’information est asymétrique sur les marchés du crédit car les entreprises ont une meilleure idée de la qualité de leurs projets d’investissement et donc de leur probabilité de remboursement que les banques [Stiglitz et Weiss, 1981]. Puisqu’elles ne peuvent pleinement juger des projets d’investissement, les banques réclament une prime de financement externe pour se prémunir contre le risque de défaut des emprunteurs. Cette hausse des taux d’intérêt accroît le poids de l’endettement, or seules les entreprises les plus risquées seront enclines à accepter de telles conditions de financement. Pour éviter de sélectionner les mauvais clients, les banques peuvent alors réduire leur volume de prêts. En définitive, les entreprises qui disposaient initialement de projets d’investissement viables peuvent être incapables de les mettre en œuvre en raison de conditions de crédit excessivement dures ou du rationnement du crédit. Les contraintes de financement générées par les problèmes d’antisélection et d’aléa moral amènent les entreprises à privilégier l’autofinancement. Elles sont en l’occurrence particulièrement fortes sur les PME, puisque celles-ci ne disposent pas d’accès aux marchés des capitaux. En présence d’une prime de financement externe, les flux de trésorerie générés par l’entreprise ont en outre un faible coût d’opportunité. La croissance des cash flows réduit alors la nécessité d’emprunter ou de lever des fonds propres, réduit le coût marginal du financement et stimule les dépenses d’investissement des entreprises. De nombreux travaux, à la suite de l’article réalisé par Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) en prolongement aux travaux de Minsky, ont ainsi cherché à évaluer la sensibilité de l’investissement aux flux de trésorerie. 

La nouvelle économie keynésienne souligne l’importance du canal du crédit pour les dynamiques de l’investissement et de la production. Les dépenses d’investissement dépendent de l’accès au crédit, or la politique monétaire façonne directement ce dernier. Par exemple, un resserrement de la politique monétaire ne se traduit pas seulement par une hausse des taux d’intérêt et du coût du capital ; il entraîne également une réduction de l’offre du crédit bancaire et exacerbe les contraintes pesant sur le financement de l’investissement. Les analyses construites autour de l’accélérateur financier ont en outre mis à jour l’existence d’un canal du bilan. Comme dans le modèle minskyen, la prime que les firmes doivent payer pour obtenir un financement externe dépend de leur bilan. Une hausse de l’endettement des entreprises ou un déclin de leur valeur nette réduisent la valeur de leurs collatéraux et entraînent une hausse de la prime de financement externe, si bien que les dépenses d’investissement et la capacité de production se contractent. Si un ralentissement de l’activité est à l’origine du déclin de la valeur nette des entreprises, la récession s’aggrave. Les imperfections financières amplifient ainsi les chocs en les diffusant à l’ensemble de l’économie. Avec le concept d’accélérateur financier, les plus récentes analyses orthodoxes sont donc amenées à souligner l’importance des facteurs financiers dans les fluctuations conjoncturelles. Toutefois, ceux-ci apparaissent dans ce corpus théorique comme de simples mécanismes de propagation des chocs. Les analyses des nouveaux keynésiens contribuent ainsi à expliquer pourquoi les fluctuations de l’investissement et de la production peuvent être particulièrement amples, mais elles échouent à mettre à jour la source même de cette volatilité. 

Mary Amiti et David Weinstein (2013) ont examiné l’impact des chocs touchant l’offre de crédit sur les taux d’investissement au niveau agrégé afin de saisir l’importance de ces chocs dans les fluctuations du PIB. Les auteurs observent les dynamiques du crédit au Japon entre 1990 et 2010. Le degré élevé de concentration parmi les institutions financières signifie que les banques individuelles sont relativement larges par rapport à la taille de l’économie. L’observation de l’activité de prêt au Japon suggère que les chocs d’offre de crédit sont un déterminant majeur de l’investissement des entreprises dépendantes du crédit, notamment des firmes cotées, c’est-à-dire qui disposent d’un accès au financement de marché. Les chocs touchant spécifiquement les institutions financières de grande taille peuvent profondément affecter le prêt et l’investissement. En effet, l’étude suggère que 40 % des fluctuations de ces variables s’expliquent par ces chocs « granulaires ». Les destins propres aux institutions financières de grande taille apparaissent en définitive comme un important déterminant de l’investissement et de l’activité économique réelle. 

 

Références

AMITI, Mary, & David E. WEINSTEIN (2013), « How much do bank shocks affect investment? Evidence from matched bank-firm loan data », NBER working paper, n° 18890, mars.

FAZZARI, Steven M. (1999), « Minsky and the mainstream: Has recent research rediscovered financial keynesianism? », Jerome Levy Economics Institute of Bard College, working paper, n° 278, août.

FAZZARI, Steven M., R. Glenn HUBBARD & Bruce C. PETERSEN (1988), « Financing constraints and corporate investment », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1988, n° 1.

MINSKY, Hyman P. (1975), John Maynard Keynes, Columbia University Press.

MINSKY, Hyman P. (1986), Stabilizing an Unstable Economy, Yale University Press.

STIGLITZ, Joseph E., & Andrew WEISS (1981), « Credit rationing in markets with imperfect information », in American Economic Review, vol. 71.

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