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22 novembre 2012 4 22 /11 /novembre /2012 22:18

Michele Boldrin et David K. Levine (2012) n’en sont absolument pas convaincus. Selon eux, rien ne prouve au niveau empirique que les brevets conduisent à une accélération du processus d’innovation et à un relèvement de la productivité. La démultiplication des dépôts de brevets et le renforcement de leur protection légale n’ont aucunement conduit à accroître le taux de progrès technique, ni même le niveau de dépenses en recherche-développement. Si ces constats ne permettent pas de rejeter l’idée selon laquelle la concurrence constitue un moteur majeur de l’innovation, ils semblent contredire les théories schumpétériennes qui postulent que les monopoles garantis par l’Etat sont essentiels pour inciter les entreprises à innover. Les innovations qui ont conduit à l’émergence de nouveaux secteurs sont apparues dans un environnement hautement concurrentiel et non de la protection des brevets.

Dans un cycle de vie typique d'un produit, l’innovation génère un nouveau secteur et celui-ci est initialement marqué par un fort degré de concurrence. De très nombreux innovateurs pénètrent le marché pour tenter d’y imposer leur produit. De nombreuses versions du produit initial font leur apparition et en constituent des améliorations toujours plus poussées. La demande s’accroît très rapidement et son élasticité-prix est particulièrement élevée. L’enjeu pour les entreprises n’est alors pas véritablement de dominer le marché, mais avant tout de rendre leur produit le plus rapidement disponible et de réduire leurs coûts.

Le secteur devenant peu à peu mature, la demande va peu à peu se stabiliser et son élasticité-prix se réduit. Il est alors moins possible pour les entreprises de mettre au point des innovations leur permettant de réduire leurs coûts. Les bénéfices d’un éventuel monopole s’accroissent et le potentiel de mettre au point des innovations supplémentaires se réduit. Le marché va alors connaître un profond remaniement, dont l’un des plus récents exemples historiques s’avère certainement l’éclatement de la bulle internet au début des années deux mille. De nombreuses entreprises sortent du secteur ou sont rachetées. Les entreprises restantes se lancent alors dans une recherche éperdue de rentes (rent-seeking). Elles utilisent massivement les brevets pour inhiber le processus d’innovation, empêcher l’entrée de nouvelles concurrentes sur le marché et encourager la sortie de celles déjà présentes. Que ce soit Texas Instruments autrefois ou bien Microsoft aujourd’hui, les entreprises en déclin s’emparent du secteur en taxant consommateurs, nouveaux entrants et concurrents potentiels. Lorsqu’un secteur atteint la maturité, l’innovation n’est pas encouragée, mais bien réfrénée, comme les insiders multiplient les recours à la protection de la propriété intellectuelle.

Certes, fournir un monopole à un innovateur pour le récompenser accroît l’incitation à innover, mais garantir un monopole se traduira également par de nombreux effets pervers associés au pouvoir de monopole que confère le brevet. Le monopoleur sera notamment fortement incité à se lancer dans une recherche de rentes en préservant, voire en étendant son monopole. Les innovateurs potentiels font face à de constantes procédures judiciaires et doivent demander une licence aux détenteurs de brevets. D’un côté, le monopoleur verra s’accroître son niveau de profit. De l’autre, les brevets désincitent les autres entreprises à innover, mais poussent aussi chacun à se lancer dans une course effrénée de lobbying.

Les problèmes sous-jacents au système de brevets deviennent particulièrement aigus au cours du temps, puisque les produits sont élaborés avec toujours davantage de composants. Un innovateur doit acquérir un nombre croissant de licences sans pour autant que l’incertitude entourant la valeur ultime de sa propre innovation se dissipe. Chaque détenteur de brevet élève le prix de sa propre innovation, mais il génère ainsi une externalité négative qui se répercute sur les autres innovateurs.

Si des systèmes résiduels de brevets peuvent s’avérer globalement positifs en incitant à innover, des systèmes étendus de brevets vont enrayer le processus d’innovation en multipliant les effets pervers. Or, une faible législation tend selon Boldrin et Levine à évoluer vers une forte protection. Les appels à une plus forte protection des brevets n’émaneront pas des entreprises nouvelles et innovatrices, mais des vieilles entreprises qui font face à une stagnation de leur activité. Selon les deux économistes, la meilleure solution serait d’abolir les brevets, tout en trouvant de nouveaux instruments législatifs qui ne peuvent faire l’objet d’un lobbying, ni permettre aux entreprises de s’engager dans un stérile comportement de recherche de rentes.

 

Référence Martin ANOTA

BOLDRIN, Michele, & David K. LEVINE (2012), « The Case Against Patents », Federal Reserve Bank of St Louis, working paper, septembre.

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