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9 juillet 2013 2 09 /07 /juillet /2013 02:20

Les économies avancées sortent de la Grande Récession avec un niveau élevé de dette publique. La crainte de voir leur endettement suivre une trajectoire insoutenable a incité les Etats à adopter des plans d’austérité pour réduire rapidement les ratios dette publique sur PIB. Ces tentatives de consolidation budgétaire sont toutefois susceptibles d’échouer lorsque l’activité est déprimée et les agents privés cherchent eux-mêmes à se désendetter. Dans un tel contexte, les multiplicateurs budgétaires sont en effet élevés, si bien que les baisses de dépenses publiques et les hausses d’impôt risquent d’endommager bien plus amplement l’activité économique qu’ils ne parviennent à réduire le montant de la dette. A l’extrême, les plans d’austérité peuvent entraîner une hausse des ratios dette publique sur PIB si le dénominateur diminue plus rapidement que le numérateur. Par conséquent, les keynésiens estiment de leur côté que les gouvernements doivent privilégier la restauration du plein et relancer immédiatement l’activité en accroissant leurs dépenses : certes, le volume de dette publique risque alors de s’accroître à court terme, mais l’accélération subséquente de la croissance permettra à l’Etat de percevoir davantage de recettes fiscales et finalement de stabiliser à moyen terme la trajectoire de l’endettement public. Or, la relance budgétaire n’est pas non plus dénuée de risques. En l’occurrence, rien n’assure que le creusement du déficit stimulera l’activité.

La solution idéale serait finalement de réduire les ratios dette publique sur PIB en accroissant le dénominateur. L’idée est alors de modifier la composition des dépenses publiques de manière à maximiser la croissance économique, c’est-à-dire en compensant la hausse de certaines dépenses par la baisse des autres dépenses. Pour déterminer quel poste de dépenses les autorités budgétaires devraient alors favoriser, Santiago Acosta-Ormaechea et Atsuyoshi Morozumi (2013) ont observé un échantillon de 56 pays sur la période s’écoulant entre 1970 et 2010. Leur analyse suggère que les réallocations des dépenses du gouvernement entre différents postes (qu’il s’agisse de la défense, des infrastructures, de la santé et de la protection sociale) ne sont généralement pas associées à une accélération de la croissance. Il y a toutefois une exception : une hausse des dépenses d’éducation, même à budget constant, est associée à une plus forte croissance à long terme. 

Ces résultats rejoignent les conclusions des théories de la croissance endogène. Robert Lucas (1988), parmi d’autres, a en effet affirmé que l’accumulation de capital humain jouait un rôle crucial dans la croissance économique. L’accumulation de capital humain accroît directement la productivité des travailleurs. En outre, puisque l’usage des technologies et l’activité de recherche-développement nécessitent des compétences, l’accumulation de capital humain accroît indirectement la productivité en accélérant l’innovation et la diffusion des technologies. Une économie éloignée de la frontière technologique accélèrera alors son processus de rattrapage sur les économies avancées, tandis qu’une économie qui se situe déjà sur la frontière pourra la repousser plus rapidement en élevant son taux d’innovation. Comme le suggèrent à nouveau Acosta-Ormaechea et Morozumi, les dépenses publiques d’éducation peuvent donc contribuer à stimuler la croissance à long terme en favorisant l’accumulation de capital humain. Si cet investissement public peut ne pas stimuler immédiatement l’activité, ni améliorer les finances publiques à court terme, il s’avère toutefois essentiel pour les pays avancés au sein desquels le vieillissement tendra durablement à réduire le potentiel de croissance et à dégrader les finances publiques. 


Références

ACOSTA-ORMAECHEA, Santiago, & Atsuyoshi MOROZUMI (2013), « Can a government enhance long-run growth by changing the composition of public expenditure? », IMF working paper, n° 13/162, juillet.

LUCAS, Robert (1988), « On the mechanics of economic development », in Journal of Monetary Economics, vol. 22.

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2 juillet 2013 2 02 /07 /juillet /2013 16:38

Plusieurs auteurs ont pris en référence le système de l’étalon-or pour souligner la dangerosité des contraintes que la zone euro fait peser sur les Etats-membres ou pour montrer comment la fixité des changes peut accentuer les turbulences en période de crise. Michael Bordo et Harold James (2013) ont alors comparé les deux systèmes monétaires, pour ensuite analyser l’actuelle crise européenne au regard des crises financières de l’étalon-or. 

Les comparaisons institutionnelles sont justifiées. L’étalon-or et l’union économique et monétaire (UEM) sont deux systèmes monétaires reposant sur des taux de change fixes et l’orthodoxie monétaire et budgétaire. Sous l’étalon-or, la contrainte monétaire passait par la convertibilité des devises en une certaine quantité de métal ; dans l’UEM, elle est imposée par une banque centrale indépendante ciblant la stabilité des prix. Sous les deux régimes monétaires, les déficits budgétaires menacent l’objectif monétaire, donc les Etats doivent faire preuve d’orthodoxie budgétaire. A l’époque de l’étalon-or, les pays avaient peu de marge pour accroître la pression fiscale, donc les dépenses publiques s’en trouvaient contraintes. Au sein de l’UEM par contre, les critères de convergence et le pacte de stabilité et de croissance ont été établis dans un contexte de niveaux de dépenses et dette publiques bien plus élevés. Par contre, l’étalon-or repose sur une règle conditionnelle. La convertibilité est temporairement suspendue dans certaines circonstances exceptionnelles, en l’occurrence lors des guerres, au cours de laquelle la dette publique tend à fortement augmenter. Une fois le conflit terminé, le pays doit revenir à la convertibilité et réintroduire le taux de change initial, ce qui nécessite souvent que le pays passe par une période d’adaptation où il adopte des politiques déflationnistes. La règle conditionnelle a pu alors offrir une marge de manœuvre à la politique budgétaire en cas de circonstances exceptionnelles. Il est par contre plus difficile d’établir des « circonstances exceptionnelles » dans l’UEM, puisque la hausse des dépenses répond à une pression sociétale. 

Une fois le système monétaire créé, il devient plus attractif d’y adhérer. Les deux systèmes ont l’avantage d’établir un étalon monétaire en commun, ce qui facilite les échanges. Il favorise également l’accès au financement pour les économies « périphériques ». Les pays sous-développés sont en effet confrontés au péché originel, incapables d’emprunter dans leur propre monnaie. Ainsi, parce qu’ils sont justement sous-développés, ils peuvent ne pas dégager suffisamment d’épargne, ni attirer suffisamment de capitaux étrangers pour impulser leur développement. En adhérant au système monétaire international, les nouveaux membres pouvaient espérer voir leurs coûts de financement diminuer et les capitaux affluer, mais l’orthodoxie monétaire et budgétaire leur imposait toutefois une période prolongée d’austérité. La contrainte imposée par la fixité des changes était particulièrement forte dans l'entre-deux-guerres : si les banques centrales des pays créditeurs comme les Etats-Unis et la France stérilisaient les entrées d'or, les pays débiteurs subissaient par contre de puissantes forces déflationnistes. 

En adhérant au système monétaire international, les pays en développement prenaient le risque d’accumuler de profonds déséquilibres financiers et budgétaires. L’histoire de l’étalon-or est ainsi émaillée d’arrêts soudains dans les flux de capitaux. Les pays créditeurs restreignaient le crédit lorsqu’ils étaient frappés par un choc domestique ou lorsqu’ils craignaient que certains événements se produisent au sein des pays débiteurs. Or, les flux de capitaux ont pu justement être à l’origine de déséquilibres macrofinanciers dans les économies qui en furent la destination. Les entrées de capitaux étaient susceptibles d’alimenter une expansion insoutenable du crédit. Les déséquilibres bancaires furent souvent la cause immédiate de l’arrêt soudain des entrées de capitaux et entraînèrent parfois la faillite des établissements de crédit, sans pour autant que le régime de change soit nécessairement remis en cause. L’expansion pouvait également s’accompagner d’une détérioration des finances publiques, comme ce fut le cas en Argentine. L’accroissement de la dette publique se traduisait par une hausse des coûts de financement et celle-ci aggravait en retour les déséquilibres budgétaires, si bien que la politique budgétaire se révélait incapable d’assurer la stabilité macroéconomique et de respecter la règle de convertibilité, voire elle pouvait elle-même devenir une source d’instabilité. Surtout, l’ajustement déflationniste imposé par l’appartenance à l’étalon-or et l’occurrence des crises financières menaçaient la stabilité politique. C’est finalement la contestation populaire qui limita la possibilité d’ajustement macroéconomique. Elle se cristallisait autour du nationalisme et du protectionnisme, en particulier dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres.

L’observation de l’étalon-or met en évidence de multiples trinités impossibles. Selon le trilemme macroéconomique traditionnel, une économie ne peut assurer simultanément la fixité des taux de change, les flux de capitaux et l’autonomie de la politique monétaire [Rodrik, 2007]. Trois autres trilemmes ont également été à l’œuvre sous l’étalon-or. Au niveau du secteur financier, le libre mouvement des capitaux dans un cadre de changes fixes n’est pas compatible avec la stabilité financière. Dans le cadre des relations internationales, il ne peut y avoir simultanément fixité des changes, flux de capitaux et indépendance des politiques domestiques. Enfin, le processus de démocratisation est remis en cause dans un régime de change fixe où il y a libre mouvement des capitaux.

Bordo et James se penchent ensuite sur le processus d’unification monétaire en Europe et le fonctionnement de la zone euro. La libéralisation financière des années quatre-vingt a permis aux déséquilibres de compte courant de s’accumuler plus durablement, si bien que ceux-ci étaient susceptibles de se dénouer violemment. La menace d’une telle correction a convaincu les responsables européens que l’unification monétaire épargnerait aux Etats-membres de subir de façon récurrente des crises et des réalignements de taux de change qui auraient déstabilisé le marché commun. En adhérant à l’union monétaire, les pays périphériques ont cherché à réduire leurs coûts de financement et à accéder aux capitaux du noyau pour stimuler leur développement.

L’entrée dans l’UEM a conduit à une forte diminution et convergence des primes de risque souverain, ce qui rendit moins impérieux de réduire la propension à s’endetter. Si les années quatre-vingt-dix virent une convergence budgétaire, les années deux mille marquent une détérioration de la discipline budgétaire. L’UEM ne s’est finalement montrée efficace comme mécanisme disciplinant qu’avant son entrée en vigueur. La décision du Conseil européen de ne pas lancer de procédure de déficit excessif contre la France et l’Allemagne en 2003 a donné un coup fatal à la discipline budgétaire au sein de la zone monétaire. Au niveau mondial, les marchés se sont eux-mêmes montrés enclins à financer un volume massif de dette publique des pays avancés, car ils percevaient leurs titres souverains comme des actifs sans risque.

L’UEM a reproduit la logique de l’étalon-or, mais en renforçant les trilemmes. Les mouvements de capitaux se sont révélés perturbateurs, en particulier pour les petits pays. Avec le processus d’intégration et l’accès à un financement peu cher, la Grèce, l’Espagne et l’Irlande ont connu une période de forte croissance économique, une explosion de l’activité bancaire et le gonflement de bulles sur les marchés d'actifs. Dans de nombreux pays, la taille du secteur bancaire excédait celle de l’économie et les établissements bancaires étaient trop grands pour que le gouvernement national puisse assurer leur éventuel sauvetage. L’expansion de l’activité bancaire était soutenable tant que l’endettement public apparaissait lui-même soutenable. Les marchés considéraient qu’il n’y avait pas de limites au volume d’endettement que le secteur privé et l’Etat pouvaient accumuler. Ils exigeaient de faibles primes de risque car ils étaient convaincus que le noyau de la zone euro serait forcé de sauver les pays périphériques en cas de crise financière ou budgétaire. C’est à partir des élections grecques d’octobre 2009 que les marchés doutent de la soutenabilité des dettes publiques. Le sommet de Deauville a également marqué un tournant en octobre 2010 : en suggérant une restructuration de la dette grecque, les déclarations de Merkel et de Sarkozy ont accéléré la divergence entre les rendements obligataires, notamment au détriment des dettes italienne et espagnole qui étaient perçues jusqu’alors comme soutenables.

Dans le cadre de l’UEM, à la différence de l’étalon-or, les pays ne peuvent procéder à un ajustement de taux de change, ce qui exige de réduire plus amplement la dette pour la rendre soutenable. Cette réduction pose la question de la répartition des pertes entre les agents privés et les institutions publiques, ce qui n’est pas sans rappeler les débats de l’entre-deux-guerres sur le paiement des dettes allemandes. En excluant une clause conditionnelle, le système est apparu dans un premier temps résilient, mais cette apparente résilience a finalement dissimulé la profondeur des déséquilibres et surtout l’ampleur de l’ajustement macroéconomique que leur correction exige. Tout comme les économies débitrices sous l'étalon-or (en particulier dans l'entre-deux-guerre), les pays de la périphérie européenne font face à de fortes pressions déflationnistes. Mais puisqu'ils ne peuvent recourir à la dépréciation de leur devise, la crise qu'ils subissent se révèle finalement bien plus sévère que les crises que l’Argentine et les autres économies ont pu connaître sous l’étalon-or. Elle alimente déjà une méfiance des vis-à-vis des institutions européennes ; la poursuite des politiques d'austérité pourrait également se révéler être une puissante source d'instabilité politique.

 

Références 

BORDO, Michael D., & Harold JAMES (2013), « The European crisis in the context of the history of previous financial crises », NBER working paper, n° 19112, juin.

RODRIK, Dani (2007), « The inescapable trilemma of the world economy », juin. 

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25 juin 2013 2 25 /06 /juin /2013 21:59

La Banque des règlements internationaux (BRI) a remis ce dimanche son rapport pour l'année écoulée. Elle y déplore le faible rythme de la croissance. Celle-ci ne tient toutefois pas seulement à la crise. Les économies avancées font face, selon elle, à de profonds problèmes structurels. Ces dernières années, les gains de productivité ont été faibles, en particulier dans les pays où les déséquilibres ont été les plus aigus. En s’hypertrophiant, les secteurs de la finance et de l’immobilier ont non seulement été à l’origine des déséquilibres qui ont mené à la crise, mais ils ont par également détourné de nombreuses ressources hors de l’innovation ; leur forte contraction a par la suite donné un coup d’arrêt à la croissance. Aujourd’hui, les rigidités structurelles, qui touchent aussi bien les marchés des produits que le marché du travail, contrarient la réallocation du travail et du capital, ce qui empêche la destruction créatrice de suivre pleinement son cours. Les autorités publiques doivent alors mettre en œuvre les réformes structurelles permettant d’allouer les ressources économiques vers les secteurs les plus productifs.

Le surendettement des ménages et des entreprises continue de peser sur la croissance. Par conséquent, les agents privés doivent poursuivre le nettoyage de leur bilan. La crise mondiale a aussi fortement creusé les déficits publics et amené la dette publique à des niveaux historiques. A moyen terme, le vieillissement des populations va elle-même fortement peser sur les finances publiques. A très court terme, les taux à long terme sont susceptibles de brutalement s'élever, ce qui accroîtrait fortement le fardeau de la dette. Les pertes sur les seuls titres du Trésor américain pourraient atteindre mille milliards de dollars si les rendements grimpent de 300 points de base. La France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni pourraient alors perdre entre 15 à 35 % de leur PIB. Les déséquilibres budgétaires menacent ainsi directement la stabilité financière. Même si les marchés obligataires ne connaissent pas de turbulences, un niveau élevé de dette publique est susceptible de nuire à la croissance. La BRI estime alors crucial que les Etats redoublent leurs efforts de consolidation pour maintenir leur endettement sur une trajectoire soutenable, préserver la stabilité financière et favoriser la croissance économique. Retarder les efforts d’assainissement ne pourrait qu’en accroître les coûts à l’avenir. Un vaste plan d’assainissement budgétaire concentré sur sa phase initiale préserverait la confiance des épargnants et maintiendrait les primes de risque souverain à un faible niveau, ce qui réduirait la probabilité que les Etats aient à procéder à des plans d’austérité désordonnés sous la pression des marchés. 

Pourtant, la BRI estime que les Etats n’ont pas profité du temps de répit apporté par les autorités monétaires pour mettre en œuvre les réformes structurelles nécessaires, ni même pour assainir les finances publiques. En ramenant leur taux directeur au plus proche de leur niveau plancher et en procédant à de larges achats d’actifs, les banques centrales ont en effet permis de stabiliser les conditions de financement. Ces mesures exceptionnelles ont enrayé les tensions financières et amorti la chute de l’activité lors de la Grande Récession. Depuis 2007, l’actif de l’ensemble des banques centrales a doublé et atteint désormais 30 % du PIB mondial. Or, la BRI considère que les taux zéro et l’assouplissement quantitatif nuisent désormais davantage à l’activité qu’ils ne la favorisent. D’une part, le potentiel de l’économie est certainement surestimé, puisque le boom d’avant-crise a dissimulé une mauvaise allocation des ressources. En outre, l’analyse des précédentes crises financières suggère qu’elles réduisent en général fortement la production potentielle. Puisque l’écart de production (output gap) est plus  faible qu’attendu, les banques centrales ne peuvent que faiblement stimuler l’activité, et ce d’autant plus que les primes de risque et les taux d’intérêt sont déjà historiquement bas. D’autre part, la persistance du taux d’intérêt à un faible niveau peut créer des distorsions à long terme, en favorisant une prise de risque excessive sur les marchés financiers, en alimentant des bulles et déséquilibres sectoriels ou justement en incitant les Etats à retarder les efforts de consolidation budgétaire. La politique monétaire avait déjà été excessivement accommodante tout au long des années deux mille, ce qui avait alimenté les déséquilibres qui ont conduit à la Grande Récession. Avec les taux directeurs exceptionnellement bas dans les pays avancés, les pays émergents ont dû faire face à l’appréciation de leur taux de change et à des afflux de capitaux potentiellement déstabilisateurs. En raison de ces diverses inquiétudes, la BRI recommande aux banques centrales non seulement de ne plus chercher à stimuler l’activité, mais au contraire de relever les taux directeurs. Cette manœuvre renforcerait la stabilité financière plus qu’elle ne la menacerait. Certes le resserrement de la politique monétaire américaine avait conduit à une crise sur les marchés obligataires en 1994, mais aujourd’hui les banques centrales sont bien plus transparentes et savent mieux gérer les anticipations. En outre, le développement des innovations financières a permis aux investisseurs de se couvrir plus efficacement. 

Le rapport de la BRI a suscité une vague de réactions hostiles. Qu’il s’agisse de l’analyse de la crise mondiale ou des recommandations en termes de politique économique, plusieurs économistes déplorent qu’elle entre en étroite résonance avec les théories de l’école autrichienne [Avent, 2012 ; Evans-Pritchard, 2013]. La conception du cycle que développe la BRI est hayékienne : le « malinvestissement » qui fut entrepris lors du boom doit à présent être sanctionné par une crise. Tant que les déséquilibres subsistent, la croissance ne pourra retrouver un rythme soutenable. Le retournement de l’activité apparaît comme une étape essentielle dans le processus de destruction créatrice, donc le premier doit arriver à son terme pour que le second puisse jouer à plein. 

La BRI accepte l’idée selon laquelle la crise et la faiblesse de la reprise reposent (du moins en partie) sur une insuffisance de la demande globale. Toutefois, elle n’appelle pas à stimuler la demande, mais seulement à adopter des politiques structurelles, c’est-à-dire qui favorisent l’offre. Or, pour Antonio Fatas (2013), qu’il y ait effectivement ou non des problèmes structurels, les économies avancées font encore face à un large écart de demande. Fatas rejette également l’idée que les politiques budgétaire et monétaire se soient montrées extrêmement accommodantes que ce soit lors de la crise ou sur l'ensemble de la dernière décennie. Pour lui, au contraire, les politiques conjoncturelles poursuivies lors de la Grande Récession ont été moins expansionnistes que lors des précédents ralentissements de l'activité, ce qui expliquerait notamment la faiblesse de la reprise actuelle. En particulier, si la politique monétaire s’était effectivement montrée trop accommodante ces 13 dernières années, elle aurait provoqué une accélération de l’inflation, ce qui n’est pas le cas. Une politique monétaire est accommodante non pas quand le taux d’intérêt est faible en valeur absolue, mais lorsqu’il est inférieur au taux d’intérêt d’équilibre [Avent, 2012]. Avec la hausse de l’épargne et l’écroulement de l’investissement au niveau mondial, la crise s’est traduite par une chute de ce dernier. A partir de 2008, le taux d’intérêt tel que l’impliquait une règle de Taylor était (parfois substantiellement) négatif dans plusieurs économies, si bien que les banques centrales ont eu beau ramener leurs taux à leur niveau plancher, les politiques monétaires se sont révélées excessivement restrictives durant la Grande Récession. Si les banques centrales fixaient effectivement leur taux directeur à 3 % comme le suggère la BRI, l’impact restrictif de la politique monétaire sur l’activité en serait alors dramatiquement amplifié.

Scott Sumner estime que repousser la fin de l’assouplissement quantitatif et des taux zéro à une date ultérieure n’est pas en soi nuisible à l’activité ; le risque est plutôt celui de faire basculer l’économie mondiale dans la dépression en normalisant hâtivement les politiques conjoncturelles [Evans-Pritchard, 2013]. Lorsque la Fed retarda la normalisation de la politique monétaire en 1951, les dommages furent réduits et rapidement contenus. En revanche, aux Etats-Unis en 1937 ou au Japon en 2000, les autorités monétaires resserrèrent trop rapidement la politique monétaire et l’économie plongea à nouveau en récession. Sumner craint en particulier que la zone euro connaisse le même régime déflationniste que l’économie japonaise si elle suit les conseils de la BRI et persiste à mener des politiques d’austérité. La crise du crédit subprime démontre en outre que l’innovation financière n’a pas permis aux agents financiers de réduire leur exposition aux risques, mais plutôt d’en prendre davantage. Un resserrement précoce de la politique monétaire est donc bel et bien susceptible par entraîner une crise obligataire comme en 1994. En envisageant d’arrêter plus rapidement que prévu l’assouplissement monétaire, la dernière réunion de la Fed a déjà conduit à une plus forte volatilité sur les marchés financiers et une hausse rapide des rendements obligataires. 

Pour sa part, Paul Krugman (2013) s’étonne que la BRI ignore plusieurs études qui ont récemment jeté un nouveau regard sur la politique économique, mais s’appuie par contre sur certains travaux (aujourd’hui discrédités) de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2010) pour démontrer la dangerosité d’un niveau élevé d'endettement public pour l’activité économique. Simon Wren-Lewis (2013) rejette les arguments que la BRI avance pour justifier un resserrement immédiat de la politique budgétaire. Même si une réduction de la dette publique est favorable à la croissance, cela ne signifie aucunement que les Etats aient à consolider leurs finances au cœur d’une récession. Si les agents privés et publics se désendettent simultanément au niveau mondial, la remontée des taux d’épargne se traduira par une forte chute de la demande globale. Les ratios dette sur PIB sont alors susceptibles de s’élever à nouveau si le dénominateur chute plus rapidement que le numérateur. Non seulement l’austérité budgétaire est susceptible de pénaliser l’activité, mais les autorités risquent également d’atteindre le résultat opposé à celui recherché. La BRI déplore que les ratios de dette aient justement fortement augmenté dans plusieurs pays avancés, mais les pays avancés qui ont connu les plus fortes hausses du ratio (en l’occurrence l’Irlande, le Portugal, le Royaume-Uni et la Grèce) sont justement ceux qui poursuivent une austérité débridée. L’impact des plans d’austérité budgétaire sur l’activité économique pourrait être amorti avec un assouplissement de la politique monétaire, mais la BRI exclut cette possibilité en exigeant un relèvement des taux. Elle conteste ainsi l’idée largement répandue selon laquelle la politique monétaire expansionniste est nécessaire lorsque les gouvernements consolident leurs finances ou mettent en œuvre des réformes structurelles [Evans-Pritchard, 2013].

Matthew Yglesias (2013) s’interroge sur le lien que la BRI semble établir entre la politique monétaire et les autres volets de politique économique. Selon lui, l’idée de rendre les banques centrales indépendantes consistait finalement à donner une directive précise (en l’occurrence, celle de stabiliser la demande) à un groupe d’experts qui aurait toute latitude pour la respecter. Or, selon la conception de la banque centrale que semblent partager la BRI et la BCE, celle-ci joue un rôle de « super-gouvernement » en concevant un véritable programme de politique économique et en utilisant la politique monétaire comme levier pour le faire appliquer. La BRI estime en l’occurrence que les économies avancées nécessitent des politiques structurelles. Puisque la détente monétaire réduit l’incitation à mettre en œuvre les politiques structurelles, la banque centrale aurait alors à resserrer sa politique monétaire pour accélérer leur adoption. Ryan Avent retrouve dans les rapports de la BRI ce qu’il considère être comme l’une des plus graves erreurs que commettent actuellement les banquiers centraux, en l’occurrence celle de négliger leur champ d’action légitime (en l’occurrence celui de la demande) pour investir des territoires échappant à leur juridiction (notamment la politique budgétaire, la politique sociale, etc.) et pour influencer les décisions des autres institutions économiques, notamment celles qui ont été démocratiquement constituées.

 

Références

AVENT, Ryan (2012), « The twilight of the central banker », in Free Exchange (blog), 26 juin.

BRI (2013), rapport annuel, n° 83. 

EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2013), « BIS fears fresh bank crisis from global bond spike », in The Telegraph, 24 juin.

FATAS, Antonio (2013), « BIS: Bank for inconsistent studies », in Antonio Fatás and Ilian Mihov on the Global Economy (blog), 24 juin.

KRUGMAN, Paul (2013), « Dead-enders in dark suits », in The Conscience of a Liberal (blog), 24 juin. 

REINHART, Carmen, & Kenneth ROGOFF (2010), « Growth in a time of debt », in American Economic Review, vol. 100, n° 2, mai.

WREN-LEWIS, Simon (2013), « The intellectual bankruptcy of the austerians », in Mainly Macro (blog), 24 juin.

YGLESIAS, Matthew (2013), « Bank for International Settlements calls on central banks to whip the naughty children into line”, in Money Box (blog), 24 juin.

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