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6 septembre 2013 5 06 /09 /septembre /2013 11:04

La mondialisation s’est accompagnée de turbulences sur les marchés financiers internationaux et notamment d’une plus forte volatilité des flux de capitaux. Les économies avancées et émergentes ont connu une hausse massive des entrées de capitaux bruts à partir du milieu des années quatre-vingt-dix (cf. graphique). Les pays émergents sont devenus de plus en plus attrayants pour les investisseurs extérieurs et leurs propres résidents ont de plus en plus investi dans le reste du monde. Les entrées déclinent en 2008 avec le basculement de l’économie mondiale dans la Grande Récession. Bien que la crise se soit concentrée dans les pays avancés, les pays émergents n’ont pas été épargnés par ce déclin. Dès 2009, les flux retrouvent leur dynamique haussière, mais ils diminuent à nouveau avec l’aggravation de la crise souveraine en zone euro fin 2011. Par contre, lorsque l’on observe les entrées nettes de capitaux, celles-ci se sont révélées particulièrement stables dans les pays avancés, tandis qu’elles évoluèrent de concert avec les entrées brutes dans les économies émergentes, si bien qu’elles tendent à s’effondrer en période de nervosité financière.

GRAPHIQUE  Les flux de capitaux transfrontaliers

FickleFlows2.png

source : Bluedorn et alii (2013)

Dans leur contribution au FMI, John Bluedorn, Rupa Duttagupta, Jaime Guajardo et Petia Topalova (2013) ont recueilli les données relatives à 150 pays sur la période 1980-2011 afin d’observer si le comportement des flux de capitaux a changé au cours du temps ou s’il varie d’un pays à l’autre. En l’occurrence, ils insistent sur la distinction entre les entrées nettes et les entrées brutes de capitaux. Les premières constituent la contrepartie financière de la balance des paiements courants et contribuent à déterminer le taux de change ; les secondes peuvent alimenter des expansions de crédit et pousser les prix d’actifs à la hausse, si bien qu’elles sont susceptibles d’affecter la stabilité financière des pays qui les réceptionnent.

Plusieurs études avaient auparavant suggéré que les entrées brutes étaient plus procycliques et volatiles que les entrées nettes. Bluedorn et alii confirment que les flux de capitaux privés sont volatils, que ce soit dans les pays avancés ou les pays en développement, et quelle que soit leur nature (en l’occurrence, qu’il s’agisse de flux bancaires, de flux de portefeuille ou de flux de capitaux propres). L’accroissement de la volatilité au cours du temps s’explique essentiellement par l’accroissement du volume des flux. Les auteurs remarquent également que les économies avancées bénéficient d'une plus grande substituabilité entre les divers types de flux et d’une plus grande complémentarité entre les entrées et sorties de capitaux que les pays émergents et en développement. Ces caractéristiques expliquent en partie pourquoi la volatilité des flux nets totaux dans les économies avancées est assez similaire à celle des pays émergents et en développement, alors même que la volatilité de la plupart des composants de flux est généralement plus élevée. Par conséquent, selon les auteurs, plus les pays émergents s’intègreront aux marchés financiers mondiaux, plus les flux de capitaux seront volatils dans les deux sens, mais probablement moins dans le cas des flux nets. Indistinctement de leur destination et de leur nature, les flux de capitaux présentent également une faible persistance. Si l’on distingue les flux selon leur nature, les flux d’IDE se révèlent comme les plus stables.

Bluedorn et ses coauteurs analysent également le comportement des flux de capitaux durant les périodes caractérisées par de faibles taux d’intérêt et par une faible aversion au risque, ce qui leur permet d’éclairer une question d’actualité : les flux de capitaux à destination des pays émergents et en développement sont-ils susceptibles de s’inverser lorsque les taux d’intérêt dans les pays avancés amorcent leur remontée après s’être durablement maintenus à un faible niveau ? Ils constatent que les afflux de capitaux ont tendance à s’accroître temporairement lorsque les conditions mondiales de financement sont souples. Les flux bruts augmentent lorsque les taux d'intérêt mondiaux et l'aversion au risque sont faibles et s'inversent lorsque ces derniers sont élevés. Dans les pays avancés, les résidents et les étrangers accroissent leur investissement transfrontalier lorsque les conditions mondiales de financement sont assouplies, si bien que les flux nets sont plus stables. Par contre, dans les pays émergents, les sorties brutes de capitaux sont trop faibles pour compenser la forte hausse des entrées brutes, si bien que les investisseurs étrangers influencent en définitive largement les flux nets. 

 

Référence

BLUEDORN, John, Rupa DUTTAGUPTA, Jaime GUAJARDO & Petia TOPALOVA (2013), « Capital flows are fickle: Anytime, anywhere », IMF working paper, n° 13/183, août.

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1 septembre 2013 7 01 /09 /septembre /2013 18:59

Le projet européen consiste finalement à créer un vaste territoire où les biens, les travailleurs, les capitaux et les entreprises circuleraient librement, de manière à promouvoir la croissance et la cohésion des Etats-membres. La constitution de l’union économique et monétaire (UEM) a marqué une étape importante dans le processus d’intégration. En 1992, le traité de Maastricht subordonne l’adoption de la monnaie européenne au respect de plusieurs critères de convergence nominale, si bien que les candidats ont dû mettre en place des politiques d’ajustement. Afin de réduire les inégalités territoriales et accroître la compétitivité des Etats-membres, des politiques régionales ont également été mises en place, les régions en difficulté recevant un soutien financier pour adapter plus facilement leurs structures économiques. La question qui se pose alors est de savoir si la constitution de l’union européenne s’est effectivement révélée bénéfique pour les Etats-membres. Une manière de répondre à cette question, même si elle reste partielle, est d’observer si l’intégration européenne s’est accompagnée d’une convergence des revenus réels par tête.

Selon les modèles de croissance néoclassiques à la Solow (1956), les écarts de revenu réel par habitant entre les pays sont censés se réduire, les pays les plus pauvres tendant à croître plus rapidement que les plus riches. En effet, ces modèles suggèrent qu’en présence de rendements décroissants et d’une diffusion parfaite des technologies, les pays convergent à long terme vers le même revenu par tête, indépendamment des conditions initiales, c’est-à-dire quelles que soient leurs caractéristiques initiales : on parle alors de convergence absolue. Toutefois, les études empiriques ne confirment pas les prédictions des modèles néoclassiques, mais tendent plutôt à montrer que la convergence est conditionnée : seuls les pays disposant de la même technologie et des mêmes fondamentaux convergent vers le même niveau de revenu. Si les pays ne présentent pas les mêmes caractéristiques, ils convergent vers différents états réguliers. Autrement dit, rien n’assure que les pays les plus pauvres vont converger vers les pays les plus riches. A partir des travaux précurseurs de Lucas et de Romer dans les années quatre-vingt, les théories de la croissance endogène se sont développées pour expliquer cette convergence conditionnelle. Ces modèles montrent qu’en présence de rendements croissants et d’externalités positives, la croissance est susceptible de se poursuivre indéfiniment, mais encore faut-il qu’elle s’amorce. L’accélération précoce de la croissance dans les pays avancés constitue alors pour eux un avantage irrémédiable. Certains auteurs ont par la suite également montré que le modèle de croissance néoclassique pouvaient générer des équilibres multiples : même s’ils ont des structures économiques identiques, certains pays peuvent converger vers un niveau de revenu élevé, tandis que d’autres sont piégés dans une trappe à sous-développement.

La nouvelle économie géographique offre de très intéressantes réflexions à propos du processus la convergence au sein de l'Union européenne. Cet ensemble de travaux, qui s’est développé à partir du modèle « centre-périphérie » de Paul Krugman (1991) et qui intègre tout comme les théories de la croissance endogène les rendements croissants, se révèle en l'occurrence peu optimiste. Si un ensemble de régions (constituant le « centre ») dispose ne serait-ce que d’un infime avantage par rapport aux autres régions (constituant la « périphérie »), alors une réduction des barrières à l’échange est susceptible d'entraîner une migration des travailleurs et un transfert des activités productives depuis les territoires périphériques vers les territoires centraux. Ces derniers offrent alors une plus large gamme de variétés de biens et services et des salaires plus élevés, ce qui accroît leur attractivité et stimule à nouveau le transfert des travailleurs et activités. Autrement dit, la plus grande liberté de circulation, en favorisant le plus infime avantage régional, a amorcé un processus auto-entretenu d’agglomération. Alors que les fondateurs et institutions de l’Union européenne ont en tête d’en accroître la cohésion, les théories de la nouvelle économie géographique suggèrent que le processus d’intégration peut au contraire intensifier les disparités initiales : la poursuite de l’intégration européenne va certes bénéficier aux grands pays du centre, mais en se révélant déstabilisatrice pour la périphérie [Crozet et Lafourcarde, 2009]. 

Plusieurs études empiriques ont ainsi cherché à évaluer le processus de convergence entre les pays européens. En observant les 27 Etats-membres de l’Union européenne sur la période s’étalant entre 1970 et 2010, Mihály Tamás Borsi et Norbert Metiu (2013) ne parviennent pas à mettre en évidence une convergence du revenu réel par tête dans l’Union européenne. Par contre, ils constatent que quatre groupes de pays convergent vers différents niveaux de revenu à long terme et que les liens régionaux semblent jouer un rôle significatif dans leur constitution. Cette répartition des pays en clubs de convergence n’est pas nécessairement liée à l’appartenance à la zone euro, puisque les pays-membres de la zone euro appartiennent à différents sous-groupes. A long terme, les pays d’Europe centrale et occidentale (PECO) semblent en outre se distinguer des plus anciens membres de l’Union européenne, ce qui suggère que, même si les PECO ont présenté une plus forte croissance du revenu réel que les autres membres de l’Union européenne au cours des quatre dernières décennies, le rattrapage se révèle insuffisant pour éliminer les écarts de revenu réel par tête entre les pays. Finalement, Borsi et Metiu observent à partir du milieu des années quatre-vingt-dix un déclin graduel des pays méditerranéens qui se traduit finalement par une disjonction entre les pays du nord-ouest et ceux du sud-est de l’Union européenne, ce qui n’est pas sans accréditer l’idée de polarisation spatiale suggérée par la nouvelle économie géographique. 

 

Références

BORSI, Mihály Tamás, & Norbert METIU (2013), « The evolution of economic convergence in the European Union », Deutsche Bundesbank, discussion paper, n° 28/2013, août.

CORRADO, Luisa, Ron MARTIN & Melvyn WEEKS (2005), « Identifying and interpreting regional convergence clusters across Europe », in Economic Journal, vol. 115.

CROZET, Matthieu, & Miren LAFOURCADE (2009), La Nouvelle Economie géographique, La Découverte.

KRUGMAN, Paul (1991), « Increasing returns and economic geography », in The Journal of Political Economy, vol. 99, n° 3.

SOLOW, Robert M. (1956), « A contribution to the theory of economic growth », in Quarterly Journal of Economics, vol. 70, n° 1.

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30 août 2013 5 30 /08 /août /2013 19:55

Suite à la révolution keynésienne, la science économique émerge de la Seconde Guerre mondiale avec la certitude que l'Etat peut et doit gérer activement la demande globale pour lutter contre les déséquilibres macroéconomiques et en particulier pour assurer le plein emploi. A partir de données relatives à l’économie britannique sur la période s’étalant entre 1861 et 1957, Albin William Phillips (1958) met en évidence une relation inverse entre le taux de croissance des salaires nominaux et le taux de chômage. Son interprétation est simple : quand le taux de chômage diminue, la concurrence devient plus intense entre les employeurs pour attirer la main-d’œuvre qui leur est nécessaire, donc les salaires tendent à augmenter ; réciproquement, plus le taux de chômage augmente, plus les travailleurs se font concurrence pour obtenir un emploi, si bien que les salaires tendent alors à diminuer. En supposant que la hausse des salaires nominaux correspond à la hausse des prix (aux gains de productivité près), d’autres économistes en ont déduit une relation inverse entre la variation des prix et le taux de chômage : c’est la « courbe de Phillips ». Autrement dit, plus l’économie se rapproche du plein-emploi, plus les prix augmentent rapidement. Par conséquent, l’économie ne peut connaître à la fois plein emploi et stabilité des prix. A l’extrême, les autorités publiques peuvent certes ramener l’économie au plein emploi, mais au prix d’une accélération de l’inflation ; ou bien stabiliser les prix, mais au prix d’une remontée du taux de chômage. Elles vont alors arbitrer entre les niveaux d’inflation et de chômage en modulant le niveau de demande globale.

La courbe de Phillips a été très rapidement remise en cause. Au niveau empirique, la relation semble peu à peu se distendre. Dès les années soixante, les politiques expansionnistes menées aux Etats-Unis se révèlent incapables de baisser le taux de chômage en dessous d’un certain niveau, alors même que l’inflation accélère continûment. A partir des années soixante dix, plusieurs économies avancées basculent même dans un régime de stagflation, caractérisé (non plus alternativement, mais) simultanément par une forte inflation et un chômage de masse. Ces évolutions viennent confirmer aux yeux des monétaristes leur hypothèse d’un taux de chômage naturel, c’est-à-dire de l’existence d’un niveau de chômage incompressible face aux politiques conjoncturelles. En effet, pour Friedman, il n’y a pas de courbe de Phillips à long terme. Il accepte toutefois l’idée d’un arbitrage à court terme entre inflation et chômage, car les agents n’adaptent leurs anticipations d’inflation qu’avec un certain retard. Si par exemple les autorités publiques accélèrent l’inflation pour baisser le taux de chômage en-dessous de son niveau naturel, les salaires nominaux ne varieront pas, mais les salaires réels diminueront. La demande de travail augmentera et le chômage diminuera. Par contre, une fois que les travailleurs auront révisé leurs anticipations, ils réduiront leur offre de travail et exigeront des salaires nominaux plus élevés, si bien que les salaires réels retrouveront leur niveau initial et le taux de chômage reviendra à son niveau d’équilibre. L’absence de courbe de Phillips à long terme remet en cause l’opportunité des politiques de relance : si celles-ci peuvent temporairement diminuer le chômage en dessous de son niveau naturel, elles se traduisent par contre au final par la seule accélération de l’inflation. Les nouveaux classiques ont radicalisé cette vision en considérant que les anticipations étaient, non pas adaptatives, mais rationnelles, ce qui les a amenés à rejeter l'idée même d'une courbe de Phillips à court terme. 

Puisque le taux naturel correspond finalement au niveau de chômage compatible avec une inflation stable, il apparaît souvent dans la littérature sous le terme de non-accelerating inflation rate of unemployment (NAIRU). Friedman considérait que le taux naturel résultait des imperfections propres aux marchés des biens et services et au marché du travail. Son niveau dépendrait notamment du salaire minimum en vigueur, des syndicats et des frictions dans l’appariement entre les travailleurs et les postes vacants. Autrement dit, si le NAIRU n’est pas influencé par les politiques conjoncturelles, c’est parce qu’il est déterminé du côté de l’offre, par des facteurs « structurels ». En outre, comme ces derniers évoluent au cours du temps, le taux naturel est également susceptible de varier. Par conséquent, dans l’optique des monétaristes et des nouveaux classiques, seules les politiques structurelles peuvent diminuer le NAIRU.

Or, selon James Tobin et les nouveaux keynésiens, rien n’assure que le taux de chômage va revenir naturellement et rapidement à son niveau naturel. La mise en œuvre de politiques conjoncturelles reste donc légitime, ne serait-ce que pour éliminer la composante conjoncturelle du chômage. Surtout, certains auteurs suggèrent que le taux de chômage naturel n’est pas insensible à l’évolution du taux de chômage effectif et qu’il serait par conséquent influencé par les dynamiques de la demande globale. En d’autres termes, même si une hausse du chômage est d’origine conjoncturelle, celui-ci peut très facilement devenir structurel. Les économistes parlent d’effets d’« hystérésis » (ou d’« hystérèse ») pour désigner cette tendance naturelle du chômage à s’enkyster, un terme précédemment utilisé en physique pour désigner la persistance d’un phénomène lorsque sa cause a disparu. Olivier Blanchard et Lawrence Summers (1986) ont ainsi utilisé la notion d’hystérèse pour expliquer le maintien du chômage européen à un niveau élevé à partir des années quatre-vingt. Elle s’opère d’après eux selon trois mécanismes :

1. La réduction du nombre de projets d’investissement lancés lors des récessions se traduit par une moindre demande de travail. Une fois la reprise amorcée, les retards dans l’accumulation du capital ne permettent pas une reprise suffisante de l’activité pour résorber le chômage.

2. Blanchard et Summers mettent particulièrement l’accent sur la dualisation du marché du travail pour expliquer le phénomène d’hystérésis. Comme le suggèrent les travaux de Lindbeck et Snower, les travailleurs se répartissent entre les chômeurs (les outsiders) et les travailleurs occupant un emploi (les insiders), or seuls ces derniers participent aux négociations salariales, si bien qu’ils vont profiter de leur situation pour accroître leur salaire. Puisqu’il est coûteux d’embaucher et de former un travailleur, les insiders vont chercher à accroître ce coût en refusant de coopérer avec les outsiders, en compliquant leur formation et en retardant finalement leur intégration dans l’entreprise. Non seulement un tel comportement réduit la productivité des nouveaux arrivants, mais il désincite également les employeurs à embaucher. Ainsi, lorsque l’économie sort d’une récession, les entreprises vont préférer accroître les salaires plutôt que de réembaucher les travailleurs qu'elles ont précédemment licenciés, si bien que la reprise ne s’accompagnera finalement pas d’un reflux du chômage.

3. Il existe un « canal de transmission » bien plus intéressant. Lorsqu’ils sont au chômage, les travailleurs voient progressivement leur capital humain (c’est-à-dire leurs savoirs, leurs compétences et leur santé) se dégrader et deviennent par conséquent peu à peu inemployables. Des mécanismes de stigmatisation sont également à l'oeuvre : le fait même d’être au chômage de longue durée envoie un signal négatif aux employeurs potentiels concernant les compétences et la motivation du demandeur d'emploi, ce qui réduit les incitations à embaucher. Autrement dit, plus un travailleur passe de temps au chômage, moins il a de chances d’en sortir. Une hausse forte et durable du chômage s’accompagne donc d’une augmentation du chômage de longue durée. En outre, les chômeurs peuvent se décourager, rechercher moins activement un emploi et finalement sortir de la population active, en particulier s’il existe un système généreux de protection sociale. 

Un choc, bien que transitoire, peut ainsi avoir des effets permanents sur l'économie. Avec la hausse du taux de chômage effectif suite à une récession, le taux de chômage naturel est susceptible de s’accroître également et de se maintenir de façon permanente à un niveau élevé, et ce même si l’économie renoue avec une croissance soutenue. Le fait que le NAIRU dépende de la trajectoire passée du taux de chômage dénote sa nature endogène. Il apparaît alors particulièrement dangereux pour les autorités publiques de laisser le chômage s’envoler, car il est par la suite extrêmement difficile de le réduire. L'Etat ne doit alors pas hésiter à fortement stimuler la demande pour éviter toute aggravation du chômage. 

Alors que le concept d’hystérèse a été relativement délaissé pendant deux décennies, la Grande Récession a renouvelé l’intérêt des économistes pour les effets à long terme du chômage. Par exemple, Laurence Ball (2009) observe les performances de 20 pays développés entre 1980 et 2007. Il constate que les fortes hausses du taux naturel sont historiquement associées aux désinflations, tandis que ses baisses sont synchrones aux accélérations de l’inflation, ce qui tend à confirmer l'existence des effets d’hystérésis. Ainsi, les resserrements monétaires visant à lutter contre l‘inflation auraient contribué à l’origine des hausses du NAIRU dans les années quatre-vingt. Ball affirme que les divergences dans l’orientation des politiques monétaires expliqueraient les différences que l’on peut constater dans les taux de chômage entre les pays avancés. Certaines banques centrales (notamment la Fed) resserrèrent tout d’abord leur politique monétaire pour réduire l’inflation, mais l’assouplirent fortement dès que la récession survint, même si l’inflation subsistait, ce qui leur permit de faire rapidement refluer le chômage. Par contre, d’autres banques centrales (en particulier en Europe) refusèrent d’assouplir leur politique monétaire en réaction à la récession tant que les tensions inflationnistes persistaient, si bien que le chômage persista à un niveau élevé dans leur économie. Les effets d’hystérésis seraient ainsi plus larges lorsque la banque centrale réagit faiblement aux récessions. Engelbert Stockhammer et Simon Sturn (2012) rejoignent les conclusions de Ball à partir d’une optique post-keynésienne. 

Roger Farmer (2013) tente d’offrir un nouveau cadre théorique pour analyser le chômage en s’appuyant sur les réflexions de Keynes et sur les modèles d’équilibres multiples. Dans sa modélisation, les esprits animaux des ménages et des entreprises déterminent la valeur du marché boursier. Les booms et effondrements des prix d’actifs sont alors générés par des vagues autoréalisatrices d’optimisme et de pessimisme : les prix d’actifs peuvent s’accroître pour la seule raison que les participants au marché croient qu’ils vont poursuivre leur hausse. Si les cours boursiers s’effondrent, la demande décline et les entreprises licencient. Le chômage involontaire peut alors persister comme état d’équilibre. Au final, il existe un continuum de taux de chômage d’équilibre et celui qui prévaut est sélectionné par les esprits animaux. Puisque la confiance joue un rôle déterminant dans les dynamiques du chômage, Farmer se propose finalement de remplacer la courbe de Phillips par une fonction de croyances (belief function) censée capturer l’état de confiance des agents économiques. 

 

Références

BALL, Laurence M. (2009), « Hysteresis in unemployment: Old and new evidence », NBER working paper, n° 14818, mars.

BLANCHARD, Olivier, & Lawrence SUMMERS (1986), « Hysteresis in unemployment », in NBER Macroeconomics Annual, vol. 1.

DESCAMPS, Christian (2005), L’Analyse économique en questions, Vuibert.

FARMER, Roger E.A. (2013), « The Natural Rate Hypothesis: An idea past its sell-by date », NBER working paper, n° 19267, juillet.

GAUTIE, Jerôme (2009), Le Chômage, La Découverte.

PHILLIPS, Albin William (1958), « The relation between unemployment and the rate of change of money wage rates in the United Kingdom, 1861–1957 », in Economica, vol. 25, n° 100.

STOCKHAMMER, Engelbert, & Simon STURN (2012), « The impact of monetary policy on unemployment hysteresis », in Applied Economics, vol. 44.

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