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14 mai 2016 6 14 /05 /mai /2016 16:28

John Komlos (2016) a cherché à déterminer comment les fruits de la croissance économique ont été répartis dans la population américaine au cours des trois dernières décennies. L’auteur a utilisé les données du Census et du Congressional Budget Office (CBO) pour évaluer la croissance du revenu des différents quintiles entre 1979 et 2011, ainsi que les variations associées du bien-être. Ses constats sont cohérents avec l’idée d’une « érosion » de la classe moyenne aux Etats-Unis. Le revenu des deuxième et troisième quintiles se sont accrus à un rythme compris entre 0,1 % et 0,7 %, soit à un rythme presque nul. Ce rythme est d’autant plus désolé qu’il n’a pu être atteint qu’avec l’accroissement substantiel des revenus de transfert à destination des classes moyennes. Si l’estimation la plus basse (une croissance annuelle de 0,1 %) est juste, alors il faudra environ six siècles pour que les revenus du deuxième quintile double. Un tel rythme est précisément le même que celui qui prévalait avant la Révolution industrielle.

GRAPHIQUE  Estimations du taux de croissance du revenu en fonction des quintiles et centiles entre 1979 et 2011 (par an, en %)

Les fruits inégalement répartis de la croissance américaine

source : Komlos (2016)

Malgré tout, le revenu du premier quintile a connu une croissance positive. Les 20 % des Américains les plus pauvres ont connu une croissance du revenu comprise entre 0,5 % et 1 %, c’est-à-dire à un rythme plus rapide que les deuxième et troisième quintiles, mais égal à celui du quatrième. Ce résultat est d’autant plus surprenant que le premier quintile a reçu de moins en moins de revenus de transferts au cours du temps, contrairement aux classes moyennes. Le revenu du premier quintile reste au strict minimum pour vivre aux Etats-Unis. En effet, son revenu moyen, équivalent à environ 17.900 par an en 2011, était à peu près au même niveau que le seuil de pauvreté pour une famille de trois personnes.

Le seul quintile qui a bénéficié d’une amélioration significative de son niveau de vie est le dernier, ce qui confirme un profond creusement des inégalités de revenu au cours des dernières décennies [Piketty et Saez, 2003 ; Saez, 2015]. Le revenu des 1 % des ménages les plus aisés s’est accru à un rythme compris entre 3,4 et 3,9 % par an au cours des trois décennies observées. La valeur annuelle moyenne de leur revenu a plus que triplé entre 1979 et 2011, en passant d’environ 281.000 dollars à 918.000 dollars. Le revenu après redistribution des 1 % des plus aisés représentait 51 fois celui du première quintile en 2011, contre 21 en 1979. Le revenu des personnes comprises entre les 96ème et 99ème centiles sont passés d’un multiple de 8,1 à un multiple de 11,3. 

Au final, Komlos estime que l’économie américaine a échoué à améliorer le bien-être de tous les résidents et même de la majorité d’entre eux. Le revenu moyen a beau avoir augmenté, une partie de la population n’a pas vu sa situation s’améliorer. En effet, la classe moyenne américaine a connu une baisse relative de son revenu et de son bien-être, ce qui explique selon Komlos pourquoi les indices de satisfaction de vivre des Américains a pu avoir tendance à diminuer avant même qu’éclate la crise financière [Easterlin, 2016].

 

Références

EASTERLIN, Richard A. (2016), « Paradox lost? », IZA, discussion paper, n° 9676, janvier.

KOMLOS, John (2016), « Growth of income and welfare in the U.S, 1979-2011 », NBER, working paper, n° 22211, avril.

PIKETTY, Thomas, & Emmanuel SAEZ (2003), « Income inequality in the United States, 1913-1998 », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 1.

SAEZ, Emmanuel (2015), « Striking it richer: The evolution of top incomes in the United States ».

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11 mai 2016 3 11 /05 /mai /2016 17:21

La politique commerciale d’un pays oscille entre deux extrêmes : celui du libre-échange et celui du protectionniste. Si, dans le premier cas, il s’agit de favoriser les échanges, il s’agit plutôt dans le second de freiner les importations ou tout du moins de les encadrer, afin de favoriser la production nationale. Les mesures protectionnistes les plus connues sont les barrières tarifaires : les tarifs douaniers. Il existe toutefois diverses autres mesures non tarifaires, donc plus difficilement quantifiables, comme les restrictions sur les quantités de biens importés (quotas, contingentements, embargos), les subventions accordées aux firmes domestiques, les subventions sur les exportations, certaines normes (par exemple, techniques, sanitaires et environnementales, qui empêchent de facto l’importation des produits qui ne les respectent pas), les mesures de dumping ou d’antidumping, etc.

Chad Bown et Meredith Crowley (2016), ont procédé à une analyse empirique des politiques commerciales de 31 grandes économies, représentant ensemble 83 % de la population mondiale et 91 % du PIB mondial en 2013. Leur analyse se restreint toutefois au seuls échanges de biens, c’est-à-dire ne prend pas en compte le commerce de services. Ils ont tout d’abord cherché à déterminer si certains pays ont des régimes plus libéraux que d’autres. Ils constatent que les niveaux moyens de tarifs douaniers sur les importations varient fortement d’un pays à l’autre. Les pays à haut revenu imposent de plus faibles tarifs douaniers que les pays à revenu intermédiaire, qui imposent eux-mêmes de moindres tarifs douaniers que les pays à faible revenu. Lorsque les auteurs prennent en compte les tarifs préférentiels accordés aux partenaires à l’échange, les pays à haut revenu apparaissent encore plus ouverts. Par contre, lorsque l’ensemble des mesures protectionnistes est élargi pour intégrer des mesures non tarifaires, telles que les restrictions quantitatives, alors les pays à haut revenu et les pays émergents apparaissent moins ouverts que ne le suggère la seule analyse des barrières tarifaires.

Bown et Crowley ont ensuite cherché à déterminer comment les protections vis-à-vis des importations varient d’un secteur à l’autre. Les secteurs produisant des biens agricoles et des biens alimentaires sont protégés presque dans tous les pays, c’est-à-dire aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés. Au sein de l’industrie manufacturière, les secteurs produisant du textile, des vêtements et des chaussures apparaissent comme les plus protégés. Les minéraux et les carburants font l’objet de moindres barrières à l’importation. En outre, les droits de douane sur l’importation de biens finis sont plus élevés que ceux sur les biens intermédiaires dans l’ensemble des secteurs et dans l’ensemble des pays.

Les deux auteurs observent ensuite comment les politiques commerciales ont changé au cours du temps. Ils confirment qu’au cours des deux dernières décennies, les tarifs douaniers ont eu tendance à diminuer tout autour du monde. Les tarifs douaniers diminuent régulièrement dans les pays à haut revenu (cf. graphique), tandis qu’ils connaissent de plus fortes variations au sein des pays à faible revenu. En fait, certains pays développés et émergents ont abandonné les tarifs douaniers pour davantage s’appuyer sur des politiques de sauvegarde et des mesures d’antidumping afin de changer plus fréquemment les volumes de protection vis-à-vis des importations. 

GRAPHIQUE  Niveau moyen de tarifs douaniers aux Etats-Unis, dans les pays appartenant (aujourd’hui) à l’Union européenne et au Japon (en %)

Petit portrait du paysage mondial des politiques commerciales

source : Bown et Irwin (2015)

Bown et Crowley se demandent si des pays discriminent leurs partenaires à l’échange lorsqu’ils élaborent leur politique commerciale. Ils constatent que c’est effectivement le cas. Plusieurs pays discriminent entre leurs partenaires à l’échange en accordant à certains de moindres tarifs douaniers que ceux offerts dans le cadre des accords multilatéraux. Plusieurs pays discriminent entre leurs partenaires commerciaux en imposant un plus haut niveau de protection aux importations en provenance de certains d’entre eux : certains partenaires à l’échange voient ainsi leur accès aux marchés domestiques être restreints par des mesures d’antidumping.

Enfin, les auteurs se demandent à quel point le commerce mondial est libéralisé. Leur principale conclusion est que de substantielles barrières à l’échange demeurent aujourd’hui : l’économie mondiale est moins libéralisée que beaucoup n’ont l’habitude de le suggérer.

 

Références

BOWN, Chad P., & Meredith A. CROWLEY (2016), « The empirical landscape of trade policy », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7620, mai.

BOWN, Chad P., & Douglas A. IRWIN (2015), « The GATT's starting point: Tariff levels circa 1947 », NBER, working paper, n° 21782, décembre.

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7 mai 2016 6 07 /05 /mai /2016 10:32

Ces dernières décennies ont été marquées par une nouvelle phase soutenue de mondialisation des échanges. Celle-ci s’est peut-être traduite par une baisse des inégalités de revenu entre les pays, mais elle semble plus sûrement s’être accompagnée d'une détérioration des inégalités dans chaque pays. Les canaux exacts par lesquels la mondialisation des échanges affecte les inégalités de revenu prêtent  toutefois toujours à discussion. Peter Egger, Sergey Nigai et Nora Strecker (2016) se sont récemment penchés sur l’un des possibles canaux de transmission : celui de la fiscalité.

D’un côté, des auteurs comme Dani Rodrik (1998) suggèrent que diverses mesures de la mondialisation sont corrélées avec les dépenses dans les biens publics. D’un autre côté, l’accroissement de la mobilité des facteurs de production, dans un contexte de libéralisation financière, est susceptible de réduire la capacité des Etats à prélever des impôts ; c’est ce que constant notamment Michael Devereux et alii (2008) dans le cas de la mobilité du capital ou encore Henrik Jacobsen Kleven et alii (2014) dans le cas de la mobilité des travailleurs très qualifiés et à haut revenu. Par conséquent, chaque Etat tend à faire face à une demande croissante de biens publics, alors même qu’il repose sur des bases fiscales de plus en plus étroites ; ces dernières comprennent essentiellement le patrimoine, les dépenses et le revenu personnel des travailleurs relativement immobiles. Cette dynamique est alors susceptible d’avoir deux conséquences perverses : une tendance à la détérioration des finances publiques et un accroissement des inégalités, ces deux effets pervers ayant en outre sûrement tendance à se renforcer mutuellement, comme l’ont suggéré Martin Larch (2010), Marina Azzimonti et alii (2012) ou encore Santo Milasi (2012).

GRAPHIQUE  Composition des recettes fiscales (en %)

Le contrecoup fiscal de la mondialisation

source : Egger et alii (2016)

Egger et alii ont donc analysé les répercussions de la mondialisation sur la taille et la composition des recettes fiscales (cf. graphique), sur le fardeau fiscale propre aux travailleurs et sur les taux d’imposition effectifs du revenu du travail. Pour cela, ils se sont basés sur un large échantillon de données internationales relatives à la période comprise entre 1980 et 2012. Ils constatent que les gouvernements recherchent de plus en plus des sources fiscales autres que les impôts sur les entreprises, ce qui est cohérent avec la théorie selon laquelle l’Etat a de plus en plus en plus de difficulté de taxer les facteurs de production, notamment le capital. En l’occurrence, la mondialisation a incité les gouvernements à accroître les impôts à la charge des salariés. Le fardeau fiscal sur les classes moyennes, relativement à celui des ménages les plus modestes et des ménages les plus aisés, a eu tendance à augmenter, en particulier dans les pays développés. Cette dynamique découle entre autres des modifications des lois relatives à la fiscalité, ce qui permet de taxer plus agressivement les classes moyennes par rapport aux extrêmes de la répartition des revenus. Entre 1994 et 2007, la mondialisation aurait contribué à accroître leur taux d’imposition du revenu de 1,5 point de pourcentage, tandis que les 1 % des travailleurs les plus aisés virent le leur diminuer d’environ 1,5 point de pourcentage. Une telle dynamique contribue alors à expliquer pourquoi des indicateurs d’inégalités de revenu comme l’indice de Gini et la part du revenu national détenu par les 1 % les plus aisés aient eu tendance à se dégrader ces dernières décennies.

 

Références

AZZIMONTI, Marina, Eva DE FRANCISCO & Vincenzo QUADRINI (2012), « Financial globalization, inequality, and the raising of public debt », Federal Reserve Bank of Philadelphia, working paper, n° 12-6, 17 février.

DEVEREUX, Michael P., Ben LOCKWOOD & Michela REDOANO (2008), « Do countries compete over corporate tax rates? », in Journal of Public Economics, vol. 92, n° 5-6.

EGGER, Peter, Sergey NIGAI, Nora STRECKER (2016), « The taxing deed of globalization », CEPR, discussion paper, n° 11259 , mai.

KLEVEN, Henrik Jacobsen, Camille LANDAIS, Emmanuel SAEZ & Esben Anton SCHULTZ (2014), « Migration and wage effects of taxing top earners: Evidence from the foreigners' tax scheme in Denmark », in Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 1.

LARCH, Martin (2010), « Fiscal performance and income inequality: Are unequal societies more deficit-prone? Some cross-country evidence », European economy Economic paper, vol. 414.

MILASI, Santo (2012), « Top income shares and budget deficits », document de travail.

RODRIK, Dani (1998), « Why do more open economies have bigger governments? », in Journal of Political Economy, vol. 106, n° 6.

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